CDD pour accroissement d’activité : décision du 4 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02844
CDD pour accroissement d’activité : décision du 4 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02844

N° RG 21/02844 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I2PL

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 04 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 10 Juin 2021

APPELANTE :

S.A. SANOFI PASTEUR

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Christophe PLAGNIOL, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE

INTIME :

Monsieur [W] [C]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Mehdi LOCATELLI de la SELARL CABINET LOCATELLI, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 22 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 22 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 04 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 04 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [W] [C] a été engagé par la société Sanofi Pasteur en qualité d’opérateur de production par plusieurs contrats de mission entre le 14 avril 2020 et le 15 juin 2021.

Par requête du 6 mai 2021, M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Louviers en requalification de sa relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

Par jugement du 10 juin 2021, le conseil de prud’hommes a prononcé la requalification de la relation contractuelle entre la société Sanofi Pasteur et M. [C] en contrat à durée indéterminée à compter du 22 juin 2020, ordonné la poursuite du contrat de travail de M. [C] avec la société Sanofi Pasteur en durée indéterminée, condamné la société Sanofi Pasteur à verser à M. [C] les sommes suivantes :

indemnité de requalification : 3 223,49 euros,

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 500 euros,

ordonné l’exécution provisoire, dit que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête, condamné la société Sanofi Pasteur aux dépens.

La SA Sanofi Pasteur a interjeté un appel total le 9 juillet 2021.

Par conclusions remises le 2 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Sanofi Pasteur demande à la cour de déclarer irrecevables et mal fondées les demandes formulées pour la première fois en cause d’appel par M. [C] suivantes :

rappel d’intéressement sur l’année d’exercice 2020 et 2021 ou subsidiairement, à titre de dommages et intérêts résultant de la privation de cette prime : 5 000 euros,

rappel de participation sur l’année d’exercice 2020 et 2021 ou subsidiairement, à titre de dommages et intérêts résultant de la privation de cette prime : 5 000 euros,

dommages et intérêts résultant de la privation du droit à l’abondement PERCO : 5 000 euros,

infirmer le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, débouter M. [C] de l’intégralité de ses demandes et le condamner à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions remises le 2 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [W] [C] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée à compter du 22 juin 2020, statuant à nouveau, fixer la date de la requalification au 14 avril 2020, condamner la société Sanofi Pasteur à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, outre les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 2 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire, il convient de rappeler que conformément à l’application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions déposées. Or, aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 2 mars 2023, M. [C] ne présente aucune demande au titre de l’intéressement, de la participation et de l’abondement PERCO. En conséquence, la cour n’étant saisie d’aucune prétention en ce sens, il n’y a pas lieu de statuer sur leur recevabilité.

I – Sur la demande de requalification de la relation contractuelle

M. [C] critique le caractère saisonnier de l’emploi qui a été visé comme motif de recours à son embauche dans son premier contrat de mission au motif que l’activité de production du vaccin de la grippe dure plus de huit mois par an et que la durée de son contrat initial ne correspond pas à la durée de la campagne, de sorte que même si la production de la grippe est une activité saisonnière, son emploi n’a pas de caractère saisonnier. Quant au motif d’accroissement temporaire d’activité de son contrat suivant, il soutient que la reconstitution des stocks est une activité normale et permanente de l’entreprise, ainsi qu’en témoigne la durée du contrat qui ne correspond pas à la période d’accroissement alléguée.

La société Sanofi Pasteur affirme que l’emploi de M. [C] correspond à la saisonnalité de la production du vaccin de la grippe dans l’hémisphère nord, rappelant que si la fabrication de ce vaccin correspond à son activité normale, celle-ci présente un caractère saisonnier incontestable sur l’activité Vrac confiée à M. [C], en ce qu’elle est cyclique et régulière, dépendant des souches définies au début du premier semestre de chaque année par l’Organisation Mondiale de la Santé. Quant au surcroît temporaire d’activité visé dans le second contrat de mission, la société Sanofi Pasteur fait observer qu’il s’est agi pour elle de répondre à une exigence des pouvoirs publics de reconstitution des stocks de sécurité pour les vaccins Hexaxim et Tetravac, ce qui l’a conduit à avoir sur cette période une activité accrue par rapport à son activité de production ‘normale’ desdits vaccins.

Aux termes de l’article L.1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Selon l’article L.1251-6, sous réserve des dispositions de l’article L.1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée ‘mission’ et seulement dans des cas limitativement énumérés dont le remplacement d’un salarié, l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise et l’emploi à caractère saisonnier dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs.

Il y a lieu de préciser qu’une activité saisonnière autorisant la conclusion d’un contrat à durée déterminée correspond à des travaux qui se répètent cycliquement, c’est-à-dire avec une périodicité régulière qui ne résulte pas de la volonté de l’employeur mais qui tient à des contraintes extérieures, naturelles, techniques ou socio-économiques. La distinction entre le travail saisonnier et le simple accroissement d’activité repose sur le caractère régulier, prévisible, cyclique de la répétition de l’activité ou du travail en question.

Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.

En l’espèce, il est constant que M. [C] a été engagé en qualité qu’opérateur 2 ‘production Vrac’ affecté à la production du vaccin contre la grippe pour l’hémisphère Nord, emploi que le contrat qualifie de saisonnier car lié à la campagne de production du vaccin contre la grippe saisonnière.

Il apparaît opportun de rappeler que la société Sanofi Pasteur est spécialisée dans la fabrication de vaccins humains, que son site de production situé à [Localité 3] assure la distribution mondiale de tous les vaccins fabriqués par la société Sanofi Pasteur en France mais surtout les opérations industrielles de la production biologique des antigènes au stade ‘vrac’ jusqu’aux produits finis, à savoir les vaccins pour 7 des 17 vaccins fabriqués par la société. Le site de [Localité 3] est notamment le premier producteur mondial de vaccin contre la grippe saisonnière pour les hémisphères nord et sud, cette production représentant 30 à 35 % de son activité.

S’il ne peut être contesté que la fabrication du vaccin contre la grippe est saisonnière, en ce qu’à chaque hiver de l’hémisphère nord et sud, l’Organisation Mondiale de la Santé définit les souches devant constituer le vaccin, ce seul élément n’est cependant pas suffisant pour établir le caractère saisonnier de l’emploi de M. [C] affecté à la production ‘vrac’, c’est à dire à la production de l’antigène capable de stimuler la production d’anticorps par le système immunitaire.

En effet, d’une part, de manière générale, il convient de relever que cette intervention régulière et saisonnière de l’Organisation Mondiale de la Santé pour définir la composition du vaccin contre la grippe ne permet pas d’induire le caractère saisonnier de l’activité de production de ce vaccin par la société Sanofi Pasteur, puisque cette dernière n’est pas uniquement responsable de la fabrication des souches, mais également de l’intégralité du processus de fabrication et de commercialisation du vaccin. Au demeurant, les graphiques produits aux débats par la SA Sanofi Pasteur, bien que dénués de toute valeur probante, pour ne pas citer leurs sources, confirment cette analyse en montrant que les différentes étapes de commercialisation et de distribution du vaccin pour l’hémisphère nord et sud représentent une activité permanente s’exerçant tout au long de l’année, sans interruption.

D’autre part, s’agissant plus spécifiquement de l’étape ‘Production Vrac-formulation’, à laquelle M. [C] était affecté en qualité d’opérateur, en l’absence d’éléments objectifs et chiffrés sur l’activité industrielle et commerciale, la cour ne peut retenir que la modification bi-annuelle des souches des vaccins est un élément suffisant pour établir que la mise en production est nécessairement saisonnière et qu’il ne s’agit pas d’une activité permanente, le cas échéant, soumise ponctuellement à des accroissements d’activités.

Or, force est de constater que si la société Sanofi Pasteur produit une documentation fournie sur le processus technique de fabrication d’un vaccin, elle ne communique, en revanche, aucun élément chiffré sur son activité pour les années 2018 à 2020, si ce n’est un tableau dactylophraphié reprenant le nombre de flacons et de seringues réalisés mensuellement sans préciser l’origine de ses chiffres et surtout sans indiquer s’il s’agit des contenants des seuls vaccins pour la grippe ou des contenants de tous les vaccins fabriqués sur le site de [Localité 3] ou encore sur tous les sites de la société Sanofi Pasteur, étant surabondamment fait observer que M. [C] n’était pas affecté au conditionnement des vaccins, mais à l’étape initiale de production ‘VRAC’.

Elle se contente de dresser un graphique illustrant ses allégations, à savoir le fait que l’étape ‘Vrac et formulation’ de fabrication du vaccin pour l’hémisphère nord durerait généralement de janvier à juin et celle du vaccin pour l’hémisphère sud de septembre à décembre. Néanmoins, il n’est donné aucune source ou aucune information sur les éléments objectifs chiffrés et datés permettant d’établir ce graphique.

En outre, même à considérer que ce graphique repose sur des données chiffrées exactes et sincères, ou à tout le moins non contestées, notamment quant à la fermeture du site de production entre la fin du mois de juin et le début du mois de septembre, il y a lieu de relever qu’il en ressort que l’étape de production ‘Vrac-Formulation’ du vaccin contre la grippe constitue pour la société Sanofi Pasteur une activité qui est exploitée de manière quasiment ininterrompue de septembre à juin de chaque année, à l’exception d’une courte période de suspension entre la fin du mois de décembre et la mi-janvier.

Cette situation ne peut être assimilée à une activité saisonnière mais représente au contraire une activité permanente et durable de l’entreprise, de sorte que l’emploi de M. [C] ne peut être caractérisé de saisonnier.

Cette analyse est, au demeurant confirmée par la durée du contrat initial de M. [C] qui n’était pas prévue pour la durée de la saison, mais uniquement du 14 avril au 26 avril 2020, le fait qu’il ait été ensuite renouvelé jusqu’au 12 juin 2020 étant indifférent, sauf à démontrer que ce besoin de main d’oeuvre a été décidé en fonction de critères étrangers à la saisonnalité de l’activité.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a requalifié le contrat intérimaire de M. [C] en contrat à durée indéterminée mais de l’infirmer sur la date d’effet de cette requalification qui doit être fixée au 14 avril 2020, date du début d’exécution du premier contrat de mission irrégulier.

Le jugement est également confirmé en ce qu’il a condamné la société Sanofi Pasteur à lui payer la somme de 3 223,49 euros à titre d’indemnité de requalification, ce qui est conforme au dernier bulletin de salaire produit.

Enfin, alors que la société Sanofi Pasteur ne sollicite pas l’infirmation de la disposition relative à la poursuite des relations contractuelles qu’en conséquence de l’absence de requalification, sans développer d’autres moyens, il convient de la confirmer.

II – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Sanofi Pasteur aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [C] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a fixé la date d’effet de la requalification de la relation contractuelle au 22 juin 2020 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la requalification des contrats de travail temporaires exécutés par M. [W] [C] au profit de la SA Sanofi Pasteur en un contrat à durée indéterminée prend effet au 14 avril 2020 ;

Condamne la SA Sanofi Pasteur aux entiers dépens ;

Condamne la SA Sanofi Pasteur à payer à M. [W] [C] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SA Sanofi Pasteur de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x