COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 31 MARS 2023
N° 2023/124
Rôle N° RG 19/16841 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFDEZ
SARL ESTC – ENTREPRISE SOUDURE TUYAUTERIE CHAUDRONNERIE
C/
[R] [F]
SAS LES VOLANTS
SARL LES COMPAGNONS
Copie exécutoire délivrée le :
31 MARS 2023
à :
Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Me Odile LENZIANI, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Catherine BERTHOLET, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de MARSEILLE en date du 01 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 18/00799.
APPELANTE
SARL ESTC – ENTREPRISE SOUDURE TUYAUTERIE CHAUDRONNERIE prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, Me Paul SCOTTO DI CARLO, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Monsieur [R] [F], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Odile LENZIANI, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Gilles BOUKHALFA, avocat au barreau de MARSEILLE
SAS LES VOLANTS, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Catherine BERTHOLET, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Patrick LANOY, avocat au barreau de NIMES
SARL LES COMPAGNONS, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Catherine BERTHOLET, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Patrick LANOY, avocat au barreau de NIMES
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023
Signé par Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, pour le Président empêché, et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Monsieur [R] [F] a été engagé par l’entreprise de travail temporaire PROMAN et mis à disposition de la SARL ENTREPRISE SOUDURE TUYAUTERIE CHAUDRONNERIE, dite ESTC, dans le cadre de quatre-vingt contrats de mission et d’avenants, du 25 janvier 2010 au 6 mars 2012, en qualité de chaudronnier soudeur, catégorie employé, niveau 3, échelon 1de la convention collective de la métallurgie des Bouches-du-Rhône et des Alpes de Haute-Provence.
A compter du 7 mars 2012 et jusqu’au 15 mai 2020, Monsieur [F] été recruté par la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS et mis à disposition de la SARL ESTC dans le cadre de cent cinquante-sept contrats de mission et d’avenants successifs, en qualité de chaudronnier soudeur, catégorie employé, niveau 3, échelon 1 de la convention collective de la métallurgie des Bouches-du-Rhône et des Alpes de Haute-Provence.
Le 16 avril 2018, Monsieur [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille à l’encontre de la SARL ESTC, de la SAS PROMAN, de la SAS LES VOLANTS et de la SARL LES COMPAGNONS pour demander la requalifiation des contrats temporaires en contrat de travail à durée indéterminée, ordonner la poursuite de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée au sein de la SARL ESTC, le paiement d’une indemnité de requalification, de rappels de primes d’ancienneté, de primes de rendement, de primes d’incommodité et de salaire, notamment.
Par jugement de départage du 1er octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Marseille a :
– mis hors de cause la société PROMAN.
– rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la SARL ESTC.
– requalifié les contrats de mise à disposition de Monsieur [F] auprès de la SARL ESTC en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 janvier 2010.
– ordonné la poursuite de la relation de travail liant Monsieur [F] et la SARL ESTC en contrat à durée indéterminée.
– condamné la société ESTC à payer à Monsieur [F] la somme de 2.161,73 € à titre d’indemnité spéciale de requalification.
– condamné la SARL LES COMPAGNONS au paiement, au profit de Monsieur [F], des sommes suivantes :
* 4.525,20 € à titre de rappel de prime de rendement, 452,52 € de congés payés y afférents.
* 11.990,70 € à titre de rappel de salaire, outre 1.199,07 € de congés payés afférents.
* 6.485,40 € à titre de rappel de prime d’ancienneté, outre 648,54 € de congés payés afférents.
* 4.669,20 € à titre de rappel de salaire sur prime d’incommodité, outre 466,92 € de congés payés afférents.
– condamné la SARL ESTC à relever et garantir la SARL LES COMPAGNONS des condamnations prononcées contre elle au profit de Monsieur [F].
– condamné la SARL ESTC :
* à remettre à Monsieur [F] un bulletin de salaire récapitulatif conformément à la présente procédure.
*à régulariser la situation de la salariée auprès des organismes sociaux.
– précisé que :
*les condamnations concernant des créances de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
* toutes les condamnations bénéficieront de la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l’article 1343-2 du code civil.
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire des dispositions du présent jugement qui ne sont pas de plein droit exécutoires par provision.
– condamné solidairement la SARL ESTC et les sociétés LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 1.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– rejeté toute autre demande.
– condamné solidairement la SARL ESTC et les sociétés LES VOLANTS et LES COMPAGNONS aux dépens.
La SARL ESTC a interjeté appel de ce jugement suivant déclaration d’appel du 31 octobre 2019.
Par courriel du 20 mai 2020, la SARL LES COMPAGNONS a indiqué à Monsieur [F] que la SARL ESTC avait mis un terme à ses contrats de mission, à effet du 15 mai 2020.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 19 octobre 2022, la SARL ESTC demande à la cour de :
– vu notamment les articles L.1251-5, L.1251-36, L.1251-40, L.1251-41, L.1411-1 du code du travail, 122, 564, 910-4 du code de procédure civile, vu les présentes conclusions et pièces versées aux débats.
‘ Sur la demande de requalification des contrats de travail temporaire en un contrat de travail à durée indéterminée et ses conséquences :
– juger qu’il n’y a pas lieu à requalification et que les demandes, contradictoires, de paiement d’une indemnité de requalification et de poursuite de relations contractuelles avec la société ESTC sont irrecevables et, en tout état de cause, infondées.
– en conséquence, infirmer le jugement en ce qu’il a requalifié les contrats de mise à disposition de Monsieur [F] auprès de la SARL ESTC en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 janvier 2010, ordonné la poursuite de la relation de travail liant Monsieur [F] et la SARL ESTC en contrat à durée indéterminée, condamné la SARL ESTC à payer à Monsieur [F] la somme de 2.161,73 € à titre d’indemnité spéciale de requalification.
‘ Sur l’appel incident formulé par le salarié tendant à l’augmentation du quantum de l’indemnité de requalification : en tout état de cause, rejeter l’appel incident et débouter le salarié de cette demande.
‘ Sur les demandes de rappel de salaire :
o Sur l’appel en garantie formulé par la SARL LES COMPAGNONS à l’encontre de la SARL ESTC
In limine litis, sur la compétence de la juridiction prud’homale :
– juger que les prétentions de la SARL LES COMPAGNONS ne relèvent pas de la compétence du juge prud’homal mais de celle du juge commercial et, en conséquence, réformer le jugement en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la SARL ESTC au profit du tribunal de commerce.
– renvoyer l’affaire devant la chambre commerciale de la cour d’appel Aix-en-Provence, juridiction d’appel du tribunal de commerce de Marseille.
Subsidiairement, sur le fond de la demande d’appel en garantie :
– juger qu’aucune faute, susceptible de justifier une condamnation en garantie de Monsieur [F] au profit de la SARL LES COMPAGNON n’est établie et, en conséquence, infirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la SARL ESTC à relever et garantir la SARL LES COMPAGNONS des condamnations prononcées contre elle au profit de Monsieur [F].
o A titre infiniment subsidiaire, sur les prétentions financières de Monsieur [F] et ses conséquences: – débouter Monsieur [F] de ses demandes de rappels de salaires et primes et, en conséquence, infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
1 / octroyé à Monsieur [F] les sommes suivantes :
* 4.525,20 € à titre de rappel de prime de rendement, 452,52 € de congés payés y afférents.
* 11.990,70 € à titre de rappel de salaire, outre 1.199,07 € de congés payés y afférents.
* 6.485,40 € à titre de rappel de prime d’ancienneté, outre 648,54 € de congés payés y afférents.
* 4.669,20 € à titre de rappel de salaire sur prime d’incommodité, outre 466,92 € de congés payés y afférents.
2 / condamné la SARL ESTC :
– à remettre à Monsieur [F] un bulletin de salaire récapitulatif conformément à la présente procédure.
– à régulariser la situation du salarié auprès des organismes sociaux.
– plus généralement, débouter Monsieur [F] et la SARL LES COMPAGNONS de toutes leurs demandes formées contre la SARL ESTC.
‘ Sur les demandes nouvelles (rappels de salaire et congés payés sur la période du 1er janvier au 16 février 2020, indemnités de rupture, préavis, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’): – déclarer irrecevables les demandes formées par Monsieur [F] tendant à :
« – condamner la SARL ESTC à payer à Monsieur [F] la somme de 4.597,18 € à titre de rappel de salaire sur la période du 1er janvier 2020 au 16 février 2020, ainsi que la somme de 459,71 € au titre de l’incidence congés payés.
– à titre principal, condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 7.543,82 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à la somme de 754,38 € au titre de l’incidence congés payés.
– condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 9. 948,33 € à titre d’indemnité de licenciement.
– à titre subsidiaire, condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 5.785,18 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à la somme de 578,51 € au titre de l’incidence congés payés.
– condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 7.629,12 € à titre d’indemnité de licenciement.
– à titre principal, condamner solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 38.000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– à titre subsidiaire, condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 29.000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour les circonstances brutales et vexatoires de la rupture de la relation contractuelle ».
– à défaut, débouter le salarié de ces demandes.
‘ Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné Monsieur [F], solidairement avec les sociétés LES VOLANTS et LES COMPAGNONS, à payer à Monsieur [F] les dépens et la somme de 1.500,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner Monsieur [F] au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de Maître Romain CHERFILS, membre de la SELARL LEXAVOUE AIX-EN- PROVENCE, avocats associés, aux offres de droit.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022, Monsieur [F] demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Marseille du 1er octobre 2019 en ce qu’il a requalifié les contrats temporaires en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 janvier 2010.
– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a condamné la SARL ESTC au paiement d’une indemnité spéciale de requalification et en ce qu’il a condamné la SARL les COMPAGNONS au paiement de rappels de salaire et de rappels de salaire sur prime de rendement, sur prime d’ancienneté et sur prime d’incommodité.
– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a condamné in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– réviser le quantum des condamnations prononcées au titre de l’indemnité spéciale de requalification, des rappels de salaire sur prime de rendement, des rappels de salaire sur prime d’ancienneté, des rappels de salaire sur prime d’incommodité et des rappels de salaire.
– déclarer recevable l’ensemble des demandes formées par Monsieur [F].
Et, statuant à nouveau, de :
I. Sur les demandes relatives à la requalification des contrats temporaires en contrat de travail à durée indéterminée et ses conséquences :
– requalifier les contrats temporaires en contrat de travail à durée indéterminée, tant à l’égard de l’entreprise utilisatrice que des entreprises de travail temporaire, et fixer l’ancienneté de Monsieur [F] au 25 janvier 2010.
– juger que la rupture de la relation de travail doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– juger que la rupture de la relation de travail est intervenue de manière brutale et vexatoire.
Par conséquent, de :
– sur l’indemnité spéciale de requalification et le rappel de salaire sur la période du 1er janvier 2020 au 16 février 2020 :
* condamner la SARL ESTC à payer à Monsieur [F] la somme de 6.000 € à titre d’indemnité spéciale de requalifiation.
* condamner la SARL ESTC à payer à Monsieur [F] la somme de 4.597,18 € à titre de rappel de salaire sur la période du 1er janvier 2020 au 16 février 2020, ainsi que la somme de 459,71€ au titre de l’incidence congés payés.
– sur l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de licenciement :
A titre principal,
* condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 7.543,82 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à la somme de 754,38 € au titre de l’incidence congés payés.
* condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 9. 948,33 € à titre d’indemnité de licenciement.
A titre subsidiaire,
* condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 5.785,18 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à la somme de 578,51 € au titre de l’incidence congés payés.
* condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 7. 629,12 € à titre d’indemnité de licenciement.
– sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
A titre principal,
* condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 38.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A titre subsidiaire,
* condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 29.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– sur les dommages-intérêts pour les circonstances brutales et vexatoires de la rupture de la relation contractuelle :
* condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour les circonstances brutales et vexatoires de la rupture de la relation contractuelle.
II. Sur les demandes relatives à l’application du principe ‘à travail égal, salaire égal’ :
– juger que l’employeur a méconnu l’application du principe ‘à travail égal, salaire égal’.
– ordonner à la SARL ESTC de produire les bulletins de salaire des salariés ayant travaillé sur les mêmes chantiers que Monsieur [F] sur les trois dernières années précédant la saisine du conseil de prud’hommes.
– juger que Monsieur [F] n’a pas été rétabli dans ses droits à rappels de salaire et à rappels de salaire sur prime de rendement, sur prime d’ancienneté et sur prime d’incommodité.
En conséquence, de :
– sur les rappels de salaire sur prime d’ancienneté et prime d’incommodité :
A titre principal,
* condamner la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 15.959,40 € à titre de rappel de salaire sur prime d’ancienneté avec une incidence conges payés de 1.595,94 €.
* condamner la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 10.585,44 € à titre de rappel de salaire sur prime d’incommodité avec une incidence congés payés de 1.058,54 €.
A titre subsidiaire,
* condamner la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 11.402,75 € à titre de rappel de salaire sur prime d’ancienneté avec une incidence congés payés de 1.140,27 €.
* condamner la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 8.834,40 € à titre de rappel de salaire sur prime d’incommodité avec une incidence congés payés de 883,44 €.
– sur les rappels de salaire (différence salaire horaire) et les rappels de salaire sur prime de rendement :
* condamner la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 17.817,35 € à titre de rappel de salaire avec une incidence congés payés de 1.781,73 €.
* condamner la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 7.549,20 € à titre de rappel de salaire sur prime de rendement avec une incidence congés payés de 754,92 €.
III. Sur les autres demandes
* condamner in solidum les sociétés ESTC, LES VOLANTS et LES COMPAGNONS à payer chacune à Monsieur [F] la somme de 2.500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de l’indemnité allouée sur ce fondement en première instance.
– les condamner in solidum aux entiers dépens.
– juger que le montant des condamnations portera intérêts de droit à compter du jour de l’introduction de la demande en justice avec capitalisation.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 16 février 2021, la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS demandent à la cour de :
– réformer le jugement attaqué en ce qu’il a condamné la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] :
o 4.525,20 € à titre de rappel de salaire sur prime de rendement.
o 452,52 € à titre de congés payés y afférents.
o 11.990,70 € à titre de rappel de salaire.
o 1.190,07 € à titre de congés payés y afférents.
o 6.485,40 € à titre de rappel de salaire sur prime d’ancienneté.
o 648,54 € à titre de congés payés y afférents.
o 4.669,20 € à titre de rappel de salaire sur prime d’incommodité.
o 466,92 € à titre de congés payés y afférents.
– déclarer irrecevables et, en tout état de cause, infondées, les nouvelles demandes formulées par Monsieur [F] à l’encontre des sociétés LES COMPAGNONS et LES VOLANTS au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de licenciement, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour les circonstances brutales et vexatoires de la rupture de la relation contractuelle, dans ses conclusions notifiées le 27 août 2020.
En conséquence,
– rejeter l’intégralité des demandes formulées par Monsieur [F] à leur encontre.
– en tout état de cause, condamner Monsieur [F] à payer aux sociétés LES COMPAGNONS et LES VOLANTS la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. Sur la demande de requalification des relations contractuelles en contrat de travail à durée indéterminée
La société appelante demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a requalifié les contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée en ce que :
– s’agissant du non-respect du délai de carence : l’article L.1251-40 du code du travail qui énumère les manquements permettant de solliciter la requalification du contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée auprès de l’entreprise utilisatrice ne vise pas le cas du non-respect du délai de carence et l’action n’est recevable que contre l’entreprise de travail temporaire. Le conseil de prud’hommes ne pouvait donc prononcer la requalification du contrat à l’encontre de la SARL ESTC ni, en prononçant une condamnation in solidum, lui faire supporter les conséquences de la requalification.
– s’agissant d’un recours au contrat de travail à durée déterminée pour pourvoir un emploi permanent : la durée et le nombre des missions n’entraînent pas, en soi, de requalification et ne démontrent pas le caractère permanent de l’emploi. Il ne peut lui être reproché de ne pas se justifier sur les multiples accroissements d’activité invoqués dans les contrats de travail temporaires concernant Monsieur [F] dans la mesure où elle a, dès 2013 et à deux reprises, proposé au salarié de l’engager en contrat de travail à durée indéterminée et où celui- ci, à chaque fois, a refusé et a préféré rester en situation d’intérimaire. La question de la justification du maintien de son statut d’intérimaire est donc forcément réglée : c’est le refus du salarié de passer en contrat de travail à durée indéterminée qui explique qu’il a continué à travailler en intérim. Le comportement du salarié face aux propositions qui lui ont été faites caractérise une mauvaise foi qui lui interdit de réclamer une requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée et, si Monsieur [F] a refusé jusqu’ici de sortir de l’intérim, c’est parce que cette situation l’arrangeait financièrement, ce dont atteste Monsieur [S]. La question de la légitimité du refus de Monsieur [F] est sans importance dans le débat et le seul point important est que le salarié ne conteste pas avoir refusé de passer au service de la SARL ESTC, situation qui a mécaniquement et objectivement contraint cette dernière à recourir aux contrats d’intérim injustement critiqués.
Monsieur [F] demande la requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée aux motifs que :
A l’égard de l’entreprise utilisatrice :
– il a occupé un emploi pérenne au sein de la SARL ESTC : il a été embauché pendant plus de 10 ans en qualité de soudeur et/ou de chaudronnier par des contrats précaires. Ses fonctions relevaient de l’activité normale et permanente de la SARL ESTC. Les contrats de missions ne respectaient pas les délais de carence ce qui démontre encore que le recours au travail temporaire a eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la SARL ESTC.
– la SARL ESTC ne justifie pas de la réalité des multiples accroissements temporaires d’activité, motif indiqué dans tous les contrats de mission et avenants successifs. Il a été affecté, à plusieurs reprises, sur d’autres chantiers que ceux mentionnés sur les contrats de missions (chantier NEGRI en mars 2018, chantier ARSENAL en janvier 2016). La relation contractuelle doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 janvier 2010.
– il n’a pas refusé d’être engagé à durée indéterminée par la SARL ESTC mais a demandé de l’être sur la base des mêmes conditions de rémunération que celles le liant à la société de travail temporaire. La SARL ESTC ne peut lui imputer ses propres manquements relatifs au recours illicite aux contrats temporaires et ce sont bien les entreprises de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice qui sont à l’origine du recours illicite aux contrats de travail temporaires. Il n’a jamais fait preuve de mauvaise foi ou de la moindre intention frauduleuse. L’attestation de Monsieur [S] est de complaisance puisqu’il est le mari de la gérante de la SARL ESTC.
A l’égard des entreprises de travail temporaire :
– la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS n’ont pas respecté les délais de carence entre les nombreux contrats de mission (notamment du 25 janvier 2010 jusqu’au 31 décembre 2019 puisqu’il a travaillé sans interruption).
– il est faux de prétendre qu’il a été affecté à des postes différents, par leur lieu et par la nature des travaux, ce que les sociétés la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS ne prouvent d’ailleurs pas et lorsqu’un salarié est amené, dans le cadre de contrats successifs à effectuer le même travail dans des lieux différents, ce qui est son cas, l’employeur doit respecter le délai de carence.
La SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS concluent que :
– le délai de carence ne s’applique qu’entre deux contrats de mission sur un même poste (et non sur un même emploi ou qualification en l’occurrence soudeur). Or, si Monsieur [F] a occupé un emploi de soudeur, il a été affecté sur des postes différents caractérisés à la fois par des lieux et des natures de travaux différents.
– Monsieur [F] ne précise pas les contrats concernés par le non-respect du délai de carence et est donc défaillant dans l’administration de la preuve.
– le non-respect du délai de carence n’ouvre pas droit à la requalification du contrat de mission.
*
En cas de litige sur le motif du recours, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de travail à durée déterminée.
En l’espèce, Monsieur [R] [F] a été mis à disposition de la SARL ESTC dans le cadre de contrats de mission et avenants en qualité de chaudronnier soudeur. Le premier contrat de travail à durée déterminée du 25 janvier 2010 mentionne au titre du recours : ‘accroissement temporaire d’activité lié au chantier du port autonome – renfort de personnel’.
Or, force est de constater que la SARL ESTC ne produit aucune pièce de nature à justifier de la réalité du motif énoncé dans le contrat du 25 janvier 2010.
Par ailleurs, il ressort du courrier du 12 avril 2013 que Monsieur [F] n’a pas refusé de signer un contrat de travail à durée indéterminée avec la SARL ESTC. Il indique même qu’il se considérait déjà en contrat de travail à durée indéterminée et qu’il était ‘tout à fait d’accord pour continuer à travailler dans (votre) entreprise’ mais aux mêmes conditions salariales que celles qu’il percevait de l’entreprise de travail temporaire, revendication qui ne caractérise aucune mauvaise foi de la part du salarié.
Dans ces conditions, il convient de requalifier la relation de travail à l’égard de la SARL ESTC en contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 25 janvier 2010.
Les dispositions du code du travail qui sanctionnent l’inobservation par l’entreprise utilisatrice des conditions de recours au travail temporaire n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque cette dernière ne respecte pas le délai de carence et de solliciter, pour ce motif, la requalification du contrat d’intérim en contrat de travail à durée indéterminée.
En l’espèce, il ressort des pièces produites que, du 25 janvier 2010 au 31 décembre 2019, aucun délai de carence n’a été appliqué entre les contrats conclus, Monsieur [F] ayant travaillé sans interruption. Ainsi, le contrat de mission du 25 janvier 2010 a été conclu pour la période du 25 au 29 janvier 2010, soit cinq jours. Un nouveau contrat de mission a été conclu pour la période du 30 janvier au 12 février 2010, pour occuper le même poste.
Par ailleurs, les contrats de mission se sont succédé à compter du 25 janvier 2010 au profit de Monsieur [F] pour pourvoir, au sein de l’entreprise utilisatrice, le même poste de chaudronnier- soudeur, pour faire face à un accroissement temporaire d’activité.
Il ressort des contrats de mission que Monsieur [F] a été amené à effectuer des ‘travaux de soudure’ ou de ‘fabrication de pièces mécaniques bateaux’ sur l’ensemble des chantiers sur lesquels il a été affecté. Ainsi, la nature des travaux confiés au salarié étant identique, il convient de considérer que les contrats de mission ont tous eu pour objet le même poste, peu important leur lieu d’exécution, de sorte que l’entreprise de travail temporaire devait respecter les délais de carence.
En conséquence, la requalification de la relation contractuelle entre le salarié et les entreprises de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée est également encourue, dès le 25 janvier 2010.
Par l’effet de la requalification, Monsieur [F] est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le 25 janvier 2010 et il convient donc de fixer l’ancienneté du salarié à cette date.
II. Sur les conséquences de la requalification
1. Sur le principe de l’égalité de traitement
Il résulte du principe » à travail égal, salaire égal » que tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.
Sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.
Il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération et à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.
Enfin, en application de ce principe, la rémunération d’un travailleur temporaire ne peut être inférieure à celle que perçoit, au sein de l’entreprise utilisatrice, après la période d’essai, un salarié de même qualification occupant le même poste de travail.
Invoquant une inégalité de traitement et sollicitant, à l’encontre des entreprises de travail temporaire, le paiement d’un rappel de salaire horaire de base et d’un rappel de la prime de rendement et de la prime d’ancienneté, Monsieur [F] produit des bulletins de salaire de décembre 2017 et 2019 de Monsieur [D], salarié de la SARL ESTC au titre d’une qualification de chaudronnier niveau 3, échelon 1 et qui perçoit un salaire de base de 14,80 € de l’heure, ainsi que des bulletins de salaire de Monsieur [V] (de janvier à mars 2018), salarié de la SARL ESTC au titre d’une qualification de soudeur mixte, niveau 3, échelon 1 et qui perçoit un salaire de base de 14,80 € de l’heure, soit un différentiel avec son salaire de 2,30€ de l’heure (ayant été payé sur la base de 12,50 € de l’heure). Monsieur [F] demande à l’encontre de la SARL ESTC sa condamnation à produire les bulletins de salaire des salariés ayant travaillé sur les mêmes chantiers que lui.
Monsieur [F] soumet des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération. Il appartient donc aux entreprise de travail temporaire de rapporter la preuve d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.
La SARL LES COMPAGNONS conclut qu’il appartient à l’entreprise utilisatrice de verser au salarié la rémunération à laquelle il peut prétendre et c’est l’entreprise utilisatrice qui doit être tenue pour seule responsable d’une inégalité de traitement. Elle soutient également qu’il appartient à la SARL ESTC de communiquer les éléments de rémunération à défaut de quoi, elle la place dans une situation susceptible d’entraîner sa condamnation et commet une faute qui engage sa responsabilité.
La SARL ESTC conclut que Monsieur [F] n’est pas un salarié de la SARL ESTC et le principe de l’égalité de traitement est sans application lorsque les salariés appartiennent à des entreprises différentes. C’est l’entreprise de travail temporaire qui décide et qui gère la rémunération des intérimaires et la requalification du contrat de travail ne change rien à ce principe.
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Monsieur [F], qui doit percevoir une rémunération qui ne peut être inférieure à celle que perçoit, au sein de l’entreprise utilisatrice, après la période d’essai, un salarié de même qualification occupant le même poste de travail, est en droit de diriger sa demande à l’encontre des entreprises de travail temporaire, qui étaient son employeur et il appartient à ces sociétés d’intenter des actions en justice si elles entendent engager la responsabilité civile de la société utilisatrice.
– Sur la demande de rappel de salaire horaire de base :
La SARL LES COMPAGNONS soutient que la comparaison avec seulement deux salariés et sur la base de quatre bulletins de salaire est insuffisante. Alors que Monsieur [F] a été engagé en qualité de soudeur, les bulletins de salaire de Monsieur [D] font mention d’un emploi de chaudronnier et les bulletins de salaire de Monsieur [V] font état d’un emploi de soudeur mixte, de sorte qu’il s’agit d’emplois différents. Monsieur [F] n’apporte pas d’élément sur les situations comparées des conditions de travail ni n’allègue avoir travaillé dans des conditions identiques à celles de Monsieur [D]. Monsieur [F] devra être débouté de sa demande visant à ce qu’il soit ordonné de produire les bulletins de salaire des autres salariés ayant travaillé sur les mêmes chantiers, de même qu’aucune condamnation ne pourra être prononcée à son encontre. Le niveau de qualification de Monsieur [F], qui était un simple soudeur et non un soudeur chaudronnier, n’est pas le même que celui des salariés auxquels il se compare qui travaillaient sur des chantiers alors que Monsieur [F] travaillait en atelier. Par ailleurs, Monsieur [F] est moins qualifié que Monsieur [D] et que Monsieur [V].
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L’attestation de Monsieur [S], produite par la SARL ESTC, doit être écartée des débats au motif que son auteur est l’époux de la gérante de la SARL ESTC de sorte que sa valeur probante apparaît insuffisante. La SARL ESTC produit également l’attestation de Monsieur [T] [H] qui indique que ‘en tant que contremaître, je peux différencier le métier de chaudronnier de celui de soudeur, mais il existe certaines personnes qui pratiquent les 2. Ceci dit [R] [F] est uniquement soudeur en ma connaissance. J’ai pu constater qu’il n’était pas impliqué au bon déroulement du chantier’. Elle produit également la fiche métier de chaudronnier soudeur qui indique ‘le chaudronnier soudeur travaille le métal, les tubes et les profilés en vue de fabriquer des pièces aux formes commandées’.
Or, il ressort des contrats de missions que, si Monsieur [F] a été engagé pour effectuer ‘des travaux de soudure’, il l’a été également pour des travaux de ‘modification de pièces chaudronnées sur bateau’ ou de ‘fabrication de pièces mécaniques bateau en atelier-pose sur chantier’ et sous la qualification de ‘chaudronnier soudeur’ (contrat de mission du 28 mars 2017). Ainsi, Monsieur [F] n’a pas uniquement exercé un simple travail de soudeur mais également un travail de chaudronnier soudeur qui peut être comparé à celui de Monsieur [V], soudeur mixte, niveau 3, échelon 1. De même, Monsieur [F] a travaillé en atelier mais également sur les chantiers, comme l’attestent les contrats de mission et le paiement de frais de déplacement mentionnés sur les bulletins de salaire. Alors que la SARL ESTC prétend que Monsieur [F] était moins qualifié que Monsieur [D] et que Monsieur [V], elle n’en rapporte pas la preuve.
Dans ces conditions, la SARL LES COMPAGNONS ne rapporte pas la preuve d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence de traitement.
La SARL ESTC conclut à tort que les calculs de Monsieur [F] sont faux au motif qu’il ne tient pas compte de l’indemnité de fin de contrat qui a augmenté considérablement sa rémunération dès lors que Monsieur [F] compare le salaire horaire brut de base, duquel découle le calcul des heures supplémentaires et de l’indemnité de fin de mission.
Alors que l’inégalité de traitement est caractérisée et que Monsieur [F] sollicite également la production par l’employeur des bulletins de salaire des salariés ayant travaillé sur les mêmes chantiers que lui sur les trois dernières années précédant la saisine du conseil de prud’hommes, la cour tire toutes conséquences de l’absence de production de ces pièces par l’employeur et condamne la SAS LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme de 17.817,35 € à titre de rappel de salaire, outre la somme de 1.781,73 € au titre des congés payés afférents.
– Sur les demandes au titre de la prime de rendement et de la prime d’ancienneté
Monsieur [F] conclut que les bulletins de salaire de Monsieur [V] et de Monsieur [D] indiquent le versement d’une prime mensuelle de rendement et d’une prime d’ancienneté que lui-même n’a pas perçues.
La SARL LES COMPAGNONS conclut qu’il n’est pas établi que cette prime était versée à l’ensemble des salariés, à périodicité mensuelle, qu’elle a une origine contractuelle ou qu’elle résulte d’un usage et quels étaient les critères d’attribution.
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Monsieur [F] produit plusieurs bulletins de salaire de Monsieur [V] et de Monsieur [D] qui attestent du versement mensuel d’une prime de rendement.
Il appartient à la SARL LES COMPAGNONS de rapporter la preuve d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence de traitement et notamment que Monsieur [F] ne remplissait pas les conditions, contractuelles ou d’usage, pour bénéficier de ladite prime.
De même, la production, par la SARL ESTC, d’un bulletin de salaire de Monsieur [O], soudeur chaudronnier de niveau 2 – donc d’un niveau différent de celui de Monsieur [F] – du mois de juillet 2018, ne permet pas davantage de justifier d’une différence de traitement avec Monsieur [F].
Dans ces conditions, la demande de Monsieur [F] au titre de la prime de rendement est fondée pour la somme de 7.549,20 €, outre la somme de 754,92 € au titre des congés payés afférents.
La demande au titre de la prime d’ancienneté est fondée, pour la période d’emploi couvrant son ancienneté, soit la somme de 15.959,40 €, outre la somme de 1.595,94 € au titre des congés payés afférents.
2. Sur la demande de rappel de la prime d’incommodité
Sur le fondement de l’article 15 de la convention collective de la métallurgie des Bouches-du-Rhône, Monsieur [F] demande le paiement d’une prime d’incommodité.
La SARL LES COMPAGNONS conclut qu’aucune mention de ces primes n’a été faite par la SARL ESTC en vue de l’établissement des bulletins de salaire et qu’elle n’a aucun devoir de conseil à l’encontre de Monsieur [F] à ce titre.
La SARL ESTC conclut que le paiement de la prime est subordonnée à la mise en place d’un accord avec la direction, ce qui n’a jamais eu lieu en l’espèce.
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Si l’article 15 de la convention collective de la métallurgie des Bouches-du-Rhône prévoit le paiement d’une prime d’incommodité selon diverses conditions et présente une ‘liste des travaux pouvant ouvrir droit à ces primes d’incommodité’, il prévoit également que ‘l’attribution ou la suppression de primes se fera en accord avec la direction et les représentants qualifiés du personnel. En cas de désaccord, les parties prenantes pourront, selon la nature du travail, demander à l’inspecteur du travail, soit à un médecin du travail, d’effectuer une enquête’. Or, en l’espèce, sur les emplois occupés, Monsieur [F] ne justifie pas d’un accord entre la direction et les représentants qualifiés du personnel ni d’une saisine de l’inspecteur du travail ou du médecin du travail.
Dans ces conditions, la demande n’est pas fondée et sera rejetée.
3. Sur l’indemnité de requalification
Monsieur [F] ne sollicite plus, en cause d’appel, la poursuite des relations contractuelles avec la SARL ESTC de sorte que l’argument soulevé par cette dernière, selon lequel la demande au titre du paiement d’une indemnité de requalification serait en contradiction avec la demande de la poursuite du contrat de travail et donc irrecevable, est sans objet.
Monsieur [F] conclut que, si l’indemnité de requalification ne peut être inférieure à un mois de salaire, ce montant minimum peut être augmenté en fonction du préjudice lié à la précarité et il sollicite, compte tenu des circonstances (nombre de contrats de mission, durée d’emploi de plus de dix ans sur le même poste pour un motif non justifié et sans respect des délais de carence), une indemnité de 6.000 € à la charge exclusive de la SARL ESTC.
Cependant, alors qu’il invoque un préjudice lié à sa situation de précarité, Monsieur [F] ne produit aucune pièce justifiant de l’existence et de l’étendue d’un tel préjudice. Dans ces conditions, en application de l’article L.1251-41 du code du travail, il convient de condamner la SARL ESTC à payer à Monsieur [F] la somme de 3.598,36 € au titre de l’indemnité de requalification, soit un mois de salaire.
4. Sur la demande de rappel de salaire du 1er janvier 2020 au 16 février 2020
Monsieur [F] indique qu’il a travaillé sans interruption du 25 janvier 2010 au 31 décembre 2019 mais que, pour la période du 1er janvier 2019 au 16 février 2020, il n’a pas travaillé et il a repris son poste le 17 février 2020. Compte tenu de la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée, il demande le paiement du salaire pour cette période, à l’encontre de la SARL ESTC. Il considère que sa demande est recevable en ce qu’il a compris, à la remise des documents de rupture le 8 juin 2020, que sa situation salariale ne serait pas réglée et en ce que cette demande est comprise dans celle relative aux conséquence de la requalification de la relation contractuelle.
La SARL ESTC conclut, sur le fondement de l’article 910-4 du code de procédure civile, à l’irrecevabilité de cette demande nouvelle en cause d’appel qui, compte tenu de la période visée, aurait pu être contenue dans les premières conclusions d’intimée du 16 mars 2020. Si la recevabilité de la demande était retenue, la SARL ESTC indique que si Monsieur [F] n’a pas travaillé durant cette période c’est parce qu’il ne s’est pas présenté sur le chantier et fait valoir que le salarié ne justifie pas du montant de la somme réclamée.
*
Aux termes de l’article 910-4 du code de procédure civile, les parties doivent présenter, à peine d’irrecevabilité, leurs prétentions dans leurs premières conclusions. Néanmoins demeurent recevables les prétentions destinées à faire juger des questions nées postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Il en résulte que la prétention relative au paiement du salaire pour la période du 1er janvier 2010 au 16 février 2020 devait être présentée dans les premières conclusions d’appel signifiées le 16 mars 2020, s’agissant d’une question qui n’est pas née postérieurement aux premières conclusions, ni de l’intervention d’un tiers ni de la survenance ni de la révélation d’un fait dès lors que Monsieur [F] demande la confirmation du jugement qui a ordonné la requalification des contrats de mission et qu’il connaissait parfaitement la situation d’impayé du salaire avant la remise des documents de rupture.
La demande est donc irrecevable.
5. Sur la demande en paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire
– Sur la recevabilité des demandes
La SARL ESTC soulève l’irrecevabilité de ces demandes présentées la première fois en cause d’appel en ce qu’elle n’entrent dans aucune des exceptions visées par les articles 70 et 566 du code de procédure civile. De même, il ne peut y avoir de litispendance dès lors que les demandes invoquées par Monsieur [F] sont distinctes et autonomes.
La SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS soulèvent également l’irrecevabilité des demandes en invoquant les articles 909 et 910-4 du code de procédure civile en ce que ces demandes auraient dues être formulées dans les premières conclusions d’appel signifiées le 16 mars 2010.
Monsieur [F] conclut que les demandes nouvelles sont la conséquence directe ou le complément nécessaire à l’action en requalification car il ne peut y avoir de rupture s’analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse sans requalification préalable des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée, les deux demandes étant intrinsèquement liées. Les demandes ne peuvent être formées devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une instance séparée, sauf à remettre en cause l’effet dévolutif de l’appel et à se retrouver dans un cas de litispendance. Monsieur [F] énonce également qu’il ne pouvait présenter ces demandes dans ses premières conclusions signifiées le 16 mars 2020 et il a respecté le délai de trois mois de l’article 909 du code de procédure civile en ce qu’il a formulé ses prétentions dans ses conclusions du 27 août 2020.
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La requalification de la relation contractuelle conduit à appliquer les règles relatives à la rupture du contrat à durée indéterminée. En l’espèce, la rupture est intervenue en raison de la seule survenance du terme, le 15 mai 2020, sans invocation d’autres motifs, de sorte que celle-ci est nécessairement dépourvue de cause réelle et sérieuse.
La rupture du contrat de travail intervenue le 15 mai 2020 et, par conséquent, les prétentions du salarié au titre du paiement des indemnités de rupture, sont des questions nées postérieurement aux premières conclusions du 16 mars 2020 de sorte qu’elle sont recevables sur le fondement de l’article l’article 910-4 du code de procédure civile.
Par ailleurs, étant la conséquence et le complément nécessaire de la demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée et de sa rupture, ces prétentions sont recevables sur le fondement de l’article 566 du code de procédure civile.
Enfin, s’agissant de prétentions résultant de l’évolution du litige liées à la révélation d’un fait postérieur aux premières écritures et hors du délai de trois mois de l’article 909 du code de procédure civile, celles-ci sont recevables.
– Sur les indemnités de rupture
Sur la base d’un salaire moyen réévalué (hors prime d’incommodité) de 3.598,36 €, il convient d’accorder à Monsieur [F] la somme de 7.196,72 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, celle de 719,67 € au titre des congés payés afférents, et celle de 9.490,67 € au titre de l’indemnité légale de licenciement.
En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (62 ans), de son ancienneté (10 années révolues), de sa qualification, de sa rémunération (3.598,36 €), des circonstances de la rupture mais également de l’absence de justification de sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat de travail, il sera accordé à Monsieur [F] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 20.000 €.
– Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail
Monsieur [F] fait valoir que la SARL ESTC a décidé brutalement de ne plus faire appel à ses services après 10 ans et que cette décision est intervenue à la suite d’un accident du travail qu’il avait transmis. Il invoque également l’impact psychologique de cette décision qui l’a particulièrement choqué.
Celui qui réclame l’indemnisation d’un manquement doit prouver cumulativement l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
Or, en l’espèce, Monsieur [F] procède par affirmation et ne justifie ni de la réalité ni de l’ampleur d’un préjudice qu’il aurait subi et qui serait distinct de celui qui a été réparé par les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La demande sera donc rejetée.
6. Sur la demande de Monsieur [F] de condamnation in solidum de la SARL ESTC, de la SAS LES VOLANTS et de la SARL LES COMPAGNONS
Monsieur [F] présente cette demande au titre des condamnations à l’indemnité compensatrice de préavis, à l’indemnité de licenciement, à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en soutenant que chacune des sociétés a manqué à ses obligations et qu’elles ont agi de concert pour contourner l’interdiction de recourir au travail temporaire, ce qui ressort de la fréquence, de la récurrence et du nombre considérable de contrats temporaires conclus pour le même motif, sans jamais respecter les délais de prévenance.
La SARL ESTC conclut que l’action en requalification n’étant recevable que contre l’entreprise de travail temporaire, une condamnation in solidum aurait pour conséquence de lui faire supporter les conséquences d’une obligation qui ne lui appartient pas. La SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS demandent également le rejet de cette demande.
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La requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée découle à la fois des manquements de l’entreprise utilisatrice et de ceux des entreprises de travail temporaire qui n’ont pas respecté les délais de carence entre les contrats de mission, ce qui caractérise un manquement aux obligations qui leur sont propres dans l’établissement des contrats de mission. Dans ces circonstances, la condamnation in solidum de la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS avec la SARL ESTC doit être accueillie.
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Alors que la SARL ESTC conclut à l’incompétence de la juridiction prud’homale et, à défaut, au rejet de la demande au titre d’un appel en garantie, la cour constate que la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS, aux termes de leurs dernières écritures, ne présentent plus une telle demande et, demandant la réformation du jugement du conseil de prud’hommes, la disposition du jugement, qui a condamné la SARL ESTC à relever et garantir la SARL LES COMPAGNONS des condamnations prononcées, sera donc infirmée.
6. Sur les intérêts
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de jugement, soit à compter du 18 avril 2018, et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu’elle est demandée.
7. Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées et il est équitable de condamner, in solidum, la SARL ESTC, la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [F] la somme globale de 1.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu’il a engagés en cause d’appel.
Les dépens d’appel seront à la charge in solidum de la SARL ESTC, de la SAS LES VOLANTS et de la SARL LES COMPAGNONS, parties succombantes par application de l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud’homale,
Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions ayant ordonné la poursuite de la relation de travail entre Monsieur [R] [F] et la SARL ESTC, ayant accordé un rappel de primes d’incommodité, ayant condamné la SARL ESTC à relever et garantir la SARL LES COMPAGNONS des condamnations prononcées contre elle au profit de Monsieur [R] [F], et l’infirme en ses dispositions au titre du montant de l’indemnité de requalification, des rappels de prime de rendement, de prime d’ancienneté, de salaire horaire et des intérêts,
Statuant à nouveau,
Rejette la demande en paiement de primes d’incommodité,
Rejette la demande tendant à condamner la SARL ENTREPRISE SOUDURE TUYAUTERIE CHAUDRONNERIE, dite ESTC, à relever et garantir la SARL LES COMPAGNONS des condamnations prononcées contre elle au profit de Monsieur [R] [F],
Condamne la SARL ENTREPRISE SOUDURE TUYAUTERIE CHAUDRONNERIE, dite ESTC, à payer à Monsieur [R] [F] la somme de 3.598,36 € au titre de l’indemnité de requalification,
Condamne la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [R] [F] les sommes suivantes :
– 17.817,35 € à titre de rappel de salaire horaire,
– 1.781,73 € au titre des congés payés afférents,
– 7.549,20 € à titre de rappel de la prime de rendement,
– 754,92 € au titre des congés payés afférents,
– 15.959,40 € à titre de rappel de la prime d’ancienneté,
– 1.595,94 € au titre des congés payés afférents,
Y ajoutant,
Dit que la demande en paiement du salaire pour la période du 1er janvier 2020 au 16 février 2020 est irrecevable,
Dit que les autres demandes nouvelles en cause d’appel sont recevables,
Dit que la rupture de la relation contractuelle survenue le 15 mai 2020 s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Fixe l’ancienneté de Monsieur [R] [F] au 25 janvier 2010,
Condamne in solidum la SARL ENTREPRISE SOUDURE TUYAUTERIE CHAUDRONNERIE, dite ESTC, la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS à payer à Monsieur [R] [F] les sommes suivantes :
– 7.196,72 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 719,67 € au titre des congés payés afférents,
– 9.490,67 € au titre de l’indemnité de licenciement,
– 20.000 € au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,
Déboute Monsieur [R] [F] de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire de la relation contractuelle,
Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2018 et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne in solidum la SARL ENTREPRISE SOUDURE TUYAUTERIE CHAUDRONNERIE, dite ESTC, la SAS LES VOLANTS et la SARL LES COMPAGNONS aux dépens d’appel.
LE GREFFIER Mme Stéphanie BOUZIGE,
Pour le Président empêché