COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 30 AOUT 2022
N° RG 21/00370 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GUCZ
S.A.S.U. INFINITY MOBILITÉ
C/ [N] [J]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNEMASSE en date du 21 Janvier 2021, RG F 19/00132
APPELANTE :
S.A.S. INFINITY MOBILITÉ
dont le siège social est sis [Adresse 1]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Sacha FREGNACQ, avocat au barreau de LYON substituant Me Laurent BELJEAN de l’AARPI AERYS AVOCATS, avocat plaidant au barreau de LYON
INTIME :
Monsieur [N] [J]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 19 mai 2022 par Monsieur Frédéric PARIS, Président de chambre, à ces fins désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, avec l’assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
– Monsieur Frédéric PARIS, Président,
– Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
– Madame Elsa LAVERGNE, Conseiller,
********
Faits et procédure
M. [N] [J] a été engagé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée à temps partiel du 19 juillet 2018 au 30 novembre 2018 en qualité de chauffeur, niveau 3, échelon 115V, statut ouvrier, par la société Infinity Mobilité, pour faire face à un accroissement temporaire d’activité.
Le contrat de travail prévoyait une rémunération mensuelle brute de 790,40 euros pour un temps de travail de 80 heures par mois.
Il avait à sa disposition un véhicule de service. Son contrat de travail mentionnait que son travail pouvait s’étendre sur les départements du Rhône, du Var et des Alpes-de-Haute-Provence.
La convention collective applicable est celle des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
La société emploie moins de 50 personnes.
Le contrat va prendre fin le 30 novembre 2018.
Par requête enregistrée le 3 septembre 2019, M. [N] [J] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annemasse aux fins principalement de voir requalifier son CDD en CDI, son temps partiel en temps complet, et de se voir allouer diverses indemnités au titre de la requalification, du licenciement abusif, du travail dissimulé, de rappels de salaires, d’une prime de panier et d’une exécution fautive du contrat de travail.
Par jugement du 21 janvier 2021, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des motifs ayant présidé à cette décision, le conseil de prud’hommes d’Annemasse a :
– requalifié le CDD en CDI,
– requalifié le temps partiel en temps complet,
– fixé la moyenne des salaires des trois derniers mois à 2237,65 €,
– condamné la société Infinity Mobilité à verser à M. [N] [J] :
* 2237,65 euros nets au titre de l’indemnité de requalification du CDD en CDI,
* 2237,65 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
* 13425,90 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
* 1653,54 euros bruts, outre 134,24 euros bruts de congés payés, à titre de rappel de salaire pour travail à temps plein et rappel d’heures supplémentaires,
* 2000 € nets à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
* 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné à la société Infinity Mobilité de rectifier les bulletins de salaire et l’attestation pôle emploi,
– dit que le salaire d’août 2018 doit être fixé à 1489,49 euros bruts, celui de septembre 2018 à 2184,35 euros bruts, celui d’octobre 2018 à 1498,49 euros bruts, celui de novembre 2018 à 2616,69 euros bruts,
– ordonné la rectification sous astreinte de cinq euros par document et par jour à compter du 30e jour suivant le prononcé du jugement à intervenir, le conseil se réservant le droit de liquider l’astreinte,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– mis les dépens à la charge de la société Infinity Mobilité.
Par déclaration en date du 19 février 2021 effectuée par RPVA, la société Infinity Mobilité a relevé appel de cette décision.
M. [N] [J] a relevé appel incident.
Par dernières conclusions notifiées le 23 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la SAS Infinity Mobilité demande à la cour de :
– infirmer dans sa totalité le jugement du conseil de prud’hommes, sauf en ce qu’il lui a ordonné de rectifier les bulletins de salaire et l’attestation pôle emploi sous astreinte de cinq euros par document et par jour à compter du 30e jour suivant le prononcé du jugement à intervenir, et en ce qu’il a mis les dépens à sa charge,
– déclarer irrecevable la demande formulée en cause d’appel à hauteur de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter M. [N] [J] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner M. [N] [J] à lui verser 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
La société Infinity Mobilité soutient que la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile est irrecevable en ce que les moyens sur lesquels elle repose n’ont pas été développés dans la discussion des conclusions.
Il est de jurisprudence constante que la validité et la réalité du motif du recours au CDD s’apprécie au jour de la conclusion du contrat de travail. L’adjudication d’un nouveau marché constitue un surcroît temporaire d’activité. Tel était le cas en l’espèce, puisque l’employeur s’est vu attribuer un nouveau marché par la SNCF pour une période comprise entre le 17 mai 2018 et le 16 mars 2019. Peu importe que l’existence de ce nouveau marché SNCF ne figure pas sur le contrat de travail. Ce dernier ne limitait pas le secteur géographique d’activité du salarié au département du Var, du Rhône et des Alpes-de-Haute-Provence, ces départements étant seulement afférents à la clause de mobilité insérée dans le contrat de travail. M. [N] [J] était seulement susceptible d’y intervenir en cas notamment de perte de marché.
L’article L3123’14 du code du travail n’exige pas la mention par le contrat de travail des horaires de travail. Il appartient au salarié qui prétend être à la disposition permanente de son employeur d’en rapporter la preuve. Le contrat de travail prévoyait une répartition stable et régulière des horaires chaque semaine, à hauteur de 18,46 heures. Il intervenait par ailleurs sur une plage horaire fixe comprise entre 14 heures et 2 heures. Il avait connaissance de son planning au moins 24 heures à l’avance. Le fait que le salarié cumulait un second emploi démontre qu’il disposait d’une prévisibilité de planning suffisante et surtout qu’il ne se tenait pas à la disposition permanente de son employeur. Le salarié a refusé de communiquer ses avis d’imposition 2018 et 2019 qui auraient permis de vérifier qu’il avait un autre employeur.
Le salarié fait état d’un travail continu sur toute sa plage horaire en comptant à tort toutes les heures non assimilables à du temps de travail effectif, comme les trajets domicile/travail, les temps de coupure passés à son domicile, à 100 % les temps d’attente entre deux courses alors qu’un accord collectif indique que ces temps sont d’ores et déjà comptabilisés à hauteur de 50 %.
Le conseil de prud’hommes n’a caractérisé aucun caractère intentionnel s’agissant de l’infraction de travail dissimulé. Il a retenu pour caractériser ce travail dissimulé le fait que les heures complémentaires et de nuit n’auraient pas été majorées selon les règles en vigueur, alors que même le salarié ne formule aucune demande à ce titre et n’a jamais contesté les taux de majoration appliqués et figurant sur ses bulletins de paye.
Le salarié ne démontre aucun préjudice qui résulterait d’une exécution déloyale du contrat de travail, alors qu’il lui appartient d’apporter la preuve du préjudice allégué.
Le salarié ne peut prétendre au paiement de l’indemnité repas dans la mesure où son amplitude journalière ne couvre pas entièrement les périodes comprises soit entre 11h45 et 14h15, soit entre 18h45 et 21h15.
Par dernières conclusions notifiées le 11 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [N] [J] demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes,
Y ajoutant,
– condamner la société Infinity Mobilité à lui payer :
* 1342,44 euros bruts, outre 134,24 euros bruts de congés payés afférents, à titre de rappel de prime de panier,
* 559,41 euros bruts de congés payés d’indemnité de préavis,
* 4000 € nets à titre de dommages intérêts complémentaires pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail,
* 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Infinity Mobilité aux dépens de la procédure d’appel,
– débouter la même de toutes ses demandes.
Au soutien de ses demandes, M. [N] [J] indique qu’il est de jurisprudence constante que doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée le CDD conclu pour les besoins de l’activité normale et permanente de l’entreprise. En cas de contestation sur la réalité du motif, il revient à l’employeur d’apporter la preuve de l’accroissement temporaire d’activité justifiant le recours à un CDD.
Le contrat signé avec la SNCF s’inscrit dans l’activité habituelle de l’entreprise qui est de transporter des voyageurs. Il ne s’agit que d’un contrat parmi d’autres, et son embauche correspondait bien à la nécessité de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. La durée du CDD ne correspond absolument pas à la durée de ce marché, ce qui démontre que son embauche n’était pas liée à ce marché. Ce marché n’était par ailleurs pas nommément visé dans son CDD.
Le contrat SNCF concernait le secteur d'[Localité 4] alors que lui-même avait été engagé pour travailler sur le Var, le Rhône et les Alpes-de-Haute-Provence, ce qui démontre également qu’il n’avait pas été engagé pour les besoins de ce marché.
Ces fiches de paye démontrent que son temps de travail a dépassé un temps plein trois mois sur les quatre mois et demi durant lesquels il a travaillé pour la société. Il a travaillé en moyenne 155,30 heures par mois sur cette période.
La géolocalisation de son véhicule démontre que les heures indiquées sur ses fiches de paye sont minorées.
Les temps passés à disposition, d’attente ou de disponibilité passés sur le lieu de travail ou dans le véhicule sont du temps de travail effectif selon la convention collective.
Il travaillait également en dehors de la tranche horaire 14 heures-2 heures, ainsi qu’en atteste la géolocalisation du véhicule.
Les clauses de modification des horaires du salarié telles qu’elles sont rédigées dans le contrat permettaient à l’employeur de modifier discrétionnairement et sans raison valable le temps de travail. Le délai de prévenance de trois jours prévus par l’article 21 de l’accord ARTT du 18 avril 2002 n’a jamais été respecté, l’employeur avouant qu’il adressait les plannings au salarié la veille pour le lendemain. Or il a été jugé que dès lors que l’employeur modifie fréquemment la répartition contractuelle des jours de travail du salarié à temps partiel, ce dernier se trouve dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il doit travailler et il doit donc se tenir à la disposition constante de l’employeur.
L’employeur reconnaît qu’il travaillait de 14 heures à deux heures du matin, il avait donc bien une amplitude de travail comprise entre 18h45 et 21h15. L’indemnité de repas lui est donc dûe.
Il suffisait à l’employeur de reprendre tous les relevés de géolocalisation pour chiffrer très précisément les heures travaillées. Or ces relevés ne correspondent pas aux heures portées sur la fiche de paye, ce qui démontre que la société a intentionnellement omis de rémunérer certaines heures de travail.
La société l’a trompé en le faisant travailler plus qu’un temps plein. Elle a fait une application abusive et illégale de la possibilité de modifier ses horaires de travail, en ne respectant pas le délai de prévenance légale. Ses salaires ont systématiquement été payés avec retard, ce qui a généré pour lui des frais bancaires.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 4 février 2022 et le dossier a été fixé à l’audience de plaidoirie du 19 mai 2022. À l’issue, il a été mis en délibéré au 12 juillet 2022, prorogé au 21 juillet 2022 puis au 6 septembre 2022 et avancé au 30 août 2022.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile
La demande du salarié au titre de l’article 700 du code de procédure civile apparaît recevable, les moyens au soutien de cette demande ayant été exposés au sein des dernières conclusions notifiées le 11 janvier 2022.
Sur la demande de requalification du contrat de travail de CDD en CDI
L’article L.1242-2 du code du travail prévoit que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figure l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°).
Aux termes des articles L.1242-12 et L.1242-13 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif ; à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée.
En l’espèce, le contrat de travail de M. [N] [J] mentionnait qu’il était conclu « dans le but de pourvoir à un accroissement temporaire d’activité de la société Infinity Mobilité lié à l’attribution d’un nouveau marché dont l’importance nécessite la mise en oeuvre de moyens supplémentaires exceptionnels tant en personnel qu’en matériel ».
Il mentionnait par ailleurs à l’article 5 « Lieu de travail -Mobilité »: « Compte-tenu de l’activité de l’entreprise, des aléas liés aux attributions et rupture de marché de transport et plus généralement pour la bonne marche de l’entreprise M. [J] [N] [U] accepte par avance une mobilité ci-après délimitée, que la société se réserve le droit de mettre en oeuvre, sans que cela ne constitue une modification du contrat de travail. En cas de refsu de rejoindre sa nouvelle affectation, en application de la présente clause, la salariée pourra faire l’objet de sanctions disciplinaires. Le salarié sera donc amené à intervenir dans la zone géographique suivante, à savoir tous les départements de la région Var, Rhône, Alpes Haute Provence.
Cette zone géographique ne pourra être modifiée qu’avec l’accord de l’intéressé. »
Le contrat de travail ne donne aucune autre précision quant au lieu de travail de M. [N] [J].
Il résulte des listings informatiques produits par l’employeur des missions effectuées par le salarié et dont le contenu n’est pas contesté par M. [N] [J] que celui-ci a effectué la très grande majorité de ses missions de transport au départ et/ou à l’arrivée de Genève et de la Haute-Savoie, ponctuellement de l’Ain et de la Savoie, et à une seule reprise avec une arrivée dans le Rhône. Ces transports s’effectuaient toujours au départ et à l’arrivée des mêmes adresses dans chacune des villes concernées, adresses qui apparaissent correspondre en grande majorité à des gares ou à des lieux très proches de gares. Ces listings font apparaître que le seul client concerné par ces transports était la SNCF.
Le contrat conclu entre Infinity Mobilité et la SNCF, qui aurait selon l’employeur justifié l’embauche de M. [N] [J], était intitulé « Transport léger de personnels – secteur [Localité 4] » et visait le transport des personnels de la SNCF pour les acheminer dans le cadre de leur service « d’une gare à une autre, d’un établissement à une gare ou d’une gare à un lieu d’hébergement ».
M. [N] [J] n’a jamais contesté n’avoir exécuté son contrat de travail que pour un seul client, à savoir la SNCF. Les pièces produites aux débats font clairement ressortir qu’il transportait du personnel de la SNCF.
Les transports étaient par ailleurs effectués soit pour le départ, soit pour l’arrivée, dans la région d'[Localité 4].
Ainsi, il doit être constaté que l’intégralité des missions exécutées par M. [N] [J] durant l’intégralité de son contrat de travail correspondent à celles confiées par la SNCF à la société Infinity Mobilité dans le cadre du contrat conclu du 17 mai 2018 au 16 mars 2019.
Ce contrat, conclu sur une période limitée de 10 mois, entraînait nécessairement pour l’employeur un accroissement d’activité sur cette période.
Il importe peu que M. [N] [J] ait été embauché deux mois après le début de ce contrat et que son contrat de travail se soit terminé deux mois et demi avant son échéance, la correspondance exacte entre les date d’un contrat de travail à durée déterminée et la période d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise n’étant pas une condition de validité du contrat de travail à durée déterminée.
Il importe également peu que le contrat de travail du salarié ne mentionne pas clairement son lieu de travail, dans la mesure où les listings produits par l’employeur démontrent que M. [N] [J] a exécuté son contrat de travail dans le seul cadre du contrat conclu entre la société Infinity Mobilité et la SNCF.
Il résulte ainsi de ces constatations que le contrat de travail du salarié a été exécuté dans le respect des dispositions des articles L 1242-2, L 1242-12 et L 1242-13 du code du travail. En conséquence, la décision du conseil de prud’hommes sur ce point ainsi que sur les demandes subséquentes sera infirmée et M. [N] [J] sera débouté de sa demande de requalification du CDD en CDI et de ses demandes subséquentes d’indemnité de requalification, de préavis et de licenciement abusif
Sur la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet
Il résulte des fiches de paie du salarié que celui-ci a travaillé 672,47 heures entre le 19 juillet 2018 et le 30 novembre 2018, soit en moyenne 153,88 heures par mois, et notamment 186,55 heures sur le mois de septembre 2018, soit pour ces deux chiffres au-delà de la durée légale du travail, alors que son contrat de travail prévoyait une durée hebdomadaire de travail de 18 heures 46, soit 80 heures par mois.
Les listings des missions effectuées par M. [N] [J] font apparaître que celui-ci a effectué 58 transports sur un total de 264 sur une tranche horaire autre que la tranche 14h-2h sur laquelle il était censé travailler exclusivement selon l’employeur.
Par ailleurs, le listing des sms transmis au salarié par l’employeur pour l’informer de son planning fait apparaître que :
– M. [N] [J] était très régulièrement informé seulement quelques
heures avant, voire parfois quelques minutes avant (sms du 9 novembre à 22H25
pour une course à 22h35) d’une course à effectuer,
– dans la très grande majorité des cas son délai de prévenance était inférieur à 24h
puisqu’il recevait son planning après 18h pour le lendemain,
– il pouvait être informé la veille qu’il travaillerait le matin plutôt que le soir (sms du
10 novembre 2018 à 16h29).
Ces éléments démontrent que le salarié se trouvait systématiquement dans l’incertitude sur ses horaires de travail du lendemain, que son planning pouvait être modifié le jour même à la discrétion de l’employeur, qui n’ pas hésité à lui ajouter de cette façon de nombreuses heures de travail au-delà des horaires contractuellement prévues, voire même au-delà de la durée légale du travail.
Le salarié se trouvait ainsi en permanence dans une incertitude avérée et était contraint de rester à disposition permanente de son employeur, et il a par ailleurs dans les faits effectué des horaires, sur la période de son contrat de travail, correspondant à un temps plein.
En conséquence, le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé en ce qu’il a requalifié le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.
Sur la demande de rappel de salaire et d’heures supplémentaires
Le contrat de travail du salarié étant requalifié à temps plein, celui-ci est en droit de réclamer la rémunération prévue pour un temps plein pour les mois d’août et octobre 2018, mois pour lesquels il n’a été rémunéré que sur une base de temps partiel.
Sa fiche de paye pour le mois de septembre 2018 mentionne 130 heures effectuées outre 56,55 « autres heures », soit un total de 186,55 heures, ce qui lui ouvrait droit, selon la convention collective applicable, à une majoration pour heures supplémentaires de 25%, sur les heures excédant 152,67 heures.
Sa fiche de paye pour le mois de novembre 2018 mentionne qu’il a été rémunéré sur ce mois pour 200,10 heures travaillées, dont 117 heures correspondant à des « rappels d’heures normales », sans qu’il soit possible de déterminer sur quel mois porte ce rappel. Il sera donc considéré que ces heures ont été effectués au cours du mois durant lequel elles sont rémunérées. Il sera ainsi fait droit à la demande de M. [N] [J], soit 34,64 heures majorées à 25% et 13,79 heures majorées à 50%.
Compte-tenu de ces éléments, le jugement du conseil de prud’hommes sur ce point sera confirmé en toutes ses dispositions (étant relevé que le salarié ne sollicite pas la modification du montant des congés payés qui a été fixé par erreur par le conseil de prud’hommes à 134,24 euros au lieu de 165,35 euros dans le dispositif de son jugement).
Sur la demande au titre du travail dissimulé
Il résulte des dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L’article L. 8223-1 du code du travail dispose qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Le paiement de cette indemnité suppose de rapporter la preuve, outre de la violation des formalités visées à l’article L.8223-1 du code du travail, de la volonté de l’employeur de se soustraire intentionnellement à leur accomplissement. Ce caractère intentionnel ne peut résulter du seul défaut de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ni se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite.
En l’espèce, il résulte de l’exploitation des données de géolocalisation et de l’examen des fiches de paie que l’intégralité des heures effectuées par le salarié n’ont pas été portées sur les fiches de paie, notamment pour le mois d’août 2018, que les heures supplémentaires effectuées n’apparaissent pas sur ses fiches de paie et ne lui ont pas été rémunérées.
L’importance des erreurs commises au préjudice du salarié, alors même que l’employeur ne pouvait ignorer le temps de travail réel effectué par celui-ci puisque il était suivi par une application de géolocalisation dans le cadre de son activité de transports de personnes, conduit à considérer qu’il s’agit d’omissions intentionnelles de la part de l’employeur, pratiques qui caractérisent le travail dissimulé.
Le contrat de travail a été requalifié en temps plein. Le salaire mensuel de base du salarié doit ainsi être fixé à 1508,38 euros brut sur quatre mois. Les salaires retenus pour les mois de septembre et de novembre seront ceux figurant sur la fiche de paie. Doivent être prises en compte pour le calcul de l’indemnité de travail dissimulé les heures supplémentaires effectuées dans les six derniers mois précédant la fin du contrat.
Compte-tenu de ces éléments, l’indemnité pour travail dissimulé sera fixée à 11166,59 euros net (1508,38+1508,38+1508,38+1508,38+2098,20+2797,51+153,68+83,68).
La décision du conseil de prud’hommes s’agissant du montant alloué sera donc infirmée.
Sur la demande de rappel de prime de panier
Il résulte des dispositions de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport applicable en l’espèce que le salarié devait bénéficier d’une indemnité de repas si il effectuait des déplacements comportant un ou plusieurs repas hors du lieu de travail et sous réserve que l’amplitude de sa journée de travail couvrait les périodes 11h45-14h15 ou 18h45-21h15, étant précisé qu’est réputé obligé de prendre son repas hors du lieu de travail le personnel qui effectue un service dont l’amplitude couvre entièrement l’une de ces deux périodes.
L’amplitude de la journée de travail se définit comme la durée comprise entre le début et la fin de la journée de travail d’un salarié composée des temps de travail effectif et des temps de pause.
En l’espèce, les données de géolocalisation du salarié communiqués par l’employeur démontrent que l’amplitude du service de celui-ci couvrait l’intégralité des périodes 11h45-14h15 et/ou 18h45-21h15 à 75 reprises.
L’indemnité de repas est fixée par la convention collective applicable à 13,56 euros brut.
Le conseil de prud’hommes a omis de répondre à ce chef de demande au sein de son dispositif.
Compte-tenu de ces éléments, la société Infinity Mobilité sera condamnée à verser à ce titre à M. [N] [J] la somme de 1017 euros net.
Sur la demande au titre de l’exécution fautive du contrat de travail
Il résulte des dispositions de l’article L1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
M. [N] [J] soutient qu’il aurait été trompé par l’employeur qui l’aurait fait travailler plus qu’un temps plein dans le cadre de son contrat à temps partiel.
Il ressort cependant des données de géolocalisation et des sms produits par l’employeur que celui-ci pouvait refuser d’effectuer certaines missions. Il doit ainsi être considéré qu’il avait donné son accord pour effectuer des heures complémentaires voire supplémentaires. Aucune faute de l’employeur ne peut donc être relevée à ce titre.
Par ailleurs, M. [N] [J] ne justifie pas d’un préjudice qu’il aurait subi du fait du non respect par l’employeur de délais de prévenance dans l’information sur les missions qu’il devait effectuer.
S’il affirme que son salaire lui était versé chaque mois avec plusieurs jours de retard, il ne produit aucune pièce au soutien de cette allégation.
Il ne produit aucun élément de nature à justifier d’un préjudice distinct de celui du non paiement de l’intégralité des heures qu’il a effectuées.
Compte-tenu de l’ensemble de ces éléments, la décision du conseil de prud’hommes sur ce point sera infirmée, et M. [N] [J] sera débouté de sa demande à ce titre.
Sur le montant des salaires bruts
Ils seront fixés à :
* 1508,38 euros pour août 2018,
* 2181,88 euros pour septembre 2018,
* 1508,38 euros pour octobre 2018,
* 2616,69 euros pour novembre 2018.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Aux termes des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile « le juge condamne la partie tenue aux dépens qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (…). dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. »
La société Infinity Mobilité succombant à l’instance, elle sera condamné à verser à M. [N] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance d’appel.
Le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il l’a condamnée à verser au salarié la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare recevables la société Infinity Mobilité et M. [N] [J] en leurs appel et appel incident,
Déclare recevable la demande de M. [N] [J] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Confirme le jugement du conseil des prud’hommes d’Annemasse du 21 janvier 2021 en ce qu’il a :
– requalifié le contrat de travail à temps partiel de M. [N] [J] en
contrat de travail à temps plein,
– condamné la société Infinity Mobilité à verser à M. [N] [J] la
somme de 1 653,54 euros bruts, outre 134,24 euros bruts de congés payés, à titre de
rappel de salaire et rappel d’heures supplémentaires,
– condamné la société Infinity Mobilité à verser à M. [N] [J] la
somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [N] [J] de sa demande d’indemnité de préavis,
Infirme pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Fixe le montant des salaires bruts à :
* 1 508,38 euros pour août 2018,
* 2 181,88 euros pour septembre 2018,
* 1 508,38 euros pour octobre 2018,
* 2 616,69 euros pour novembre 2018,
Déboute M. [N] [J] de sa demande de requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
Déboute M. [N] [J] de sa demande d’indemnité de requalification du CDD en CDI,
Déboute M. [N] [J] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
Déboute M. [N] [J] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail,
Condamne la société Infinity Mobilité à verser à M. [N] [J] la somme de 11 166,59 euros net à titre d’indemnité de travail dissimulé,
Condamne la société Infinity Mobilité à verser à M. [N] [J] la somme de 1 017 euros net à titre de rappel de l’indemnité repas,
Y ajoutant,
Déboute M. [N] [J] de sa demande d’indemnité de préavis,
Condamne la société Infinity Mobilité à verser à M. [N] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Infinity Mobilité aux entiers dépens de l’instance d’appel,
Ainsi prononcé publiquement le 30 Août 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.