CDD pour accroissement d’activité : décision du 29 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/07362
CDD pour accroissement d’activité : décision du 29 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/07362

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 29 JUIN 2022

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/07362 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAHQZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Juin 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F18/08092

APPELANT

Monsieur [I] [S] [D]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Sophie CHEVALLIER, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

SAS UNITED PARCEL SERVICE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Valérie BLANCHET, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [D] a été mis à la disposition de la société United Parcel France, ci-après la société UPS, par la société de travail temporaire Ergalis, du 25 novembre 2005 au 29 mai 2016 en qualité d’agent de quai.

Suivant contrat à durée déterminée du 26 février 2007 au 18 avril 2008 suivi de plus d’une centaine de contrats de mise à disposition dont le dernier a été conclu le 16 avril 2018 pour une mission ayant pris fin le 19 avril 2018, M. [D] a été engagé par la société UPS, en qualité d’agent de quai.

La société UPS compte plus de onze salariés et applique la convention nationale de transports routiers et activités auxiliaires du transports du 21 décembre 1950.

Soutenant que la relation contractuelle devrait être requalifiée en contrat à durée indéterminée, M. [D] a saisi le 25 octobre 2018 la juridiction prud’homale.

Par jugement du 4 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté M. [D] de sa demande, et l’a condamné aux dépens.

Par déclaration du 21 juin 2019, M. [D] a interjeté appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 juillet 2019, M. [D] demande à la cour d’infirmer le jugement, de déclarer l’action recevable, de requalifier la relation contractuelle à compter du 24 novembre 2005 en contrat de travail à durée indéterminée, de condamner la société UPS au paiement des sommes suivantes :

– 882,13 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 533,96 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 53,39 euros au titre des congés payés afférents,

– 6 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 4 754,50 euros à titre de rappel de salaire pour les périodes interstitielles,

– 475,45 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 600 euros à titre d’indemnité de requalification.

Il lui demande d’ordonner la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard, d’assortir les condamnations de l’intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes et de condamner la société au paiement de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 octobre 2019, la société UPS demande à la cour, in limine litis de déclarer l’action de M. [D] irrecevable comme prescrite, subsidiairement, d’en limiter l’examen aux contrats conclus postérieurement au 25 octobre 2016, de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [D] de l’ensemble de ses demandes, à titre plus subsidiaire, de limiter le montant des dommages et intérêts à une somme comprise entre 800,94 euros et 2 936,78 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et à la somme de 266,98 euros au titre de l’indemnité de requalification et condamner le salarié à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

L’instruction a été clôturée le 5 avril 2022 et l’affaire fixée le 9 mai 2022.

MOTIFS

Sur la prescription de l’action en requalification de la relation contractuelle

Le salarié sollicite la requalification de la relation contractuelle à compter du 25 novembre 2005 soutenant que ses contrats de mission avaient pour objet de pourvoir un poste permanent.

L’employeur oppose la prescription pour les contrats conclus antérieurement au 25 octobre 2016.

Le salarié répond que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au 19 avril 2018, correspondant au dernier jour de sa dernière mission.

Selon l’article L.1471-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Lorsque la demande de requalification d’un ou plusieurs contrats de mission en contrat à durée indéterminée est fondée sur le motif du recours au contrat de mission, le point de départ de l’action est en cas de succession de contrats de mission, le terme du dernier contrat.

La demande en requalification peut être formulée directement à l’encontre de l’entreprise utilisatrice et le salarié peut faire valoir auprès d’elle les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

En l’espèce, le terme du dernier contrat de mission de l’intéressé au sein de l’entreprise utilisatrice est le 19 avril 2018, terme du dernier contrat.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 25 octobre 2018 d’une demande en requalification des contrats de mission souscrits à compter du 24 novembre 2005 au 19 avril 2018 en contrat à durée indéterminée en soutenant que la conclusion successive de plus de 143 contrats de mission avait pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

La cour en déduit que son action n’est pas prescrite, par infirmation du jugement.

Sur la requalification des contrats de mission en contrat à durée déterminée

Le salarié soutient que les contrats de mission souscrits pendant dix années ont eu pour effet de pourvoir de façon durable un emploi de l’entreprise lié à l’activité permanente de la société.

La société relève que 144 contrats ont été conclus sur une période de dix années, ce qui représente 12 contrats par an d’une durée moyenne de 4, 5 jours, avec des périodes d’interruption dont l’une de six mois. Elle soutient que le salarié a effectivement occupé un emploi à titre temporaire au cours de périodes de fortes demandes de livraison de colis.

Selon l’article L.1251-5 du code du travail, le contrat de mission quelqu’en soit le motif ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

L’article L.1251-6 du code du travail énonce qu’il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée mission et seulement dans les cas qu’il énumère et notamment en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.

Il appartient à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.

En l’espèce, le salarié produit les certificats de travail de la société Ergalis attestant que le salarié a conclu plusieurs contrats de mission à compter du 25 novembre 2005 au 3 mars 2017 et les contrats de mission conclus à compter du 11 octobre 2017 au 19 avril 2018 toujours en qualité d’agent de quai.

Les contrats de mission mentionnent tous comme motif et justifications du recours ‘ accroissement temporaire d’activité lié à l’exécution simultanée de diverses commandes ( Dell, Free, Hachette… ) ne permettant pas d’y faire face’.

La société UPS affirme que compte tenu du caractère fluctuant et imprévisible de l’activité de livraison en fonction des soldes et autres événements promotionnels, le recours à l’agent de quai se justifie par une tâche précise et temporaire, sans toutefois verser aucun élément permettant à la cour de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié, étant au surplus relevé que la seule pièce produite par l’employeur constituée d’un tableau pour les années 2015 à 2017 mentionnant le nombre de colis à livrer par année n’est corrélé ni avec la période d’emploi du salarié ni le nombre de jours de mission.

En outre, il importe peu que la succession des contrats n’ait pas été parfaitement continue.

La société ne démontre pas la réalité de l’accroissement d’activité et son caractère temporaire. Le recours à de multiples contrats de mission sur un même emploi pendant dix années avait en réalité pour objet et pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

En conséquence, la cour, par infirmation du jugement, en déduit que la relation de travail doit être requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat de mission irrégulier, soit à compter du 25 novembre 2005.

Sur les conséquences financières de la requalification

La demande de rappel de salaire au titre des périodes intersticielles

Le salarié sollicite la somme de 4 754, 50 euros à titre de rappel de salaire soutenant s’être tenu constamment à la disposition de l’employeur jusqu’au 24 avril 2018.

L’employeur conteste la demande soutenant que le salarié n’établit pas s’être tenu à sa disposition de manière constante.

Il incombe au salarié qui sollicite un rappel de salaire au titre des périodes intersticielles de rapporter la preuve qu’il est resté à la disposition de l’employeur durant les périodes séparant deux contrats de mission.

En l’espèce, aucun élément n’est produit par le salarié pour démontrer qu’il est resté à disposition de l’employeur entre deux contrats.

En conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande en paiement du rappel de salaire au titre des périodes intersticielles jusqu’au 24 avril 2018.

L’indemnité de requalification

L’article L. 1251-41 du contrat de travail énonce que le salarié a droit à une indemnité de requalification à la charge de l’entreprise utilisatrice ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

Compte tenu des conditions de la relation de travail et de l’ancienneté du salarié, la cour par infirmation du jugement, condamne la société UPS à verser au salarié la somme de 1 600 euros au titre de l’indemnité de requalification.

Les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le salarié sollicite la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à 24 mois de salaire.

L’employeur souligne le caractère excessif de la demande et fait valoir que le montant des dommages et intérêts ne saurait excéder la somme de 2 936, 78 euros correspondant à 11 mois de salaire.

La rupture de la relation contractuelle étant intervenue du seul fait de la survenance du terme des contrats d’intérim requalifiés en contrat à durée indéterminée, cette rupture s’analyse en un licenciement, nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en l’absence de lettre de licenciement mentionnant les motifs de la rupture.

Aux termes de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, le salarié dont le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse peut prétendre à une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau, soit pour un salarié ayant 12 ans d’ancienneté entre 3 et 11 mois de salaire brut.

Compte tenu de son dernier salaire ( 266, 98 euros calculé sur la moyenne la plus favorable des trois derniers mois), de son ancienneté ( 12 ans et 5 mois), de son âge lors de la rupture ( presque 60 ans) et de sa situation personnelle ( il justifie être sans emploi), la cour lui alloue la somme de 2 936, 78 euros à titre de dommages et intérêts.

L’indemnité légale de licenciement

Le salarié sollicite la somme de 882, 13 euros au titre de l’indemnité de licenciement.

L’employeur ne conclut pas sur cette demande.

Selon l’article L. 1234-9 du code du travail, le salarié a droit à une indemnité de licenciement.

Compte tenu de son ancienneté ( 12 ans et 5 mois), il est fondé à obtenir la somme de 882, 13 euros.

En conséquence, la cour, par infirmation du jugement, condamne la société UPS à verser au salarié la somme de 882, 13 euros au titre de l’indemnité de licenciement.

L’indemnité compensatrice de préavis

Le salarié sollicite la somme de 533, 96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire.

L’employeur ne conclut pas sur cette demande.

Selon l’article L.1234-5 du code du travail, le salarié qui n’exécute pas le préavis a droit à une indemnité compensatrice de deux mois s’il justifie d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans. Son assiette correspond au salaire que le salarié aurait dû percevoir s’il avait travaillé au cours de la période, en considération de la situation qui a précédé la fin de la relation contractuelle.

La cour, par infirmation du jugement, au regard du dernier bulletin de salaire précédant la rupture, condamne la société UPS à verser au salarié la somme de 411, 26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 41, 12 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les autres demandes

En application de l’article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, il convient d’ordonner

à l’employeur fautif le remboursement au Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de quatre mois des indemnités versées.

Il convient d’enjoindre à l’employeur de produire un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, sans qu’il apparaisse nécessaire toutefois d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte.

Il est rappelé que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de l’arrêt.

L’équité commande d’allouer au salarié la somme globale de 1 200 euros au titre de ses frais irrépétibles.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

– Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [D] de sa demande de rappel de salaire pendant les périodes intersticielles ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

– Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription ;

– Ordonne la requalification des contrats de mission conclus entre M. [D] et la société United Parcel Service France compter du 25 novembre 2005 ;

– Condamne la société United Parcel Service France à verser à M. [D] les sommes suivantes :

– 1 600 euros au titre de l’indemnité de requalification,

– 2 936, 78 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 882, 13 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 411, 26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 41, 12 euros au titre des congés payés afférents,

-Ordonne à la société UPS le remboursement au Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [D] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de quatre mois des indemnités versées ;

– Enjoint à la société UPS de produire un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt;

– Rejette la demande d’astreinte ;

– Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de l’arrêt ;

– Condamne la société UPS à verser à M. [D] la somme globale de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la société UPS aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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