CDD pour accroissement d’activité : décision du 29 décembre 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/05222
CDD pour accroissement d’activité : décision du 29 décembre 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/05222

EP/KG

MINUTE N° 23/992

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

ARRET DU 29 DECEMBRE 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/05222

N° Portalis DBVW-V-B7F-HXO3

Décision déférée à la Cour : 07 Décembre 2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANTE :

S.A.S.U. BÉTON CONTRÔLE DU SEEBODEN

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 330 367 145 00019

[Adresse 1]

Représentée par Me Thierry CAHN, avocat à la Cour

INTIMES :

Monsieur [R] [P]

[Adresse 3]

Représenté par Me Stéphane THOMANN, avocat au barreau de MULHOUSE

S.A.S. MANPOWER

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 429 955 297

[Adresse 2]

Représentée par Me Florence FARABET ROUVIER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller,

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe par M. PALLIERES, Conseiller, en l’absence du Président de Chambre empêché,

– signé par M. PALLIERES, Conseiller et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [R] [P] est entré au service de la société Béton Contrôle du Seeboden, entreprise utilisatrice, à compter du 23 septembre 2008, selon un contrat de mission d’intérim, signé avec la société Manpower, en qualité de manoeuvre aux fins de remplacement d’un salarié absent.

Il a enchaîné les contrats d’intérim jusqu’au 11 septembre 2020.

Le motif principal était l’accroissement temporaire d’activité et remplacement de salariés absents.

A compter du mois de novembre 2013, il a eu la qualification de maçon coffreur.

Les relations contractuelles sont soumises à la convention collective des ouvriers des entreprises du Bâtiment et des Travaux Publics.

Le salarié a été placé en arrêt maladie à compter du 10 septembre 2020.

Les missions d’intérim n’ont plus été renouvelées postérieurement à cet arrêt.

Par requête du 3 décembre 2020, Monsieur [R] [P] a saisi le Conseil de prud’hommes de Mulhouse, section industrie, de demandes de requalification des missions intérims en contrat de travail à durée indéterminée, aux fins d’indemnisation de requalification et de requalification de la rupture des relations contractuelles en licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre d’indemnisations subséquentes, et d’indemnisations pour absence de suivi médical et pour absence de bénéfice de 2 jours de repos compensateurs par an.

Par jugement du 7 décembre 2021, le Conseil de prud’hommes a :

– requalifié à l’encontre de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, entreprise utilisatrice, les contrats de travail temporaire de Monsieur [R] [P] en contrat à durée indéterminée à compter du 23 septembre 2008 ;

– dit que le licenciement dont Monsieur [P] a fait l’objet de la part de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden est nul ;

– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 3 810,79 € ;

– condamné, en conséquence, la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à verser à Monsieur [R] [P] les sommes de :

Avec intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2020,

* 7 621,58 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 762,16 euros au titre des congés payés y afférents,

* 12 173,37 euros à titre d’indemnité légal de licenciement,

Avec intérêts au taux légale à compter du jugement,

* 3 810,79 euros à titre d’indemnité de requalification,

* 64 783,43 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

* 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté la Sasu Béton Contrôle du Seeboden de sa demande en appel en garantie à l’encontre de la Sas Manpower ;

– déclaré, par conséquent, la Sas Manpower hors de cause ;

– condamné la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à la Sas Manpower la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

– ordonné l’exécution provisoire du Jugement sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile hormis les dépens ,

– condamné la Sasu Béton Contrôle du Seeboden aux dépens.

Par déclaration du 23 décembre 2021, Monsieur [R] [P] a interjeté un appel limité du jugement.

Par écritures transmises par voie électronique le 3 août 2023, la Sasu Béton Contrôle du Seeboden sollicite l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf celles rejetant les demandes de Monsieur [P] et que la Cour, statuant à nouveau :

– déclare les demandes de Monsieur [P] irrecevables et mal fondées,

– déboute Monsieur [P] de l’intégralité de ses prétentions en tant qu’elles sont dirigées à son encontre,

A titre subsidiaire :

– déclare l’appel en garantie, formé à l’encontre de la Société Manpower, recevable et bien fondé,

– condamne, in solidum, la société Manpower et elle-même à payer à Monsieur [P] les montants pris en compte par la Cour,

– condamne la société Manpower à la garantir à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou licenciement nul, de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés inhérents, de l’indemnité en requalification, de l’Article 700 du code de procédure civile et du remboursement à Pôle Emploi sur le fondement de l’Article L 1235-4 du code du travail,

A titre infiniment subsidiaire, fixe à 150 euros le montant le cas échéant dû par elle à Pôle Emploi, en application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail,

En tout état de cause,

– condamne Monsieur [P] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et les dépens.

Par écritures transmises par voie électronique le 6 décembre 2022, Monsieur [R] [P] sollicite la confirmation du jugement sauf en ses dispositions sur les demandes d’indemnisation pour absence de repos compensateur et absence de suivi médical et que la Cour, statuant à nouveau,

– condamne la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à lui payer les sommes suivantes :

* 5 000 euros nets de Csg-Crds à titre de dommages et intérêts pour absence de suivi médical régulier,

* 5 000 euros nets de Csg-Crds pour absence de bénéfice de 2 jours par an de repos compensateur.

Par écritures transmises par voie électronique le 22 septembre 2023, la Sas Manpower sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été rendue le 26 septembre 2023.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère aux conclusions susvisées pour plus amples exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS

I. Sur la prescription de l’action en requalification

La Sasu Béton Contrôle du Seeboden invoque la prescription de l’action en requalification pour tous les contrats arrivant à échéance avant le 3 décembre 2018.

Selon l’article L 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Aux termes de l’article L 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Selon l’article L 1251-40 du code du travail, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L 1251-5 à L 1251-7, L 1251-10 à L 1251-12 (L 1251-10, L 1251-11, L 1251-12-1, à compter du 22 décembre 2017), L 1251-30 et L 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de prescription d’une action en requalification, d’un contrat de mission, à l’égard de l’entreprise utilisatrice, en contrat à durée indéterminée, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats de mission, le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission (Cass. Soc. 30 juin 2021 n°19-16.655).

En l’espèce, de nombreux contrats de mission, avec mise à disposition au profit de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, ont été conclus, concernant Monsieur [R] [P], entre le 23 septembre 2008 et le 11 septembre 2020.

Les contrats de mission produits font apparaître du 23 septembre 2009 au 16 novembre 2012 une qualification de man’uvre avec pour tâches : pour l’essentiel, aide au coffrage et finition sur éléments préfabriqués/rangement atelier et nettoyage/ divers travaux, puis de maçon coffreur atelier avec pour tâches : mise en place de coffrage, placement de la matrice, serrage du coffrage, vérification de l’alignement des règles et mise en ‘uvre de silicone.

Le recours aux contrats de mission est motivé par quelques remplacements de salariés absents, et, pour l’essentiel, par un accroissement temporaire d’activité.

Si toutes les missions ne sont pas continues, le salarié a toujours exercé des missions identiques, sous la réserve plus haut, et pour des motifs, pour l’essentiel, d’accroissement d’activité, démontrant, ainsi, comme retenu par les premiers juges, que Monsieur [R] [P] était intégré au personnel, depuis de nombreuses années, et dans le cours du fonctionnement de l’entreprise utilisatrice, dès lors, il importe peu que le dernier contrat, dont le terme est le 11 septembre 2020, soit séparé des précédents par des périodes interstitielles, hors fermeture de l’entreprise utilisatrice au mois d’août.

Il en résulte que le délai de la prescription extinctive, de l’action en requalification, a commencé à courir à compter du 11 septembre 2020, de telle sorte qu’au regard de la requête déposée le 3 décembre 2020, l’action en requalification des contrats de mission d’intérim en contrat à durée indéterminée, pour tous les contrats depuis le 23 septembre 2008, n’est pas prescrite et donc est recevable.

En conséquence, la cour, ajoutant au jugement entrepris, dont le dispositif ne comporte aucune mention quant à la recevabilité de l’action, déclarera recevable cette action en requalification pour tous les contrats depuis le 23 septembre 2008.

II. Sur le bien-fondé de l’action en requalification

Selon l’article L 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Selon l’article L 1251-6 du même code, en sa version applicable antérieur au 1er janvier 2018, sous réserve des dispositions de l’article L 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée  » mission  » et seulement dans les cas suivants :

1° Remplacement d’un salarié, en cas :

a) D’absence ;

b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ;

c) De suspension de son contrat de travail ;

d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe ;

e) D’attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;

2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;

3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;

4° Remplacement d’un chef d’entreprise artisanale, industrielle ou commerciale, d’une personne exerçant une profession libérale, de son conjoint participant effectivement à l’activité de l’entreprise à titre professionnel et habituel ou d’un associé non salarié d’une société civile professionnelle, d’une société civile de moyens ou d’une société d’exercice libéral ;

5° Remplacement du chef d’une exploitation agricole ou d’une entreprise mentionnée aux 1° à 4° de l’article L 722-1 du code rural et de la pêche maritime, d’un aide familial, d’un associé d’exploitation, ou de leur conjoint, mentionné à l’article L 722-10 du même code dès lors qu’il participe effectivement à l’activité de l’exploitation agricole ou de l’entreprise.

Selon l’article L 1251-40 du code du travail, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L 1251-5 à L 1251-7, L 1251-10 à L 1251-12, L 1251-30 et L 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

Monsieur [R] [P] fait valoir que les missions visaient à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, et que les motifs, invoqués par l’entreprise utilisatrice, pour recourir aux contrats d’intérim (ou de travail temporaire), ne sont pas établis.

En cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat (Cass. Soc. 28 novembre 2007, n° 06-44.843 ; Cass. Soc. 12 novembre 2020 n°18-18.294).

Cette preuve fait, en l’espèce, défaut, la Sasu Béton Contrôle du Seeboden ne justifiant ni des absences de salariés, ni des accroissements temporaires d’activité, et se contentant de produire la copie de quelques contrats de travail temporaire de Monsieur [P], et de faire état des conséquences de la période de confinement Covid 19, sur un retard à rattraper, et du départ à la retraite d’un salarié.

La période particulièrement longue (plus de 12 ans), d’utilisation de Monsieur [R] [P], dans des fonctions identiques, telles que rappelées ci-dessus, avec des périodes interstitielles, particulièrement courtes, entre des missions, fait preuve de l’utilisation de Monsieur [R] [P] pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden.

Ni le retard, dans l’exécution de travaux, dû à la période de confinement, ni le départ à la retraite d’un salarié ne justifient, en eux-mêmes, d’un accroissement temporaire d’activité.

La Sasu Béton Contrôle du Seeboden ne justifie pas, contrairement à son affirmation, avoir proposé à Monsieur [R] [P] un contrat à durée indéterminée, avant saisine du juge prud’homal, et du refus de ce dernier, la proposition, en cours d’instance, étant sans emport, compte tenu de la rupture du contrat.

Dès lors, le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié les contrats de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 23 septembre 2008, sera confirmé.

III. Sur l’indemnité de requalification

En application de l’article L 1251-41 du code du travail, le salarié a droit a une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

Monsieur [R] [P] fait état d’un salaire mensuel de référence de 3 810, 79 euros bruts, alors que la Sasu Béton Contrôle du Seeboden fait état d’un salaire mensuel de référence de 2 633 euros bruts, en prenant en compte des salaires des mois de juillet à septembre 2020.

Le mois d’août étant un mois de fermeture de l’entreprise utilisatrice, il y a lieu, dès lors, de prendre en compte la moyenne des salaires des mois de juillet, juin et mai 2020, ce qui représente un salaire mensuel de référence de 3 810, 79 euros.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à payer à Monsieur [R] [P] cette somme.

IV. Sur la rupture du contrat

La rupture, du chef de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, de toute relation, s’analyse, en l’espèce, suite à la requalification en contrat à durée indéterminée, soit en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit en un licenciement nul, la Sasu Béton Contrôle du Seeboden ne pouvant s’exonérer de sa responsabilité par l’absence de nouvelle mission de travail temporaire confiée par la Sas Manpower à Monsieur [R] [P].

Selon l’article L 1132-1 du code du travail, en sa version selon la loi du 27 mai 2008, depuis modifiée à plusieurs reprises, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison, notamment, de son état de santé.

Le salarié doit présenter des éléments de fait, qui, s’ils sont établis, laissent supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.

Monsieur [R] [P] soutient que la rupture doit s’analyser en un licenciement nul, dès lors que cette rupture serait justifiée par un motif discriminatoire à savoir son état de santé, ayant été placé en arrêt maladie à compter du 10 septembre 2020.

L’absence de mission, de Monsieur [R] [P], au sein de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, après l’arrêt maladie du 10 septembre 2020, est un fait constant.

Ce fait, dont la matérialité est établie, laisse supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.

Il appartient, dès lors, à la Sasu Béton Contrôle du Seeboden d’établir que la décision, de ne plus utiliser Monsieur [R] [P], était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La Sasu Béton Contrôle du Seeboden réplique que la rupture des relations avec Monsieur [R] [P] est la conséquence des choix de la Sas Manpower qui était l’employeur, que Monsieur [R] [P] a quitté le chantier, le 10 septembre 2020, sans autorisation, et que Monsieur [R] [P] a créé une société et quitté la Sas Manpower.

Il est un fait constant qu’à la date du 10 septembre 2020, avant requalification des contrats de travail temporaire, Monsieur [R] [P] ne dépendait que des décisions d’affectation, par la Sas Manpower, qui avait la qualité d’employeur.

Aucun élément ne permet de supposer que l’absence de retour de Monsieur [R] [P], au service de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, fait suite à une décision de la société Béton Contrôle du Seeboden.

En conséquence, la Sasu Béton Contrôle du Seeboden renverse la présomption de telle sorte que le licenciement de Monsieur [R] [P] ne constitue pas un acte de discrimination en raison de l’état de santé.

Le départ de Monsieur [R] [P], du 10 septembre 2020, ne saurait s’analyser en une démission, de telle sorte que l’absence de maintien des relations contractuelles entre Monsieur [R] [P] et la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, doit s’analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dès lors, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a dit que le licenciement était nul et en ce qu’il a condamné la Sasu Béton Contrôle du Seeboden au paiement d’une indemnité pour licenciement nul.

La cour, statuant, à nouveau, déboutera Monsieur [R] [P] des demandes, principales, à ce titre.

V. Sur les indemnisations subséquentes au licenciement sans cause réelle et sérieuse

A/ Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Pour justifier de sa demande subsidiaire de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Monsieur [R] [P] produit :

– une attestation de paiement du 5 novembre 2020 de Pôle Emploi selon laquelle il a perçu une somme de 1 746, 23 euros d’allocations pour le mois d’octobre 2020,

– des attestations de paiement des 8 et 29 décembre 2020, faisant état du bénéfice de l’aide au retour à l’emploi du même montant,

– des copies de contrats de travail temporaire de la société de travail intérimaire Planet Inter de Paris pour des missions pour les périodes des 24 mars au 18 avril 2021, 19 avril au 18 juillet 2021, 14 mars au 14 avril 2022, 15 avril au 15 mai 2022,

– une attestation de paiement du 20 décembre 2022 de Pôle Emploi selon laquelle il a perçu une somme de 1 564, 26 euros au titre des allocations pour le mois de novembre 2022.

Au regard de l’article L 1235-3 du code du travail, de l’ancienneté du salarié, de l’âge de Monsieur [R] [P] à la date du licenciement (41 ans), statuant à nouveau, la cour condamnera la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à payer à Monsieur [R] [P] la somme de 30 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

B/ Sur l’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis

En application de l’article L 1234-1 du code du travail, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur aux sommes de 7 621, 58 euros bruts, correspondant à un préavis de 2 mois, outre 762, 16 euros bruts au titre des congés payés sur préavis.

C/ Sur l’indemnité légale de licenciement

Si le droit à l’indemnité de licenciement naît à la date où le congédiement est notifié, l’évaluation du montant de l’indemnité est faite en tenant compte de l’ancienneté à l’expiration du contrat c’est-à-dire à l’expiration normale du préavis même s’il y a eu dispense de l’exécuter (Cass. Soc. 30 mars 2005 n°03-42.667).

A la date du 11 novembre 2020, le salarié présentait une ancienneté de 12 ans et 1 mois.

Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer à Monsieur [R] [P] la somme de 12 173, 37 euros, au titre de cette indemnité, sauf à ajouter que cette somme est nette.

VI. Sur la demande d’indemnisation pour absence de suivi médical

Pour la période antérieure au 1er janvier 2017, l’ancien article R 3122-19 du code du travail édictait, pour les travailleurs de nuit, une visite médicale tous les 6 mois.

A compter du 1er janvier 2017, il n’est plus prévu de périodicité automatique pour les travailleurs de nuit, la périodicité étant fixée par le médecin du travail en fonction des particularités du poste occupé et des caractéristiques du travailleur.

Monsieur [R] [P] ne justifie pas du préjudice que lui aurait causé l’absence de visite médicale tous les 6 mois pour la période antérieure au 1er janvier 2017, ni d’un préjudice pour la période postérieure pour absence de suivi médical.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [R] [P] de sa demande d’indemnisation à ce titre.

VII. Sur la demande d’indemnisation pour absence de bénéfice de 2 jours de repos compensateur par an

En l’absence de justificatif d’un préjudice en lien de causalité avec l’absence de bénéfice de 2 jours de repos compensateur en sus par an, le jugement entrepris sera confirmé en son rejet de cette demande.

VIII. Sur la demande, de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, de condamnation in solidum avec la société Manpower

En application de l’article 122 du code de procédure civile, Monsieur [R] [P] n’a pas qualité pour demander, à la place de Monsieur [R] [P], la condamnation in solidum de la société Manpower avec elle-même.

En conséquence, comme invoqué par la Sas Manpower, de façon implicite et non équivoque au visa d’un arrêt de la cour de cassation, chambre sociale du 11 mars 2009, et qui demande sa mise hors de cause, la demande, de la société Béton Contrôle du Seeboden, de condamnation in solidum, est irrecevable, ce qui sera ajouté au jugement entrepris par la cour.

IX. Sur la garantie par la société Manpower

Selon l’article L 1251-36 du code du travail, en sa version applicable avant le 19 août 2015, à l’expiration d’un contrat de mission, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de mission, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission, renouvellement inclus. Ce délai de carence est égal :

1° Au tiers de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est de quatorze jours ou plus ;

2° A la moitié de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est inférieure à quatorze jours.

Les jours pris en compte pour apprécier le délai devant séparer les deux contrats sont les jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement utilisateurs.

La Sasu Béton Contrôle du Seeboden sollicite la garantie par la société Manpower au motif que la Sas Manpower a manqué, à son égard, à un devoir de conseil, et fait référence, notamment, à la jurisprudence de la cour de cassation en cas de défaut de respect du délai de carence par l’entreprise de travail temporaire.

Si l’entreprise utilisatrice ne peut invoquer, pour faire valoir auprès de l’entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, la méconnaissance par cette dernière des obligations mises à sa charge à l’égard du salarié par les articles L 1251-8, L 1251-16 et L 1251-17 du code du travail, il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement si un manquement peut être imputé à l’entreprise de travail temporaire dans l’établissement des contrats de mise à disposition (Cass. Soc. 14 février 2018 n°16-21.940).

Les contrats de travail temporaire, produits par le salarié, justifie qu’à de nombreuses reprises, et sur de longues périodes, la Sas Manpower n’a pas respecté le délai de carence légal entre les contrats de mission, et, ce, dès le 3ème contrat (2ème : du 29 septembre 2008 au 24 octobre 2008, puis 3ème : du 27 octobre 2008 au 28 novembre 2008).

L’entreprise de travail temporaire n’a pas respecté les obligations de l’article L 1251-36 du code du travail, en ses 3 versions applicables successivement depuis 2008, relatives au respect du délai de carence, qui lui étaient propres, et a ainsi engagé sa responsabilité contractuelle dans ses rapports avec l’entreprise utilisatrice.

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté la Sasu Béton Contrôle du Seeboden de son action en responsabilité contre la Sas Manpower et mis hors de cause la Sas Manpower, et la cour, statuant, à nouveau, condamnera la Sas Manpower à garantir la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à hauteur de 50 % des condamnations de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden prononcées au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis, à l’exception de l’indemnité de requalification et du remboursement des indemnités à Pôle Emploi, dont l’entreprise utilisatrice est seule débitrice.

La demande de garantie, relative aux frais irrépétibles, sera rejetée, ces frais n’étant que la conséquence de l’action du salarié au regard du manquement de l’entreprise utilisatrice dans l’utilisation du travail temporaire.

X. Sur le remboursement à Pôle Emploi

Aux termes de l’article L 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L 1132-4, L 1134-4, L 1144-3, L 1152-3, L 1152-4, L 1235-3, et L 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé ;

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées, ce qui est le cas en l’espèce ;

Il conviendra en conséquence d’ordonner le remboursement des indemnités éventuellement versées, en l’espèce, dans la limite de 4 mois.

XI. Sur les demandes annexes

Le jugement sera infirmé en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles en ce qu’il a condamné la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à payer à la Sas Manpower la somme de 1 500 euros, et condamné la Sasu Béton Contrôle du Seeboden aux dépens exposés par la Sas Manpower.

Il sera confirmé pour le surplus des dispositions sur les dépens et frais irrépétibles.

La cour, statuant à nouveau, déboutera la Sas Manpower de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et condamnera la Sas Manpower à la moitié des dépens exposés par la Sasu Béton Contrôle du Seeboden en première instance.

En application de l’article 696 du code de procédure civile, s’agissant des dépens d’appel :

– la Sasu Béton Contrôle du Seeboden sera condamnée aux dépens exposés par Monsieur [R] [P],

– la Sas Manpower sera condamnée à la moitié des dépens exposés par la Sasu Béton Contrôle du Seeboden.

Succombant pour l’essentiel, à l’égard de Monsieur [R] [P], la Sasu Béton Contrôle du Seeboden sera condamnée à payer à ce dernier la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur de cour, et sa demande, au titre desdits frais, sera rejetée.

La demande, de la Sas Manpower, au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d’appel, sera également rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement du 7 décembre 2021 du conseil de prud’hommes de Mulhouse, SAUF en ce qu’il a :

– dit que le licenciement de Monsieur [R] [P] par la Sasu Béton Contrôle du Seeboden est nul,

– condamné la Sasu Béton Contrôle du Seeboden au paiement d’une indemnité pour licenciement nul,

– rejeté l’appel en garantie de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à l’encontre de la Sas Manpower et déclaré la Sas Manpower hors de cause,

– condamné la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à payer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la Sas Manpower et les dépens exposés par cette dernière ;

Statuant sur ces chefs infirmés et y ajoutant,

DECLARE recevable l’action en requalification des contrats de travail temporaire en contrat à durée indéterminée, pour tous les contrats depuis le 23 septembre 2008 ;

DEBOUTE Monsieur [R] [P] de sa demande de qualification de la rupture du contrat, entre la Sasu Béton Contrôle du Seeboden et lui, en licenciement nul ;

DEBOUTE Monsieur [R] [P] de sa demande d’indemnité pour licenciement nul ;

DIT que le licenciement, de Monsieur [R] [P] par la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à payer à Monsieur [R] [P] la somme de 30 000 euros bruts (trente mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIT que la condamnation, au titre de l’indemnité légale de licenciement, est un montant net ;

DECLARE irrecevable la demande, de la Sasu Béton Contrôle du Seeboden, de condamnation in solidum de la Sas Manpower, avec elle-même, aux sommes dues à Monsieur [R] [P] ;

CONDAMNE la Sas Manpower à garantir la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à hauteur de 50 % des condamnations, de cette dernière, prononcées, au profit de Monsieur [R] [P], au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés sur préavis ;

DEBOUTE la Sasu Béton Contrôle du Seeboden du surplus de sa demande de garantie ;

ORDONNE le remboursement par la Sasu Béton Contrôle du Seeboden aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées le cas échéant à Monsieur [R] [P] dans la limite de 4 mois à compter de la rupture sur le fondement des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail ;

DEBOUTE la Sasu Béton Contrôle du Seeboden de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d’appel ;

CONDAMNE la Sasu Béton Contrôle du Seeboden à payer à Monsieur [R] [P] la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d’appel ;

DEBOUTE la Sas Manpower de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tant pour les frais exposés en première instance qu’à hauteur d’appel ;

CONDAMNE la Sasu Béton Contrôle du Seeboden aux dépens d’appel exposés par Monsieur [R] [P] ;

CONDAMNE la Sas Manpower à la moitié des dépens exposés par la Sasu Béton Contrôle du Seeboden tant en première instance qu’à hauteur d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023, signé par Monsieur Edgard PALLIERES, Conseiller, en l’absence du Président de Chambre empêché, et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Conseiller,

 


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