Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 28 JUIN 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/00412 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OPSE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 20 DECEMBRE 2019
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER N° RG F18/01023
APPELANTE :
Me [M] [I] – Mandataire liquidateur de S.A.R.L. EURO-MER & CIEL
[Adresse 3]
[Adresse 3]
non comparant
S.A.R.L. EURO-MER & CIEL
Représentée par Me [G] [P] en qualité d’administrateur Judiciaire représenté par la SCP LES AVOCATS DU THELEME avocats au barreau de MONTPELLIER
INTIMEES :
Madame [O] [N]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me CAYLUS avocat pour Me Natacha YEHEZKIELY, avocat au barreau de MONTPELLIER
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/000823 du 02/02/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
Association CGEA DE [Localité 4]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me PANIS avocat pour Me Delphine CLAMENS-BIANCO de la SELARL CHATEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 03 Mai 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 MAI 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence FERRANET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Madame Florence FERRANET, Conseiller
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL
ARRET :
– contradictoire;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [N] a été embauchée par la société Euro-Mer & Ciel le 12 décembre 2005 en qualité d’agent de comptoir selon contrat de travail à durée déterminée pour accroissement d’activité jusqu’au 31 décembre 2006 à temps complet à raison de 39 heures par semaine.
A compter du 1er janvier 2007, la relation contractuelle s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.
Le 9 février 2017, la société Euro-Mer & Ciel notifie à Mme [N] un avertissement pour insuffisance de résultat.
Le 17 mars 2017, Mme [N] conteste son avertissement.
Le 30 mai 2017, par avenant, le temps de travail de Mme [N] est diminué à 35 heures par semaine.
Le 16 juin 2017, la société Euro-Mer & Ciel convoque Mme [N] à un entretien préalable au licenciement le 4 juillet 2017.
Le 10 juillet 2017, la société Euro-Mer & Ciel notifie à Mme [N] son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier le 3 octobre 2018, contestant son licenciement et sollicitant le versement de dommages-intérêts pour rupture abusive.
Le 24 septembre 2018, la société Euro-Mer & Ciel est placée en redressement judiciaire, Me [I] étant désignée mandataire judiciaire et Me [P] administrateur judiciaire de ladite société.
Par jugement rendu le 20 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Montpellier a :
-Dit que le licenciement de Mme [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
-Fixé les créances de Mme [N] aux sommes suivantes:
*20 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
*960 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
-Dit que ces sommes doivent être portées par Me [I] ès-qualités sur l’état des créances de la société Euro-Mer & Ciel au profit de Mme [N] ;
-Dit qu’à défaut de fonds suffisants dans l’entreprise les créances seront payées par l’AGS dans les limites de la garantie prévue aux articles L.3253-6 et L.3253-17 du Code du travail ;
-Débouté Me [P], administrateur judiciaire de la société Euro-Mer & Ciel de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
-Débouté les parties de toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;
-Ordonné l’exécution provisoire de l’intégralité du jugement à intervenir ;
-Mis les éventuels dépens de l’instance à la charge de la société Euro-Mer & Ciel et dit qu’ils seront inscrits sur l’état des créances par Me [I] ès-qualités.
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La société Euro-Mer & Ciel et Me [P], ès qualités d’administrateur ont interjeté appel de ce jugement le 22 janvier 2020, intimant Me Mme [N], Me [I] ès qualité de mandataire judiciaire et l’UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 4] .
Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 27 avril 2020, la société Euro-Mer & Ciel demande à la cour de :
-Débouter Mme [N] de l’intégralité de ses demandes ;
-Subsidiairement, ramener le quantum des dommages et intérêts à de plus justes et légales proportions ;
-En tout état de cause,
*Condamner Mme [N] aux entiers dépens ;
*Condamner Mme [N] aux frais irrépétibles de l’article 700 du Code de procédure civile.
Le 13 mai 2022, la société Euro-Mer & Ciel était placée en liquidation judiciaire, Me [I] étant désignée mandataire liquidateur de ladite société.
Au jour de l’audience, Me [I] ès-qualité de mandataire liquidateur de la société Euro-Mer & Ciel n’a pas constitué avocat.
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Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 13 avril 2023, Mme [N] demande à la cour de :
-Fixer au passif de la société Euro-Mer & Ciel les sommes suivantes :
*35 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
*2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
-Juger que l’UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 4] garantira les condamnations, dans les limites fixées par la loi.
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Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 23 février 2023, l’UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 4] demande à la cour de :
-A titre principal, débouter Mme [N] de l’intégralité de ses demandes et la condamner à lui rembourser les 20 000 € indument perçus ;
-A titre subsidiaire, ramener le montant des dommages-intérêts éventuellement dus pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à de plus justes proportions ;
-En tout état de cause,
*Constater que sa garantie est plafonnée toutes créances avancées pour le compte du salarié à l’un des trois plafonds définis par l’article D 3253-5 du Code du travail et qu’en l’espèce, c’est le plafond 6 qui s’applique ;
*Exclure de sa garantie les sommes éventuellement fixées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, dépens et astreinte ;
*Dire que toute créance sera fixée en brut et sous réserve de cotisations sociales et contributions éventuellement applicables, conformément aux dispositions de l’article L 3253-8 in fine du Code du travail ;
*Lui donner acte de ce qu’elle revendique le bénéfice exprès et d’ordre public des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan des conditions de la mise en ‘uvre du régime d’assurance de créances des salariés que de l’étendue de ladite garantie.
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Pour l’exposé des moyens il est renvoyé aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.
L’instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 3 mai 2023 fixant la date d’audience au 9 mai 2023.
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MOTIFS :
A titre liminaire, la cour rappelle qu’il ne sera pas statué sur les demandes tendant à « Dire et Juger » ou « Constater », qui ne sont pas des prétentions, sauf exception prévue par la loi.
Sur le licenciement :
L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.
Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motifs.
Si la lettre de licenciement fixe les termes du litige, la qualification donnée par les parties au motif du licenciement ne lie pas le juge, l’office de celui-ci est de rechercher les véritables causes du licenciement.
C’est le motif de rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement. L’insuffisance professionnelle ne constitue pas une faute laquelle se caractérise par une abstention volontaire ou une mauvaise volonté.
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification.
L’incompétence alléguée doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l’employeur.
En l’espèce, la lettre de licenciement adressée à Mme [N] le 10 juillet 2017 fait état des motifs suivants :
« Vous occupez les fonctions d’agent de comptoir/conseiller en billetterie au sein de notre Société depuis le 12 décembre 2005.
Nous avons à déplorer de votre part une grave insuffisance professionnelle depuis plusieurs mois.
En effet, nous constatons que vous faites preuve d’un manque réel d’implication et de motivation dans le cadre de l’exercice de vos fonctions, qui a un impact extrêmement négatif sur la qualité de votre travail et sur le nombre de réservations que vous effectuez.
Ainsi, nous avons remarqué que vous ne répondez pas suffisamment au téléphone. Le téléphone sonne et vous ne prenez pas les appels entrants. De nombreux clients se sont plaints du fait que vous soyez injoignable et certains d’entre eux nous ont indiqué avoir renoncé à effectuer leurs réservations au sein de notre agence.
Une telle circonstance est dommageable pour notre Société dans la mesure où les réservations, au sein du service agences auquel vous apparteniez, se font exclusivement par téléphone. Le manque à gagner pour notre Société est très important.
Par ailleurs, votre manque d’investissement et de motivation se traduit par une chute de vos résultats. Le nombre de réservations que vous avez effectué est largement inférieur à celui réalisé par vos collègues accomplissant le même travail et dont certains sont moins anciens et moins expérimentés que vous :
en 2015, vous avez réalisé seulement 669 réservations contre 787 réservations en moyenne au sein du service agences auquel vous apparteniez. Vous avez effectué le nombre de réservations le moins élevé de votre service et corrélativement le plus mauvais chiffre d’affaires ;
au 1er janvier 2016, nous vous avons transférée au sein du service M4 afin de vous permettre d’améliorer vos performances. Or, et malgré nos mises en garde, vos résultats sont restés très bas. Vous avez réalisé seulement 593 réservations contre 803 en moyenne. Votre chiffre d’affaires s’élevait à 395.429 euros contre 461.260 euros en moyenne ;
en 2017, cette tendance à l’insuffisance professionnelle et de résultat s’est confirmée avec notamment 21 réservations contre 69 en moyenne en janvier et 23 réservations contre 51 en moyenne en avril.
Vos résultats sont largement inférieurs à ceux de vos collègues et ne sont pas à la hauteur de ceux normalement attendus d’un collaborateur de votre ancienneté et de votre expérience.
Cette insuffisance de résultat s’explique par une insuffisance professionnelle de votre part.
Nous avions pourtant attiré votre attention, à maintes reprises, sur la nécessité de redresser la situation et d’améliorer la qualité de votre travail. Nous vous avons demandé de faire preuve de proactivité, de réactivité et de professionnalisme, en décrochant notamment plus souvent votre téléphone pour répondre aux clients.
Nous vous avons également mise en demeure d’inverser la tendance et d’améliorer votre production. Nous avons, à cette occasion et à de nombreuses reprises, insisté sur le fait que vous disposiez de tout notre soutien et vous avons proposé notre aide pour redresser la situation.
Vous avez également suivi une formation dès votre embauche et participé aux diverses mises à jour pour vous permettre d’accomplir vos fonctions dans les meilleures conditions et de manière efficiente.
Or, nous constatons qu’à ce jour la qualité de votre travail n’est pas satisfaisante.
Ces circonstances nous conduisent à faire le constat que vous ne disposez plus des aptitudes requises pour assurer de manière satisfaisante le poste d°agent de comptoir / conseiller en billetterie, et ce alors même que vous bénéficiez de l’ensemble des moyens mais également de l’assistance nécessaire pour mener à bien l’ensemble de vos missions.
Cette situation, qui cause un réel préjudice à notre Société en termes notamment de chiffre d’affaires et de relation clients, ne saurait perdurer.
En conséquence, votre insuffisance professionnelle ne nous permettant pas d’envisager la poursuite de notre relation contractuelle, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour insuffisance professionnelle. ».
Il résulte des éléments versés aux débats que depuis son embauche en 2005 jusqu’à son changement de service le 1er janvier 2016 l’employeur ne s’est jamais plaint des compétences de Mme [N].
L’employeur a une obligation de formation et d’adaptation des salariés. A défaut de l’avoir respectée, il ne pourrait invoquer l’insuffisance professionnelle des intéressés.
Or, il n’est pas démontré que la société Euro-Mer & Ciel a mis en place des mesures pour permettre à Mme [N] de s’adapter au changement de service avant de lui notifier, le 9 février 2017, un avertissement pour insuffisance de résultats. Il n’est pas non plus démontré que Mme [N] était soumise à des objectifs dans le cadre de son activité professionnelle, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas les avoir atteints.
Par conséquent, aucun élément ne permet de justifier de l’insuffisance professionnelle de la salariée, de sorte que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Au jour du licenciement, Mme [N] était âgée de 35 ans et avait une ancienneté de 11 ans et 7 mois au sein d’une entreprise de plus de 11 salariés. Il n’est pas contesté que son salaire mensuel brut de référence s’élève à la somme de 1 775,97 €.
Aux termes de l’article L.1235-3 du Code du travail, dans sa version en vigueur au jour du licenciement, Mme [N] est fondée à percevoir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois. La salariée sollicite le versement de la somme de 35 000 € à ce titre. Mme [N] justifie de ce qu’elle a bénéficié d’indemnités chômage à raison d’environ 38 € par jour du 2 octobre 2017 au 31 mai 2019, qu’elle a participé à différentes formations dans le domaine de l’immobilier et qu’elle exerce en qualité de négociatrice indépendante dans l’immobilier depuis le 3 janvier 2019. Elle justifie également de ce qu’elle est mariée et mère de deux enfants nés en 2008 et 2012. Le préjudice de Mme [N] sera souverainement évalué à la somme de 20 000 €. Me [I], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Euro-Mer & Ciel, sera condamnée à fixer cette somme au passif de ladite société. Le jugement sera confirmé de ce chef.
En application des dispositions de l’article L.1235-4 du Code du travail, Me [I], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Euro-Mer & Ciel, devra fixer au passif de la liquidation judiciaire au profit de Pôle Emploi, une somme correspondant aux indemnités chômage versées à Mme [N] dans la limite de six mois d’indemnités.
Sur les autres demandes :
Me [I], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Euro-Mer & Ciel, qui succombe, sera tenue aux dépens d’appel et à inscrire au passif de la société la somme de 1 000 € au bénéfice de Mme [N] sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour ;
Confirme, dans la limite des chefs de jugement critiqués, le jugement rendu le 20 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Montpellier en ce qu’il a :
-Dit que le licenciement de Mme [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
-Fixé les créances de Mme [N] aux sommes suivantes:
*20 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
*960 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour la première instance ;
-Dit que ces sommes doivent être portées par Me [I] ès-qualités sur l’état des créances de la société Euro-Mer & Ciel au profit de Mme [N] ;
-Dit qu’à défaut de fonds suffisants dans l’entreprise les créances seront payées par l’AGS dans les limites de la garantie prévue aux articles L.3253-6 et L.3253-17 du Code du travail ;
Débouté Me [P], administrateur judiciaire de la société Euro-Mer & Ciel de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
-Mis les éventuels dépens de l’instance à la charge de la société Euro-Mer & Ciel et dit qu’ils seront inscrits sur l’état des créances par Me [I] ès-qualités ;
Y ajoutant ;
Condamne Me [I], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Euro-Mer & Ciel, à fixer au passif de la liquidation judiciaire au bénéfice de Pôle Emploi les indemnités chômage versées à Mme [N] dans la limite de six mois d’indemnités ;
Condamne Me [I], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Euro-Mer & Ciel, à fixer au passif de la liquidation judiciaire au bénéfice de Mme [N] la somme de 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne Me [I], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Euro-Mer & Ciel, à fixer au passif de la liquidation judiciaire les dépens d’appel ;
LE GREFFIER LE PRESIDENT