COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-3
ARRÊT AU FOND
DU 27 OCTOBRE 2023
N°2023/ 188
RG 19/12479
N° Portalis DBVB-V-B7D-BEWIG
SAS ELIOR SERVICES PROPRETE ET SANTE
C/
[J] [U]
Copie exécutoire délivrée
le 27 Octobre 2023 à :
-Me Nathalie KOULMANN, avocat au barreau de NICE
– Me Angèle SAVOYE, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 02 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00717.
APPELANTE
SAS ELIOR SERVICES PROPRETE ET SANTE, demeurant [Adresse 3] / FRANCE
représentée par Me Nathalie KOULMANN de la SCP DELPLANCKE-POZZO DI BORGO-ROMETTI & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE substituée par Me Mikaël TORTORICI, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
Madame [J] [U], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Angèle SAVOYE, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargées du rapport.
Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2023, délibéré prorogé en raison de la survenance d’une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 27 Octobre 2023.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2023.
Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * * * * * * *
FAITS ET PROCÉDURE
La société Elior Service Propreté et Santé exploite une activité de nettoyage et propose aux établissements de santé publique et privé, des agents de service hospitalier et une activité de bio nettoyage.
Mme [U] était engagée à compter du 19 janvier 2013 par la société Elior Service Propreté et Santé en qualité d’agent de service, filière exploitation, niveau AS1 A selon contrat à durée déterminée à temps complet jusqu’au 21 janvier 2013 en remplacement d’un salarié. Elle était affectée à l’Hôpital Privé[1]» à [Localité 4].
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention nationale collective de la propreté.
À compter de 2013, de nombreux contrats de travail à durée déterminée étaient conclus avec Mme [U] jusqu’au 13 novembre 2017 pour les mêmes fonctions d’agent de service à l’hôpital privé «[1]», l’établissement l’ayant par ailleurs directement employée.
Mme [U] saisissait le 2 juillet 2019 le conseil de prud’hommes de Marseille en requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminé et à temps complet ainsi qu’en paiement d’indemnités.
Par jugement du 2 juillet 2019, le conseil de prud’hommes a statué comme suit :
« Dit que la moyenne des salaires de Madame [J] [U] est de 1.480 € bruts.
Requalifie les contrats de travail à durée indéterminée de Madame [J] [U] en un contrat à durée indéterminée à temps complet à compter du 13 novembre 2017.
Condamne la société Elior Service Propreté et Santé, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Madame [J] [U] les sommes suivantes :
– 1.480,00 € nets à titre d’indemnité de requalification des CDD en CDI.
– 24.910,66 € bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 13 janvier 2014 au 13 novembre 2017 tel que demandé par Madame [J] [U].
Dit que la rupture du contrat de travail de Madame [J] [U] doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamne la société Elior Service Propreté et Santé, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Madame [J] [U] les sommes suivantes :
– 2 960,00 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 296,60 € bruts de congés payés y afférents.
– 895,11 € nets au titre de l’indemnité légale de licenciement.
– 7400,00 € nets d’indemnité de dommages et intérêts à titre de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
– 2.000,00 € nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Prononce l’exécution provisoire de droit de la présente décision.
Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.
Condamne la partie défenderesse aux entiers dépens ».
Par acte du 30 juillet 2019, le conseil de la société Elior Service propreté et Santé a interjeté appel de cette décision.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 26 avril 2023, la société Elior Service propreté et Santé demande à la cour de :
« Juger le bien fondé des motifs de recours de chacun des contrats de travail à durée déterminée conclus avec Madame [U],
Juger que la société Elior en justifie dans le cadre des débats,
En conséquence,
Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Marseille en ce qu’il a requalifié les contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée
Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Marseille en ce qu’il a dit que la rupture du contrat de travail de Madame [J] [U] doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société Elior au paiement des sommes suivantes à ce titre :
– 1.480 euros net d’indemnité de requalification des contrat de travail à durée déterminé en contrat à durée indéterminée à ce titre ;
– 2 960 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis.
– 296,60 € bruts de congés payés y afférents.
– 895,11 € nets au titre de l’indemnité légale de licenciement.
– 7400 € nets de dommages et intérêts à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 2000 € nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant de nouveau,
Débouter Madame [U] de l’ensemble des demandes, fins et conclusions
Juger que Madame [U] ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle aurait été contrainte de rester à la disposition de la société Elior durant les périodes interstitielles,
Juger que Madame [U] ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle aurait été contrainte de rester à la disposition de la société Elior dans le cadre des contrats de travail à temps partiel,
En conséquence,
Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Marseille en ce qu’il a requalifié les contrats à temps partiels en contrats à temps pleins et condamné au paiement de 24.910, 66 euros bruts à titre de rappel de salaire à ce titre ;
Statuant de nouveau,
Débouter Madame [U] de sa demande de rappel de salaires au titre de ces périodes,
Juger que Madame [U] n’a subi aucun harcèlement moral,
Juger qu’aucun élément objectif ne vient justifier une telle accusation,
Juger que Madame [U] ne justifie nullement ses demandes indemnitaires,
Juger que sa demande fondée sur l’article 1382 devenu l’article 1240 du Code civil contrevient au principe de réparation intégrale du préjudice,
En conséquence,
Confirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Marseille en ce qu’il a rejeté ses demandes de dommages intérêts fondée sur le prétendu harcèlement,
Confirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Marseille en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages intérêts fondé sur l’article 1382 devenu l’article 1240 du Code civil
Condamner Madame [U] au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens».
Dans ses dernières écritures communiquées au greffe par voie électronique le 3 février 2023 Mme [U] demande à la cour de :
« Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié les contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 novembre 2017.
En Conséquence :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Elior Service Propreté et Santé au versement des sommes suivantes :
– rappels de salaire dus sur la période du 13/11/2014 au 13/11/2017 : 24 910.66 €
– indemnité de requalification : 1 480 €
– indemnité de préavis : 2 960 €
– congés payés sur préavis : 296 €
– indemnité conventionnelle de licenciement : 895.41 €
– indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 8 880 €
Infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a débouté Mme [U] de ses demandes formées au titre du harcèlement moral subi.
Infirmer la décision entreprise en ce qu’il a considéré que le harcèlement moral subi par Mme [U] n’était pas caractérisé.
En Conséquence :
Dire et Juger que Mme [U] justifie d’un harcèlement moral caractérisé au visa des articles 1152-1 et 1 222-1 du Code du Travail :
Condamner la société Elior Service Propreté et Santé à verser entre les mains de Mme [J] [U] la somme de 20 000 € à titre de légitimes dommages et intérêts de ce chef.
Condamner la société Elior Service Propreté et Santé au versement d’une somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 1240 du Code civil au titre du préjudice moral subi.
Confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a alloué la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du CPC.
Condamner la société Elior Service Propreté et Santé au versement d’une somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles en cause d’appel.
Condamner la société Elior Service Propreté et Santé aux entiers dépens ».
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée
La société soutient que la salariée n’était recrutée que pour remplacer les titulaires d’un poste qui réintégraient systématiquement leurs fonctions à l’issue de leur période d’absence et dont les contrats ne prenaient pas fin et que le recour aux contrats à durée déterminée était justifié pour les besoins ponctuels de remplacement. Elle fait observer que c’est en raison des relations privilégiées entretenues par la salariée avec Mme [T] que la société Elior faisait appel à la salariée en cas de nécessité de remplacement et que seule la clinique [1] était décisionnaire dans la conclusion des contrats de travail.
Elle conteste le témoignage de Mme [T], sans valeur probante, dans la mesure où cette dernier a attesté dans l’unique dessein de pouvoir obtenir en retour des attestations réalisées pour les besoins de la cause par la salariée.
Elle souligne que la cessation de la relation contractuelle avec la salariée est intervenue dans des conditions normales, au terme du dernier contrat de travail à durée déterminée et qu’elle ne saurait répondre des manquements qui pourraient résulter de la conclusion de contrats de travail qui ne sont pas les siens et qui concernent des embauches qu’elle n’a pas effectuées.
Elle relève que la prestation de travail réalisée par la salariée dans le cadre des 17 contrats avec l’Hôpital [1] l’a été au profit et pour le compte de ce dernier dans le cadre de remplacement de CDD régularisés par l’établissement et que c’est ce dernier qui a bénéficié des services de la salariée, tous les aspects de la relation de travail étant gérés par un tiers à la société.
Elle précise que pour ces contrats la salariée bénéficiait d’un poste et d’une classification spécifique à l’hôpital privé qui dépendent de la convention collective Fondation des Hôpitaux privés (HP) et qu’il s’agissait pour la salariée d’effectuer le nettoyage de bloc opératoire et qu’à l’évidence les 17 CDD signés doivent être écartés des débats et de l’analyse concernant la qualification juridique de la relation de travail.
La salariée objecte que la majorité des contrats de travail à durée déterminée faisait l’objet d’un avenant de prolongation avec pour motifs la maladie, l’absence autorisée, les congés payés ou événement familial et qu’elle avait en réalité un poste destiné à pourvoir le remplacement régulier des salariés absents et que la Cour de cassation considère que la succession de nombreux contrats de travail à durée déterminée avec le même salarié sur une longue période pour les mêmes fonctions tend à prouver que ces contrats avaient le même projet de satisfaire un besoin structurel de main-d »uvre et a servi en réalité à pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Elle souligne que seuls 13 des contrats de travail à durée déterminée visent le motif d’accroissement d’activité étant précisé qu’il s’agit des CDD conclus directement avec l’Hôpital Privé [1] pour l’exercice des fonctions et dans les mêmes conditions, et que si l’employeur a pu recourir à des CDD de remplacement de salariés absents, il n’en reste pas moins que de janvier à juin 2017, le contrat a été renouvelé pour accroissement d’activité.
Elle soutient que le non-renouvellement du dernier contrat de travail à durée déterminée ayant expiré en novembre 2017 doit s’analyser en une rupture abusive.
L’article 1244-1 du code du travail permet la succession de contrats à durée déterminée de remplacement avec un même salarié lorsque le contrat est conclu en remplacement d’un salarié absent, en remplacement d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu et en cas d’emplois à caractère saisonnier ou en remplacement d’un chef d’entreprise ou d’exploitation agricole.
Toutefois l’article L.1242-1 du code du travail indique qu’un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
L’article L.l242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L.l242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas qu’il énumère, dont l’accroissement temporaire d’activité et les secteurs d’activités où il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Ainsi si le besoin temporaire de remplacement pour absence, congés ou maladie est une cause objective permettant de recourir au contrat à durée déterminée, le recours à de multiples contrats à durée déterminée ne doit pas pourvoir à un emploi durable et permanent.
En l’espèce, la salariée a été affectée sur le même lieu de travail à l’Hôpital Privé [1] à [Localité 4] sur une période de 4 ans et 11 mois dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée non successifs.
Les contrats mentionnent des motifs de remplacement pour maladie, congés payés/ formation ou autorisés (59 CDD) et de surcroît d’activité notamment pour le contrat du 4 avril 2013 avec un avenant de prolongation le 10 avril 2013 et celui du 29 janvier 2014 (pièces intimée 6 et 20).
L’Hôpital Privé [1], de son côté, a également conclu directement avec la salariée 13 contrats de travail à durée déterminée pour accroissement d’activité dans le service d’avril à juin 2017 et d’octobre à novembre 2017 ( pièces intimée 49, 50, 63 à 70, 74, 77 et 78) et 4 contrats de travail à durée déterminée pour remplacement d’un ASDE absent (pièces intimée 53 à 56).
Il est relevé que la salariée ayant eu une « formation qualification de l’AS Bloc et zone 4 » a été amenée à travailler régulièrement au bloc opératoire du secteur digestif de l’établissement mais également pour remettre en conformité les blocs d’endoscopie et d’orthopédie du fait de son expérience dans le bio nettoyage hospitalier qui impliquait l’utilisation d’un dispositif de désinfection vapeur (pièces intimée 83, 91, 92, 94 et 95).
Il existait ainsi au vu des pièces produites, des besoins structurels et spécifiques de nettoyage au sein de l’établissement Hôpital Privé, nécessitant à partir de l’année 2017 la présence d’un agent de service spécialisé en bio nettoyage et la société Elior et l’Hôpital Privé [1] géraient l’ensemble de ces besoins, soit par la mise à disposition par la société de la salariée essentiellement au motif de remplacement, soit par l’emploi direct de cette dernière par l’hôpital privé au motif d’un accroissement d’activité.
Les responsables de site de la société, Mme [S] et M. [G] organisaient avec l’Hôpital Privé les semaines de ménage de la salariée afin que cette dernière puisse être au bloc opératoire, M. [G] indiquant notamment le 9 août 2017 « j’ai pris note de vos observations, nous avons repositionné [J] sur le poste (détail ci-dessous). Nous ferons un point avec [C] sur les formations liées à la particularité de ces postes de travail la semaine prochaine» (pièce 112).
La salariée qui avait signé avec la société un contrat de travail à durée déterminée du 3 au 19 août 2017 pour remplacer Mme [W] a donc été repositionnée sur le service visé afin de procéder au bio nettoyage pour permettre la réouverture des blocs du 9 au 18 août 2017 ( pièces intimée 73, 88, 90, 92);
Mme [T], cadre de bloc opératoire de l’hôpital privé, adressait le 11 avril 2017, un mail à la société indiquant: « donc pour le milieu, n’ayant pas de personnel Elior disponible dès la semaine 16, nous embauchons Mme [J] [U] » (pièce intimée 108) et le 26 avril 2017 « après discussion avec [Z] nous t’informons (…) J’embauche donc [J] de lundi à jeudi inclus de 9 h à 17 h, je te laisse le soin d’organiser les remplacements de tes salariés conformément à votre cahier des charges » (pièce intimée 111).
Ces éléments témoignent de ce que la salariée occupait régulièrement le même poste au bloc opératoire sous la direction de la société et qu’il était nécessaire que cette dernière la positionne sur le bloc opératoire pour répondre aux nécessités spécifiques de l’établissement puisqu’elle disposait de l’expérience, des compétences et de la formation requise pour utiliser le matériel et pour procéder au bio nettoyage.
Il existait donc un besoin caractérisé.
Quant à la question de créer un poste permanent pour la salariée, cela a été envisagé par la société afin de répondre aux exigences de l’Hôpital Privé. Ainsi en réponse à un mail du 24 août 2017 adressé à M.[G] au terme duquel de Mme [T] indiquait sa satisfaction « voilà pourquoi il faut garder [J] », il a été envisagé la création d’un poste polyvalent pour la salariée « Entièrement d’accord avec toi, quitte à lui faire un poste en polyvalence de renfort sur l’établissement si peu d’activité au bloc, je vois avec [C] » ou qu’elle puisse être chef d’équipe (pièce intimée 81, 85 et 94).
En effet, l’établissement a fait le reproche à la société de placer du personnel n’ayant aucune formation sur les procédures d’hygiène. La cadre de bloc opératoire indiquait par mail le 15 novembre 2017 : « je n’ai pas eu de réponse sur le personnel positionné le soir en remplacement d’Émilie, qu’elles sont ses compétences au bloc, sa formation est-elle suffisante et validée par qui ‘ » ( pièces intimée 129, 130, 131, 133 et 138)
La société ne produit aucune pièce sur le nombre d’employés nécessaires à son fonctionnement s’agissant de l’effectif nécessaire justifiant le recours à uncontrat de travail à durée déterminée de remplacement. À cet égard, il est observé qu’à plusieurs reprises, la cadre de bloc opératoire s’est trouvée sans personnel Elior disponible et a dû avoir recours directement à la salariée (pièce intimée 138).
Par ailleurs, les deux témoignages de Mme [T] ne sauraient être écartés des débats. En effet, il résulte des pièces produites que c’est en raison des compétences de Mme [U] que Mme [T] a eu recours à elle et il n’est aucunement justifié qu’un autre contentieux soit à l’origine de ces témoignages.
En conséquence, bien que la société ait mentionné à chaque fois une cause objective dans le recours aux CDD, le poste de Mme [U] avait en réalité pour objet de satisfaire un besoin structurel de main-d »uvre et de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la société dans le but de répondre aux besoins spécifiques de l’établissement Hôpital Privé, de sorte que les contrats à durée déterminée doivent être requalifiés en un contrat à durée indéterminée.
S’agissant de la date du 13 novembre 2017 qui a été retenue par le conseil des prud’hommes, la cour constate que celle-ci résulte des conclusions du 3 avril 2019 de la salariée et que celle-ci en sollicite la confirmation devant la cour, ce qui ne permet pas à la relation contractuelle de remonter jusqu’au premier contrat de travail à durée déterminée.
La cour ne peut dès lors que confirmer la décision déférée de ce chef.
L’article 1245 -2 du code du travail prévoyant une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, la cour confirme le montant de 1 480 € bruts.
Sur la demande de requalification à temps complet et ses conséquences
La société soutient que les contrats à temps partiel de la salariée étaient d’une durée inférieure à une semaine et précisaient le nombre d’heures hebdomadaires et que cette dernière avait parfaitement connaissance de la durée exacte et pouvait prévoir son rythme de travail sans se tenir constamment à la disposition de la société, la présomption de contrat à temps complet ne pouvant être invoquée.
La société conteste que la salariée ait été contrainte de rester à sa disposition entre les différents CDD. Elle indique qu’elle a pu travailler au cours de cette période pour d’autres employeurs et en particulier pour l’Hôpital Privé et que ce dernier était seul décisionnaire, la salariée recevant ses directives de la clinique et étant rémunérée par cette dernière.
Elle indique que c’est à tort que le conseil des prud’hommes a affirmé que la salariée s’est tenue de manière permanente à la disposition de la société entre le 19 janvier 2013 et le 13 novembre 2017.
La salariée objecte qu’elle a été placée pendant des années, soit de 2013 à novembre 2017 dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu’elle devait se tenir constamment à la disposition de son employeur. Elle explique qu’aucun horaire n’a été fixé contractuellement et que ceux-ci étaient par ailleurs fixés tardivement et par téléphone, qu’aucun planning écrit n’était joint au contrat de travail à durée déterminée signé.
Elle soutient que l’emploi par l’établissement résulte de man’uvres de la société qui voulait rendre plus discrète l’utilisation illégale et abusive des contrat de travail à durée déterminée dans la mesure ou les tâches, le lieu de travail, les périodes de travail étaient similaires et qu’elle travaillait avec l’équipe de la société et recevait des ordres de sa part.
Compte tenu de la date de requalification en contrat à durée indéterminée demandée par la salariée à savoir le 13 novembre 2017, la demande de requalification des contrats de travail en temps complet sur la période antérieure, et les rappels de salaire pour les périodes interstitielles du 13/11/2014 au 13/11/2017 ne peuvent donc être pris en compte et dès lors, la cour par voie d’infirmation, déboute la salariée de ses demandes à ce titre.
Sur le harcèlement moral
Selon l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l’article L1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La salariée se plaint du comportement de sa chef d’équipe Mme [P] [B]-[E] qui régulièrement la harcelait ainsi que son équipe.
Elle indique que ce harcèlement a été révélé à l’employeur mais que la société n’a donné aucune suite au courrier adressé par son conseil le 27 mars 2018.
Elle estime que la société est tenue d’une obligation de sécurité de résultat et qu’à la suite de la dénonciation de ces faits, portée par plusieurs personnes de l’équipe à sa connaissance, elle aurait dû logiquement l’entendre et qu’elle a fait le choix délibéré de l’écarter de toute fonction au sein de la clinique [1].
Elle soutient que son état de santé s’est dégradé.
Elle souligne que toutes les équipes de médecin et le personnel ont témoigné à la fois de son professionnalisme et de son sérieux et qu’ils ont été outrés par l’attitude de son employeur.
Elle précise que la société n’a pas tenu compte durant la période d’embauche de sa situation de travailleur handicapé, ni lui a fait passer de visite médicale entre 2013 et 2017 par la médecine du travail.
La salariée produit notamment les pièces suivantes :
– le témoignage de Mme [K] [H], chef d’équipe au sein de la société Elior : « je certifie connaître Mme [U] [J] , cette personne a travaillé dans la société et leur service depuis 2013 en qualité d’agent de service dans plusieurs services y comprit le bloc opératoire où elle a fait beaucoup de remplacement avec des coupures de contrats. Je n’ai jamais eu le moindre souci sur le travail de Mme [U] toujours à l’heure et prête à rendre service Nous somme deux chefs d’équipe sur la clinique [1] je sais qu’elle a eu des problèmes avec Mme [B] [P] la deuxième chef d’équipe. Je me permets d’attirer l’attention sur le fait que ce n’est pas la première personne qui a eu des soucis avec cette chef d’équipe. Je pense qu’il y a de l’acharnement et de la jalousie (…) » (pièce 79).
– le témoignage de M. [R] [V] , ancien salarié de la société Elior : « Mme [B] supervisait à la place de Mme [D] [I], ce qui n’était pas logique alors qu’elle est qu’une simple chef d’équipe qui n’a pas passé de concours, la seule personne qui a passé les concours est Mme [K] [H] l’autre chef d’équipe (…) je sais qu’il y a de l’harcèlement, acharnement et de la jalousie de la part de Mme [B] [P] car il ne faut pas s’entendre avec l’autre chef d’équipe, ce qui est de la méchanceté gratuite. Donc, je comprends ce qu’a subi Mme Madame [U] [J] car elle a toujours fait son travail et s’est toujours bien entendue avec Mme [K] qui est l’autre chef d’équipe » (pièce 80)
– un courrier du 10 avril 2017 de Mme [M] [F], salariée de la société Elior, adressé au directeur de la société Elior faisant part des difficultés rencontrées avec la chef d’équipe [P] [B] et du contexte « source de stress et de tensions qui deviennent usantes et moralement et physiquement pour le personnel »(pièce 96)
– le témoignage de Mme [N] [Y], salariée de la société Elior : « j’atteste que les chefs d’équipe d’Elior et notamment Mme [X] [P] m’ont harcelé pendant des années au point de faire une dépression et jusqu’à avoir un accident domestique tellement j’étais fatiguée et harcelée (…) Je confie ce courrier à Mme [U] [J] pour qu’elle fasse valoir les droits de nous toutes qui ont été brimées. Elle a toujours été honnête avec l’entreprise et respectueuse avec tout le monde » (pièce 97)
– le témoignage de Mme [T], cadre de l’Hôpital [1] : « Je vous confirme que
Mme [U] [J] a occupé son poste d’ASH au sein du bloc opératoire dont je suis le chef de bloc sans avoir commis aucune faute professionnelle. Elle a subi le harcèlement de ses ‘collègues ‘de travail qui n’avaient à lui reprocher que son honnêteté et professionnalisme. Sa responsable lui reprochait son amitié avec moi-même considérant qu’une femme de ménage ne pouvait être amie avec une cadre. (…) Elle a reçu des appels téléphoniques incessants pour les remplacements au derniers moment et depuis des années de présence n’a jamais eu d’offres de contrat à durée indéterminée . Un soir au où elle faisait un remplacement elle a été laissée seule sans aide par deux ASH présentes dans le bloc. J’ai moi-même reçu des appels à 22 h un vendredi car la chef d’équipe cherchait un remplacement. À cette heure-là ce genre d’appel n’est pas permis! » (Pièce 81)
– le témoignage de Mme [A] [W], salariée de la société Elior : « de plus je tiens à confirmer que Mme [U] [J] a eu les mêmes discriminations que moi-même avec en plus un réel harcèlement de la part de Mme [X] et des autres salariées Elior» (pièce 99)
– des témoignages de soutien en faveur de la salariée (pièces 114 à 125)
– la décision de reconnaissance de travailleur handicapé du 14 septembre 2010 (pièces 100 et 101)
– le certificat du 9 février 2015 du Dr [O], médecin psychiatre à l’hôpital universitaire de [Localité 4] mentionnant une indication de suivi et la mise en place d’une prise en charge tant psychologique que psychiatrique ainsi qu’un tableau psychiatrique complexe avec notamment des attaques de panique : « Le facteur déclenchant et favorisant de cet état semble d’après la patiente en lien étroit avec une problématique professionnelle » (pièce 107 )
Il convient de rappeler que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ;
En l’espèce, la salariée ne présente pas de faits précis, datés et concordants permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.
En effet, les témoignages ci-dessus rapportés ne font état que de difficultés rencontrées avec Mme [B] [X] ou de harcèlement sans énoncer de faits circonstanciés et que soient démontrés des agissement répétés à l’encontre de la salariée.
L’attestation de Mme [N] [Y] concerne essentiellement des faits qui la concernent.
Le courrier de Mme [M] [F] fait état d’un contexte de stress sans indiquer les actes reprochés à la chef d’équipe.
L’attestation de Mme [T] évoque des’ brimades et du harcèlement’ sans plus de précision, l’envoi de nombreux SMS pour demander à la salariée de venir remplacer une absence au pied levé ainsi que des appels à 22 h pour un remplacement de dernière minute adressés à la cadre, ne pouvant constituer des faits de harcèlement.
Le seul certificat médical produit n’est pas de nature à lui seul à présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Quant au statut de travailleur handicapé, la salariée n’indique pas en quoi son embauche aurait contrevenu à ce statut et l’absence de visite médicale organisée ne peut être considérée comme un harcèlement moral.
La salariée échoue donc à démontrer une situation de harcèlement moral.
Dès lors, la cour confirme la décision qui a débouté la salariée de sa demande de ce chef, de la demande d’indemnité subséquente ainsi que de la demande au titre de la responsabilité civile, aucune faute n’étant démontrée en lien avec un préjudice subi.
Sur la rupture du contrat de travail
Compte tenu de la requalification de la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée, la rupture de la relation de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En l’absence d’ancienneté, la salariée ne peut prétendre aux indemnités de préavis et de congés payés y afférents. Il en est de même pour l’indemnité conventionnelle de licenciement et de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La salariée est déboutée de ces chefs de demandes.
La cour infirme le jugement déféré en ce sens.
S’agissant du préjudice moral
Tout salarié peut obtenir la condamnation de l’employeur au paiement de dommages intérêts en raison du préjudice moral dès lors qu’il établit l’existence d’une faute de l’employeur ayant causé un préjudice distinct de ceux déjà réparés.
La salariée n’indique aucun élément au titre de la discussion et doit donc être déboutée de ce chef de demande.
La cour confirme la décision déférée.
Sur les frais et dépens
La société qui succombe partiellement doit s’acquitter des dépens, être déboutée de sa demande faite en application de l’article 700 du code de procédure civile, et à ce titre, condamnée à payer à la salariée la somme de 1 000 € .
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, en matière prud’homale,
Confirme le jugement déféré SAUF s’agissant de la requalification du contrat à temps complet, des rappels de salaire, des indemnités de rupture et de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute Mme [J] [U] de l’ensemble de ses demandes;
Condamne la société Elior Service Propreté et Santé à payer à Mme [J] [U] la somme de 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Elior Service Propreté et santé aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT