CDD pour accroissement d’activité : décision du 26 octobre 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/03424
CDD pour accroissement d’activité : décision du 26 octobre 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/03424

N° RG 21/03424 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I3XT

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 26 OCTOBRE 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE DIEPPE du 22 Juillet 2021

APPELANTE :

Société SYSCO FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Emmanuelle DUGUÉ-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Julia ERB, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Madame [T] [P]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Vanessa MALICKI de la SELARL MP AVOCATS, avocat au barreau de DIEPPE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 05 Septembre 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Mme ROYAL, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 05 septembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 octobre 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 26 Octobre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [T] [P] a été engagée par la société Sysco France en qualité de gestionnaire crédit client par contrat de travail à durée déterminée du 20 janvier au 31 décembre 2020, avec une période d’essai d’un mois expirant le 19 février 2020.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale des commerces de gros.

Par lettre du 19 mars 2020, la société Sysco France a notifié à la salariée la rupture de son contrat de travail à durée déterminée pour force majeure.

Par requête du 3 août 2020, Mme [T] [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Dieppe en contestation de la rupture du contrat et paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

Par jugement du 22 juillet 2021, le conseil de prud’hommes a condamné la société Sysco France à verser à Mme [T] [P] les sommes suivantes :

salaires jusqu’au terme du contrat : 16 110,65 euros,

indemnité de 10 % de la rémunération brute totale, article L 1243-8 : 1 966,78 euros

somme déduite sans motif : 585,72 euros,

heures supplémentaires effectuées et retirées sans motif : 124,26 euros,

somme déduite sans motif : 13,89 euros ,

1,56 jour de CP : 134,52 euros ,

RC (15 H x 11,21) retirés sans motif (1,91 jour) : 168,15 euros,

préjudice moral : 2 000 euros,

condamné la société Sysco France à verser à Mme [T] [P] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, débouté Mme [T] [P] du reste de ses demandes, débouté la société Sysco France de l’ensemble de ses demandes, condamné la société Sysco France aux dépens de la présente instance.

La société Sysco France a interjeté un appel limité le 25 août 2021.

Par conclusions remises le 16 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Sysco France demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société SYSCO au paiement des sommes suivantes :

salaires jusqu’au terme du contrat : 16 110,65 euros,

indemnité de précarité : 1 966,78 euros,

somme déduite sans motif : 585,72 euros,

heures supplémentaires effectuées et retirées sans motif : 124,26 euros,

somme déduite sans motif 13,89 euros,

1,56 jour de CP : 134,52 euros,

RC retirés sans motif (1,91 jour) : 168,15 euros,

préjudice moral : 2 000 euros,

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 200 euros,

– le confirmer pour le surplus,

en conséquence :

– débouter Mme [T] [P] de l’intégralité de ses demandes,

y ajoutant,

– condamner Mme [T] [P] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 17 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [T] [P] demande à la cour de :

– déclarer la société Sysco France mal fondée en son appel,

en conséquence,

– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que le contrat ne pouvait être rompu pour cause de force majeure, dont les conditions ne sont pas réunies,

– confirmer le jugement et condamner l’employeur à lui verser les sommes suivantes :

salaires jusqu’au terme du contrat : 16 110,65 euros,

indemnité de 10 % de la rémunération brute totale : 1 966,78 euros

somme déduite sans motif : 585,72 euros,

heures supplémentaires effectuées et retirées sans motif : 124,26 euros,

somme déduite sans motif : 13,89 euros,

1,56 jour de congés payés : 134,52 euros,

RC retirés sans motif : 168,15 euros,

– recevoir son appel incident,

– en conséquence, infirmer le jugement sur les points suivants :

– remettre des bulletins de paie distincts pour les mois de janvier 2020 et février 2020, au titre du contrat de travail à durée déterminée signé en 2020,

– condamner la société Sysco France au paiement d’un mois de salaire, soit 1 720 euros bruts pour non-respect de la procédure de licenciement et à la même somme au titre du préavis,

– condamner la société Sysco France à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 6 juillet 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur la rupture du contrat de travail

La société Sysco France soutient que la rupture du contrat à durée déterminée est due à la survenance d’événements présentant les caractéristiques de la force majeure, tels que définis à l’article 1218 du code civil en ce que les mesures prises par les autorités publiques en lien avec la pandémie liée à la Covid 19 :

– ont échappé à son contrôle

– ne pouvaient être raisonnablement prévues lors de la conclusion du contrat

– ont eu des effets qui n’ont pu être évités par des mesures appropriées

ll résulte de l’article L 1243-1 du code du travail qu’un contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance normale qu’avec l’accord des parties, la survenance d’un cas de force majeure ou la faute grave.

L’article 1218 du code civil dispose qu’il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

En cas de force majeure invoquée par l’employeur, il appartient à ce dernier d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, si lors de la signature du contrat de travail du 20 janvier 2020, ne sont pas contestables l’extériorité et l’imprévisibilité de l’événement de situation sanitaire exceptionnelle liée à la pandémie de Covid-19 et des décisions gouvernementales consécutives, avec une décision de fermeture, par arrêté du 14 mars 2020, complété par un arrêté du 15 mars 2020, jusqu’à nouvel ordre de tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays, compte tenu de l’activité de l’employeur dans la production et la distribution de produits alimentaires frais, surgelés et d’épicerie pour la restauration professionnelle, néanmoins, il reste que ce dernier doit être en mesure de justifier que des mesures appropriées ne pouvaient pas empêcher l’exécution de ses obligations.

Sur ce point, même si la société produit des éléments chiffrés établissant une baisse significative de son activité au cours des semaines de confinement en terme de volume de chiffre d’affaires et non un arrêt total, outre que la salariée avait des missions essentiellement administratives et financières dont il n’est pas établi qu’elles avaient toutes cessé en raison des mesures de confinement, en tout état de cause, le gouvernement a mis en place un dispositif exceptionnel de report de charges fiscales et sociales, de soutien au report d’échéances bancaires et de garanties de l’Etat à hauteur de 300 milliards d’euros pour tous les prêts bancaires et, afin que personne ne soit laissé sans ressources et pour permettre de sauvegarder des emplois, le dispositif de chômage partiel a été massivement élargi, et a été notamment ouvert aux salariés en contrat à durée déterminée pour accroissement d’activité par décret n°2020-325 du 25 mars 2020.Alors certes, cette extension est postérieure à la notification de la rupture, mais elle était très largement prévisible au vu des annonces en ce sens effectuées par les instances gouvernementales en amont du décret.

Aussi, alors que Mme [T] [P] avait été engagée en qualité de gestionnaire crédits clients, que l’activité de l’entreprise n’a pas totalement cessé pendant la période de confinement, qu’en tout état de cause, l’empêchement était temporaire et qu’au cours de l’empêchement des mesures gouvernementales étaient prises pour permettre aux entreprises de maintenir les contrats de travail, c’est à raison que le conseil de prud’hommes a dit la rupture non justifiée par une force majeure.

II – Sur les conséquences de la rupture

L’article L.1243-4 alinéa 1 du code du travail dispose que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8.

Selon l’article L.1243-10 du même code, l’indemnité de fin de contrat n’est pas due :

1° Lorsque le contrat est conclu au titre du 3° de l’article L. 1242-2 ou de l’article L. 1242-3, sauf dispositions conventionnelles plus favorables ;

2° Lorsque le contrat est conclu avec un jeune pour une période comprise dans ses vacances scolaires ou universitaires ;

3° Lorsque le salarié refuse d’accepter la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente ;

4° En cas de rupture anticipée du contrat due à l’initiative du salarié, à sa faute grave ou à un cas de force majeure.

La rupture du contrat de travail n’étant pas justifiée par la force majeure, la salariée est fondée à obtenir paiement des sommes suivantes :

dommages et intérêts : 16 110,65 euros

indemnité de fin de contrat : 1 966,78 euros

S’agissant du préjudice moral, la salariée qui explique avoir perdu son emploi du jour au lendemain et avoir été indemnisée avec retard en raison des erreurs de l’employeur, de sorte que ses droits au chômage ont été ouverts le 19 mai 2020, alors qu’il appartient à la salariée d’établir l’existence de son préjudice, compte tenu des sommes importantes déjà allouées au titre de l’irrégularité de la rupture dans un contexte très particulier, il n’est pas établi l’existence d’un préjudice distinct demeuré non indemnisé.

Aussi, par arrêt infirmatif, la cour rejette cette demande.

Mme [T] [P] sollicite la condamnation de l’employeur à lui rembourser les retenues opérées pour 92,74 euros et 31,52 euros aux motifs qu’elle a bien effectué des heures supplémentaires qui lui ont été retirées par le service comptable pensant de manière erronée qu’elle était soumise à la modulation.

Selon le contrat de travail, conformément aux dispositions légales et conventionnelles en vigueur dans l’entreprise, et plus particulièrement des accords sur le temps de travail, la salariée était soumise à un horaire mensuel moyen de 151,67 heures (35 heures hebdomadaires), réparties selon les pratiques en vigueur dans le service auquel elle était rattachée.

Avec le salaire de septembre, elle a été rémunérée de 6,62 heures supplémentaires à 125 % pour un montant de 92,74 euros au titre de juin 2019 et de 2,25 heures supplémentaires à 125 % au titre de juillet 2019 pour un montant de 31,52 euros. Ces mêmes sommes lui ont été soustraites en novembre 2019, sans que les explications de l’employeur ne soient opérantes au regard de l’application d’une modulation non expressément visée au contrat de travail et contredite par d’autres paiements d’heures supplémentaires.

Par conséquent, la cour confirme le jugement entrepris ayant alloué ces sommes.

S’agissant de la retenue de 13,89 euros sur le bulletin de paie de février 2020, la société Sysco France explique qu’il s’agit d’un trop-perçu du mois de janvier 2020.

L’analyse des bulletins de paie révèle qu’en janvier 2020, il était dû la somme brute de 2 471,59 dont à déduire les cotisations sociales pour un montant total de 538,05 euros, soit la somme nette de 1 933,54 euros.

La salariée a perçu un acompte de 800 euros, puis un virement de 1 147,43 euros, de sorte qu’il y a effectivement un trop-versé de 13,89 euros, justement retenu par l’employeur.

Aussi, la cour infirme le jugement entrepris sur ce point.

Sur la retenue d’1,56 jour de congés payés sur le solde de tout compte au titre de janvier 2020, Mme [T] [P] expose qu’elle avait acquis 14,56 jours de congés payés au 31 décembre 2019 et que seuls 13 jours lui ont été payés.

Il résulte des bulletins de paie que la salariée a été rémunérée en janvier 2020 de 13 jours de congés payés pour ceux acquis à fin décembre 2019.

Si le bulletin de paie mentionnait l’acquisition de 14,56 jours de congés payés à fin décembre 2019, il est avéré et non contredit que la salariée a fait l’objet d’arrêts maladie en octobre et novembre, dont il n’est pas prétendu qu’ils reposeraient sur un motif professionnel, lesquels n’ouvrent pas de droit à congés payés, de sorte que la déduction opérée par l’employeur est fondée et la cour infirme le jugement entrepris ayant alloué une somme à ce titre.

Sur la retenue de repos compensateur, la salariée sollicite 1,91 jour acquis comme cela résulte de son bulletin de paie d’octobre 2019 et qui disparaît en novembre 2019 sans avoir été pris. Alors que l’employeur n’apporte pas de justification opérante sur cette soustraction, c’est pour de justes motifs que les premiers juges ont alloué une somme à ce titre à la salariée.

III – Sur les demandes au titre de l’appel incident de Mme [T] [P]

– remise d’un bulletin de paie conforme pour janvier 2020

Le bulletin de paie émis au 1er janvier 2020 correspond aux sommes dues au titre du contrat expirant au 31 décembre 2019.

Celui émis pour la période du 1er au 29 février 2020 correspond au salaire partiel de janvier 2020, sans mention du salaire dû pour février, tout en visant un congé sans solde du 21 février 2020, tandis que celui émis pour la période du 1er au 31 mars concerne bien le mois en cause.

Il en résulte une irrégularité du bulletin de paie pour janvier et février 2020 justifiant que soit ordonnée l’émission de bulletins de paie réguliers afférents à chacun de ces deux mois.

Par arrêt infirmatif, il est fait droit à la demande de la salariée.

– non-respect de la procédure de licenciement

S’agissant d’une rupture d’un contrat à durée déterminée ne nécessitant pas le respect d’une procédure de licenciement au sens des articles L1232-2 et suivants du code du travail, la salariée a été justement déboutée de cette demande.

– indemnité compensatrice de préavis

La sanction d’une rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée non conforme aux dispositions de l’article L.1243-4 du code du travail réside dans l’octroi de dommages et intérêts à l’exclusion de toute indemnité compensatrice de préavis.

Aussi, cette demande a été rejetée pour de justes motifs.

IV – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, la société Sysco France est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Mme [T] [P] la somme de 1 200 euros en cause d’appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant dans les limites de sa saisine, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en qu’il a alloué une indemnité en réparation du préjudice moral, une retenue injustifiée de 13,89 euros, la somme de 134,52 euros au titre de congés payés acquis et a rejeté la demande de remise de bulletins de paie pour les mois de janvier et février 2020 ;

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [T] [P] de sa demande au titre du préjudice moral, d’une retenue injustifiée de 13,89 euros et de congés payés acquis pour 134,52 euros ;

Ordonne la remise par la société Sysco France à Mme [T] [P] de deux bulletins de salaire identifiant chacun les sommes dues respectivement au titre des mois de janvier et février 2020 ;

Le confirme en ses autres dispositions soumises à la cour,

Condamne la société Sysco France aux entiers dépens de première d’instance et d’appel ;

Condamne la société Sysco France à payer à Mme [T] [P] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute la société Sysco France de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.

La greffière La présidente

 


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