MHD/PR
ARRET N° 550
N° RG 22/00157
N° Portalis DBV5-V-B7G-GOQL
[W]
C/
CRM11 anciennement dénommé
CCA INTERNATIONAL (FRANCE)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 26 OCTOBRE 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 décembre 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de POITIERS
APPELANTE :
Madame [X] [W]
née le 25 août 1983 à [Localité 6] (75)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Ayant pour avocat Me Malika MENARD, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉE :
CRM 11 anciennement dénomée
S.A.S. CCA INTERNATIONAL (FRANCE)
N° SIRET : 384 627 659
dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Localité 5]
Et ayant un établissement secondaire
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Yann MICHOT de la SCP ERIC TAPON – YANN MICHOT, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me A. de GRAAF, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 septembre 2023, en audience publique, devant :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère
Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
GREFFIER, lors de la mise à disposition : Madame Patricia RIVIÈRE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société CCA International, nouvellement dénommée CRM 11, a pour activité la prise en charge de la gestion de l’accueil téléphonique des entreprises qui sont ses clientes.
Elle a embauché Mme [X] [W], dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée couvrant la période du 1er octobre au 1er décembre 2018, ce en qualité de chargée de clientèle. Ce contrat a été renouvelé par avenant en date du 28 novembre 2018 et ce jusqu’au 1er janvier 2019.
Le 16 octobre 2020, Mme [X] [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Poitiers aux fins, en l’état de ses dernières prétentions, de voir :
– requalifier la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée ;
– condamner la société CCA International à lui payer, majorées des intérêts au taux légal, les sommes suivantes :
– 1 498,50 euros à titre d’indemnité de requalification ;
– 1 498,50 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
– 1 498,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 149,85 euros au titre des congés payés y afférents ;
– 700 euros bruts à titre de rappel de prime de décembre 2018 ;
– 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par jugement en date du 7 décembre 2021, le conseil de prud’hommes de Poitiers a :
– débouté Mme [X] [W] de l’intégralité de ses demandes ;
– débouté la société CCA International de sa demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Le 17 janvier 2022, Mme [X] [W] a relevé appel de ce jugement en ce qu’il l’avait déboutée de l’ensemble de ses demandes.
Par conclusions reçues au greffe le 8 avril 2022, Mme [X] [W] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– et, statuant à nouveau :
– de requalifier la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée ;
– de condamner la société CCA International à lui payer, majorées des intérêts au taux légal, les sommes suivantes :
– 1 498,50 euros à titre d’indemnité de requalification ;
– 1 498,50 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
– 1 498,50 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 149,85 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
– 700 euros bruts à titre de rappel de prime de décembre 2018 ;
– 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions reçues au greffe le 6 juillet 2022, la société CCA International demandait à la cour :
– à titre principal, de confirmer le jugement entrepris et en conséquence de débouter Mme [X] [W] de l’intégralité de ses demandes, de condamner Mme [X] [W] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
– à titre subsidiaire, de limiter les demandes de Mme [X] [W] comme suit :
– 1 euro symbolique à titre d’indemnité pour rupture abusive ;
– 359 euros bruts à titre de rappel de prime ;
– en tout état de cause, de débouter Mme [X] [W] de l’intégralité de ses autres demandes.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 16 août 2023 et l’affaire a été renvoyée à l’audience du 13 septembre 2023 à 9 h 15 pour y être plaidée.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
– Sur la demande de requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée formée par Mme [X] [W] et ses demandes consécutives :
Au soutien de son appel, Mme [X] [W] expose en substance :
– qu’en cas de contestation, il appartient à l’employeur d’établir qu’il avait le droit de recourir à un contrat de travail à durée déterminée ;
– que l’accroissement temporaire d’activité doit correspondre à une variation ponctuelle ;
– que son contrat de travail stipulait qu’il était conclu pour une durée déterminée en raison de l’accroissement de l’activité lié aux traitements de fichiers temporaires pour différents clients ;
– que la société CCA International ne justifie pas d’un accroissement d’activité au cours de la période d’emploi ;
– qu’elle a été affectée à un emploi durable et permanent de l’entreprise et a travaillé pour un client habituel de la société CCA International, Ouest-France ;
– que la mise en place d’une nouvelle opération chez un client habituel n’est nullement un accroissement de l’activité de la société CCA International puisque celle-ci a pour activité permanente la gestion d’opérations commerciales ponctuelles pour des clients habituels ;
– qu’en réalité la société CCA International recrute tout au long de l’année et a recours au contrat de travail à durée déterminée, en utilisant le motif de l’accroissement temporaire d’activité, comme période d’essai avant de régulariser un contrat de travail à durée indéterminée le cas échéant ;
– que son contrat de travail à durée déterminée doit être requalifié en contrat à durée indéterminée et que ce contrat requalifié a été rompu sans forme ni motif et donc de manière abusive.
En réponse, la société CRM 11 objecte pour l’essentiel :
– que l’accroissement temporaire d’activité figure parmi les motifs de recours au contrat de travail à durée déterminée prévus par l’article L 1242-2 du Code du travail ;
– que l’accroissement temporaire d’activité doit s’entendre comme l’augmentation temporaire de l’activité habituelle de l’entreprise et qu’il n’est pas nécessaire que cet accroissement présente un caractère exceptionnel ;
– qu’en l’espèce, pour générer son activité, elle répond à des appels d’offres d’entreprises telles que Engie, Canal + ou Ouest France ;
– que les sociétés clientes peuvent avoir des accroissements de volumes d’appels par exemple lorsqu’elles mettent en place une campagne spécifique ou une offre promotionnelle ;
– que ces campagnes ou ces offres vont générer une augmentation du volume des appels et nécessiter donc une augmentation ponctuelle et temporaire de ses effectifs ;
– que ces campagnes ne constituent pas l’activité normale et permanente de l’entreprise ;
– que tel fut le cas pour la période d’août à décembre 2018 durant laquelle elle a dû faire face à une forte augmentation du volume d’affaires à traiter pour Ouest France ;
– que cette augmentation a entraîné le recrutement de 5 salariés en contrat de travail à durée déterminée ;
– que, contrairement à ce que soutient Mme [X] [W], elle ne recrute pas toute l’année.
L’article L 1242-2 du Code du travail énonce que, sous réserve des dispositions de l’article L 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas qu’il énumère, parmi lesquels figure l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
Selon l’article L 1245-1 du même code, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L 1242-1 à L 1242-4, L 1242-6, L 1242-7, L 1242-8-1, L 1242-12 alinéa 1er, L 1243-11 alinéa 1er, L 1243-13-1, L 1244-3-1 et L 1244-4-1.
Le motif du recours à un contrat à durée déterminée s’apprécie au jour de sa conclusion et c’est à l’employeur qu’il appartient de rapporter la preuve d’un accroissement temporaire de son activité lorsque c’est à ce motif qu’il a eu recours à un CDD, à défaut de quoi il encourt la requalification du CDD en CDI.
Les effets de la requalification, lorsqu’elle est prononcée, remontent à la date du premier contrat à durée déterminée irrégulier.
En l’espèce, dans le but de rapporter la preuve de l’accroissement d’activité au motif duquel elle a engagé Mme [X] [W] à compter du 1er octobre 2018, l’employeur verse aux débats, en tout et pour tout :
– sa pièce n°1 : il s’agit d’un ensemble de courriels échangés entre lui et Ouest-France les 29 et 30 août 2018 qui, bien qu’il semble se rapporter à un projet de commande de prestations par cette dernière auprès de l’entreprise, ne rend pas compte d’un accord ferme et définitif, étant relevé à cet égard que M. [E] de la société CCA International écrivait à son correspondant de Ouest France, le 29 août 2018 à 14 h 39, qu’il organisait une montée en charge pour une cible de 20 ETP quand, dans ses conclusions, la société soutient que l’augmentation de son activité liée à la commande Ouest France avait entraîné le recrutement de 5 salariés en contrat de travail à durée déterminée.
– sa pièce n°2 : il s’agit d’un document établi par l’employeur lui-même qui mentionne la nécessité d’embaucher 5 salariés en CDD pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2018 en raison d’un accroissement d’activité. La cour relève qu’outre le fait que ce document a été établi par l’employeur lui-même, son contenu n’est corroboré par aucun élément objectif et fiable qui permette de retenir que l’accroissement d’activité de l’entreprise qui y est évoqué a été réel.
Aussi alors, comme cela a déjà été exposé, qu’il appartient à la société CRM 11, anciennement dénommée CCA International, de démontrer que durant la période d’emploi de Mme [X] [W], du fait de l’opération ponctuelle Ouest-France dont elle fait état ou de toute autre cause, son activité globale a connu un accroissement temporaire, les pièces qu’elle verse aux débats ne suffisent pas à faire cette démonstration.
En conséquence, la cour requalifie la relation de travail ayant existé entre les parties à compter du 1er octobre 2018 en contrat de travail à durée indéterminée.
Aux termes de l’article L 1245-2 alinéa 2 du Code du travail, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
Aussi, faisant application de ces dispositions, la cour condamne la société CRM 11 à payer à Mme [X] [W] la somme de 1 500 euros à titre d’indemnité de requalification.
En outre la relation de travail s’étant inscrite dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er octobre 2018, et l’employeur ayant mis fin à cette relation sans forme ni respect des règles de la procédure de licenciement et notamment sans avoir énoncé les motifs de la rupture, Mme [X] [W] peut prétendre au paiement des indemnités de rupture que sont l’indemnité compensatrice de préavis majorée des congés payés afférents et celle pour licenciement abusif.
En conséquence, la cour condamne la société CRM 11 à payer à Mme [X] [W] la somme de 1 498,50 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre celle de 149,85 euros bruts au titre des congés payés afférents.
La cour condamne encore la société CRM 11 à payer à Mme [X] [W], en application des dispositions de l’article L 1235-3 du Code du travail, et en tenant compte, pour fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse due à la salariée entre le minimum et le maximum prévu par ce texte, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à cette dernière, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la somme de 1 000 euros.
– Sur la demande d’un rappel de prime formée par Mme [X] [W] :
Au soutien de son appel, Mme [X] [W] expose en substance :
– qu’en raison de ses résultats du mois de décembre 2018 elle aurait dû percevoir la prime prévue à ce titre, soit la somme de 700 euros ;
– que pour échapper à son obligation de lui payer cette prime, la société CCA International a prétendu qu’elle avait été placée en absence injustifiée durant 3 jours au cours du mois de décembre 2018 ;
– que pourtant elle n’a pas été en situation d’absence injustifiée au cours de ce mois mais a subi une panne de véhicule en raison de laquelle elle a demandé à son responsable d’être placée en congés payés durant 3 jours le temps de faire réparer ce véhicule, ce qui lui a été accordé.
En réponse, l’employeur objecte pour l’essentiel :
– que la prime dont Mme [X] [W] réclame le paiement est une prime d’objectifs non contractuelle qui est fonction des résultats du salarié ;
– que Mme [X] [W] n’a pas bénéficié de cette prime pour décembre 2018 car elle a été en absences injustifiées durant 3 jours au cours de ce mois de décembre 2018 ;
– que si Mme [X] [W] a sollicité 3 jours de congés payés au cours du mois de décembre 2018, ces congés payés lui ont été refusés ;
– qu’en outre la somme de 700 euros réclamée à ce titre par Mme [X] [W] ne correspond à rien, la prime maximale accordée par Ouest France s’étant élevée à 359 euros bruts.
La cour observe que si Mme [X] [W] justifie avoir perçu une prime d’objectif au titre des mois d’octobre et de novembre 2018, son contrat de travail ne stipulait pas le versement d’une prime quelconque et la salariée ne démontre ni même ne soutient que le versement de cette prime revêtait un caractère obligatoire pour l’employeur.
Par ailleurs il est constant que Mme [X] [W] n’a pas travaillé durant 3 jours au cours du mois de décembre 2018 et, alors qu’elle soutient avoir été placée en congés payés durant ces trois jours avec l’accord de l’employeur, elle ne justifie aucunement de cet accord dont la société CRM 11 fait valoir qu’il n’a jamais été donné.
Enfin Mme [X] [W] ne produit aucun élément rendant compte de ses résultats du mois de décembre 2018 qui, selon elle, auraient justifié que lui soit versée une prime d’objectifs.
En conséquence, la cour déboute Mme [X] [W] de sa demande de ce chef.
– Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Les prétentions de Mme [X] [W] étant pour une large partie fondées, la société CRM 11 sera condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [X] [W] l’intégralité des frais par elle exposés et non compris dans les dépens. Aussi, la société CRM 11 sera condamnée à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel, la cour infirmant par ailleurs le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [X] [W] de sa demande d’indemnité sur ce même fondement en première instance et condamnant la société CRM 11 à verser à Mme [X] [W] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Infirme le jugement sauf en ce qu’il a :
– débouté Mme [X] [W] de sa demande de rappel de prime d’objectifs pour décembre 2018 ;
– débouté la société CCA International de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Et, statuant à nouveau :
– requalifie la relation contractuelle ayant existé entre les parties à compter du 1er octobre 2018 en contrat de travail à durée indéterminée ;
– condamne la société CRM 11 à payer à Mme [X] [W], majorées des intérêts au taux légal, les sommes suivantes :
– 1 500 euros à titre d’indemnité de requalification ;
– 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;
– 1 498,50 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 149,85 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
– 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ;
Et, y ajoutant, condamne la société CRM 11 à verser à Mme [X] [W] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’appel ainsi qu’aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,