COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 25 MAI 2023
PRUD’HOMMES
N° RG 21/04328 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MHWN
S.A.R.L. DECOR DEPOT CONTENEUR REPARATION
c/
Monsieur [D] [P]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 33063/02/21/20457 du 16/09/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BORDEAUX)
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 juin 2021 (R.G. n°F 19/01463) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d’appel du 26 juillet 2021.
APPELANTE :
S.A.R.L. DECOR DEPOT CONTENEUR REPARATION prise en la personne de son Gérant en exercice, domicilié en cette qualité aut siège ESPACE SEINE [Adresse 2]/FRANCE
Représentée par Me Stanislas LAUDET de la SELARL STANISLAS LAUDET, avocat au barreau de BORDEAUX
Assistée par Me Pauline MAHE, avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Stanislas LAUDET
INTIMÉ :
[D] [P]
né le 24 Avril 1975 à TALMAST (MAROC)
de nationalité Marocaine
Profession : Conducteur d’engins, demeurant [Adresse 1]
Représenté et assisté par Me Olivier MEYER de la SCP GUEDON – MEYER, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 01 mars 2023 en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Eric Veyssière, président
Madame Sophie Lesineau, conseillère
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière
Greffière lors du prononcé : Sylvaine Déchamps
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
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EXPOSE DU LITIGE
La société Décor Dépôt Conteneur Réparation a engagé M. [P] en qualité de soudeur polyvalent par un contrat de travail à durée déterminée du 26 février 2018 au 31 août 2018.
La relation contractuelle a été soumise à la convention collective régionale des ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne.
Le 16 avril 2018, M. [P] a été victime d’un accident du travail.
La relation contractuelle a pris fin au terme du contrat de travail à durée déterminée, soit le 31 août 2018.
Le 14 octobre 2019, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux aux fins de:
– voir requalifier le contrat à durée déterminée en date du 26 février 2018 en contrat à durée indéterminée,
– voir condamner la société Décor Dépôt Conteneur Réparation au paiement de diverses sommes :
– à titre d’indemnité de requalification,
– à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents,
– à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– voir condamner la société Décor Dépôt Conteneur Réparation à régler à la société Guedon-Meyer la somme de 2 000 euros, à charge pour elle de renoncer à percevoir l’indemnité d’aide juridictionnelle,
– voir ordonner la capitalisation des intérêts,
– voir ordonner l’exécution provisoire,
– voir condamner la société Décor Dépôt Conteneur Réparation aux entiers dépens.
Par demande reconventionnelle, la société Décor Dépôt Conteneur Réparation a sollicité du conseil de prud’hommes qu’il condamne M. [P] au paiement de diverses sommes en remboursement d’un trop perçu de salaire et sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement de départage du 29 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a:
– déclaré recevable l’action engagée par M. [P] à l’encontre de la société Décor Dépôt Conteneur Réparation,
– réputé conclu à durée indéterminée le contrat à durée déterminée signé entre les parties pour la période initiale du 28 février 2018 au 31 août 2018,
– dit que la rupture de ce contrat ainsi requalifié à durée indéterminée emporte les effets d’un licenciement nul,
– condamné la société Décor Dépôt Conteneur Réparation à régler à M. [P] les sommes suivantes, avec application de l’intérêt au taux légal à compter du 8 novembre 2019 et capitalisation sous réserve d’intérêts dus pour une année au moins, :
– 1 862 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 1 862 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 186,20 euros de congés payés y afférents,
– 11 172 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
– rappelé qu’en application de l’article R 1454-28 du code du travail sont de droit à titre provisoire :
1° le jugement qui n’est susceptible d’appel que par suite d’une demande reconventionnelle,
2° le jugement qui ordonne la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l’employeur est tenu de délivrer,
3° le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,
– fixé à hauteur de 1 862 euros bruts la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [P],
– condamné M. [P] à verser à la société Décor Dépôt Conteneur Réparation la somme de 236,52 euros, avec application de l’intérêt au taux légal à compter du 31 mai 2021,
– condamné la société Décor Dépôt Conteneur Réparation à payer à la société Guedon-Meyer une indemnité pour frais irrépétibles d’instance de 1 500 euros, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l’Etat versée au titre de l’aide juridictionnelle,
– condamné la société Décor Dépôt Conteneur Réparation aux entiers dépens,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire au-delà de celle de droit.
Par déclaration du 26 juillet 2021, la société Décor Dépôt Conteneur Réparation a relevé appel du jugement.
Par ses dernières conclusions en date du 5 octobre 2022, la société Décor Dépôt Conteneur Réparation sollicite de la Cour qu’elle :
– confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné M. [P] à lui verser la somme de 236,52 euros, avec application de l’intérêt au taux légal à compter du 31 mai 2021,
– infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a condamné M. [P] à lui verser la somme de 236,52 euros, avec application de l’intérêt au taux légal à compter du 31 mai 2021,
Et, statuant à nouveau,
– juge que la réalité du motif du recours du contrat de travail à durée déterminée tiré de l’accroissement temporaire d’activité est caractérisée,
– déboute M. [P] de toutes ses demandes,
– condamne M. [P] à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 décembre 2021, M. [P] sollicite de la Cour qu’elle :
– confirme le jugement déféré,
– déboute la société Décor Dépôt Conteneur Réparation de ses demandes,
– condamne la société Décor Dépôt Conteneur Réparation à verser à la société Guedon-Meyer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, à charge pour elle de renoncer à percevoir l’indemnité d’aide juridictionnelle,
– ordonne la capitalisation des sommes dues à titre d’intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– condamne la société Décor Dépôt Conteneur Réparation aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
L’affaire a été fixée au 1er mars 2023 pour être plaidée;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la requalification du contrat de travail
L’article L. 1242- 1 du code du travail dispose qu’un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise.
Aux termes de l’article L.1242-2 du code du travail un contrat à durée déterminée peut être conclu pour faire face à un accroissement d’activité.
Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’un accroissement temporaire de l’activité justifiant le recours à un contrat à durée déterminée.
L’accroissement d’activité constant et durable de l’activité n’est pas de nature à justifier le recours au contrat à durée déterminée.
Le surcroît d’activité s’inscrivant dans le cadre de l’activité normale et permanente de l’entreprise ne revêt pas le caractère temporaire autorisant le recours au contrat à durée déterminée.
En application de l’article L. 1245-2 du code du travail si le contrat à durée déterminée est requalifié en contrat à durée indéterminée, il est accordé au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
En l’espèce, le contrat à durée déterminée de M. [P], du 26 février 2018 au 31 août 2018, avec la société Décor Dépôt Conteneur Réparation fait état du motif de recours suivant: ‘Monsieur [D] [P] est engagé en vue de faire face à un accroissement temporaire d’activité lié au slot MSC et CMA.’
Au soutien de ses prétentions la société Décor Dépôt Conteneur Réparation fait valoir, en substance, que l’accroissement d’activité justifié par un surcroît de commandes, était bien temporaire et faisait suite à une relation commerciale avec deux clients, MSC et CMA ayant fait part au mois de novembre 2017 à la société Naviland Cargo [Localité 3] (actionnaire majoritaire de la SARL Decor exerçant une activité de transporteur ferroviaire et de manutentionnaire) de s’engager sur un volume d’activité important auprès d’elle. Cette relation commerciale n’avait pas perduré au delà du mois de décembre 2018 et le surcroît d’activité était bien réel à la date de la conclusion du contrat de travail de M. [P] en qualité de soudeur venant en renfort quand bien même ce surcroît d’activité ne se serait pas maintenu.
Elle ajoute qu’elle justifie des entrées et sorties des conteneurs vides impliquant un accroissement temporaire d’activité pour la société Décor telles que des prestations de gestion de parc, de stockage ainsi que les prestations associées telles que les préparations alimentaires, de kit de réparation qui lui ont été confiées par la société Naviland Cargo [Localité 3].
La société Décor Dépôt Conteneur Réparation précise qu’au vu du livre d’entrées et de sorties du personnel elle démontre que M. [P] n’a pas été remplacé au terme de son contrat à durée déterminée.
Elle en déduit que la réalité du motif du recours du contrat de travail à durée déterminée est caractérisé et qu’il convient d’infirmer le jugement entrepris sur ce point.
La Cour relève que des pièces versées aux débats par l’employeur, qui concernent exclusivement l’activité liée au ‘slot MSC et CMA’, il ne ressort pas de première part, que ces nouvelles relations commerciales sont temporaires à la date de la conclusion du contrat à durée déterminée de M. [P] et de deuxième part qu’elles auraient entraîné un accroissement temporaire de l’entreprise qui exercait son activité au travers de six établissements.
A la date de la conclusion du contrat de travail à durée déterminée de M. [P], le 26 février 2018 il apparaît que les deux clients MSC et CMA CGM ont fait part au mois de novembre 2017 de leur intention à la société Naviland Cargo [Localité 3] de s’engager sur un volume d’activité auprès d’elle sans qu’il soit démontré que ce volume d’activité soit temporaire.
Dés lors, il importe peu que le directeur administratif et financier de la société, M. [W], atteste que la situation s’est dégradée au vu du contexte économique des mois de mai à juillet 2018 soit postérieurement à la date de la conclusion du contrat à durée déterminée de M. [P].
En sus, la Cour retient que les seules données afférentes au ‘slot MSC et CMA CGM’ ne sont, en tout état de cause, pas suffisantes à démontrer un accroissement temporaire d’activité de la société Décor Dépôt Conteneur Réparation dans sa globalité.
Il ressort des pièces versées aux débats par le salarié que, bien au contraire, l’activité de la société Décor Dépôt Conteneur Réparation a été décroissante en voyant son chiffre d’affaires baisser de 23% entre 2017 et 2018. Cette baisse d’activité démontre que la nouvelle relation commerciale n’a en réalité entraîné aucun accroissement ni temporaire, ni permanent de l’activité.
Enfin, bien que la société Décor Dépôt Conteneur Réparation affirme ne pas avoir remplacé le salarié au terme de son contrat de travail à durée déterminée le 31 août 2018, il ressort du registre du personnel qu’elle produit aux débats qu’un soudeur polyvalent, tout comme M. [P], M. [N] a été embauché le 10 septembre 2018.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société Décor Dépôt Conteneur Réparation ne démontre pas la réalité de l’accroissement temporaire d’activité pouvant justifier le recours à un contrat à durée déterminée pour embaucher M. [P].
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris dans ses dispositions qui requalifient le contrat à durée déterminée signé par les parties pour la période du 28 février 2018 au 31 août 2018 en contrat à durée indéterminée, qui allouent à M [P] une indemnité de requalification à hauteur de 1 862 euros.
Sur la nullité du licenciement
Il résulte des articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail, qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail du salarié consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit d’une faute grave du salarié soit de l’impossiblité de maintenir le contrat pour un motif étranger à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.
La rupture d’un contrat à durée déterminée par la seule survenance de son terme s’analyse en un licenciement abusif lorsque le contrat à durée déterminée a été requalifié en contrat à durée indéterminée.
En l’espèce, la rupture du contrat de travail de M. [P] est intervenue par la seule survenance de son terme, au cours de la suspension de son contrat de travail consécutive à l’accident du travail dont il a été victime le 16 avril 2018. Compte tenu de la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la rupture du contrat s’analyse en un licenciement pendant la période de protection du salarié visée aux articles précités sans que l’employeur justifie soit d’une faute grave du salarié, soit de l’impossiblité de maintenir le contrat pour un motif étranger à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.
Le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé en ses dispositions disant que la rupture du contrat de M. [P] requalifié à durée indéterminée emporte les effets d’un licenciement nul.
Le salarié victime d’un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, aux indemnités de rupture et à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement au moins égale à 6 mois de salaire.
Il n’est pas contesté que le salaire brut moyen de M. [P] était de 1 862 euros.
Il convient dès lors de confirmer le jugement déféré dans ses dispositions qui condamnent la société Décor Dépôt Conteneur Réparation à régler à M. [P] les sommes de 1 862 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de 186,20 euros au titre de l’indemnité de congés payés y afférents, de 11 172 euros au titre de l’indemnité pour licenciement nul.
Sur le solde négatif du décompte du salaire du mois d’août 2018
Les parties ne contestent pas un solde négatif de 236,52 euros à la charge du salarié sur le bulletin de salaire du mois d’août 2018.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris dans ses dispositions ayant condamné M. [P] à verser à la société Décor Dépôt Conteneur Réparation la somme de 236,52 euros avec application de l’intérêt au taux légal à compter du 31 mai 2021.
Sur les autres demandes
Il convient de faire droit à la demande de M. [P] et d’ordonner la capitalisation des sommes dues à titre d’intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
La société Décor Dépôt Conteneur Réparation, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et les dépens d’appel, au paiement desquels elle sera condamnée, le jugement déféré étant confirmé en conséquence.
L’équité commande de ne pas laisser à M. [P] la charge des frais non compris dans les dépens exposés à hauteur d’appel. En application des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article 700 du code de procédure civile, la société Décor Dépôt Conteneur Réparation sera condamnée à verser son conseil la somme de 3 000 euros à charge pour ce dernier de renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle accordée.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement entrepris,
Y ajoutant,
ORDONNE la capitalisation des sommes dues à titre d’intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil. ;
CONDAMNE la société Décor Dépôt Conteneur Réparation à verser à la SCP GUEDON-MEYER la somme de 3 000 euros à charge pour elle de renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle accordée pour la présente procédure ;
CONDAMNE la société Décor Dépôt Conteneur Réparation aux dépens d’appel.
Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Sylvaine Déchamps Eric Veyssière