CDD pour accroissement d’activité : décision du 24 novembre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/01549
CDD pour accroissement d’activité : décision du 24 novembre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/01549

ARRÊT DU

24 Novembre 2023

N° 1684/23

N° RG 21/01549 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T4RS

MLB/CL

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lille

en date du

09 Septembre 2021

(RG F19/00433 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 24 Novembre 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

Mme [L] [S]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Hélène POPU, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Association FACE [Localité 4] METROPOLE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Caroline BARBE, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 04 Octobre 2023

Tenue par Muriel LE BELLEC

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Angelique AZZOLINI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER faisant fonction de PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

Nathalie RICHEZ-SAULE

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller et par Serge LAWECKI , greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 septembre 2023

EXPOSÉ DES FAITS

Mme [L] [S], née le 19 mai 1991, a été embauchée en qualité de chargée de mission éducation par l’association FACE Métropole Européenne de [Localité 4], qui emploie au moins onze salariés, par contrat de travail à durée déterminée du 10 septembre 2018 au 10 mars 2019, motivé par un accroissement d’activité.

Sa rémunération brute mensuelle était fixée à 1 800 euros.

Les documents de rupture ont été établis le 10 mars 2019.

Par requête reçue le 6 mai 2019, Mme [L] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille pour obtenir la requalification du contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et diverses indemnités.

Par jugement en date du 9 septembre 2021, dont copies adressées aux parties le 1er octobre 2021, le conseil de prud’hommes a dit que le motif de recours au CDD est licite, débouté Mme [L] [S] de ses demandes au titre de la requalification du CDD en CDI, dit que le contrat s’est exécuté de bonne foi et s’est terminé au terme fixé, débouté Mme [L] [S] de ses demandes au titre de la non exécution de bonne foi du contrat de travail et au titre de la discrimination, condamné Mme [L] [S] à payer à l’association FACE Métropole Européenne de [Localité 4] la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, débouté les parties de toutes autres demandes et condamné Mme [L] [S] aux dépens.

Le 11 octobre 2021, Mme [L] [S] a interjeté appel de ce jugement.

Par ses conclusions reçues le 9 mars 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [L] [S] sollicite de la cour qu’elle infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, qu’elle requalifie son contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et condamne l’association FACE Métropole Européenne de [Localité 4] aux sommes de :

1 800 euros à titre d’indemnité de requalification

1 800 euros pour non respect de la procédure de licenciement

1 800 euros pour licenciement abusif

10 800 euros de dommages et intérêts pour non-exécution de bonne foi du contrat de travail et discrimination en fonction de son état de santé

4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle demande également à la cour d’ordonner que les condamnations soient assorties de l’intérêt légal à compter de l’introduction de la demande et la capitalisation des intérêts dus pour une année entière et de dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, l’exécution devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier de justice et le montant des sommes retenues par celui-ci en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 fixant le tarif des huissiers supporté par l’association FACE Métropole Européenne de [Localité 4], en sus de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ses conclusions reçues le 14 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, l’association FACE [Localité 4] Métropole sollicite de la cour qu’elle confirme le jugement et condamne Mme [L] [S] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été ordonnée le 13 septembre 2023.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la demande de requalification et ses conséquences

Selon l’article L.1242-1 du code du travail, un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Il ne peut, en application de l’article L.1242-2 du code du travail, être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, dans un certain nombre de cas limité, dont l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise. L’article L.1242-12 du code du travail dispose que le contrat à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, à défaut de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

En cas de litige sur le motif du recours, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée.

Mme [L] [S] conteste le motif du recours au contrat à durée déterminée en soulignant que son emploi n’était pas temporaire, que dès son départ l’association a publié une candidature pour un poste similaire, que le fait que l’association fonctionne principalement avec des subventions ou qu’elle n’a pas obtenu une enveloppe supplémentaire pour le projet Wi-filles ne justifiait en rien la nécessité de recourir à des CDD sur les projets, que son contrat de travail ne faisait pas mention du motif précis de recours.

Le contrat de travail à durée déterminée par lequel l’association FACE Métropole Européenne de [Localité 4] a embauché Mme [L] [S] en qualité de chargée de mission éducation du 10 septembre 2018 au 10 mars 2019 est motivé par un « accroissement d’activité » de l’association, sans autre précision ni même mention du caractère temporaire de cet accroissement d’activité.

Mme [L] [S] justifie que l’association a diffusé dès le 20 mars 2019 une nouvelle offre d’emploi en contrat à durée déterminée pour un chargé de mission éducation.

L’association intimée expose qu’elle déploie de nombreuses actions en vue de lutter contre l’exclusion, les discriminations et la pauvreté, que l’existence et la pérennité des projets mis en place dépendent du financement de ceux-ci, que les financements de ses projets sont exclusivement constitués de subventions publiques, que le projet Wi-filles pour lequel Mme [L] [S] a été recrutée est lui aussi lié aux différentes subventions publiques, que seul 40 % du projet Wi-filles était subventionné, qu’elle a vainement tenté de trouver d’autres subventions publiques, que la continuité de ce projet était incertaine, que le lancement de ce projet constituait un motif de recours au CDD puisqu’aucune activité permanente n’a été assurée.

Elle produit :

– l’avenant 1 à la convention subséquente à la convention pluriannuelle relative au projet investir dans les jeunesses de la métropole européenne de [Localité 4], signée le 9 juin 2017 avec la MEL, actant notamment l’ajout d’une nouvelle action portée par l’association FACE, intitulée Wi-Filles (visant à sensibiliser les filles au numérique et à ses métiers et à promouvoir l’égalité filles-garçons en luttant contre les stéréotypes des métiers dits masculins). Cet avenant prévoit le financement à hauteur de 40 % du montant prévisionnel de l’action via une subvention PIA versée par la MEL et précise que le calendrier de cette action s’échelonne de son lancement en janvier 2019 au bilan final de l’expérimentation et essaimage début juillet 2020.

– un courrier en date du 9 avril 2019 de la direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité rejetant la demande de subvention de l’association FACE pour l’action Wi-filles.

– l’attestation de Mme [L] [W], responsable éducation, mentionnant qu’une rencontre a eu lieu avec Mme [L] [S] le 5 mars 2019 sur les suites possibles à son contrat de travail, qu’un CDD de quatre mois lui a été proposé car le projet dont elle était référente n’était financé qu’à hauteur de 40 % et que l’association n’avait pas la visibilité financière pour lui proposer un CDD plus long ou un CDI.

– le contrat à durée déterminée par lequel elle a engagée Mme [J] du 25 avril 2019 au 25 août 2019 en tant que chargée de projet éducation-projet Wi-filles.

Il résulte du dossier qu’en sa qualité de chargée de mission éducation, Mme [L] [S] a été chargée du programme Wi-filles, même si son contrat de travail définit ses missions de façon plus générale et ne vise pas cette action. L’incertitude sur le financement de ce projet, dépendant de subventions publiques, ne suffit pas pour autant à démontrer que cette action était constitutive pour l’association, au regard des différentes actions qu’elle met en oeuvre, d’une augmentation temporaire de travail qui ne correspondait pas à son volume d’activité habituelle.

L’intimée ne rapporte donc pas la preuve qui lui incombe de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée du 10 septembre 2018 et ne justifie pas du bien fondé de l’embauche à durée déterminée de Mme [L] [S]. Le jugement sera donc infirmé et la relation de travail requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée en application de l’article L.1245-1 du code du travail.

La salarie’e a droit en application de l’article L.1245-2 du code du travail a’ une indemnite’ de requalification qui ne peut être inférieure au dernier mois de salaire perc’u avant la saisine de la juridiction, justifiant l’octroi de la somme de 1 800 euros.

La rupture de la relation de travail requalifiée à durée indéterminée, qui est intervenue le 10 mars 2019 sans envoi d’une lettre de licenciement motivée, s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En considération de l’ancienneté de la salariée, de sa rémunération brute mensuelle, de son âge, de sa capacité à retrouver un emploi et des justificatifs de son inscription à Pôle Emploi jusqu’en septembre 2019, il convient de lui allouer la somme de 1 800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l’article L.1235-3 du code du travail.

En application de l’article L.1235-2 dernier alinéa du code du travail, le licenciement est survenu en violation des dispositions de l’article L.1232-2 du code du travail puisque la salariée n’a fait l’objet d’aucune convocation à un entretien préalable. Toutefois, une telle irrégularité ne donne lieu à réparation que lorsque le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui, en l’espèce, n’est pas le cas.

Sur la demande d’indemnité pour non exécution de bonne foi du contrat de travail et discrimination

Au soutien de sa demande, Mme [L] [S] fait valoir que son contrat de travail prévoyait une période d’essai excédant deux semaines, que l’association l’a reconduite unilatéralement en lui adressant un recommandé la veille de son hospitalisation, ce qui l’a laissée dans l’incertitude et la précarité. Elle ajoute que les véritables raisons qui ont poussé l’association à mettre fin à son contrat de travail résident dans ses difficultés de santé qui la contraignaient à une chimiothérapie.

Mme [L] [S] ne présente pas, en application des articles L.1132-1 et L.1134-1 du code du travail, d’éléments de fait laissant supposer que la décision de l’association de mettre fin à son contrat de travail procédait d’une discrimination liée à son état de santé. Il résulte au contraire des attestations émanant de Mme [W], Mme [H] et M. [N], respectivement responsable éducation, responsable entreprise et responsable territoires, toutes établies conformément à l’article 202 du code de procédure civile, que l’association était informée des problèmes de santé de la salariée lorsqu’elle l’a embauchée en septembre 2018 et lorsqu’elle lui a proposé début mars 2019 le renouvellement de son contrat à durée déterminée pour quatre mois, ce que Mme [L] [S] a refusé avant de se raviser tardivement.

En revanche, l’intimée ne conteste pas que la durée de la période d’essai fixée par le contrat de travail (trente jours) excédait la durée prévue par l’article L.1242-10 du code du travail (deux semaines) compte tenu de la durée prévue du contrat. De plus, l’association a notifié à Mme [L] [S] le renouvellement de sa période d’essai pour un mois par lettre recommandée du 29 septembre 2018, sans l’accord de la salariée et alors que la période d’essai d’un contrat à durée déterminée ne peut pas être renouvelée. Mme [L] [S] a donc été laissée dans l’incertitude sur le devenir de son contrat de travail bien au delà de la durée légale de quinze jours, alors même que son époux était à la même époque demandeur d’emploi. Le préjudice qu’elle a subi sera indemnisé par l’octroi de la somme de 500 euros.

Sur les demandes accessoires

Il convient d’infirmer le jugement du chef de ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile, de débouter l’association FACE [Localité 4] Métropole de sa demande de ce chef et de la condamner à verser à Mme [L] [S] la somme de 1 800 euros au titre de ses frais irrépétibles .

Les sommes indemnitaires allouées portent intérêts de retard au taux légal à compter de l’arrêt en application de l’article 1231-7 du code civil auquel il n’y a pas lieu de déroger. Les intérêts dus pour une année entière se capitalisent en application de l’article 1343-2 du code civil.

Outre le fait que l’article 10 du décret nº96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale, invoqué dans les conclusions de Mme [L] [S] a été abrogé par le Décret nº 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice et a été repris à l’article A. 444-32 du code de commerce, les droits visés par ces dispositions ne constituent pas des dépens et ont été réglementairement prévus comme restant à la charge du créancier de l’exécution sans que le juge puisse y déroger .

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [L] [S] de ses demandes indemnitaires pour procédure irrégulière et discrimination.

Infirme le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau :

Requalifie le contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 10 septembre 2018.

Condamne l’association FACE [Localité 4] Métropole à payer à Mme [L] [S] les sommes de :

1 800 euros à titre d’indemnité de requalification

1 800 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

500 euros à titre d’indemnité pour non respect des règles sur la période d’essai.

Déboute l’association FACE [Localité 4] Métropole de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne l’association FACE [Localité 4] Métropole à payer à Mme [L] [S] la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dit que les sommes indemnitaires allouées portent intérêts de retard au taux légal à compter de l’arrêt.

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

Condamne l’association FACE [Localité 4] Métropole aux dépens de première instance et d’appel, ne comprenant pas les droits visés par l’article A. 444-32 du code de commerce.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

Le conseiller désigné pour exercer les fonctions de président

Muriel LE BELLEC

 


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