ARRÊT DU
24 Novembre 2023
N° 1766/23
N° RG 21/00915 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TUSI
GG/CH
Articles 37 et 700-2
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE
en date du
22 Avril 2021
(RG 19/01377 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 24 Novembre 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [B] [P]
[Adresse 1]
représenté par Me Vincent PLATEL, avocat au barreau de LILLE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/005938 du 10/06/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
S.A.R.L. FORMASERVICES
[Adresse 2]
représentée par Me Sandrine KHEMIS, avocat au barreau de MARSEILLE, substitué par Me Camille BELLAIS, avocat au barreau de MARSEILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 06 Septembre 2023
Tenue par Gilles GUTIERREZ
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
Nathalie RICHEZ-SAULE
: CONSEILLER
Le prononcé de l’arrêt a été prorogé du 20 octobre 2023 au 24 novembre 2023 pour plus ample délibéré.
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, Conseiller désigné pour excercer les fonctions de Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 16 août 2023
EXPOSE DU LITIGE
La SARL FORMASERVICES a pour activité la prestation de services en informatique. Elle emploie habituellement moins de 10 salariés et applique la convention collective nationale de la papeterie, fournitures de bureau et informatique et de la librairie (commerce de détail).
Elle a engagé M. [B] [P], né en 1988, en qualité de technicien formateur en informatique dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée du 17/10/2017, jusqu’au 01/07/2018, puis du 15 au 19/10/2018.
Les contrats précisent que l’embauche du salarié est justifiée par un accroissement temporaire de l’activité de la société FORMASERVICES afin d’effectuer un travail à temps plein pour une mission informatique en délégation chez le client STIM PLUS (SPIE pour le contrat du 11/10/2018), l’employeur ne pouvant pas faire face pour cette période à l’ensemble de ses contrats en cours avec son seul personnel salarié.
Après avoir vainement réclamé amiablement le paiement de frais et de rappel de salaire pour heures supplémentaires, M. [P] a saisi le 31/10/2019 le conseil de prud’hommes de Lille d’une demande de requalification de la relation de travail en durée indéterminée, et pour obtenir le paiement de diverses sommes relatives à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.
Par jugement du 22/04/2021, le conseil de prud’hommes a :
-dit et jugé qu’il n’y avait pas lieu à requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
-dit et jugé que les rappels de salaire pour heures supplémentaires et frais professionnels ne sont pas démontrés,
-débouté M. [P] de l’intégralité de sa demande,
-débouté la SARL FORMASERVICES de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 26/05/2021, M. [B] [P] a interjeté appel de la décision précitée.
Selon ses conclusions d’appelant reçues le 31/12/2021, M. [P] demande à la cour d’infirmer la décision déférée en ses dispositions relatives à la requalification des contrats de travail de M. [P] et ses conséquences, ainsi qu’au titre de sa demande de remboursement de ses frais professionnels et des frais irrépétibles, et de :
-requalifier l’ensemble des contrats de travail à durée déterminée successifs exécutés par M. [P] au bénéfice de la société FORMASERVICES en un contrat à durée indéterminée pour la période du 17 octobre 2017 au 19 octobre 2018 et en tirer les conséquences de droit,
-débouter la société FORMASERVICES de sa demande de compensation entre les frais de réparation du véhicule de location accidenté et les sommes dues au titre de ses frais professionnels,
-condamner la SARL FORMASERVICES à lui payer les sommes qui suivent :
-indemnité de requalification : 1 498,59 €
-indemnité pour défaut de remise du contrat à durée déterminée : 1 498,59 €
-indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2 997,18 €
-indemnité légale de licenciement : 374,64 €
-indemnité compensatrice de préavis : 1 498,59 €
-indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 149,85 €
-remboursement de frais professionnels (397,49 € + 576,31 €) : 973,80 €
-indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 3 000 €,
-fixer à 2 500 € H.T. la somme due à ce titre par la SARL FORMASERVICES, somme qui est soumise au régime fiscal de la TVA au taux de 20 %, de sorte qu’il conviendra de condamner cette société au paiement de 3 000 € T.T.C. à titre d’indemnité qualifiée d’honoraires et frais non compris dans les dépens auprès de Maître Vincent PLATEL,
-débouter la SARL FORMASERVICES de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Selon ses conclusions d’intimée reçues le 26/10/2021, la SARL FORMASERVICE demande à la cour de : confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et de :
-constater que le recours aux CDD était justifié et remplit les conditions légales tant sur le fond que sur la forme,
-dire que les CDD conclus avec monsieur [B] [P] n’avaient pas vocation à pourvoir un poste permanent mais à faire face à un accroissement temporaire de l’activité de l’employeur justifié par l’impossibilité de faire face à une mission ponctuelle de chantier informatique sur plusieurs sites du client s’étalant sur 12 mois avec son seul personnel salarié en CDI,
-Par conséquent,
-débouter monsieur [B] [P] de sa demande d’un mois de salaire au titre de l’indemnité de requalification,
-débouter monsieur [B] [P] de ses demandes relatives aux dommages et intérêts au titre de l’indemnité de préavis, au titre de l’indemnité de licenciement,
-débouter monsieur [B] [P] de ses demandes au titre de remboursements de frais comme injustifiés en l’absence de production de facture et de tickets de péage,
-ordonner la compensation entre les sommes dues par l’employeur au titre du complément de location et les sommes dues par le salarié au titre de la réparation du véhicule de location accidenté à ses torts et constater que le solde est favorable à l’employeur,
-le débouter de sa demande d’article 700 du code de procédure civile,
-condamner monsieur [B] [P] à lui payer la somme de 1800 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure résulte d’une ordonnance du 16/08/2023.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère, en vertu de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l’audience de plaidoirie.
Il a été demandé en cours de délibéré par message du 21/11/2023 la production de la pièce 8 de l’intimée.
MOTIFS DE L’ARRET
La cour n’est pas saisie d’un appel en ce qui concerne les heures supplémentaires.
Sur la demande de requalification de la relation de travail pour une durée indéterminée
L’appelant expose avoir signé 12 contrats, que l’accroissement d’activité n’est pas temporaire mais constant et durable puisqu’il a été envoyé chez le même client pendant 11 mois sur une période d’un an, que l’employeur n’apporte pas la preuve que les missions chez ce client correspondaient à une augmentation inhabituelle de son activité qu’elle ne pouvait assumer avec son effectif permanent, que les justificatifs produits n’établissent pas le caractère occasionnel du recours, que l’entreprise recourt de façon habituelle à de nombreux salariés pour son activité habituelle.
Il ajoute que plusieurs contrats lui ont été transmis au-delà du délai légal de 48 heures.
L’intimée explique que M. [P] a été embauché pour plusieurs périodes étalées sur 12 mois, que cette pratique est courante pour des chantiers informatiques, qu’à la fin de la mission les contrats se sont arrêtés, que l’entreprise est basée à [Localité 4] et ne dispose que de 4 salariés en contrat à durée indéterminée (1 assistante administrative, 3 chargés de gestion de projets ayant une mission commerciale), qu’elle ne pouvait faire face à ces demandes de chantier informatique à 1000 kilomètres de son siège social en délégation chez le client avec son seul personnel salarié permanent.
En vertu de l’article L1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
L’article L 1245-1 du code du travail dispose que est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L1242-1 à L 1242-4, L 1242-6, L 1242-7, L 1242-8-1, L 1242-12, alinéa premier, L 1243-11, alinéa premier, L 1243-13-1, L 1244-3-1 et L 1244-4-1, et des stipulations des conventions ou accords de branche conclus en application des articles L1242-8, L1243-13, L1244-3 et L1244-4. La méconnaissance de l’obligation de transmission du contrat de mission au salarié dans le délai fixé par l’article L 1242-13 ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée. Elle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Au préalable, les contrats produits par les parties ne sont pas identiques : ceux versés par l’appelant ne sont pas signés par l’employeur, ce dernier expliquant qu’il s’agit de projets, et qu’en réalité 7 contrats ont été signés incluant deux renouvellements. Il convient donc d’examiner la demande au prisme des contrats versés par l’employeur signés par les parties, qui concernent en toute hypothèse la même période de travail.
Pour justifier de l’accroissement temporaire d’activité qu’elle invoque pour établir le motif du recours au contrat à durée déterminée, la SARL FORMASERVICES fait valoir la mission qui lui a été confiée par la société STIM PLUS, ainsi que son faible effectif de quatre salariés en contrats à durée indéterminée.
Ainsi que le fait valoir l’appelant, et contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, ces éléments sont insuffisants pour justifier du surcroît temporaire d’activité de la société FORMASERVICES. La cour retient que la société FORMASERVICES assure une activité de conseil en systèmes et logiciel informatique ainsi que cela ressort du répertoire SIRENE. Son effectif ne comporte aucun informaticien mais une assistante et trois chargés de projets en charge de la partie commerciale. De plus, l’employeur ne justifie pas de son activité habituelle : il n’apporte aucun élément relativement au plan de charge auquel il fait face habituellement avec son seul personnel salarié. Au contraire, il ressort des plannings versés par le salarié que la société FORMASERVICES intervient sur l’ensemble du territoire et emploie plusieurs techniciens.
En l’état de ces éléments, l’intimée ne justifie donc aucunement d’un accroissement temporaire de son volume d’activité ayant justifié l’engagement de M. [P] en contrat à durée déterminée. Ce dernier a été engagé pour participer à une mission se rattachant à l’exercice permanent et habituel de l’entreprise. Il n’est donc pas justifié de l’accroissement temporaire d’activité. Il s’ensuit que les contrats de travail ont eu pour effet de pourvoir à l’activité durable et permanente de l’entreprise. Il convient donc de requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée. Le jugement est infirmé.
Sur les conséquences de la requalification
L’appelant est fondé à solliciter une indemnité de requalification d’un montant de 1.498,59 €.
L’examen des contrats de travail signés par les deux parties et versés par l’employeur ne permet pas de mettre en évidence un retard de transmission des contrats au salarié, en sorte qu’il convient de rejeter la demande en paiement d’une indemnité de 1.498,59 € au titre du défaut de communication des contrats dans un délai de 48 heures.
Enfin, le terme du contrat de travail, compte-tenu de la requalification et faute de procédure de licenciement, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’indemnité de licenciement s’établit à la somme, qui n’apparaît pas critiquable, de 374,94 €.
L’indemnité compensatrice de préavis de un mois s’établit à la somme de 1.498,59 € outre 149,95 € de congés payés afférents.
Il convient, compte-tenu de l’effectif de l’entreprise, de l’âge du salarié et des conséquences du licenciement à son égard, de lui allouer une indemnité de 2.500 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse venant réparer le préjudice résultant de la perte de l’emploi.
La SARL FORMASERVICES sera condamnée au paiement de ces sommes.
Sur le remboursement des frais professionnels
L’appelant rappelle avoir vainement sollicité le remboursement de frais professionnels.
L’intimée conteste la demande expliquant qu’aucun frais de péage ou de parking n’est produit aux débats, qu’un véhicule avait été loué, le salarié ayant subi un accident à ses torts exclusifs, ce qui a entraîné des frais qui viendrait en compensation des sommes réclamées.
Selon l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
L’appelant verse ses réclamations en paiement de frais de repas, notamment celle du 10/07/2019 pour les sommes de 397,49 € (remboursement de frais de location de véhicule) de 576,31 € au titre des frais de repas, de péage et d’essence engagés du 19/05 au 06/06/2018.
Le salarié pour justifier de ses frais de déplacement produit l’ensemble de ses relevés bancaires faisant apparaître des paiements par carte bleue, qui corrélés aux plannings versés par ce dernier permettent de justifier des frais, dont la preuve ne résulte pas des seuls tickets (par exemple : contrat pour la période du 14/05/2018 au 01/06/2018, planning faisant apparaître des déplacements à [Localité 5] le 25/05, à [Localité 3] du 28/05 au 29/05, des dépenses de péages et de repas correspondant à ces périodes. Le salarié, qui indique avoir adressé les originaux de ses justificatifs à l’employeur, justifie de sa créance de 576,49 €.
Il est en outre justifié, pour les mêmes raisons, des paiements par carte de frais de location de véhicule pour les montants de 272,16 € et 125,33 € pour les mois de mars et octobre 2018 correspondant à des déplacements professionnels, soit la somme de 397,49 €.
Il convient donc d’accueillir la demande de rappel de frais professionnels pour un montant total de 973,80 € au paiement duquel la société FORMASERVICES sera tenue.
Cette somme ne saurait faire l’objet d’une compensation avec les frais résultant de l’accident matériel du 06/06/2018, le salarié faisant très exactement valoir que la responsabilité pécuniaire d’un salarié à l’égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde, non invoquée et non établie en l’espèce. La SARL FORMASERVICES sera déboutée de sa demande de compensation.
Sur les autres demandes
Succombant, la SARL FORMASERVICES supporte par dispositions infirmatives les dépens de première instance et d’appel.
Il est équitable d’allouer à Me Vincent Platel, avocat au barreau de Lille, une indemnité de 2.500 € TTC par application des articles 37 de la loi du 10/07/1991 et 700 2° du code de procédure civile, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l’aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré du conseil de prud’hommes de Lille du 22 avril 2021, sauf en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité pour défaut de remise des contrats, et en ses dispositions sur les frais irrépétibles,
Statuant à nouveau, y ajoutant,
Requalifie la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée,
Condamne la SARL FORMASERVICES à payer à M. [B] [P] les sommes qui suivent :
-1.498,59 € d’indemnité de requalification,
-374,94 € d’indemnité de licenciement,
-1.498,59 € d’indemnité compensatrice de préavis outre 149,95 € de congés payés afférents,
-2.500 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-973,80 € de rappel de frais professionnels,
Déboute la SARL FORMASERVICES de sa demande de compensation,
Confirme le jugement pour le surplus,
Condamne la SARL FORMASERVICES à payer les dépens de première instance et d’appel,
Condamne la SARL FORMASERVICES à payer à Me Vincent Platel, avocat au barreau de Lille, une indemnité de 2.500 € TTC par application des articles 37 de la loi du 10/07/1991 et 700 2° du code de procédure civile, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l’aide juridictionnelle.
Le Greffier
Serge LAWECKI
Le Conseiller désigné pour exercer les fonctions de Président
Muriel LE BELLEC