N° RG 22/03373 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JGIJ
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 FEVRIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Ordonnance du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 05 Octobre 2022
APPELANTE :
E.U.R.L. EURE ETANCHE
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Pauline COSSE de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau de l’EURE
INTIME :
Monsieur [P] [T]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Emmanuelle DUGUÉ-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Estelle DHIMOLEA, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 10 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 10 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 23 Février 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Février 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [P] [T], gérant de la société Eure Etanche, a été engagé en qualité de chef d’équipe par cette même société après avoir cédé ses parts sociales par contrat à durée déterminée pour accroissement temporaire d’activité du 6 octobre 2021 au 5 octobre 2022.
Par requête du 28 juillet 2022, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Louviers en référé en paiement de rappels de salaire et indemnités.
Par ordonnance du 5 octobre 2022, le conseil de prud’hommes a ordonné à la société Eure Etanche de verser à M. [T] les sommes suivantes :
8 531,19 euros au titre des salaires dus
859,12 euros au titre des congés payés y afférents
3 848,04 euros au titre d’indemnités kilométriques
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– ordonné à la société Eure Etanche de remettre à M. [T] les bulletins depuis décembre 2021, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de l’ordonnance à intervenir, le conseil se réservant le droit de liquider l’astreinte,
– débouté le salarié de sa demande de provision à valoir sur les dommages et intérêts.
La société Eure Etanche a interjeté appel de cette décision le 14 octobre 2022.
Par conclusions remises le 14 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Eure Etanche demande à la cour de :
– réformer l’ordonnance rendue le 5 octobre 2022
Y faisant droit,
– juger que les demandes du salarié se heurtent à une contestation sérieuse et qu’elles n’ont aucun caractère urgent ;
– juger qu’il n’y a pas lieu à référé ;
– inviter le salarié à mieux se pourvoir au fond ;
– débouter le salarié de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner le salarié au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Par des conclusions remises le 14 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [P] [T] demande à la cour de confirmer l’ordonnance déférée, sauf en ce qu’elle l’a débouté de sa demande à hauteur de 4 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts ;
Statuant de nouveau,
– condamner la société Eure Etanche à verser la somme de 4 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts, en indemnisation du préjudice subi ;
– condamner la société Eure à lui remettre les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire en bonne et due forme depuis décembre 2021 et à procéder à la déclaration sociale nominative (DSN) ou à la transmission de l’attestation de salaires à la CPAM, et d’en justifier,
sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document,
– assortir la condamnation des intérêts au taux légal ;
– condamner la société Eure Etanche à la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la présente procédure d’appel, ainsi qu’aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur le rappel de salaire
Selon l’article R.1455-5 du code du travail, dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
L’article R.1455-6 précise que la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Enfin, l’article R.1455-6 dispose que dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
La société Eure Etanche, qui reconnaît que M. [P] [T] a travaillé pour son compte du 14 au 23 décembre 2021, soulève l’incompétence de la formation référé, les demandes ne présentant aucune urgence et se heurtant à des contestations sérieuses, aux motifs que M. [P] [T] ne s’est plus rendu sur les chantiers, lui a adressé de manière irrégulière ses arrêts de travail, expliquant que le salaire de décembre n’avait pas été réglé en raison des virement et retrait opérés par M. [P] [T] la veille de la cession des parts sociales ne correspondant à aucune écriture comptable.
M. [P] [T] sollicite paiement du salaire du 13 décembre 2021 au 22 février 2022 dès lors qu’il a accompli la prestation de travail au titre du contrat de travail le liant à la société Eure Etanche.
Le salaire étant la contrepartie du travail, si ce travail n’a pas été effectué, l’employeur n’est pas tenu de le verser à condition que l’inexécution ne soit pas imputable à l’employeur et non au salarié resté à sa disposition. C’est à l’employeur de prouver qu’il a fourni du travail au salarié mais que celui-ci ne s’est pas exécuté ou ne s’est pas tenu à sa disposition.
Enfin, il incombe à l’employeur de prouver qu’il a versé le salaire.
Par contrat à durée déterminée au motif d’un accroissement d’activité, la société Eure Etanche a engagé M. [P] [T] du 6 octobre 2021 au 5 octobre 2022 inclus en qualité de chef d’équipe niveau IV coefficient 270 moyennant une rémunération brute de 3 577,59 euros pour 169 heures de travail, incluant les heures majorées de la 36ème à la 39ème heures majorées à 25 % et les paniers mensualisés.
En l’espèce, s’il y a contestation, elle ne peut être qualifiée de sérieuse dès lors qu’il s’agit d’appliquer les principes de base régissant le paiement du salaire.
Le salarié a pris un congé sans solde du 1er novembre au 12 décembre 2021.
Il n’est pas discuté que M. [P] [T] n’a plus été rémunéré postérieurement au congé sans solde.
S’il existe un contentieux entre les parties relativement à la cession des parts sociales, lequel ne relève pas de la compétence de la juridiction prud’homale, en tout état de cause, il n’appartient pas à l’employeur d’opérer une compensation avec des sommes qui pourraient lui être dues à ce titre, lesquelles font l’objet d’une contestation.
Pour justifier de la réalité de la prestation de travail, M. [P] [T] communique un courriel de M. [J] du Grand Placitre indiquant que le salarié était présent sur le chantier SCI Bevilliers de décembre à février, ce que confirme M. [E] [W], gérant de la SCI [Adresse 5], ainsi que des échanges de messages à compter du lundi 13 décembre 2021 aux termes desquels le salarié sollicite des informations quant aux lieux des chantiers afin de s’y rendre, que des consignes sont données sur l’organisation du travail comme le 23 janvier, et ce jusqu’au 21 février, date à laquelle il a informé qu’il ne viendrait pas travailler en raison d’un problème de santé, nécessitant qu’il aille voir le médecin, suivi de son arrêt maladie à compter du 22 février 2022.
L’employeur ne fait pas la preuve de l’absence effective du salarié sur les chantiers, ce qui ne peut résulter de ses propres allégations et des courriels qu’il a adressés au salarié les 7 et 15 janvier et 12 février 2022.
Aussi, alors qu’il doit être retenu que le salarié a repris le travail le 14 décembre 2021 après son congé sans solde, ce qui se déduit du courriel qu’il a adressé le lundi 13 décembre à 18h59 pour obtenir des informations pour la reprise qui ne pouvait être que le lendemain compte tenu de cet horaire, hormis pour le 9 février 2022, journée pour laquelle il est justifié d’un arrêt maladie et à compter du 21 février 2022, le salarié reconnaissant ne pas venir travailler ce jour là comme ayant mal aux épaules, il est incontestable qu’il lui est dû la somme de 8 053,73 euros, se décomposant comme suit :
– décembre : 3 564,84 euros x 18/31 =2 069,90 euros
– janvier : 3 564,84 euros
– février : 3 564,84 euros x 19/28 = 2 418,99 euros.
La cour infirme l’ordonnance déférée sur le montant du rappel de salaire et les congés payés afférents.
II – Sur les dommages et intérêts pour non paiement des salaires
Si M. [P] [T] n’a pas perçu les salaires qui lui étaient dus du 14 décembre 2021 au 20 février 2022, néanmoins, il ne justifie pas du préjudice en résultant et notamment que la résiliation du bail d’habitation à laquelle il a procédé le 30 mars 2022 soit en lien avec cette situation.
Dès lors, la cour confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté la demande sur ce point.
III – Sur les frais professionnels
Les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent lui être remboursés sans pouvoir être imputés sur sa rémunération.
Le salarié, qui exerce son activité sur plusieurs lieux de travail au sein de la même entreprise qui n’assure pas le transport entre ces différents lieux et les lieux et la résidence habituelle du salarié, peut prétendre à la prise en charge des frais de transport personnels lui permettant d’effectuer l’ensemble des déplacements qui lui sont imposés entre ces différents lieux.
M. [P] [T] sollicite les frais de déplacement depuis son domicile pour se rendre sur les chantiers.
La société Eure Etanche s’oppose à cette demande aux motifs que le contrat de travail ne prévoit pas l’usage du véhicule personnel, que les salariés disposaient d’un véhicule utilitaire pour se rendre sur les chantiers et que le salarié ne présente aucune demande pour février.
En l’espèce, alors que dans le cadre de la cession des parts sociales, au moins deux véhicules faisaient partie de l’inventaire des immobilisations, qu’il résulte des échanges de messages que lorsque le salarié sollicitait des informations relativement aux lieux des chantiers, il lui était donné des rendez-vous pour prise en charge, il s’en déduit que l’employeur mettait à sa disposition un moyen de transport de l’entreprise pour se rendre sur les chantiers, de sorte qu’il n’y a pas lieu de lui faire prendre en charge les frais du salarié au titre de l’usage de son véhicule personnel, non imposé par les circonstances de l’exercice de ses missions.
Aussi, la cour infirmant la décision déférée, rejette cette demande.
IV – Sur les autres demandes
M. [P] [T] sollicite que l’employeur soit condamné à lui remettre ses bulletins de paie, les documents de fin de contrat, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, ainsi qu’il soit tenu de procéder à la déclaration sociale nominative ou a minima à la transmission de l’attestation de salaires à la caisse primaire d’assurance maladie et d’en justifier.
Dès lors que les bulletins de paie ont été versés au débat dans le cadre de la présente instance, le salarié les a nécessairement obtenus, de sorte que la demande à ce titre est rejetée.
En revanche, alors que le contrat de travail a pris fin le 5 octobre 2022 et que l’employeur ne justifie pas avoir satisfait à ses obligations en établissant les documents de fin de contrat, ni même avoir transmis à la caisse primaire d’assurance maladie l’attestation de salaires permettant au salarié de percevoir ses indemnités journalières, il convient d’en ordonner la remise, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pour l’ensemble des documents, passé le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision et pendant un délai de trois mois, modifiant ainsi la décision de première instance.
V – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie partiellement succombante, la société Eure Etanche est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. [P] [T] la somme de 1 000 euros en cause d’appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Rejette l’exception d’incompétence soulevée par la société Eure Etanche ;
Confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté la demande de provision à valoir sur le préjudice, a statué sur les dépens et frais irrépétibles ;
L’infirme en ses autres dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société Eure Etanche à payer à M. [P] [T] les sommes suivantes :
rappel de salaire du 14 décembre 2021 au 20 février 2022 : 8 053,73 euros
congés payés afférents : 805,37 euros
Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes ;
Déboute M. [P] [T] de sa demande au titre des frais de déplacement professionnels ;
Ordonne la remise par la société Eure Etanche à M. [P] [T] des documents de fin de contrat sous astreinte de 50 euros par jour de retard pour l’ensemble des documents, passé le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision et sur une période limitée à trois mois ;
Dit que la société Eure Etanche devra justifier de la transmission à la caisse primaire d’assurance maladie de l’attestation de salaire sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision et sur une période limitée à trois mois ;
Condamne la société Eure Etanche aux entiers dépens de première d’instance et d’appel ;
Condamne la société Eure Etanche à payer à M. [P] [T] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
Déboute la société Eure Etanche de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente