Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1ère chambre sociale
ARRET DU 22 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/03141 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OEQG
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 15 AVRIL 2019
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE SETE – N° RG F17/00030
APPELANTE :
S.A.S ETABLISSEMENTS [J] ET FILS prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Maître Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, substitué par Maître RICHAUD Iris, avocat postulantau barreau de MONTPELLIER et Maître Isabelle NEUMANN de la SELARL IN FACTO LEGAL, avocat plaidant au barreau de QUIMPER
INTIME :
Monsieur [A] [J]
né le 12 Février 1976 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Maître Valérie VORS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Maître Sabine MARTIN, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 03 Janvier 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 JANVIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Madame Isabelle CONSTANT, Greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [A] [J] a été engagé à compter du 20 septembre 1994 par la SAS Etablissements [J] et Fils selon contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en qualité de responsable logistique.
Courant 2005 la société Etablissements [J] et Fils a été cédée au groupe Hedis, ensuite de quoi Monsieur [G] [J], initialement responsable du service commercial de la société, a exercé la fonction de directeur salarié de la société Etablissements [J] et Fils créée en 1979 par Monsieur [W] [J] tandis que son frère [A] [J] conservait la fonction de responsable logistique.
Le 2 août 2016, Madame [L] [C], adressait un courrier recommandé au directeur du groupe Hedis afin de solliciter une rupture conventionnelle, expliquant que sa « situation personnelle avec un des collaborateurs de l’entreprise a des conséquences néfastes sur ma vie professionnelle ainsi que sur le reste de l’équipe de la société qui m’emploie ».
Le 8 août 2016 le directeur du groupe Hedis mandatait la directrice des ressources humaines du groupe afin de procéder à un audit.
Monsieur [A] [J] a été placé en arrêt de travail du 22 novembre 2016 au 14 février 2018.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 janvier 2017, Monsieur [A] [J] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et s’est vu conjointement notifier une mise à pied conservatoire.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 19 janvier 2017, l’employeur notifiait au salarié son licenciement pour faute grave.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi libellée :
« les faits qui vous sont reprochés sont les suivants :
cette procédure est motivée par les plaintes liées à :
‘votre agressivité,
‘au harcèlement moral émanant de plusieurs salariés.
Ces plaintes sont concordantes et établissent un comportement inacceptable. Nous devons en effet assurer la sécurité des salariés et assurer leur bien-être au travail.
En conséquence, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave et votre contrat prendra donc fin sans indemnité ni préavis dès présentation de ce courrier…. »
Par requête du 14 mars 2017, Monsieur [A] [J], s’estimant victime d’un harcèlement moral et contestant le bien-fondé de la rupture du contrat de travail, a saisi le conseil de prud’hommes de Sète aux fins de condamnation de l’employeur à lui payer en définitive les sommes suivantes :
‘100 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
’80 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
’15 199 € à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,
’22 800 € à titre d’indemnité de licenciement,
’11 288 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 703,23 euros au titre des congés payés afférents,
‘1928 € à titre d’indemnité de congés payés,
‘1000 € à titre de rappel de prime,
‘5000 € à titre de dommages-intérêts pour défaut d’institutions représentatives du personnel,
‘3000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 15 avril 2019, le conseil de prud’hommes de Sète a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Monsieur [A] [J] par la SAS Etablissements [J] et Fils et, déboutant l’employeur de sa demande de restitution de la somme de 15 182,71 euros, outre congés payés afférents au titre de remboursement du temps passé à l’extérieur de l’entreprise, il a condamné l’employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
‘100 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
’80 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
’15 199 € à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires.
‘1200 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes du même jugement le conseil de prud’hommes rappelle que l’exécution provisoire est de droit sur les indemnités suivantes:
’22 811 € à titre d’indemnité de licenciement,
’11 288 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 703,23 euros au titre des congés payés afférents,
‘1928 € à titre d’indemnité de congés payés,
‘1000 € à titre de rappel de prime,
Le 6 mai 2019, la SAS Etablissements [J] et Fils a relevé appel de la décision du conseil de prud’hommes.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 21 décembre 2022, la SAS Etablissements [J] et Fils conclut in limine litis, à la nullité du jugement rendu par le conseil de prud’hommes, sur le fond, à titre principal, à la réformation du jugement entrepris quant aux condamnations prononcées et au débouté du salarié de l’ensemble de ses demandes. À titre subsidiaire la SAS Etablissements [J] et Fils conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a déclaré les griefs venant au soutien du licenciement prescrits, au bien-fondé de la rupture du contrat de travail pour faute grave, au débouté du salarié de l’ensemble de ses demandes et tout particulièrement de celles formées à titre incident. Elle sollicite reconventionnellement la condamnation du salarié à lui restituer la somme de 31 262,65 euros versée au titre de l’exécution provisoire de droit et à lui rembourser en raison du temps passé à l’extérieur de l’entreprise une somme de 15 182,71 euros, outre 1518,27 euros au titre des congés payés afférents. Elle réclame enfin la condamnation de Monsieur [A] [J] à lui payer somme de 3500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 19 décembre 2022, Monsieur [A] [J] conclut à la confirmation du jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a déclaré prescrits les griefs venant au soutien du licenciement, en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la société à lui payer des dommages-intérêts à ce titre, en ce qu’il a fait droit à la demande de dommages intérêts pour harcèlement moral à concurrence d’une somme de 80 000 euros ainsi qu’en ce qu’il a fait droit à ses autres demandes au titre de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de l’indemnité de congés payés ainsi qu’au titre du rappel de prime et en ce qu’il a débouté la société appelante de ses demandes reconventionnelles. Il conclut en revanche à l’infirmation du jugement rendu par le conseil de prud’hommes quant aux montants alloués au titre des frais irrépétibles et à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour défaut d’institutions représentatives du personnel et en ce qu’il a omis de prononcer la condamnation de l’employeur sur les sommes pour lesquelles il a rappelé l’existence d’une exécution provisoire de droit. Il sollicite par conséquent la condamnation de l’employeur à lui payer en définitive à ces différents titres les sommes suivantes :
‘180 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘5000 euros à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice causé par l’absence d’institutions représentatives du personnel,
‘4500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
Il sollicite également la condamnation de l’employeur à lui payer au titre de l’exécution provisoire les sommes prononcées sur le fondement de l’exécution provisoire de droit.
Il réclame enfin subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour ferait droit à la demande de nullité du jugement de déclarer l’appel irrecevable et non fondé, de dire que les griefs venant au soutien du licenciement sont prescrits, et faisant droit à l’ensemble des demandes précitées de condamner l’employeur à lui payer également une somme de 4500 euros au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel.
L’ordonnance de clôture était rendue le 3 janvier 2023.
SUR QUOI
> Sur la demande aux fins de nullité du jugement du conseil de prud’hommes
En l’espèce, l’acte d’appel tendait à l’annulation ou à la réformation du jugement, si bien que la cour est par conséquent saisie de cette demande.
L’appelante conclut à la nullité du jugement du conseil de prud’hommes aux motifs que les prétentions et moyens de la société [J] n’y sont pas reprises, qu’il n’est pas motivé, qu’il ne justifie pas des dommages-intérêts accordés au salarié, qu’il existe une erreur de date du jugement faisant figurer une date au 15 avril 2019 et une autre au 17 juin 2019.
En l’espèce si comme le relève à juste titre l’intimé l’erreur matérielle portant sur une date n’est pas par elle-même de nature à entraîner la nullité du jugement et si contrairement à ce qui est soutenu par l’appelante, le jugement du conseil de prud’hommes contient un exposé des prétentions des parties, il se détermine en revanche au seul visa de documents sans analyser même sommairement les éléments de preuve sur lesquels il se fonde, ce qui équivaut à une absence de motivation et conduit à faire droit à la demande de nullité de la décision.
> Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail et sur la demande reconventionnelle de remboursement du salaire en raison du temps passé à l’extérieur de l’entreprise formée par l’employeur
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.
Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
En l’espèce, Monsieur [A] [J] produit aux débats un décompte des heures supplémentaires qu’il prétend avoir accomplies au cours des trois années précédant la rupture du contrat de travail selon un horaire de huit heures à douze heures et de quatorze heures à dix-huit heures, du lundi au vendredi par période travaillée, soit trente-neuf heures par semaine, et en définitive 624 heures au cours de la période revendiquée.
L’employeur qui s’oppose à la demande produit des attestations selon lesquelles le salarié s’occupait de son bar et rencontrait des fournisseurs pendant ses heures de travail. Or, tandis que l’employeur tenu d’assurer le contrôle de la durée de travail effectuée par le salarié qui n’était pas soumis à une convention de forfait en jours ne produit aucun élément à cet égard, les seules attestations qu’il verse aux débats sont insuffisantes à justifier du bien-fondé de ses prétentions et ce d’autant plus qu’il n’a jamais fait grief à [A] [J] au cours de la relation contractuelle de ne pas s’être tenu à sa disposition à un quelconque moment.
Partant, après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, la cour dispose d’éléments suffisants pour fixer à la somme de 9743,50 euros, le montant du rappel de salaire sur heures supplémentaires que l’employeur devra payer au salarié.
L’employeur, qui à aucun moment de la relation contractuelle n’a fait grief au salarié de ne pas s’être tenu à sa disposition pendant ses heures de travail et qui ne rapporte pas la preuve de son temps de travail effectif ne justifie pas non plus du bien-fondé de sa demande reconventionnelle de remboursement du temps dont il prétend que le salarié l’aurait passé à l’extérieur de l’entreprise.
Aussi convient-il de débouter la société [J] et Fils de sa demande reconventionnelle à ce titre.
> Sur la demande de rappel de prime
Le salarié justifie avoir bénéficié d’une prime exceptionnelle de 1000 euros au 31 décembre 2014 ainsi qu’au 31 décembre 2015 et en réclame le bénéfice au titre de l’année 2016.
Or, s’il fonde sa demande sur l’existence d’un avantage acquis, il ne justifie pas que cette prime ait une origine légale, conventionnelle, contractuelle ou qu’elle soit liée à la compensation d’une sujétion particulière ou à la récompense d’une performance, voire d’une finalité quelconque. Il ne justifie pas davantage d’un engagement unilatéral de l’employeur ni que cette prime présente les caractéristiques d’un usage dès lors que n’est produit aux débats aucun élément permettant de justifier de son caractère général, de sa constance et de sa fixité.
C’est pourquoi, il y a lieu de débouter le salarié de sa demande à ce titre.
> Sur le licenciement
En l’espèce, le salarié demande à titre principal la confirmation du jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a déclaré prescrits les griefs venant au soutien du licenciement et en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base de griefs inexistants selon lui.
La société [J] conteste la prescription des griefs au motif qu’elle n’a eu une connaissance complète des faits qu’à la suite du compte rendu de l’enquête du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et que le rapport d’audit a été porté à la connaissance des dirigeants de la société uniquement au mois de novembre 2016.
Le bordereau des pièces produites ne contient toutefois aucune référence à un compte rendu d’enquête du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. L’employeur produit toutefois en pièce 3 un document intitulé « audit » au bordereau des pièces communiquées et dont l’en-tête est ainsi libellé : « conclusions dossier prud’hommes SAS [J] vs [J]».
Il ressort de ce document qu’après que le directeur du groupe Hedis ait reçu le 5 août 2016 le courrier par lequel Madame [L] [C] sollicitait une rupture conventionnelle compte tenu de sa situation personnelle avec un des collaborateurs de l’entreprise et des conséquences néfastes tant sur sa vie professionnelle que sur le reste de l’équipe, la directrice des ressources humaines du groupe était mandatée afin de se rendre dans les locaux de l’entreprise pour y entendre les salariés.
L’analyse de ce document révèle toutefois qu’elle s’y est rendue à deux reprises, d’une part les 9, 10 et 11 août 2016, d’autre part les 1er et 2 septembre 2016 afin d’entendre les salariés.
Si ce document intitulé « conclusions dossier prud’hommes SAS [J] vs [J]» se termine par l’indication que la rupture conventionnelle du contrat de travail de Madame [L] [C] a été mise en ‘uvre et son contrat rompu le 31 octobre 2016 tandis que Monsieur [J] était en arrêt de travail pour raisons de maladie à compter du 22 novembre 2016 et que la procédure de licenciement était engagée le 3 janvier 2017, ces seules indications sont insuffisantes à rapporter la preuve que l’employeur n’avait pas une connaissance complète des faits dès le 2 septembre 2016.
Or, celui-ci ne produit aucun élément probant au soutien de ses prétentions, et ce alors même que la maladie du salarié n’entraîne ni l’interruption, ni la suspension du délai de deux mois, et qu’il n’est justifié d’aucune mise en mouvement de l’action publique. C’est pourquoi, quand bien même y aurait-il concomitance entre l’arrêt de travail pour maladie du salarié et le moment où il a eu connaissance du rapport ainsi établi, qu’aucun élément ne justifie le retard écoulé depuis le 2 septembre 2016, date à laquelle l’employeur avait en réalité une connaissance complète des faits dès lors que la directrice des ressources humaines avait procédé à l’audition de l’ensemble des salariés de l’entreprise à cette date.
Partant, alors qu’il n’est justifié de l’existence d’aucun fait fautif postérieur au 2 septembre 2016, de même nature que ceux venant au soutien du licenciement, l’employeur ne pouvait engager de procédure disciplinaire le 3 janvier 2017, au-delà du délai de deux mois prescrit à l’article L1332-4 du code du travail, si bien que le licenciement intervenu dans ces conditions doit être dit sans cause réelle et sérieuse.
> Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Monsieur [A] [J] invoque les éléments suivants :
– les faits de harcèlement moral sont rapportés par l’ancien PDG fondateur de la société et bailleur des murs commerciaux,
– les faits de harcèlement moral sont rapportés par le cercle familial ayant observé directement les relations d’animosité entre l’employeur et le salarié dans la sphère privée,
– les faits sont établis par les pièces médicales,
-le refus de l’employeur d’acheter du matériel permettant aux magasiniers de travailler plus facilement et le refus d’embaucher du personnel au sein du service logistique afin de lui nuire en sa qualité de responsable de ce service, en dépit de ses demandes, alors qu’il embauchait à nouveau après son licenciement.
Pour étayer ses affirmations, Monsieur [A] [J] produit notamment
– une attestation établie par son père, [W] [J], ancien PDG fondateur de la société et bailleur des murs commerciaux, selon lequel [A] était dévalorisé par son frère [G] devenu directeur, lequel ne lui fournissait pas de téléphone portable régulièrement renouvelé comme pour les autres salariés et avait refusé l’installation d’une climatisation dans le bureau de son frère, si bien qu’il avait fait établir un devis pour prendre en charge l’installation à son profit, ce qui avait été refusé par l’employeur (facture d’installation d’un appareil de climatisation du 29 juin 2015 établie au profit de la SAS [J] et un devis du 3 juillet 2015 à l’adresse de l’entreprise établi au nom de [W] [J] et joints à l’attestation),
– une attestation établie par sa tante relatant l’animosité existant entre les deux frères durant l’enfance,
-une attestation établie par [T] [Z], magasinier cariste, lequel déclarait avoir toujours constaté que [G] [J] humiliait son frère et le rabaissait en le contredisant sans arrêt,
-une attestation établie par [K] [F], livreur magasinier, lequel évoque à propos de [A] [J] « la pression qu’il a d’en haut », et indique qu’il les défend quand ils ont une surcharge de travail et qu’ils n’ont pas le temps de manger,
-une attestation de [D] [H], magasinier qui évoque une surcharge de travail et un manque de personnel et des demandes de [A] [J] à cet égard toujours refusées,
– une attestation établie par [I] [R], magasinier, lequel évoque des conditions de travail épuisantes ainsi qu’un manque de personnel et indique que [A] a d’abord été exclu des repas et des séminaires de direction, qu’il a perdu certaines attributions, qu’ensuite son bureau a été divisé en deux et qu’il a dû le partager avec un autre salarié, que la climatisation a été installée dans les bureaux des secrétaires et que l’installation d’une climatisation lui a été refusée alors que son bureau est couvert de tôle et qu’il y fait très chaud l’été, qu’en 2016 il a été hospitalisé et que lorsqu’il est revenu deux jours après son frère avait changé toute l’organisation du service logistique,
-une attestation établie par [X] [S], magasinier, lequel rapporte des éléments identiques à ceux rapportés par [I] [R],
-une attestation établie par [G] [O], responsable magasin, lequel indique que son frère n’avait aucune considération pour [A] qu’il méprisait ouvertement,
-un certificat du docteur [P], lequel indique avoir été consulté depuis 2013 par Monsieur [A] [J] pour « des faits de souffrance aux travail qui ont généré un état d’anxiété et d’angoisse» et l’avoir orienté vers le Docteur [U] [Y], psychiatre,
-un certificat du Docteur [U] [Y], psychiatre, lequel indiquait le 16 janvier 2017 que « l’état de santé actuel de Monsieur [A] [J] est incompatible avec une rencontre avec son employeur, et ce, pour une durée qui ne peut être précisée »,
-une attestation de Madame [B], diététicienne laquelle indique avoir suivi [A] [J] pour des problèmes d’inappétence avec perte de poids et selon laquelle il évoquait systématiquement avec une émotion intense des faits de souffrance au travail, de mise à l’écart, de discrimination et des humiliations émanant de son employeur,
Si nombre de ces attestations n’évoque aucun fait précis identifiable et si celle de la tante, voire du père du salarié qui n’étaient pas présent dans l’entreprise à la date des faits présentés n’émanent pas de témoins directs du harcèlement allégué, le refus d’embauche de magasiniers jusqu’au départ de [A] [J] en dépit de ses demandes afin de le mettre en difficulté, la réduction de l’espace de travail résultant de la division du bureau ainsi que l’absence d’installation d’une climatisation dans un local particulièrement sensible à la chaleur alors que les autres bureaux en étaient équipés, éléments précisément décrits par [I] [R], magasinier au sein de l’entreprise, et corroborés par l’attestation de [X] [S], également magasinier au sein de l’entreprise, ainsi que par les attestations d’autres salariés tels que [D] [H] ou [K] [F], établissent l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement quand bien même les différents certificats médicaux produits aux débats qui se limitent à reprendre les dires du salarié ne présentent pas par eux-mêmes de caractère probant.
En défense, la SAS Etablissements [J] et Fils fait valoir :
-que dans ses premières écritures devant le conseil de prud’hommes le salarié ne mentionnait pas avoir subi de harcèlement moral et ne formait aucune demande à ce titre,
– que l’attestation de Monsieur [I] [R] n’a aucune valeur probante dans la mesure où il est un ami d’enfance de [A] [J],
– que ce dernier utilise contre la société les mêmes griefs que ceux reprochés à [A] [J] et constatés lors de l’audit,
– qu’il a démissionné le 27 mai 2017, soit après le départ de son ami,
– que Monsieur [Z] a quitté la société [J] en mars 2008 et que Monsieur [S] y a travaillé seulement de janvier à avril 2009,
– que l’attestation de Monsieur [W] [J] est partiale dans la mesure où en sa qualité de propriétaire des murs il aurait pu faire installer la climatisation sans avoir besoin de l’autorisation du PDG,
-que la demande de recrutement faite par [A] [J] à [G] [J] ne caractérise pas un harcèlement moral et que les embauches réalisées après le départ de [A] [J] n’avaient pour but que de remplacer les salariés partis en 2017, à cet égard l’employeur cite en particulier Monsieur [A] [J], Monsieur [R] et Madame [C],
-qu’il bénéficiait comme son frère d’un véhicule de fonction.
A l’appui de ses moyens, la société Etablissements [J] et Fils produit en particulier:
– douze attestations de salariés de l’entreprise reprenant les griefs de l’employeur venant au soutien du licenciement,
– un document intitulé « audit » au bordereau des pièces communiquées et dont l’en-tête est ainsi libellée : « conclusions dossier prud’hommes SAS [J] vs [J]»,
– un extrait de registre unique du personnel concernant les recrutements effectués au cours de l’année 2017,
– la lettre de démission de [I] [R],
– les pièces produites par le salarié relatives aux premières conclusions déposées devant le conseil de prud’hommes,
– les attestations de Messieurs [Z] et [S] produites par le salarié,
>
Si le fait que le salarié ait disposé comme son frère d’un véhicule de fonction n’est pas discuté, les attestations de Messieurs [Z] et [S] produites par le salarié sur lesquelles l’employeur s’appuie pour contester le fait qu’ils aient pu être témoins directs de ce qu’ils affirment ne permettent pas de dater précisément les périodes au cours desquelles ces salariés étaient présents dans l’entreprise, ce que l’extrait partiel de registre unique du personnel de l’année 2017 ne permet pas davantage, si bien que l’employeur échoue à démontrer qu’ils n’aient pu être témoins des faits qu’ils relatent. La démission de Monsieur [R] après quinze ans passés dans l’entreprise ne permet pas davantage d’écarter les éléments qu’il rapporte aux motifs d’une amitié alléguée dont le caractère notoire n’est pas plus démontré par les pièces produites. Ensuite, sans s’expliquer sur le partage imposé du bureau de Monsieur [A] [J] ainsi que sur sa localisation sous des tôles et sur l’absence d’installation d’une climatisation, l’employeur ne justifie pas d’éléments permettant d’écarter le grief au seul motif que le père propriétaire des murs aurait pu faire installer une climatisation s’il l’avait effectivement souhaité. Ensuite, et alors que les dernières conclusions devant le conseil de prud’hommes contenaient des demandes au titre du harcèlement moral, les premières conclusions se référaient elles-mêmes à une dégradation des conditions de travail et de la santé du salarié dans le cadre d’une opération préméditée dans le but de l’évincer, ce qui est au demeurant sans incidence dans le débat. Enfin l’extrait de registre unique du personnel versé aux débats par l’employeur révèle l’existence de sept embauches de magasiniers au cours de l’année 2017 à la suite du licenciement de Monsieur [A] [J] et si le document produit fait mention d’un remplacement suite à un départ, pour cinq d’entre eux, deux postes de magasinier supplémentaires ont été créés pour un accroissement d’activité dont il n’est pas justifié. A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient par conséquent que la SAS Etablissements [J] et Fils échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Monsieur [A] [J] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
C’est pourquoi, l’existence d’un harcèlement moral sera retenue.
Compte tenu des circonstances telles qu’elles ressortent des pièces et des explications fournies, la cour dispose d’éléments suffisants pour fixer le préjudice en résultant pour Monsieur [A] [J] à la somme de 15 000 euros.
> Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de Travail
À la date de la rupture du contrat de travail, le salarié avait une ancienneté de vingt-deux ans et trois mois dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés. Il était âgé de quarante ans et bénéficiait d’un salaire mensuel brut de 3782,98 euros à la date de la rupture du contrat de travail. Placé en arrêt de travail jusqu’à octobre 2018, il ne justifie pas de sa situation postérieure au 17 janvier 2019, date à laquelle il était toujours à la recherche d’un emploi. Au vu des éléments produits aux débats, la cour dispose par conséquent d’éléments suffisants pour fixer à la somme de 75 000 euros le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La perte injustifiée de l’emploi ouvre également droit pour le salarié au bénéfice des indemnités de rupture pour des montants non spécialement discutés de 22 811 euros à titre d’indemnité de licenciement, 11 288 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre, dans la limite des prétentions des parties, 703,23 euros au titre des congés payés afférents.
> Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut d’institutions représentatives du personnel
Alors que la société verse aux débats un procès-verbal de carence qui n’est pas autrement critiqué, le salarié ne justifie de l’existence d’aucun préjudice pour défaut d’institutions représentatives du personnel.
Il convient par conséquent de le débouter de sa demande à ce titre.
> Sur la demande de rappel de congés payés non pris
En l’espèce, s’il ressort des pièces produites qu’au terme du contrat de travail le salarié disposait d’un reliquat de 20,81 jours de congés payés non pris. Or, 3111,64 euros lui ont en définitive été payés à ce titre consécutivement à la rupture du contrat de travail, si bien que l’employeur ne reste rien lui devoir sur ce fondement, et qu’il convient par conséquent de débouter Monsieur [A] [J] de sa demande de rappel de congés payés non pris.
> Sur les demandes accessoires et sur la demande reconventionnelle de remboursement des sommes versées au titre de l’exécution provisoire
En l’espèce, sans qu’il y ait lieu pour autant à nouveau versement de sommes déjà payées au titre de l’exécution provisoire, il convient, compte tenu la solution apportée au litige de dire n’y avoir lieu à remboursement des sommes versées par l’employeur au titre de l’exécution provisoire.
Compte tenu de la solution apportée au litige, la société Etablissements [J] et Fils supportera la charge des dépens ainsi que de ses propres frais irrépétibles, et elle sera également condamnée à payer au salarié qui a dû exposer des frais pour faire valoir ses droits une somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Prononce la nullité du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Sète le 15 avril 2019,
Et statuant à nouveau,
Condamne la société Etablissements [J] et Fils à payer à Monsieur [A] [J] les sommes suivantes :
‘ 9743,50 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,
‘ 15 000 euros à titre de dommages intérêts pour harcèlement moral,
‘ 75 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ 22 811 euros à titre d’indemnité de licenciement,
‘ 11 288 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre, dans la limite des prétentions des parties, 703,23 euros au titre des congés payés afférents,
Déboute Monsieur [A] [J] de ses demandes de rappel de congés payés non pris, de rappel de prime ainsi que de dommages intérêts pour défaut d’institutions représentatives du personnel;
Déboute la société Etablissements [J] et Fils de ses demandes reconventionnelles;
Condamne la société Etablissements [J] et Fils à payer à Monsieur [A] [J] une somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne la société Etablissements [J] et Fils aux dépens;
la greffière, le président,