ARRET N° 22/165
R.G : N° RG 21/00078 – N° Portalis DBWA-V-B7F-CG66
Du 22/07/2022
S.A.R.L. DELISS ET CIE
C/
[T]
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 22 JUILLET 2022
Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 05 Février 2021, enregistrée sous le n° 20/00117
APPELANTE :
S.A.R.L. DELISS ET CIE
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Miguélita GASPARDO de la SELARL THEMYS, avocat au barreau de MARTINIQUE
INTIMEE :
Madame [U] [T]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par M. [G] [F] (Délégué syndical ouvrier)
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 mars 2022, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Anne FOUSSE, Conseillère chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
– Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
– Madame Anne FOUSSE, Conseillère
– Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Rose-Colette GERMANY,
DEBATS : A l’audience publique du 11 mars 2022,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 17 juin 2022 par mise à disposition au greffe de la cour. Le délibéré a été prorogé au 22 juillet 2022.
ARRET : Contradictoire
****************
EXPOSE DU LITIGE
Mme [U] [Y] [T] a été embauchée le 28 juin 2018 par La société DELISS et COMPAGNIE en qualité de vendeuse, selon contrat à durée déterminée de 6 mois soit jusqu’au 27 décembre 2018. ce contrat à durée déterminée avait pour motif un accroissement temporaire de l’activité. Il a été renouvelé pour une durée de 12 mois par un avenant conclu entre les parties jusqu’au 27 décembre 2019.
Après son retour de congés le 28 décembre 2019, la salariée a constaté que son contrat n’avait plus d’effet depuis le 27 décembre 2019.
S’estimant lésée elle saisissait le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France le 28 mai 2020 aux fins de solliciter la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la condamnation de son employeur au paiement d’une indemnité de requalification, des dommages et intérêts pour licenciement sans respect de la procédure de licenciement et sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis.
Le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France a :
– dit et jugé que les faits exposés par Mme [U] [Y] [T] en sa demande de requalification du contrat de travail étaient fondés ;
– condamné La société DELISS et COMPAGNIE à payer à Mme [U] [Y] [T] les sommes suivantes :
1521,25 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
380,31 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
1521,25 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
152,12 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
1524,12 euros au titre de l’indemnité de requalification de contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société DELISS et COMPAGNIE a interjeté appel de ce jugement le 1er avril 2021 dans les délais impartis.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 novembre 2021, La société DELISS et COMPAGNIE demande à la Cour de :
– déclarer irrecevables les conclusions de Mme [U] [Y] [T],
– infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes dans toutes ses dispositions,
– et statuant à nouveau,
– débouter Mme [U] [Y] [T] de toutes ses demandes,
– condamner Mme [U] [Y] [T] à payer la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [U] [Y] [T] aux entiers dépens.
Elle soulève au visa de l’article 909 du code de procédure civile l’irrecevabilité des premières conclusions de l’intimée rappelant lui avoir notifié ses conclusions de motivation d’appel et transmis à la Cour lesdites conclusions signées par l’intimée le 5 juillet 2021 de sorte que cette dernière devait conclure avant le 5 octobre 2021. Elle indique que cette dernière n’a communiqué ses conclusions d’intimée que le 6 octobre 2021 soit après le délai de 3 mois et qu’elles sont en conséquences irrecevables.
Sur le motif de la conclusion du contrat à durée déterminée soit l’accroissement temporaire d’activité, elle rappelle que celui ci peut résulter de variation cycliques de production et qu’il peut correspondre à une production supplémentaire liée à une saison; que la salariée a été embauchée suite à un accroissement temporaire de l’activité lié à une augmentation du nombre des commandes résultant de la succession de plusieurs fêtes religieuses. Elle fait valoir que la durée de ce contrat à durée déterminée renouvellement compris n’excède pas 18 mois ce que prévoit le code du travail de sorte l’argument selon lequel il s’agirait d’un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise est inopérant.
Elle soutient que l’absence de date sur le contrat de travail n’emporte pas requalification dudit contrat étant précisé qu’elle indique produire un exemplaire comportant la date du 28 juin 2018. S’agissant de l’argument selon lequel la proposition de renouvellement aurait été faite tardivement en violation du délai maximal, elle soutient que la salariée n’en rapporte pas la preuve.
Aux termes de ses conclusions notifiées par lettre recommandée RAR le 5 octobre 2021 déposées au greffe le 4 octobre 2021, l’intimée valablement représentée par un pouvoir spécial par Mme [U] [F] défenseure syndicale demande à la Cour de confirmer la décision du Conseil de Prud’hommes en prononçant la requalification du contrat et les conséquences qui en découlent.
Elle réitère les mêmes demandes que formulées en première instance soit :
– indemnité de procédure : 1521,25 euros,
– indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1521,25 euros;
– indemnité légale de licenciement : 380,31 euros,
– indemnité compensatrice de préavis : 1521,25 euros,
– indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 152,12 euros,
– indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée du contrat à durée déterminée : 1521,12 euros.
Elle fait valoir au visa de l’article L 1242-1 du code du travail que le contrat à durée déterminée ne doit pas permettre de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise quel que soit son motif; que si le contrat à durée déterminée peut être conclu pour accroissement temporaire de l’activité au visa de l’article L 1242-2, la situation envisagée doit réellement correspondre à une augmentation temporaire de l’activité. Selon elle si le surcroit d’activité n’est pas nécessairement exceptionnel, il doit être néanmoins inhabituel et limité dans le temps; que la Cour de cassation, a déjà jugé qu’un contrat à durée déterminée de 74 semaines (soit 18 mois environ) ne pouvait être considéré comme résultant d’un accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise mais des besoins de l’exécution par l’entreprise de son courant normal de commande.
Elle ajoute que l’avenant doit être remis suffisamment à l’avance au salarié, et qu’un avenant remis après le commencement du renouvellement sera considéré comme nul; qu’en l’espèce, elle a été affectée pendant 18 mois au même poste de vendeuse, embauchée en juin 2018, à une période correspondant à une baisse de l’activité, et mise en congés durant le mois de décembre, mois correspondant à une période de pointe; que la durée de 18 mois démontre que l’emploi était lié à une activité normale de l’entreprise ainsi que l’utilisation abusive du contrat à durée déterminée comme mode de gestion flexible de l’activité compte tenu de l’amplitude des horaires de travail.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 novembre 2021.
Selon conclusions en appel n° 2 déposées au greffe le 16 décembre 2021, que la Société DELISS et COMPAGNIE indique avoir reçu le 31 décembre 2022, Mme [U] [Y] [T] réitère les mêmes demandes précédemment formulées.
Par courrier en date du 20 janvier 2022 le conseil de la Société DELISS et COMPAGNIE soulève l’irrecevabilité des conclusions n° 2 de l’intimée déposées après la clôture.
MOTIFS
– Sur l’irrecevabilité des conclusions n° 2 de Mme [U] [Y] [T] déposées au greffe le 16 décembre 2021.
En application de l’article 802 du code de procédure civile, après l’ordonnance de clôture aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office. En conséquence, les conclusions n°2 de l’intimée déposées au greffe le 16 décembre 2021 sont déclarées irrecevables.
– Sur l’irrecevabilité des conclusions n°1 de l’intimée
La Société DELISS et COMPAGNIE soulève au visa de l’article 909 du code de procédure civile, l’irrecevabilité des conclusions n° 1 de l’intimée qui ne lui auraient été remises que le 6 octobre 2021 soit au delà du délai de 3 mois pour conclure.
Aux termes de l’article 914 du code de procédure civile, les parties soumettent au conseiller de la mise en état qui est seul compétent ‘ leurs conclusions spécialement adressées à ce magistrat tendant à ‘ déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 du code de procédure civile. …Les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la Cour d’appel la caducité ou l’irrecevabilité après la clôture de l’instruction à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. Néanmoins, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, la Cour d’appel, peut, d’office, relever la fin de non recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou de la caducité de celui ci.
La Société DELISS et COMPAGNIE est donc irrecevable à invoquer l’irrecevabilité des conclusions n° 1 de l’intimée étant précisé que la Cour observe que lesdites conclusions ont été notifiées dans le délai de 3 mois prévue par l’article 909 du code de procédure civile, puisque par lettre recommandée du 5 octobre 2021 ainsi que cela figure sur le cachet de la poste alors que les conclusions de l’appelante ont été transmises à la Cour d’appel par le rpva le 5 juillet 2021.
– Sur la demande de requalification
Aux termes de l’article L 1242-1 du code du travail, le contrat à durée déterminée, quel que soit son motif ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise.
Aux termes de l’article L 1242-2 du même code, le contrat à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et notamment en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
Ce cas de recours vise notamment :
l’augmentation temporaire de l’activité de l’entreprise ;
l’exécution d’une tâche occasionnelle, précisément définie et non durable ne relevant pas de l’activité normale de l’entreprise ;
la survenance dans l’entreprise d’une commande exceptionnelle ;
les travaux urgents ;
L’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise peut résulter, notamment de variations cycliques de production. Cet accroissement n’a pas à présenter un caractère exceptionnel et peut correspondre à une production supplémentaire liée à une saison. Toutefois il doit y avoir corrélation entre pics d’activité et recours au contrat précaire, à peine de requalification du contrat à durée déterminée.
Le contrat à durée déterminée peut être renouvelé 2 fois pour une durée déterminée qui ajoutée à la durée du contrat initial ne peut excéder la durée maximale prévue, soit 18 mois pour les contrats à durée déterminée conclus pour accroissement temporaire d’activité.
Il est constant que les juges du fond ont l’obligation de vérifier la réalité du cas légal mentionné dans le contrat et c’est à l’employeur qu’il appartient de rapporter la preuve d’un accroissement temporaire de l’activité justifiant le recours au contrat à durée déterminée sauf à encourir la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
Il n’est par ailleurs pas contesté que l’employeur n’a pas l’obligation d’affecter le salarié à des tâches directement liées à ce surcroît d’activité.
En l’espèce; si la salariée produit un contrat à durée déterminée signé mais non daté, l’employeur qui exerce la boulangerie pâtisserie, produit un contrat à durée déterminée daté du 28 juin 2018 pour une durée de 6 mois expirant le 27 décembre 2018 inclus, par lequel la salariée est recrutée en qualité de vendeuse pour pallier à un surcroît temporaire d’activité.
La salariée produit ensuite un avenant de reconduction audit contrat à durée déterminée, non daté mais signé par les parties; qui ne précise pas le motif du renouvellement et du recours à un autre contrat à durée déterminée, ni de date, et qui ne permet pas de savoir s’il a bien été transmis à la salariée au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche comme exigé par l’article L 1242-13 du code du travail, étant précisé que la transmission tardive du contrat à durée déterminée pour signature équivaut à une absence d’écrit qui entraîne requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
Par ailleurs la salariée ajoute de manière pertinente que le motif du recours au contrat à durée déterminée est erronée et procède d’une utilisation abusive du contrat à durée déterminée puisqu’elle a été embauchée en juin 2018 à une période correspondant à une baisse de l’activité de boulangerie pâtisserie, mise en congé du 7 au 27 décembre 2019, période généralement connue pour l’accroissement de l’activité ce qui établit que son embauche n’a en réalité aucun lien avec un quelconque accroissement de l’activité.
Or l’employeur à qui revient la charge de la preuve de la réalité du motif du recours au contrat à durée déterminée et en l’espèce de l’accroissement d’activité ne rapporte pas cette preuve, se limitant à invoquer une augmentation des commandes résultant de la succession de plusieurs fêtes religieuses sans en justifier.
De ce fait l’employeur ne justifie pas que le recours à un tel contrat à durée déterminée sur une durée totale de 18 mois renouvellement compris, était justifié conformément à l’article L1242-2 du code du travail et qu’il n’a pas embauché Mme [U] [Y] [T] à un poste de vendeuse pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise comme le soutient la salariée.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il dit que le motif de la conclusion du contrat à durée déterminée pour accroissement temporaire d’activité n’est pas justifié et fait droit à la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
– Sur les conséquences indemnitaires
* l’indemnité de requalification
En application de l’article L 1245-2 du code du travail, le jugement sera confirmé en ce qu’il condamne l’employeur à verser une indemnité de requalification correspondant à un mois de salaire soit 1521,15 euros.
* les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée entraîne en cas de rupture, l’application de la procédure de licenciement pour motif personnel. En l’espèce, La Société DELISS et COMPAGNIE ne peut donc pas justifier le licenciement par la seule survenance du terme compte tenu de la requalification en contrat à durée indéterminée.
Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse et en application de l’article L 1235-3 dans sa version applicable au litige il sera alloué à la salariée des dommages et intérêts dans la limite de sa demande soit 1521,15 euros. Le jugement est confirmé de ce chef.
* l’indemnité pour non respect de la procédure de licenciement
C’est par des motifs appropriés que le Conseil de Prud’hommes a débouté Mme [U] [Y] [T] de cette demande.
* l’indemnité légale de licenciement
En application de l’article L 1234-9 et R 1234-1 et R 1234-2 du code du travail, le jugement sera confirmé en ce qu’il fixe cette indemnité de licenciement à la somme de 380,31 euros comme demandé par la salariée.
* l’indemnité de préavis et de congés payés sur préavis
Le jugement sera également confirmé en ce qu’il alloue à Mme [U] [Y] [T] une indemnité de préavis de 1521,25 euros en application de l’article L 1234-1 d code du travail outre une indemnité de congés payés sur préavis d’un montant de 152, 12 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
AJOUTANT au jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France le 5 février 2021,
DECLARE irrecevables les conclusions de Mme [U] [Y] [T] n° 2 déposées au greffe le 16 décembre 2021 après l’ordonnance de clôture,
DECLARE La Société DELISS et COMPAGNIE irrecevable à soulever l’irrecevalibilité des conclusions d’intimé notifiées le 5 octobre 2021 et déposées au greffe de la Cour le 4 octobre 2021,
AU FOND,
CONFIRME le jugement déféré dans toutes ses dispositions;
DEBOUTE La Société DELISS et COMPAGNIE de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE La Société DELISS et COMPAGNIE aux entiers dépens de l’appel.
Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier
LE GREFFIER LE PRESIDENT