Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 22 FÉVRIER 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00526 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBIZ5
Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 Décembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° F18/01030
APPELANT
Monsieur [I] [M]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Mme Lucie MORA, délégué syndical ouvrier, muni d’un pouvoir
INTIMÉE
ETABLISSEMENT PUBLIC POLE EMPLOI ILE DE FRANCE
[Adresse 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie-Hélène DUJARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2153
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [M] a été engagé par l’établissement public Pôle Emploi Île de France (Pôle Emploi) sous contrat à durée déterminée du 20 mai 2016, pour la période du 6 juin au 31 décembre 2016, en qualité d’agent hautement qualifié au motif d’un ‘accroissement temporaire d’activité lié a la mise en place du plan «’500 000 formations et conventions Île-de-France », moyennant un salaire de base mensuel brut de 1 627,50 euros éventuellement complété d’un 13ème mois, d’une prime d’ancienneté et d’une allocation de vacances.
Par arrêté du 21 novembre 2016, M. [M] a été désigné défenseur syndical et Pôle Emploi en a été informé par courrier de la DIRECCTE Île-de-France du 14 décembre 2016 et par courrier de l’intéressé du 16 décembre 2016.
A l’arrivée du terme convenu, le contrat de travail n’a pas été renouvelé et M. [M] s’est vu remettre un certificat de travail, son solde de tout compte et l’attestation d’employeur destinée à Pôle Emploi.
Dans le dernier état des relations contractuelles entre les parties, régies par la convention collective du personnel de Pôle Emploi, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [M] s’élevait à 1 963,08 euros.
Reprochant à Pôle Emploi, d’une part, de ne pas avoir sollicité l’autorisation du non-renouvellement de son contrat de travail auprès de l’inspection du travail comme imposé par l’article L.2421-8 du code du travail, et d’autre part, d’avoir pourvu durablement un emploi lié à l’activité permanente et normale de l’établissement sous couvert d’un contrat de travail à durée déterminée motivé par un accroissement temporaire d’activité, M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 9 avril 2018 afin de l’entendre’:
– Requalifier son contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée,
– Dire que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Condamner Pôle Emploi à lui verser les sommes suivantes :
° Indemnité de requalification’:1 963,08 euros,
° Indemnité compensatrice de préavis: 3 926,16 euros,
° Congés payés sur préavis: 392,61 euros,
° Indemnité pour licenciement irrégulier: 1 963,08 euros,
° Indemnité pour licenciement sans cause réelle et séreuse: 1 963,08 euros,
° Indemnité pour violation du statut protecteur: 58 892,40 euros ,
° Indemnité réparatrice du préjudice pour perte de chance de trouver emploi et formation:
5 350,50 euros,
° Article 700 du code de procédure civile: 1 000 euros.
Pôle Emploi a conclu au débouté de M. [M].
Par jugement rendu le 5 décembre 2019, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny a débouté M. [M] de l’ensemble de ses demandes.
Le 15 janvier 2020, M. [M] a interjeté appel de la décision qui lui a été notifiée le 17 décembre 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions du 7 avril 2020, il demande à la cour de :
– Infirmer le jugement entrepris,
– Dire que le contrat à durée déterminée doit être requalifié en contrat à durée indéterminée,
– Dire que le licenciement qui en résulte est dépourvu de cause réelle et sérieuse, irrégulier, et donc nul de plein droit car prononcé en violation de son statut protecteur,
– Condamner Pôle Emploi à lui verser les sommes suivantes assorties des intérêts au taux légal courant à compter de la saisine du conseil de prud’hommes’:
° Indemnité de requalification’: 5 889,24 euros, subsidiairement, 1 963,08 euros,
° Indemnité pour licenciement sans cause réelle et séreuse: 1 963,08 euros,
° Indemnité pour licenciement irrégulier: 1 963,08 euros,
° Indemnité compensatrice de préavis: 3 926,16 euros,
° Congés payés sur préavis: 392,61 euros,
° Indemnité pour perte de chance de trouver emploi et formation: 5 350,50 euros,
° Indemnité pour violation du statut projecteur: 58 892,40 euros,
° Article 700 du code de procédure civile: 1 000 euros.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 5 mai 2020, Pôle Emploi demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter M. [M] de toutes ses demandes et de condamner celui-ci à lui verser la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 15 novembre 2022 et l’affaire appelée à l’audience du 6 décembre 2022.
MOTIFS
Sur l’atteinte au statut protecteur
Selon l’article L.2421-8 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi 2018-217 du 29 mars 2018 ‘ donc applicable au présent litige – l’arrivée du terme du contrat de travail à durée déterminée d’un salarié protégé n’entraîne sa rupture qu’après constatation par l’inspecteur du travail, saisi en application de l’article L. 2412-1, que le salarié ne fait pas l’objet d’une mesure discriminatoire. L’employeur saisit l’inspecteur du travail un mois avant l’arrivée du terme. L’inspecteur du travail statue avant la date du terme du contrat.
À l’appui de son appel, M. [M] fait valoir que Pôle Emploi a été informé de sa désignation en qualité de défenseur syndical en cours d’exécution du contrat de travail à durée déterminée et que, dans ces conditions, l’employeur aurait dû saisir l’inspecteur du travail aux fins de non renouvellement du contrat avant le terme de ce dernier. Il soutient, en effet, que l’acquisition du statut protecteur moins d’un mois avant le terme du contrat ne peut priver le salarié du bénéfice de la protection attachée à son statut et n’a donc aucune incidence sur l’obligation de l’employeur d’obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail pour mettre un terme au contrat de travail à durée déterminée. Il ajoute qu’admettre le contraire, en appliquant l’article L.2421-8 du code du travail à la lettre, porterait atteinte à une disposition d’ordre public de protection en créant une disparité entre salariés selon que leur période de protection débute moins ou plus d’un mois avant l’échéance du contrat de travail à durée déterminée.
Cela étant, comme rappelé par les parties, lorsqu’un salarié est titulaire d’un mandat extérieur à l’entreprise, la protection attachée à son statut prend effet à la date à laquelle l’employeur est informé de ce mandat.
Par ailleurs, il n’appartient pas au juge d’ajouter ou de retrancher à la loi.
Or, il résulte des dispositions claires et précises de l’article L.2421-8 du code du travail rappelées ci-dessus, que lorsque le salarié acquiert le bénéfice du statut protecteur, ou en cas de mandat externe en informe l’employeur, moins d’un mois avant l’expiration du contrat à durée déterminée, l’arrivée du terme de ce contrat entraîne la cessation du lien contractuel sans que l’employeur soit tenu de saisir l’inspecteur du travail, cette formalité ne lui étant imposée que lorsque le salarié est protégé avant le point de départ du délai d’un mois. Il appartient seulement, dans ce cas, au salarié qui s’estime victime d’une discrimination d’établir la disparité de situation qu’il allègue et à l’employeur de s’expliquer sur les raisons de celle-ci.
Dès lors, Pôle Emploi, qui n’a été informé de la désignation de M. [M] en qualité de défenseur syndical que le 14 décembre 2016 par la DIRECCTE Ile-de-France puis, le 16 décembre 2016 par le salarié, soit moins d’un mois avant le terme du contrat fixé au 31 décembre 2016, n’avait pas l’obligation de saisir l’inspecteur du travail aux fins de non renouvellement du contrat de travail à durée déterminée du 6 juin 2016.
M. [M] ne se prévaut pas d’une disparité de situation qui caractériserait une discrimination.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [M] de sa demande en réparation de l’atteinte à son statut protecteur pour absence d’autorisation du non renouvellement du contrat de travail à durée déterminée par l’inspection du travail.
Sur le motif du recours au contrat de travail à durée déterminée
Selon l’article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Aux termes de l’article L.1242-2 du même code, l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise est un motif de recours au contrat de travail à durée déterminée.
En cas de contestation, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de l’existence d’un tel motif.
À l’appui de son appel, M. [M] soutient que son embauche, conclue au motif d’un «’accroissement temporaire d’activité lié à la mise en place du plan 500 000 formations et conventions Île-de-France’» avait en réalité pour objet ou pour effet, de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de Pôle Emploi dès lors que, d’une part, il exerçait la fonction de conseiller emploi correspondant à un type de fonction exercée en contrat de travail à durée indéterminée au sein de l’établissement, et que, d’autre part, l’accroissement d’activité lié aux plans de formations supplémentaires n’est pas exceptionnel mais relève de la mission habituelle de l’employeur, d’autant qu’il s’étale sur plusieurs années, les pouvoirs publics ayant statué que la qualification pouvait être un des vecteurs durables de sortie du chômage.
Il se réfère ainsi à la succession des plans de formation pour les demandeurs d’emploi, de manière annuelle et l’attribution à Pôle Emploi de la gestion d’une grande partie de ces entrées en formation, du fait de ses missions, et relève que, concrètement, Pôle Emploi est régulièrement sollicité sur des ‘plans de formation’ de demandeurs d’emploi :
– 2012′: «’plan stratégique 2015’»,
– 2013 : plan «’30 000 formations’»,
– 2014′: plan «’100 000 formations’»,
– 2015′: plan 500 000 formations annoncé pour 2016. Une rallonge budgétaire le prolonge en 2017 (sauf en Île-de-France),
– «’plan investissement compétences 2018-2022 » déployé par Pôle Emploi.
Cela étant, l’accroissement temporaire d’activité au sens de l’article L.1242-2 du code du travail s’entend comme une augmentation temporaire de l’activité habituelle de l’entreprise, peu importe que celle-ci soit régulière ou irrégulière, habituelle, occasionnelle ou exceptionnelle.
En l’espèce, il ressort des pièces produites par Pôle Emploi que le pouvoir politique a décidé en début de l’année 2016 de lancer un plan massif de formation des demandeurs d’emploi dont l’un des axes prioritaires a consisté dans le doublement de l’offre de formation pour les personnes en recherche d’emploi, en le portant à 1 million au total, avec une priorité fixée par les pouvoirs publics sur les personnes en recherche d’emploi de longue durée, peu ou pas qualifiées, que la mise en ‘uvre de ce plan a, principalement, été confiée à Pôle emploi en conformité avec ses missions attribuées par la loi et a, par voie de conséquence, généré une charge supplémentaire pour l’organisme sur l’année 2016 comme cela est démontré par les termes de la convention régionale du 14 avril 2016 («’Pour atteindre les 500 000 actions supplémentaires de formation au niveau national, l’État a reparti cet objectif entre les différentes régions en fonction d’indicateurs clés tels que, notamment, le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A et le nombre d’entrées en formation en 2015. Pour l’Île-de-France, l’objectif a été fixé à + 64 212 places supplémentaires. Compte tenu de l’importance de ce volume, la Région a décidé de partager l’effort avec Pôle emploi Île-de-France, en assurant la gestion de + 34 000 places supplémentaires afin de permettre la mise en place par Pôle emploi des + 30 212 places supplémentaires, une convention spécifique entre l’État et Pôle emploi sera établie, prévoyant la coordination par la Région de ce plan en Île-de-France et son suivi par le CREFOP. Enfin, conformément au mandat donné à la Présidente par la délibération CR n° 33-16 du 18 février dernier, la révision de la convention-cadre entre la Région et Pôle emploi fera l’objet d’une délibération proposée au vote du Conseil régional de juin 2016. Celle-ci intégrera le travail partenarial sur le plan d ‘urgence entre les deux institutions.’»), et que l’accroissement d’activité induit par la mise en ‘uvre de ce plan avait nécessairement un caractère temporaire en ce que si l’État a proposé de prolonger le plan comme de prolonger l’effort de financement induit sur les 6 premiers mois de 2017, il appartenait à chaque conseil régional d’indiquer s’il souhaitait proroger la convention conclue en 2016, la région Île-de-France ayant pour sa part pris la décision de ne pas prolonger, pour le premier semestre 2017, le plan «’500 000 formations supplémentaires’».
La succession des plans de formation pour les demandeurs d’emploi de manière annuelle et l’attribution à Pôle Emploi de la gestion d’une grande partie de ces entrées en formation, du fait de ses missions, ne sauraient conduire à considérer que l’accroissement d’activité imposé à Pôle Emploi par ces plans n’a pas de caractère temporaire. En effet, la décision de créer et de mettre en ‘uvre de tels plans n’appartient pas à l’organisme mais relève du seul pouvoir politique dans le cadre de ses orientations de politiques publiques de l’emploi qui peuvent toujours évoluer d’une année sur l’autre, tant en ce qui concerne le nombre que les catégories des personnes visées et qui peuvent même également être remises en cause au profit d’autres actions.
Les exemples donnés par M. [M] illustrent d’ailleurs ce constat puisque le nombre de personnes visées par les plans de formations successifs ont varié de 30 000 en 2013, à 10 000 en 2014 et enfin à 500 000 en 2016.
Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [M] de sa demande en requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et, par voie de conséquence, de toutes ses demandes tendant à faire produire à la rupture du contrat de travail les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire nul pour atteinte au statut protecteur.
Sur les dommages et intérêts pour perte de chance de trouver un emploi et une formation
L’absence de comportement fautif de Pôle Emploi tant dans la formation que dans l’exécution et la rupture du contrat de travail à durée déterminée arrivé à son terme prive de fondement la demande de M. [M] en dommages et intérêts pour perte de chance de trouver un emploi et une formation.
En effet, la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée dans les conditions et pour les motifs prévus par la loi ne peut être considérée comme génératrice d’un dommage pour le salarié.
Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu’il a débouté M. [M] de sa demande en dommages et intérêts pour perte de chance de trouver un emploi et une formation.
Sur les frais non compris dans les dépens
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, la partie perdant doit être condamnée à verser à l’autre partie, une certaine somme au titre des frais exposés par celle-ci qui ne sont pas compris dans les dépens.
Toutefois, ce texte prévoit une exception pour des motifs d’équité ou liés aux situations économiques respectives des parties.
M. [M] justifiant de la précarité de sa situation après le contrat de travail à durée déterminée l’ayant lié à Pôle Emploi (bénéfice de l’ARE jusqu’en septembre 2017, puis demande de RSA pour la période postérieure), Pôle Emploi sera débouté de sa demande à son encontre fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE l’établissement public Pôle Emploi Île de France de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, formée à hauteur d’appel,
CONDAMNE M. [M] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT