ARRÊT DU
22 Décembre 2023
N° 1653/23
N° RG 21/01066 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TVXH
PL/VM
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de Dunkerque
en date du
19 Mai 2021
(RG 19/00298 -section 2 )
GROSSE :
aux avocats
le 22 Décembre 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [G] [N]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Mickaël ANDRIEUX, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
La société TRAFILOG venant aux droits de la S.A.S. SOTRIMPEX
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Marc DEBEUGNY, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS : à l’audience publique du 17 Octobre 2023
Tenue par Philippe LABREGERE
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Cindy LEPERRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Philippe LABREGERE
: MAGISTRAT HONORAIRE
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 22 Décembre 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 26 Septembre 2023
EXPOSE DES FAITS
[G] [N] a été embauchée par la société SOTRIMPEX par contrat de travail à durée déterminée à temps partiel, motivé par le remplacement d’un salarié absent, à raison de vingt-cinq heures hebdomadaires, réparties du lundi au vendredi de 9h30 à 12 heures et de 14 heures à 16h30, du 15 juin au 31 décembre 2017, en qualité d’employée, coefficient 110, groupe 3, de la convention collective des entreprises de transports routiers.
Par avenant prenant effet à compter du 19 décembre 2017, motivé par un surcroît d’activité, le terme du contrat a été prorogé au 30 juin 2018. Par avenant signé le 8 février 2018, la durée hebdomadaire de travail a été portée à compter du 1er janvier 2018 à trente heures par semaine. Par un dernier avenant fondé sur le même motif, le contrat de travail à durée déterminée a été renouvelé du 1er juillet au 30 septembre 2018.
La salariée a fait l’objet d’un arrêt de travail pour maladie du 30 août au 30 septembre 2018
Par requête reçue le 26 septembre 2019, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Dunkerque afin d’obtenir la requalification de son contrat de travail, de faire constater l’illégitimité de la rupture de la relation de travail et d’obtenir le versement de l’indemnité de précarité, d’indemnités de rupture et de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 19 mai 2021, le conseil de prud’hommes, statuant en formation de départage, a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité ou d’intérêt à agir, requalifié le contrat en contrat à durée indéterminée à compter du 15 juin 2017, condamné la société SOTRIMPEX à verser à [G] [N] :
-1398,40 euros au titre de l’indemnité de requalification
-1757,22 euros à titre d’indemnité de précarité,
débouté la salariée du surplus de sa demande et condamné la société à lui verser 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Le 18 juin 2021, [G] [N] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance en date du 7 mars 2023, la procédure a été clôturée et l’audience des plaidoiries a été fixée au 28 mars 2023 puis au 12 avril 2023.
Par arrêt en date du 14 avril 2023, la cour de céans constatant que le conseil de la société intimée avait notifié de nouvelles conclusions au nom de la société TRAFILOG ayant repris la société SOTRIMPEX dans le cadre d’une opération de fusion absorption qui n’avait été portée à la connaissance de l’appelante que postérieurement à l’ordonnance de clôture, en a ordonné la révocation, renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état du 29 juin 2023 et réservé les dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance et l’audience des plaidoiries a été fixée au 17 octobre 2023.
Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 11 avril 2023, [G] [N] appelante sollicite de la cour la réformation du jugement entrepris et la condamnation complémentaire de la société TRAFILOG à lui verser :
-4414,89 euros brut à titre de rappel de salaire sur la base d’un contrat à temps complet,
-441,48 euros brut au titre des congés payés y afférents
-1398,40 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis
-139,84 euros brut au titre des congés payés y afférents
-1398,40 euros net à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement
-492,93 euros net à titre d’indemnité légale de licenciement
-8390,40 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et de nul effet
-1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’appelante expose que son employeur a eu recours de manière illégale au contrat à temps partiel, qu’elle a été amenée à réaliser des heures au moins équivalant à la durée légale de travail pendant les périodes de congés, voire des heures supplémentaires, qu’elle devait obligatoirement rester à la totale disposition de son employeur pour, éventuellement, pouvoir réaliser trente-cinq heures pendant les périodes de congés, que son horaire de travail a été porté à trente heures par semaine ou cent-vingt-deux heures par mois à compter du 1er janvier 2018 sans que la répartition de cet horaire sur les jours de la semaine ou les semaines du mois ne soit précisée, que pendant les périodes de congés, elle a été amenée à remplacer ses collègues et a donc travaillé sur une base de trente-cinq heures, qu’il convient donc de faire droit à sa demande de requalification à temps complet et de lui allouer un rappel de salaire, qu’à supposer qu’un contrat de travail à durée indéterminée ait été proposé ou validé par l’employeur, une telle situation ne la privait pas du droit de solliciter la requalification de son contrat irrégulier en contrat de travail à durée indéterminée, que le contrat de travail à durée déterminée de base était motivé par le remplacement d’un salarié absent, que toutefois il n’est précisé ni le nom ni la qualification de la personne remplacée, qu’au surplus l’accroissement d’activité allégué par la société résultait, non pas de circonstances temporaires, mais du retour du client, DHL après dix ans d’absence, que l’accroissement n’était donc pas temporaire mais, au contraire durable, que l’indemnité de requalification doit correspondre à son salaire mensuel de 1398,40 euros brut, que l’employeur devait respecter les règles applicables en matière de rupture du contrat de travail à durée indéterminée, que le licenciement est donc irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, qu’elle conteste fermement toute proposition de contrat à durée indéterminée au cours de la relation de travail, qu’à la date du 30 septembre 2018, aucune proposition ne lui avait été formulée, que la société SOTRIMPEX devait respecter un délai de préavis d’un mois, qu’elle ne s’est pas conformée à la procédure de licenciement avant de rompre le contrat de travail, que l’appelante justifie d’une ancienneté d’un an et cinq mois, préavis compris, soit 1,41 année, que son employeur était parfaitement conscient de son état de grossesse depuis le 4 juin 2018, que de ce fait, le licenciement prononcé est nul, qu’elle est fondée à solliciter des dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs à six mois de salaire.
Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 11 avril 2023, la société TRAFILOG substituée dans les droits de la société SOTRIMPEX sollicite de la cour la révocation de l’ordonnance de clôture du 7 mars 2023, la réformation du jugement entrepris, conclut au débouté de la demande et à la condamnation de l’appelante à lui verser 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’intimée soutient qu’elle a proposé à plusieurs reprises à l’appelante, lors du second renouvellement du contrat à durée déterminée, la conclusion d’un contrat à durée indéterminée, que cette dernière a refusé, qu’elle n’a donc pas d’intérêt à agir, que les motifs mentionnés à l’appui de la conclusion des contrats à durée déterminée sont valables, qu’ils sont fondés sur un surcroît de travail, motif qui se confond avec celui reposant sur le remplacement d’un salarié absent, que la salariée a refusé de signer un contrat à durée indéterminée du fait qu’elle était enceinte et préférait profiter de deux années de chômage auxquelles elle avait droit, qu’un tel refus l’empêche de solliciter la requalification de la relation de travail, que de juin à décembre 2017, la fiche de paye présentait des mentions erronées, puisque l’appelante travaillait vingt-cinq heures par semaine et non trente heures, qu’elle ne justifie pas s’être tenue à la disposition permanente de son employeur, qu’elle n’a accompli des heures complémentaires qu’en juillet et août 2017, à hauteur respectivement de 5h30 et 1h30, que son salaire a été majoré en conséquence, que le refus de régularisation du contrat à durée indéterminée constaté par la société par mail du 17 octobre 2018 et confirmé par la salariée par une annotation sur l’attestation Pôle emploi s’analyse en une lettre de licenciement pour motif réel et sérieux mais aussi pour faute grave, à titre subsidiaire, que l’appelante a pris l’initiative de rompre la relation de travail et doit être réputée démissionnaire.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Attendu en application de l’article 31 du code de procédure civile que l’appelante fonde sa demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée sur l’irrégularité du motif énoncé à l’appui de la conclusion dudit contrat ; qu’elle a bien un intérêt à agir ;
Attendu en application de l’article L3123-9 du code du travail que l’appelante a été embauchée par la société intimée à compter du 15 juin 2017 par contrat de travail à durée déterminée à temps partiel sur une base hebdomadaire de 25 heures ; que, selon l’article 3 dudit contrat, la durée de travail hebdomadaire était portée à 35 heures pendant les périodes de congé ; que toutefois il résulte de l’ensemble des bulletins de paye produits que le nombre d’heures de travail accomplies mensuellement par l’appelante durant toute la relation de travail a oscillé entre 52,50 heures et 122 heures, n’atteignant 127,30 heures qu’en juillet 2017 et 123,30 en août 2017 ; que n’ayant jamais accompli 151,67 heures de travail mensuel durant un mois au moins, l’appelante ne peut prétendre avoir été employée à plein temps durant cette période ;
Attendu toutefois, en application de l’article L3123-6 du code du travail, que par avenant en date du 8 février 2018 mais prenant effet à compter du 1er janvier 2018, le temps de travail de l’appelante a été porté à 122 heures par mois ; que du fait de cette modification, une nouvelle répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois devait être mentionnée dans l’avenant ; que celui-ci est totalement muet sur ce point, puisqu’il n’indique qu’une augmentation du temps de travail à 30 heures par semaine soit 122 heures mensuelles ; que la société, qui ne produit aucun planning de l’activité de l’appelante, ne fournit aucune preuve ni n’apporte de précision sur la répartition exacte dans la semaine des 30 heures de travail que devait accomplir cette dernière et se borne à affirmer que la salariée n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur ; qu’en conséquence le contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat à plein temps à compter du 1er janvier 2018 ; que de ce fait la société est tenue à un rappel de salaire correspondant à la différence entre le salaire auquel l’appelante aurait pu prétendre si elle était employée à plein temps et celui qu’elle a effectivement perçu jusqu’au 30 août 2018, date de l’arrêt de travail initial ; qu’il convient d’évaluer le rappel de salaire à la somme de 2364,60 euros et à 236,46 euros les congés payés y afférents ;
Attendu en application de l’article L1242-2 du code du travail qu’il résulte des termes du contrat à durée déterminée en date du 14 juin 2017 que sa conclusion est motivée à la fois par le remplacement d’un salarié absent et par un renfort pendant les congés ; que si le second motif peut être assimilé à un accroissement temporaire de travail, la société n’apporte aucun élément de preuve de nature à le démontrer ; qu’au demeurant, le contrat de travail ne mentionne pas l’identité du salarié absent devant être remplacé ; qu’il s’ensuit, conformément à l’article L1245-1 du code du travail, que les premiers juges ont, à bon droit, considéré que le contrat de travail devait être réputé à durée indéterminée ;
Attendu en application de l’article L1245-2 du code du travail que du fait de la requalification du contrat de travail en contrat à plein temps, l’appelante peut prétendre à une indemnité de requalification que les premiers juges ont exactement évaluée ;
Attendu en application de l’article L1243-8 du code du travail que la requalification du contrat de travail fait obstacle au versement de l’indemnité de précarité due à l’appelante puisqu’elle a conduit à la poursuite de la relation de travail postérieurement au terme initialement fixé ;
Attendu que la rupture de la relation de travail est survenue le 30 septembre 2018 ; que du fait de la requalification du contrat de travail devenu à durée indéterminée, la rupture de la relation de travail devait être prononcée dans les conditions et les formes des articles L1232-2 et L1232-6 du code du travail ; qu’en l’absence de lettre de licenciement, la rupture s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu’il résulte de l’attestation de paiement des indemnités journalières que l’appelante s’est trouvée en arrêt de travail pour maladie à compter du 30 août 2018 puis, pour maternité, à partir du 10 septembre 2018 ; qu’elle se borne à affirmer, sans en apporter la moindre démonstration, que son employeur avait connaissance de son état de grossesse depuis le 4 juin 2018 ; que par ailleurs l’attestation précitée n’établit pas en soi qu’à la date du 10 septembre 2018, et, en tout cas, avant la rupture de la relation de travail, la société était informée de la grossesse de l’appelante ; que le premier courriel dans lequel il en est fait état date du 12 octobre 2018 et ne permet pas de déterminer la date exacte à laquelle la société a eu connaissance de cette grossesse ;
Attendu en application de l’article 13 de l’annexe II de la convention collective que l’indemnité compensatrice de préavis doit être évaluée à un mois de salaire ; que l’appelante sollicitant la somme de 1398,40 euros brut à ce titre et de 139,84 euros au titre des congés payés il convient de faire droit à sa demande ; qu’en application de l’article R1234-2 du code du travail, l’indemnité de licenciement doit être évaluée au moins à la somme de 492,93 euros ;
Attendu en application de l’article L1235-3 du code du travail qu’à la date de la rupture de la relation de travail, l’appelante était âgée de 24 ans et jouissait d’une ancienneté inférieure à deux années au sein de l’entreprise qui employait de façon habituelle moins de onze salariés ; que compte tenu de ces éléments, il convient d’évaluer à la somme de 1504 euros l’indemnité due en réparation du préjudice subi par l’appelante du fait de la perte de son emploi ;
Attendu en application de l’article L1235-2 du code du travail dernier alinéa que l’irrégularité de la procédure de licenciement ne donne lieu au versement d’une indemnité que si le licenciement est survenu par ailleurs pour une cause réelle et sérieuse ; que tel n’étant pas le cas en l’espèce, l’appelant ne peut y prétendre ;
Attendu qu’il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l’appelante les frais qu’elle a dû exposer en cause d’appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu’il convient de lui allouer une somme complémentaire de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
REFORME le jugement déféré,
REQUALIFIE le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à plein temps à compter du 1er janvier 2018,
CONDAMNE la société TRAFILOG à verser à [G] [N] :
-2364,60 euros à titre de rappel de salaire
-236,46 euros au titre des congés payés afférents
-492,93 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
-1504 euros à titre d’indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
DÉBOUTE [G] [N] de sa demande au titre de l’indemnité de fin de contrat,
CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris,
ET Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société TRAFILOG à verser à [G] [N] 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société TRAFILOG aux dépens.
LE GREFFIER
C. LEPERRE
LE PRÉSIDENT
P. LABREGERE