AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/07206 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MUUU
[B]
C/
Société ADECCO FRANCE
Société SNCF
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de Lyon
du 24 Septembre 2019
RG : 17/02502
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2022
APPELANT :
[O] [B]
né le 15 Mai 1988 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Rémi RUIZ FERNANDEZ de la SELARL CABINET RITOUET RUIZ, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
Société ADECCO FRANCE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Pierre COMBES de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Mathilde HELLEU, avocat au barreau de LYON
Société SNCF
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Carine LEFEVRE-DUVAL, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 13 Juin 2022
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Antoine MOLINAR-MIN, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 21 Septembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [B] a été mis à la disposition de la société SNCF par la société de travail temporaire Adecco, suivant différents contrats de missions, pour exercer les fonctions d’assistant de gestion polyvalent, entre le 2 juillet 2012 et le 27 février 2017.
M. [B] a été mis au service de la société SNCF au titre de sept contrats de missions répartis de la manière suivante :
– première mission en qualité d’agent de maîtrise du 2 juillet 2012 au 27 décembre 2013.
– seconde mission en qualité de gestionnaire de réclamations niveau accueil du 30 décembre 2013 au 29 août 2014.
– troisième mission en qualité de gestionnaire de réclamation groupe de traitement des réclamations du 1er septembre 2014 au 3 octobre 2014.
– quatrième mission en qualité de gestionnaire de réclamation fournisseur en front office du 10 novembre 2014 au 14 novembre 2014.
– cinquième mission en qualité gestionnaire de réclamation fournisseur en back office du 10 décembre 2014 au 9 janvier 2015.
– sixième mission en qualité d’assistant de responsable d’équipe du 12 janvier 2015 au 28 août 2015.
– septième mission en qualité d’assistant responsable d’équipe du 31 août 2015 au 11 juillet 2016 avec avenant de renouvellement du 12 juillet 2016 jusqu’au 27 février 2017.
Par un courriel en date du 28 février 2017, la société SNCF a demandé à la société Adecco France d’établir un nouveau contrat de mission avec M. [B] pour une période comprise entre le 6 mars 2017et le 28 juillet 2017, afin qu’il procède à la « constitution d’un fichier fournisseurs et démarchage en vue de la généralisation de la dématérialisation fiscale des factures … »
Avant l’exécution de ce contrat, la société SNCF en a sollicité l’annulation auprès de la société Adecco.
Par requête en date du 11 août 2017, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon en lui demandant de condamner la société Adecco à lui verser un rappel de salaire du 6 mars au 28 juillet 2017 avec congés payés afférents et une indemnité de fin de mission. Il sollicite également la condamnation in solidum des sociétés Adecco et SNCF à lui verser diverses sommes à titre d’indemnité de requalification, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le conseil de prud’hommes s’est déclaré en partage de voix, par procès verbal du 14 septembre 2018.
Par jugement en date du 24 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Lyon, en sa formation de départage, a :
– déclaré prescrite l’action en requalification,
– débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– débouté la société Adecco France de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [B] aux dépens de l’instance qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle totale.
M. [B] a interjeté appel de ce jugement, le 21 octobre 2019.
M. [B] demande à la cour de:
– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Lyon le 24 septembre 2019 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau
– prononcer la requalification de la relation de travail en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 Juillet 2012.
En conséquence,
– condamner solidairement la société Adecco France et la société SNCF à lui verser la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité de requalification.
– dire et juger que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
– condamner solidairement la société Adecco France et la société SNCF à lui verser les sommes suivantes :
3 940,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
394,01 euros au titre des congés payés afférents,
3 007,60 euros au titre de I’indemnité de licenciement,
16 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– dire et juger que la rupture anticipée du contrat de mission du 6 mars 2017 conclu entre la société Adecco France et lui vaut application de l’article L1251-26 alinéa 3 du code du travail.
En conséquence,
– condamner la société Adecco France à lui verser les sommes suivantes :
10 707,92 euros à titre de rappel de salaire,
1 070,79 euros au titre des congés payés afférents,
1 070,79 euros au titre de I’indemnité de fin de mission.
Y ajoutant,
– lui allouer la somme de 2 500 euros en cause d’appel sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner solidairement la société Adecco France et la société SNCF aux entiers dépens de l’instance.
La société Adecco France demande à la cour de :
– confirmer les chefs de dispositif suivants du jugement du conseil de prud’hommes de Lyon du 24 septembre 2019 :
déclaré prescrite l’action en requalification,
débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
condamné M. [B] aux dépens de l’instance qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle totale
– infirmer le chef de dispositif suivant du jugement du conseil de prud’hommes de Lyon du 24 septembre 2019 :
déboute la société Adecco France de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile, … »
En conséquence,
Au principal,
– déclarer irrecevables les demandes à titre de requalification des missions d’intérim en contrat à durée indéterminée de M. [B] et de l’en débouter,
– débouter M. [B] de ses demandes à titre de rupture anticipée et injustifiée du contrat de mission du 6 mars au 28 juillet 2017,
Subsidiairement,
– débouter M. [B] de l’intégralité de sa demande,
En tout état de cause,
– le condamner reconventionnellement au paiement d’une somme de 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance, et 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel.
La société SNCF demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil dans toutes ses dispositions en ce qu’il a débouté M. [B] de l’intégralité de ses demandes.
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a dit l’action de M. [B] prescrite.
Sur le fond et à titre subsidiaire,
– débouter M. [B] de sa demande de requalification et de l’intégralité de
ses autres demandes.
– débouter M. [B] de sa demande formulée par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2022.
SUR CE :
M. [B] sollicite la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à compter du 2 juillet 2012 en invoquant :
– le caractère permanent du poste occupé
– le non respect du délai de carence à plusieurs reprises
– des mentions fallacieuses relatives au prétendu remplacement de salariés absents,
– l’absence d’accroissement temporaire d’activité.
La SNCF conclut qu’au regard des moyens énoncés par M. [B] à l’appui de sa demande de requalification ( absence de mention de la qualification du salarié remplacé, mentions fallacieuses sur les contrats), le salarié était en mesure d’identifier les faits lui permettant d’exercer son action dés la date de conclusion du premier contrat, soit le 2 juillet 2012 et que son action engagée le 11 août 2017 est par conséquent prescrite.
La société ADECCO France conclut dans le même sens que la SNCF.
M. [B] soutient au contraire que la prescription de son action courait à compter du terme du dernier contrat, soit le 27 février 2017, que plusieurs moyens tenant au non-respect du délai de carence, ou au caractère fallacieux du motif de recours sont fondés sur des contrats conclus moins de deux ans avant la saisine du conseil de prud’hommes, et que la prescription ne peut être acquise s’agissant du moyen tenant au pourvoi d’un emploi durable et permanent.
– Sur la prescription :
L’article L.1251-40 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, dispose que lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L 1251-5 à L 1251-7(cas de recours au travail temporaire) L 1251-10 à L 1251-12 (interdiction du recours au travail temporaire)L 1251-30 (aménagement du terme de la mission) et L 1251-35 (renouvellement du contrat) ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le premier jour de sa mission.
L’article L. 1471-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, applicable au présent litige, énonce que toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Il en résulte que le délai de prescription prévu par l’article l’article L. 1471-1 du code du travail sus-visé, ne court qu’à compter du terme du dernier contrat de mission, soit en l’espèce, à compter du 27 février 2017, de sorte que M. [B] pouvait introduire sa demande de requalification de ses contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée, à l’encontre de l’entreprise utilisatrice, jusqu’au 27 février 2019. L’action introduite par requête en date du 11 août 2017 n’est en conséquence pas prescrite.
Le jugement déféré sera par conséquent infirmé en ce qu’il a jugé que M. [B] était en mesure d’identifier les faits lui permettant d’exercer son droit à compter de la date de la conclusion du premier contrat , soit le 2 juillet 2012 et que son action en requalification était prescrite.
– Sur la demande de requalification :
M. [B] expose que :
– le recours à 8 contrats de travail temporaires successifs pour l’intégrer au service comptabilité de la SNCF, pendant une durée de 4 ans et demi, a nécessairement eu pour effet de pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice
– il a effectué les mêmes tâches, durant toute la relation de travail, à savoir des missions d’assistance dans la facturation des fournisseurs, que ces fiches de suivi sont restées similaires durant toute la relation contractuelle, et qu’aucune modification substantielle de son poste n’a été mise en ‘uvre, ce qui démontre que les informations contenues dans ses contrats de travail ne sont donc pas en adéquation avec les tâches réellement réalisées
– la société SNCF n’a pas respecté l’exigence d’un délai de carence à plusieurs reprises, et que ce non-respect caractérise, pour cette entreprise utilisatrice, le recours à un contrat précaire pour pourvoir durablement un emploi lié à son activité permanente et normale
– les contrats de remplacement ne font aucune mention de la qualification des salariés remplacés, ce qui ne lui a pas permis de s’assurer que le principe d’égalité de traitement avait bien été respecté par l’employeur
– la moitié de ses contrats de mission était motivée par de prétendus accroissements temporaires d’activité non justifiés.
La société SNCF expose le contexte organisationnel de la SNCF à la suite de la loi n°2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire. Elle fait valoir que :
– M. [B] a travaillé en tant qu’agent de maîtrise intérimaire au sein du pôle Assistance Facture Fournisseur (AFF) du Centre de Comptabilité Fournisseur (CCF), soit pour remplacer des salariés absents, soit pour pallier aux besoins engendrés par différents accroissements d’activité temporaire
– chaque mission confiée à M. [B] était conforme aux prescriptions légales applicables
( articles L. 1251-39 et L. 1251-40 du code du travail ), et tous les contrats ont été conclus pour des motifs prévus dans le code du travail
– les arguments issus du tract de la CGT sont inopérants.
Concernant le remplacement de salariés absents, la SNCF fait valoir que :
– le deuxième contrat est relatif au remplacement de M. [J] [Y] ‘gestionnaire de réclamation niveau accueil’;
– le troisième contrat intervient en remplacement de M. [F] [L] ‘ gestionnaire de réclamation GTR’
– le quatrième contrat était destiné à pourvoir le remplacement de M. [U] [M] ‘gestionnaire de réclamation fournisseur en Front-Office’
– le cinquième contrat avait pour objet le remplacement de Mme [H] [C], ‘gestionnaire de réclamation fournisseur en back-office’
– il résulte d’une jurisprudence transposable en l’espèce, que le seul fait pour un employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des CDD de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux CDD pour faire face à un besoin structurel de main d’oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise
– il s’agit donc de postes différents et de missions différentes
– tous les contrats de missions indiquent pour chaque remplacement, le nom, la qualification ainsi que les tâches afférentes aux missions mentionnées.
La société ADECCO soutient :
– qu’en l’absence de preuve d’agissements particuliers avec la société utilisatrice, la SNCF, afin de pourvoir durablement un poste lié à son activité normale et permanente, aucune condamnation ne pourra être prononcée à son encontre au titre de la requalification des missions d’intérim de M. [B] en contrat à durée indéterminée sur le fondement de l’emploi durable et permanent occupé dans l’entreprise utilisatrice
– qu’elle s’est parfaitement conformée aux exigences légales et jurisprudentielles s’agissant de la mention de la qualification professionnelle de l’intérimaire, et que M. [B] est incapable de rapporter la preuve d’un quelconque préjudice lié une prétendue absence de mention de la qualification du salarié remplacé dans les contrats de mission qu’il a signés
– que le non-respect du délai de carence applicable entre deux contrats successifs, ne permet pas de fonder l’action en requalification, en cas de missions successives dans l’entreprise utilisatrice.
– que c’est à l’entreprise utilisatrice, à savoir la SNCF, de démontrer la réalité des motifs de recours.
****
Si la conclusion de contrats précaires successifs pour faire face notamment au remplacement de salariés n’a pas pour effet de créer entre les parties une relation de travail à durée indéterminée, il ne saurait en aller ainsi lorsque le recours aux contrats précaires est érigé en mode normal de gestion de la main-d’oeuvre et conduit par ce biais, à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Il résulte des mentions des contrats de mission que le premier et les deux derniers sont justifiés par un accroissement temporaire d’activité, étant précisé que le premier contrat de mission indique comme justification l’apurement de la surcharge de dossiers de réclamation en retard de paiement, tandis que les deux derniers visent la mise en oeuvre de la réforme ferroviaire.
La société SNCF mentionne en page 17 de ses conclusions, un tableau de l’évolution des retards bruts EPIC pour 2012 et 2013, lequel n’est étayé par aucune pièce et est par conséquent inexploitable dans le présent litige.
S’agissant de la mise en oeuvre de la réforme ferroviaire consistant dans le remplacement de l’unique EPIC SNCF par le Groupe Public Ferroviaire composé de trois EPIC : la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités, la cour observe que la SNCF ne justifie pas en quoi la mise en oeuvre de la réforme aurait généré un accroissement temporaire d’activité du 12 janvier 2015 au 27 février 2017, soit pendant plus de deux années, durée qui apparaît contraire à la notion même d’accroissement temporaire. En outre, la SNCF ne justifie par aucun élément, de l’impact de la mise en oeuvre de la réforme sur le pôle Assistance Facture Fournisseur auquel le salarié a été affecté pendant l’intégralité de ses missions, étant précisé que l’existence d’une réforme structurelle si importante soit-elle ne suffit pas à caractériser un accroissement d’activité.
Concernant le remplacement de salariés, la SNCF soutient qu’il s’agit de postes distincts, dés lors que le poste de gestionnaire de réclamation GTR ou back office des troisième, quatrième et cinquième contrats implique le traitement de réclamations bien plus complexes que le poste de gestionnaire de réclamation niveau accueil du deuxième contrat.
Mais, compte tenu de l’importance de son effectif, il apparaît d’une part que la société SNCF devait régulièrement pallier un nombre minimal et prévisible d’absences de salariés, d’autre part, qu’à l’occasion de ses différents remplacements, M. [B] a occupé le même emploi de gestionnaire de réclamation.
Dés lors, il ressort des éléments du débat que pendant plus de quatre années et demi consécutives, M. [B] a occupé le même emploi de gestionnaire de réclamations, ce dont il résulte que les emplois occupés étaient liés durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise
Enfin, M. [B] invoque la violation des dispositions de l’article L. 1251-36 du code du travail aux terme desquelles :
‘A l’expiration d’un contrat de mission, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée, ni à un contrat de mission, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements. (…)’
Il est constant en l’espèce que le délai de carence n’a pas été respecté à trois reprises :
– entre le premier contrat conclu du 2 juillet 2012 au 27 décembre 2013 pour accroissement temporaire d’activité et le second contrat conclu à compter du 30 décembre 2013 pour le remplacement d’un salarié absent ;
– entre le contrat conclu pour la période du 10 décembre 2014 au 9 janvier 2015 pour le remplacement d’un salarié et le contrat conclu à compter du12 janvier 2015 en raison d’un surcroît temporaire d’activité ;
– entre le contrat conclu pour la période du 12 janvier 2015 au 28 août 2015 et le contrat conclu à compter du 31 août 2015 pour accroissement temporaire d’activité.
La succession irrégulière de contrats de mission ainsi caractérisée révèle que l’entreprise utilisatrice a eu recours au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente, sans respecter à plusieurs reprises le délai de carence.
Cette succession irrégulière met également en évidence un manquement de l’entreprise de travail temporaire aux obligations qui lui sont propres.
Dans ces conditions, la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée est justifiée tant à l’égard de l’entreprise utilisatrice, en l’espèce la SNCF qu’à l’égard de l’entreprise de travail temporaire, la société Adecco.
Il convient par conséquent de requalifier la relation de travail en un contrat à durée indéterminé à l’égard des deux sociétés et d’infirmer le jugement déféré en ce sens.
– Sur les conséquences de la requalification :
Il résulte des dispositions de l’article L. 1251-41du code du travail que si le conseil de prud’hommes fait droit à la demande de requalification d’un contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée, il accorde au salarié une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.
Cette disposition s’applique sans préjudice de l’application des dispositions relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.
Et la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée ne permet pas à l’entreprise utilisatrice d’invoquer, comme cause de la rupture du contrat de travail la survenue du terme de contrat de mission.
La SNCF soutenant qu’aucune procédure particulière ne s’imposait à elle dés lors que le contrat de mission était arrivé à son terme et que l’arrivée du terme était suffisante pour mettre fin au contrat, elle ne justifie pas d’une cause réelle et sérieuse de rupture de la relation contractuelle qui s’analyse par conséquent comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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M. [B] est par conséquent fondé tant en sa demande de paiement d’une indemnité de requalification à l’égard de l’entreprise utilisatrice, la société SNCF, qu’en sa demande de condamnation in solidum de l’entreprise utilisatrice, la société SNCF, et de l’entreprise de travail temporaire, la société Adecco, à l’égard desquelles le contrat est requalifié, au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le dernier bulletin de salaire faisant état d’un salaire brut de 1 970,05 euros, l’indemnité de requalification sera fixée à cette somme et M. [B] qui ne justifie pas de sa demande pour le surplus, en sera débouté.
La société SNCF et la société ADECCO qui ne critiquent pas, même à titre subsidiaire, les bases de calcul sur lesquelles M. [B] a formé ses demandes au titre des indemnités de rupture, seront par conséquent condamnées in solidum à lui payer les sommes suivantes :
* 3 940,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
* 394,01 euros au titre des congés payés afférents
* 3 007,60 euros à titre d’indemnité de licenciement.
S’agissant des dommages et intérêts, en application des articles L 123563 et L1235-5 anciens du code du travail applicables à la date de la rupture, M. [B] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l’absence de réintégration dans l’entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu du montant de la rémunération versée à M. [B] âgé de 29 ans lors de la rupture, de son ancienneté quatre années et demi, et de sa capacité à retrouver un emploi équivalent, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 12 000 euros.
En conséquence, le jugement qui a débouté M. [B] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être infirmé et la SNCF et la société ADECCO condamnées in solidum à lui payer la somme de 12 000 euros.
M. [B] sera débouté de sa demande pour le surplus.
– Sur la demande au titre de la rupture anticipée du contrat de mission du 6 mars 2017 :
M. [B] expose que la société Adecco lui a soumis le 6 mars 2017 un contrat précisant clairement l’emploi proposé, le motif du recours à la prestation d’interim, la durée de la mission, les horaires de travail et le montant de la rémunération; que cette promesse d’embauche qu’il a immédiatement acceptée, vaut contrat de travail pour la période du 6 mars au 28 juillet 2017 et que toute rétractation de la société Adecco est inopérante.
M. [B] sollicite en conséquence la somme de 10 707,92 euros à titre de rappel de salaire, outre la somme de 1 070,79 euros de congés payés afférents et la somme de 1 070,79 euros à titre d’indemnité de fin de mission.
La société Adecco soutient qu’elle a rédigé un contrat de mise à disposition qu’elle a adressé, conformément à sa demande, à la SNCF, pour une mission débutant le 6 mars 2017 et se terminant le 28 juillet 2017; que la SNCF lui a fait savoir le 2 mars 2017 que le point de départ de cette mission était reporté en accord avec M [B]; qu’elle a demandé à M. [B] un CV actualisé afin de lui trouver une autre mission; que M. [B] n’a jamais contesté l’annulation du contrat de mise à disposition et a répondu favorablement à la société Adecco dans un premier temps; que M. [B] n’a cependant jamais donné suite aux propositions de nouvelles missions par Adecco; que ce n’est que lorsque la SNCF lui a indiqué, par mail du 29 mai 2017 que la mission qu’il convoitait ne lui serait pas proposée qu’il a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon de demandes contre la société Adecco.
****
L’article L. 1251-26 du code du travail énonce que :
‘L’entreprise de travail temporaire qui rompt le contrat de mission du salarié avant le terme prévu au contrat lui propose, sauf faute grave de ce dernier ou cas de force majeure, un nouveau contrat de mission prenant effet dans un délai maximum de trois jours ouvrables.
Le nouveau contrat de mission ne peut comporter de modification d’un élément essentiel en matière de qualification professionnelle, de rémunération, d’horaire de travail et de temps de transport.
A défaut, ou si le nouveau contrat de mission est d’une durée inférieure à celle restant à courir du contrat précédent, l’entrepreneur de travail temporaire assure au salarié une rémunération équivalente à celle qu’il aurait perçue jusqu’au terme du contrat, y compris l’indemnité de fin de contrat.
Lorsque la durée restant à courir du contrat de mission rompu est supérieure à quatre semaines, les obligations du présent article peuvent être satisfaites au moyen de trois contrats successifs au plus. »
La société Addecco soutient que la SNCF l’a contacté le 2 mars 2017 pour lui indiquer que le point de départ de la mission était reporté, de sorte que le contrat devait être annulé.
M. [B] produit cependant un contrat de mission portant sa signature , celle d’Adecco et la date du 6 mars 2017, soit une date postérieure à celle invoquée pour l’annulation dont les circonstances ne sont au demeurant pas précisées et il n’existe dans le débat aucun document, de quelque nature qu’il soit attestant d’une annulation à la date du 2 mars 2017.
La société Adecco produit en outre un courriel de M. [B] du 6 mars 2017 indiquant :
‘ Suite à notre conversation de jeudi 02 mars, vous trouverez mon CV actualisé.
Je souhaiterai débuter une mission début avril jusqu’à fin mai afin d’être ,disponible en juin pour la mission SNCF (…)’
Le premier juge a interprété ce courriel en faveur d’un accord donné par M. [B] à une rupture anticipée du contrat de mission couvrant la période du 6 mars 2017 au 28 juillet 2017, qui ne répondait pas à ses exigences, et a retenu l’absence de sollicitation de la société Adecco par M. [B] entre le début du mois d’avril et le 31 mai 2017, pour considérer que le contrat de mission avait été annulé d’un commun accord et non à l’initiative de la société de travail temporaire.
Or, si la société Adecco soutient que M. [B] est à l’origine de l’annulation de son contrat, dés lors qu’il était en discussion avec la SNCF pour la signature d’une CDD pour la période du 1er juin 2017 au 31 décembre 2017, il résulte des pièces versées aux débats que les échanges entre M. [D] de la SNCF et M. [B] au sujet du futur CDD sont largement postérieurs au 6 mars 2017 (mai 2017), et qu’il n’est établi par aucune pièce que l’annulation du contrat de mission serait le fait de M. [B].
Enfin la date de l’annulation du contrat de mission est équivoque dés lors que le document signé par les parties porte la date du 6 mars 2017.
Dans ces conditions, le courriel du 6 mars 2017 qui ne comporte aucun accord expressément donné par le salarié à l’annulation du contrat, ne saurait être interprété dans ce sens.
En tout état de cause, l’article L. 1251-26 fait obligation à l’entreprise de travail temporaire qui rompt le contrat de mission du salarié avant le terme prévu au contrat, de lui proposer un nouveau contrat de mission prenant effet dans un délai maximum de trois jours ouvrables, de sorte qu’en l’état de cette obligation pesant en l’espèce sur la société Adecco, il ne peut être reproché à M. [B] de ne pas avoir sollicité l’entreprise de travail temporaire après l’annulation du contrat.
Il en résulte que la société Adecco est tenue d’assurer à M. [B] une rémunération équivalente à celle qu’il aurait perçue jusqu’au terme du contrat, y compris l’indemnité de fin de contrat, conformément aux dispositions de l’article L. 1251-26 du code du travail sus-visé.
Le contrat de mission litigieux n°21745 du 6 mars 2017 prévoyant une rémunération mensuelle brute de 1 927,73 euros, outre une prime de poste au taux horaire de 0,46 euros et une prime de fin d’année au taux horaire de 0,95 euros pour 151H67, M. [B] est fondé en sa demande de rappel de salaire, d’un montant de 10 707,92 euros se décomposant comme suit :
* 9 638,65 euros (1 927, 73 x 5) à titre de rappel de salaire
* 348,84 euros (0,46 x 151,67 x5) à titre de prime de poste
* 720,43 euros (0,95 x 151,67 x5) à titre de prime de fin d’année, outre les congés payés afférents et l’indemnité de fin de mission prévue par l’article L. 1251-32 du code du travail, égale à 10% de la rémunération totale brute due au salarié.
Le jugement déféré qui a débouté M. [B] de ses demandes au titre de la rupture anticipée du contrat de mission du 6 mars 2017 sera donc infirmé et la société Adecco sera condamnée à lui payer les sommes suivantes:
* 10 707,92 euros de rappel de salaire
* 1 070,79 euros de congés payés afférents
* 1 070, 9 euros au titre de l’indemnité de fin de mission
– Sur les demandes accessoires :
Les dépens de première instance et d’appel, suivant le principal, seront supportés par la SNCF et par la société Adecco.
L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
REJETTE la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande de requalification
ORDONNE la requalification des contrats de mission du 2 juillet 2012 au 27 février 2017 en un contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société SNCF et de la société Adecco
CONDAMNE la société SNCF à payer à M. [B] la somme de 1970, 05 euros à titre d’indemnité de requalification
DIT que la rupture de la relation contractuelle ainsi requalifiée s’analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse
CONDAMNE in solidum la société SNCF et la société Adecco à payer à M. [B] les sommes suivantes :
* 3 940,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
* 394,01 euros au titre des congés payés afférents
* 3 007,60 euros à titre d’indemnité de licenciement
* 12 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture
CONDAMNE la société Adecco à payer à M. [B], au titre de la rupture anticipée du contrat de mission du 6 mars 2017, les sommes suivantes :
* 10 707,92 euros de rappel de salaire
* 1 070,79 euros de congés payés afférents
* 1 070,79 euros au titre de l’indemnité de fin de mission
CONDAMNE in solidum la société SNCF et la société Adeccoà payer à M. [B] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
CONDAMNE in solidum la SNCFet la société Adecco aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE