CDD pour accroissement d’activité : décision du 20 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/02062
CDD pour accroissement d’activité : décision du 20 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/02062

ARRÊT DU

20 Octobre 2023

N° 1332/23

N° RG 21/02062 – N° Portalis DBVT-V-B7F-UAFR

VCL/AA

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Saint-Omer

en date du

19 Novembre 2021

(RG 21/00036 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 20 Octobre 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

Mme [U] [B] épouse [M]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Audrey SART, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

INTIMÉE :

Me [I] [A]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Pierre CORTIER, avocat au barreau de DUNKERQUE

DÉBATS : à l’audience publique du 31 Août 2023

Tenue par Virginie CLAVERT

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 20 Octobre 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 17/08/2023

EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :

Mme [U] [B] épouse [M] a été engagée par Maître [F] [C], huissier de justice à [Localité 4] dans le cadre d’un premier contrat à durée déterminée pour la période du 24 août 1998 au 24 février 1999 en qualité d’employée administrative au motif d’un accroissement d’activité.

Ce contrat a été renouvelé du 24 février 1999 au 24 juillet 1999 puis du 26 juillet 1999 jusqu’au 17 août 1999 et, enfin, du 27 septembre 1999 jusqu’au 27 décembre 1999,prolongé jusqu’au 26 mars 2000.

A l’issue du dernier contrat, la relation contractuelle s’est poursuivie entre les parties dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, sans qu’aucun contrat de travail ne soit régularisé entre les parties.

Le 21 août 2018, Maître [F] [C] a cédé son étude à Maître [I] [A].

Par courrier du 26 mars 2019, Mme [U] [M] a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour motif économique motivé de la façon suivante:«difficultés économiques engendrant la suppression de votre poste. L’étude a en effet perdu un client institutionnel ancien: Habitat du Littoral représentant environ 20 % du chiffre d’affaires et ce selon notification du 20 décembre 2018.Dans un contexte économique déjà difficile, la perte de ce marché, effectif en début d’année engendre une baisse significative du nombre d’actes et donc du chiffre d’affaires.

Cette perte n’a en effet pu être compensée. La production de l’étude ne permet pas de faire face à l’intégralité des charges fixes.»

Madame [U] [M] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant divers rappels de salaire et indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, Mme [U] [B] épouse [M] a saisi le 29 novembre 2019 le conseil de prud’hommes de Boulogne sur Mer. Le dépaysement de l’affaire a été sollicité.

Par jugement en date du 12 octobre 2019, le conseil de Prud’hommes a refusé le dépaysement du litige au motif que « les conseils proposés pour le dépaysement n’étaient pas limitrophes et relèvent également du ressort de la Cour d’Appel de Douai, et ne sauraient donc matérialiser un changement de ressort au sens de l’article 47 »

Sur appel de Me [A] et suivant arrêt rendu le 19 février 2021, la Cour d’Appel de Douai a infirmé le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Sur-Mer et ordonné le renvoi de l’affaire devant le Conseil de Prud’hommes de Saint-Omer qui, par jugement du 19 novembre 2021, a rendu, au fond, la décision suivante :

– déboute Mme [U] [B] épouse [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– déboute Mme [U] [B] épouse [M] de sa demande d’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [U] [B] épouse [M] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 15 décembre 2021.

Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 février 2022 au terme desquelles Mme [U] [B] épouse [M] demande à la cour de :

-INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Saint-Omer en date du 19 novembre 2021 en ce qu’il a jugé que le licenciement de Mme [U] [M] reposait sur une cause réelle et sérieuse,

-INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Saint-Omer en date du 19 novembre 2021 en ce qu’il a jugé que Me [A] avait respecté la procédure de critère d’ordre

-INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Saint-Omer en date du 19 novembre 2021 en ce qu’il a débouté Mme [U] [M] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires,

-INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Saint-Omer en date du 19 novembre 2021 en ce qu’il a débouté Mme [U] [M] de ses demandes indemnitaires découlant de l’absence de mise en ‘uvre de la portabilité.

STATUER à nouveau,

-A titre principal, dire le licenciement de Mme [U] [M] sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement constater l’absence de mise en ‘uvre des critères d’ordre du licenciement,

-En conséquence, condamner Maître [I] [A] à verser à Mme [U] [M]:

-Dommages et intérêts: 30 000,00 euros

-Indemnité compensatrice de préavis: 4 420,64 euros bruts

-Incidence en congés payés: 442,06 euros bruts

-Constater l’absence de mise en oeuvre de la portabilité auprès de l’organisme de mutuelle et de prévoyance.

-En conséquence, condamner, Maître [I] [A] à verser à Mme [U] [M] la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts.

-Condamner Maître [I] [A] au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du CPC et aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, Mme [U] [B] épouse [M] expose que :

– La réalité de la cause économique du licenciement n’est pas établie, dès lors que la lettre de rupture ne lui permettait pas de connaître les difficultés économiques nécessitant la suppression de son poste de travail, que les éléments comptables produits ne concernent que 5 mois d’activité et ne permettent pas d’étayer l’existence de difficultés économiques, que la seule perte du marché des HLM ne constitue pas non plus un élément probant faute de preuve d’une incidence sur la situation économique de l’étude, que les éléments produits ne prennent pas en compte le coût salarial diminué du fait du départ de l’étude d’un salarié, avant le licenciement de Mme [M], et qu’enfin, cette dernière a , en réalité, été remplacée quelques mois après par une assistante administrative.

– L’employeur a manqué à son obligation de recherche de reclassement, en ce que la lettre de licenciement ne fait nullement référence à de quelconques recherches en ce sens.

– Me [A] n’a pas non plus respecté les critères d’ordre des licenciements entre les trois salariées exerçant les mêmes fonctions, dans la mesure où le seul examen du coefficient conventionnel ne permet pas d’apprécier et de conclure à leur respect.

– L’employeur n’a, en réalité, appliqué aucun critère d’ordre ni mené aucune procédure préalable en ce sens, ignorant les compétences et domaines d’activité des salariées.

– Les critères communiqués a posteriori et qui valorisent celui des qualités professionnelles sont illégaux, déséquilibrés et annihilent totalement les autres critères, ce d’autant que l’appréciation dudit critère ne comporte aucun élément objectif permettant de comprendre la méthode retenue et comporte une présentation erronée des qualités et compétences de chacune.

– Elle doit être indemnisée compte tenu de son âge au moment du licenciement de 61 ans et 2 mois et de son ancienneté de 19 ans et 7 mois mais également de la perte d’une allocation de fin de carrière suite à la rupture de son contrat quelques mois avant sa retraite.

– Par ailleurs, Me [A] a également manqué à ses obligations en ne lui permettant pas de bénéficier de la portabilité de la mutuelle et en ne s’acquittant des démarches à cet égard qu’après la saisine de la juridiction prud’homale, ce qui lui a causé un préjudice moral.

Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 23 mars 2022, dans lesquelles Maître [I] [A], intimée, demande à la cour de :

– Confirmer le jugement du Conseil des Prud’hommes de Saint-Omer du 19 novembre 2021 en toutes ses dispositions ;

Reconventionnellement,

– Mme [U] [M] à verser à Maître [A] la somme de 3 000 € titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens.

A l’appui de ses prétentions, Maître [I] [A] soutient que :

– Le licenciement économique de Mme [M] est fondé sur les difficultés économiques majeures rencontrées dans le cadre de la reprise de l’étude par

Me [A] caractérisées par le net recul du chiffre d’affaires et du résultat mettant en cause la pérennité de l’office, combiné avec la perte du plus gros client de l’étude, l’OPHLM de [Localité 4], la production de l’étude ne permettant plus de faire face à l’intégralité des charges fixes et notamment les charges salariales.

– L’embauche d’une assistante administrative n’a été réalisée que pour quelques mois pour pallier l’absence de Mme [K] alors en formation.

– Concernant les critères d’ordre, Mme [M] n’avait pas sollicité communication des critères retenus, ce alors que l’employeur peut privilégier et pondérer certains critères et que les trois employées n’occupaient pas les mêmes fonctions, ne disposaient pas du même coefficient appliqué et que l’appelante bénéficiait d’une polyvalence et de qualités professionnelles moindres.

– S’agissant de l’obligation de reclassement, le reclassement interne était impossible compte tenu de la petitesse de la structure et un reclassement externe a été tenté auprès d’autres études de la région ainsi qu’ auprès de la chambre départementale et régionale, en vain.

– Enfin et en tout état de cause, Mme [M] ne justifie d’aucun préjudice et ne pouvait pas cumuler une indemnité de licenciement et une indemnité de fin de carrière dont le montant aurait été inférieur à celui perçu dans le cadre de son licenciement.

– Concernant la portabilité, les démarches ont été réalisées dès le 3 juin 2019 et celle-ci a, en tout état de cause, été établie de manière rétroactive.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 17 août 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le motif économique du licenciement :

Il résulte des dispositions de l’article L1233-3 du code du travail, dans sa version applicable à l’espèce que «Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants ».

Le motif économique doit s’apprécier au jour du licenciement.

En l’espèce, le licenciement économique se trouve motivé dans la lettre de rupture et de proposition de contrat de sécurisation professionnelle du 8 avril 2019 par la perte d’un client institutionnel (OPHLM de [Localité 4] Habitat du Littoral) représentant environ 20% du chiffre d’affaires et l’impossibilité de faire face à l’intégralité des charges fixes. Cette motivation était suffisante pour permettre à Mme [M] d’apprécier les motifs économiques de la rupture de son contrat de travail.

En outre et en premier lieu, il convient de rappeler le contexte de cession de l’office cédé par Me [C] à Me [A]. Il est, ainsi, relevé que, suite à la découverte d’anomalies lors des opérations de contrôle annuelles d’inspection de l’étude, une inspection a été réalisée conjointement par un huissier de justice, un expert comptable et un huissier de justice honoraire et a porté sur l’exercice 2017. Le rapport de mission d’inspection du 21 mai 2019 a, ainsi, mis en évidence un net recul du chiffres d’affaires de l’ordre de 26,2% entre 2015 et 2017, des charges importantes et une trésorerie nulle en fin d’exercice voire déficitaire, ces éléments étant combinés avec le risque contentieux lié aux conditions et au prix de la cession de l’office entre huissiers. Les experts concluaient, enfin, à des craintes quant à la continuité de l’exploitation.

Ces éléments ont, ainsi, été mis en évidence, au cours du premier trimestre de l’année 2019.

Surtout, au-delà de ce contexte né antérieurement à la mise en oeuvre de la procédure de licenciement pour motif économique, Me [A] communique la balance générale de l’étude du 1er décembre 2018 au 31 mai 2019 de laquelle il ressort un compte de résultat déficitaire en décembre 2018 (-858,59 euros), janvier 2019 (2860,30 euros) , février 2019 (-10482,69 euros), ce alors même que la masse salariale avait déjà été réduite en janvier 2019 avec le départ d’une salariée.

A compter du mois de mars 2019, le compte de résultat est devenu faiblement bénéficiaire avant de redevenir déficitaire en mai 2019.

Il est, ainsi, établi une baisse significative du chiffre d’affaires au moins égal à un trimestre, étant rappelé que l’étude employait moins de 11 salariés.

Par ailleurs, Me [I] [A] démontre s’être vue notifier le 20 décembre 2018 la perte pour l’année 2019 du marché de prestations de l’Office Public de l’Habitat de [Localité 4] qui constituait un client important de l’étude générant un chiffre d’affaires de l’ordre de 20%.

Elle produit à cet égard les extractions de facturation auprès de cet OPHLM pour les années 2015 à avril 2018 avec un chiffre d’affaires moyen annuel lié à ce client de 81 748,78 euros, ce alors que le coût moyen de la main d’oeuvre était très élevé , avec notamment pour le mois de décembre 2018 une charge de 18 984,77 euros par mois, hors rémunération de Me [A].

Enfin, il ressort de la copie du registre du personnel produit que le poste occupé par Mme [M] n’a pas été reconduit par une nouvelle embauche et que d’autres licenciements sont intervenus postérieurement notamment pour motif économique, l’étude étant désormais composée de Me [A] et d’un clerc.

Il résulte, par conséquent, de l’ensemble de ces éléments que la preuve de difficultés économiques importantes et durables caractérisées par un résultat d’exercice déficitaire associé à la perte d’un client important et d’une dégradation de la trésorerie est établie.

En conséquence, le conseil de prud’hommes a justement apprécié que le licenciement de Mme [M] pour motif économique était justifié.

Le jugement est confirmé à cet égard.

Sur les recherches de reclassement :

Même s’il est justifié par une cause économique avérée, le licenciement d’un salarié ne peut être légitimement prononcé que si l’employeur a préalablement satisfait à son obligation générale de reclassement.

Ainsi, conformément aux dispositions de l’article L1233-4 du code du travail, « Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’ article L233-1, aux I et II de l’article L233.3 et à l’article L233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure. L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ».

L’obligation de reclassement préalable concerne tout salarié menacé d’être licencié économiquement et doit être mise en oeuvre, de façon loyale et sérieuse,notamment jusqu’à l’adhésion par le salarié au contrat de sécurisation professionnelle.

L’obligation de reclassement étant individuelle à chaque salarié, l’employeur est tenu de rechercher, pour chacun des salariés dont le licenciement est envisagé, en considération de sa situation particulière, avant la notification du licenciement ou l’adhésion au CSP, toutes les possibilités de reclassement envisageables au sein de l’entreprise ou du périmètre de reclassement, et il lui appartient de justifier, par des éléments objectifs, des recherches qu’il a effectuées en ce sens et de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de procéder au reclassement du salarié dans un emploi équivalent, de même catégorie, voire de catégorie inférieure.

Enfin, l’adhésion du salarié à un CSP qui entraine la rupture de son contrat de travail ne le prive pas du droit de contester le respect par l’employeur de son obligation de reclassement.

En l’espèce, il résulte de la copie des registres d’entrée et de sortie du personnel que lors de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement de Mme [M], l’étude de Me [A] qui constituait une petite structure n’employait que 4 salariés (1 clerc significateur et 3 secrétaires).

Il n’est pas contesté que ladite étude n’appartenait à aucun groupe et les développements repris dans le cadre du motif économique du licenciement démontrent l’absence de perspective de reclassement en interne et la nécessité de procéder à une diminution de la masse salariale.

En outre, Me [A] justifie avoir accompli des démarches de reclassement externe. Elle produit, ainsi, deux courriers adressés le 19 mars 2019 aux chambres régionale et départementale des huissiers de justice afin de rechercher un reclassement pour Mme [M].

Elle communique également des courriers et courriers électroniques réceptionnés suite à des demandes de recherches de reclassement auprès d’études d’huissier de la région et attestant d’une réponse négative (réponses négatives de Me [T] du 19 mars 2019, Me [H] du 25 mars 2019, Me [Y] du 20 mars 2019,).

Il résulte, par conséquent, de l’ensemble de ces éléments que Me [I] [A] a effectué des recherches sérieuses et loyales de reclassement, peu important que la lettre de rupture n’en fasse pas état, dès lors qu’elles ont été réelles et effectives et accomplies dans le délai requis.

Mme [M] est, par conséquent, déboutée de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de recherches de reclassement et de la demande de dommages et intérêts y afférente.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les critères d’ordre du licenciement :

Il résulte de la combinaison des articles L1233-7 et L1233-5 du code du travail qu’en cas de licenciement individuel pour motif économique l’employeur prend en compte dans le choix du salarié concerné les critères définis à l’article L1233-5 et notamment liés aux charges de famille, à l’ancienneté, à la situation des salariés au regard de leurs caractéristiques sociales et des perspectives de réinsertion et les qualités professionnelles appréciées par catégorie. L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article.

Il appartient à l’employeur de communiquer au juge les éléments objectifs et vérifiables sur lesquels il s’est arrêté pour arrêter son choix entre les salariés et un salarié peut contester les critères d’ordre des licenciements, quand bien même il n’aurait pas sollicité auparavant des précisions quant aux critères d’ordre retenus.

L’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse mais ouvre droit à des dommages et intérêts, dès lors que le salarié rapporte la preuve d’un préjudice.

En l’espèce, Me [I] [A] communique dans ses conclusions un tableau, duquel il résulte la prise en compte des critères d’ordre suivant : ancienneté (coefficient 1), charge de famille (coefficient 2), situation rendant la situation professionnelle spécialement difficile (coefficient 1), qualités professionnelles (coefficient 4).

Elle indique avoir comparé les situations de trois salariées, Mmes [M], [G] et [K], toutes trois exerçant des fonctions similaires de secrétaires ou employées administratives, le registre du personnel n’établissant aucune distinction quant aux fonctions exercées par chacune d’elles.

Or, il résulte de l’analyse de ce tableau, que si Mme [M] arrivait en tête du nombre total de points attribués au titre des trois premiers critères (ex aequo avec une autre salariée), l’affectation d’un coefficient multiplicateur de 4 au critère tiré des qualités professionnelles a conduit à annihiler les trois autres critères en attribuant finalement le nombre de points le plus important à la salariée la moins bien positionnée au regard des trois autres critères.

Par ailleurs, l’employeur qui soutient avoir fait prévaloir le critère de la polyvalence et du coefficient indiciaire attribué aux salariées, ne justifie en aucune façon des éléments objectifs et vérifiables sur lesquels elle s’est arrêtée pour établir son choix entre les salariées sur le critère des qualités professionnelles.

En effet, le choix réalisé et les différences notables opérées dans la détermination d’attribution du nombre de points ne peuvent résulter de la simple attribution d’un coefficient de classification.

De la même façon, si Me [A] fait état d’une polyvalence moindre de Mme [M] par rapport aux deux autres salariées, cette allégation ne résulte d’aucune des pièces produites aux débats. A l’inverse, l’appelante verse plusieurs témoignages de son ancien employeur ainsi que d’autres collègues de travail (Mme [G] et M. [R]) desquels il résulte qu’elle disposait d’une grande polyvalence ayant exercé tout au long de la relation contractuelle au service de l’étude de très nombreuses missions liées à la gestion des dossiers du trésor public, la gestion et le recouvrement des chèques impayés, l’entrée des actes aux répertoires, l’édition des répertoires et des bordereaux du SCT, le traitement du courrier personnel de Me [C], la mise sous pli et l’affranchissement du courrier de l’ensemble du personnel, l’archivage des dossiers terminés puis à compter de 2012 -2013 la rédaction des états de lieux, les constats en tous genres, et expertises avec gestion de l’agenda de Me [C], mais également la préparation et la rédaction des actes pénaux, la gestion du standard téléphonique avec Mme [K] et, parfois, les encaissements par téléphone ou directement en l’étude, la relance des impayés.

Il n’est démontré aucune difficulté dans l’exécution de ces tâches ni aucune sanction infligée au sein de l’étude, à l’inverse de l’une des deux autres salariées.

Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, Me [I] [A] n’a pas respecté les critères d’ordre des licenciements en anéantissant, au moyen d’un coefficient multiplicateur 2 à 4 fois plus important attribué aux qualités professionnelles que l’ensemble des autres critères fixés, et en ne démontrant aucun élément objectif permettant de quantifier les qualifications professionnelles des salariées.

Le non-respect des critères d’ordre des licenciements a, en outre, causé un préjudice à Mme [M] laquelle démontre, d’une part, que la rupture de son contrat de travail est intervenue alors qu’elle se trouvait âgée de 61 ans, quelques temps avant sa retraite, et qu’elle n’a pas retrouvé d’emploi, d’autre part, qu’en l’absence de rupture de son contrat de travail, elle aurait perçu une allocation de fin de carrière, conformément à l’article 1 du règlement du régime AFC , en prévoyant l’attribution dans le cas d’un contrat de travail sans discontinuité au cours des 10 dernières années au sein de la profession.

Le fait pour la caisse de retraite d’avoir refusé de lui en accorder le bénéfice sollicité, à titre exceptionnel et sans en remplir les conditions par la salariée, compte tenu du montant de l’indemnité de licenciement perçue ne remet pas en cause l’existence d’un préjudice subi par Mme [M], dès lors qu’en l’absence de rupture de son contrat, elle aurait continué à percevoir un salaire jusqu’à sa retraite et se serait vue accorder ladite allocation de fin de carrière.

La cour fixe, par suite, à 10 000 euros le montant des dommages et intérêts dus par Me [I] [A] à Mme [M] à titre de dommages et intérêts pour non respect des critères d’ordre.

Sur la portabilité de la mutuelle :

La portabilité de la mutuelle est un mécanisme qui permet aux salariés partants d’une société et qui se retrouvent au chômage de continuer à bénéficier de la couverture reliée à la mutuelle collective et ce pour une période donnée après leur départ.

La portabilité de la mutuelle est automatique dès lors que le salarié remplit les conditions pour en bénéficier notamment en termes de durée de travail au sein de l’entreprise et d’adhésion préalable à la mutuelle. La mise en oeuvre de ce mécanisme suppose, toutefois, l’accomplissement d’une démarche en ce sens par l’employeur auprès de l’organisme de prévoyance.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que Mme [U] [M], licenciée depuis le 26 mars 2019, a relancé son employeur afin qu’il remplisse le formulaire de déclaration de portabilité à son profit (mail du 7 juin 2019), allant jusqu’à solliciter elle-même de l’organisme de prévoyance Swiss Life l’envoi du formulaire à remplir qu’elle a alors transmis à Me [I] [A].

Or, il résulte d’un échange de mails entre cette dernière et l’organisme de prévoyance que le formulaire n’a finalement été transmis qu’en date du 3 novembre 2019, ce qui est conforté par la société SWISS LIFE dans son courrier du 2 décembre 2019 confirmant à l’intéressée le caractère rétroactif de cette déclaration.

Ainsi, en procédant tardivement, plus de 7 mois après la rupture du contrat de travail, aux démarches permettant à son ancienne salariée de bénéficier de la portabilité de la mutuelle, l’employeur a commis une faute qui a généré un préjudice à la salariée laquelle s’est alors retrouvée sans complémentaire santé alors qu’elle avait émis le souhait d’en bénéficier dès son entretien préalable.

Il convient, par suite, de réparer ledit préjudice par l’allocation à Mme [M] de dommages et intérêts d’un montant de 1000 euros. Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.

Sur les autres demandes :

Les dispositions du jugement entrepris afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance sont infirmées.

Succombant en partie à l’instance, Maître [I] [A] est condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à Mme [W] [M] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saint Omer en date du 19 novembre 2021 sauf en ce qu’il a débouté Mme [W] [B] épouse [M] de sa demande de dommages et intérêts pour non respect des critères d’ordre et pour mise en oeuvre tardive de la portabilité de la mutuelle,et en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité procédurale formée par Mme [M];

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

CONDAMNE Maître [I] [A] à payer à Mme [W] [B] épouse [M] :

– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect des critères d’ordre du licenciement,

– 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour mise en oeuvre tardive de la portabilité de la mutuelle,

CONDAMNE Maître [I] [A] aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à Mme [W] [B] épouse [M] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

LE GREFFIER

Annie LESIEUR

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL

 


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