COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 OCTOBRE 2022
N° RG 20/01852
N° Portalis DBV3-V-B7E-UA3M
AFFAIRE :
[P] [H]
C/
S.A. BNP PARIBAS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Janvier 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Versailles
N° Section : Commerce
N° RG : F 19/00245
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT
Me Cécilia ARANDEL de la SCP FROMONT BRIENS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 19 octobre 2022, puis différé au dans l’affaire entre :
Madame [P] [H]
née le 02 Mai 1990 à [Localité 6] (Cameroun)
de nationalité Camerounaise
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 – Représentant : Me Prosper ABEGA, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle, 25%, numéro 2020/003343 du 06/08/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Versailles)
APPELANTE
****************
S.A. BNP PARIBAS
N° SIRET : 662 042 449
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Cécilia ARANDEL de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107 substitué par Me Khadija BENYAHYA, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 22 juin 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,
Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant contrat de travail à durée déterminée conclu pour la période comprise entre le 28 février et le 29 avril 2017, Madame [P] [H] a été engagée en qualité de conseiller clientèle par la société anonyme BNP Paribas, pour le motif suivant : ‘accroissement temporaire d’activité dû à lié (sic) au dispositif commercial Préférence Client’.
Le 28 avril 2017, les parties ont convenu de la prolongation dudit contrat jusqu’au 15 décembre 2017.
La relation de travail entre les parties est régie par la convention collective nationale de la banque.
La salariée a été successivement affectée aux agences de [Localité 5], jusqu’au 9 mars 2017, puis de [Localité 8], du 10 mars au 15 décembre 2017, date à laquelle son contrat de travail est arrivé à son terme.
Par requête reçue au greffe le 11 janvier 2018, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles afin notamment de voir prononcer la requalification de son contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée et d’obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 23 janvier 2020, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Versailles a :
– débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes ;
– débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– laissé les dépens à la charge de l’appelante.
Par déclaration au greffe du 27 août 2020, la salariée a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 27 novembre 2020 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, elle expose notamment que :
– le contrat qu’elle a signé ne mentionne aucune fonction déterminée, ni aucune tâche précise à effectuer dans le cadre de son exécution ;
– le motif mentionné au contrat (‘…lié au dispositif préférence client’) est vague, la société ne justifiant par ailleurs nullement d’un accroissement temporaire d’activité ;
– alors que son contrat de travail initial prévoyait qu’elle travaillerait à l’agence de [Localité 7], elle a été affectée à l’agence de [Localité 5] puis à [Localité 8], alors que le lieu de travail contractuellement convenu avait été déterminant dans son consentement et qu’aucune clause de mobilité n’était prévue.
Elle demande à la cour de :
– réformer le jugement ;
– requalifier le contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée ;
– condamner la société à lui lui payer les sommes suivantes :
– 1.807,69 euros bruts à titre d’indemnité de requalification ;
– 1.807,69 euros bruts à titre d’indemnité de préavis ;
– 180,76 euros bruts au titre des congés payés sur préavis ;
– 361,53 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
– 5.423,07 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner la société à lui payer les sommes de :
– 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour lui avoir imposé une modification de son contrat de travail sans son accord ;
– 1.500 euros au titre de la violation d’exécuter de bonne foi son contrat de travail ;
– 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, lesquels seront recouvrés par son avocat, Maître De Carfort, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 25 février 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société, intimée, soutient en substance que :
– le contrat de travail à durée déterminée a été conclu avec la salariée conformément aux dispositions de l’article L. 1242-12 du code du travail, en mentionnant notamment de façon claire son motif de conclusion, de la même manière que l’avenant de prolongation ;
– elle justifie de l’accroissement temporaire d’activité allégué, par la mise en place du dispositif ‘Préférence Client’ au sein de différentes agences, qui a privé les salariés permanents de la possibilité d’assurer les tâches liées à l’accueil, lesquelles ont été temporairement confiées à l’appelante, outre le fait que le fort développement de l’activité immobilière et les formations suivies par de nombreux collaborateurs ont généré un surcroît d’activité ;
– lamention du lieu de travail sur le contrat de travail n’a qu’une valeur d’information, de sorte que la salariée ne saurait lui reprocher de l’avoir affectée dans des agences relevant du même secteur géograhique que celle mentionnée dans son contrat de travail, outre le fait que l’accroissement temporaire dont elle fait état concernait l’ensemble de l’entreprise et non uniquement l’agence de [Localité 7] mentionnée dans le contrat de travail.
Par conséquent, elle demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
– débouter la salariée de l’ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
– minorer le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à un mois de salaire au maximum ;
– minorer le quantum de l’indemnité de licenciement à hauteur de 338,94 euros ;
En tout état de cause,
– condamner l’appelante au paiement d’une somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 25 mai 2022.
MOTIFS :
Sur la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée :
Aux termes de l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Par ailleurs, il résulte de l’article L. 1242-2 du code du travail que, sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et notamment en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif d’accroissement temporaire de l’activité énoncé dans le contrat à durée déterminée.
En outre, selon l’article L. 1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6 à L. 1242-8, L. 1242-12, alinéa premier, L. 1243-11, alinéa premier, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4.
En l’espèce, la société soutient que la conclusion du contrat de travail à durée déterminée avec la salariée était motivée par un accroissement d’activité lié au dispositif commercial ‘Préférence Client’, ainsi qu’il résulte du contrat conclu entre les parties.
Pour justifier de la réalité de ce motif d’accroissement temporaire d’activité, la société indique que le dispositif ‘Préférence Client’, qui visait à refonder les relations entre la banque et les clients, a été décliné au sein de différents groupes d’agence, dont les agences de [Localité 5] et de [Localité 8] au sein de laquelle travaillait la salariée. A l’appui de ses allégations, elle se réfère au document de présentation en vue de l’information et de la consultation du CHSCT daté du 3 février 2015 qu’elle verse aux débats.
S’agissant des conséquences de la mise en place de ce dispositif sur l’organisation de la société, les éléments produits par l’employeur apparaissent trop généraux pour démontrer la réalité de l’accroissement d’activité lié au dispositif ‘Préférence Client’, tel qu’il est allégué par le contrat de travail pour l’année 2017.
A ce titre, les comptes-rendus des réunions des délégués du personnel des 19 mai 2015 et 13 avril 2016 ne sont pas contemporains de la période d’emploi de la salariée et s’ils font état des interrogations des représentants du personnel sur le dispositif ‘Préférence Client’ et ses conséquences pour le personnel et évoquent la perspective de mise en place de formations et divers problèmes d’organisation dans les agences en lien avec ce dispositif, ces documents apparaissent très imprécis en ce qui concerne la mise en oeuvre du dispositif ‘Préférence Client’.
Les comptes-rendus des réunions des délégués du personnel des 18 octobre 2016 et 13 décembre 2016, qui précèdent de quelques mois l’engagement de la salariée, révèlent seulement, dans les déclarations faites par l’employeur et les questions posées par les délégués du personnel , qu’une étude était menée pour identifier les agences à ‘fort flux’, qu’une surcharge de travail a pu résulter du marché de l’immobilier et de la faiblesse des taux d’emprunt et qu’une problématique de sous-effectif se posait à [Localité 8], ces éléments apparaissent trop imprécis pour caractériser un accroissement temporaire d’activité lié au dispositif ‘Performance Client’.
De même, bien que l’employeur soutienne que la mise en place du dispositif impliquait la formation de salariés, il ne fournit aucun élément probant qui permettrait de vérifier la réalité du surcroît d’activité occasionné par des formations lié au dispositif ‘Performance Client’ au cours de l’année 2017.
D’une façon générale, les éléments que l’employeur verse aux débats ne sont pas de nature à démontrer que l’accroissement temporaire d’activité allégué concernait l’année 2017 et étaient concomitants à l’engagement de la salariée et au renouvellement de son contrat.
En tout état de cause, à supposer même que l’accroissement d’activité dont se prévaut l’employeur ait été réel, ce qui n’est pas établi, son caractère temporaire n’est pas démontré s’agissant d’un dispositif qui concernait au minimum les années 2015 à 2017 et s’inscrivait dans l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Dans la mesure où l’intimée ne démontre pas la réalité du motif d’accroissement temporaire de l’activité énoncé dans le contrat à durée déterminée, il y a lieu de requalifier ce dernier en contrat de travail à durée indéterminée.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur les conséquences financières de la requalification :
La rupture des relations de travail entre les parties sans lettre de rupture et sans motif par la seule arrivée du terme du contrat de travail à durée déterminée requalifié en contrat de travail à durée indéterminée s’analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la salariée est fondée à percevoir différentes sommes, sur la base d’un salaire mensuel moyen d’un montant de 1.807,69 euros bruts.
En application de l’article L. 1245-2 du code du travail, la salariée sera indemnisée par le versement d’une somme de 1.807,69 euros à titre d’indemnité de requalification.
En ce qu’elle n’a pu effectuer son préavis d’une durée d’un mois selon l’article L. 1234-1 du code du travail, elle sera indemnisée par le versement d’une somme de 1.807,69 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre une somme de 180,76 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
En outre, en application des articles L. 1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail en leur rédaction en vigueur depuis les 24 et 27 septembre 2017, il lui sera alloué une somme de 338,94 euros à titre d’indemnité légale de licenciement.
Enfin, compte tenu de l’ancienneté de moins d’un an de la salariée dans l’entreprise, la société sera condamnée à lui verser une somme de 1.807,69 euros euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail en application de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il déboute la salariée de ces chefs.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la modification du contrat de travail
A défaut de clause contractuelle claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans un lieu, le changement de lieu de travail intervenu dans le même secteur géographique constitue un simple changement des conditions de travail et non une modification du contrat de travail.
En l’espèce, s’agissant du lieu de travail de la salariée, il est stipulé dans le contrat de travail conclu entre les parties : ‘Nous vous précisons que votre première affectation sera la suivante : Agence [Localité 7] Hotel de Ville’.
S’il est constant que la salariée n’a pas été affectée dans l’agence de [Localité 7], la cour relève, d’une part, que son contrat de travail ne mentionnait pas cette dernière comme son lieu de travail exclusif et, d’autre part, qu’elle a finalement travaillé au sein d’agences situées à [Localité 5] et à [Localité 8], communes se situant dans le même secteur géographique que [Localité 7].
Il en résulte que le changement d’affectation de la salariée relève d’une modification des conditions de travail, laquelle ressort du pouvoir de direction de l’employeur.
En tout état de cause, la salariée ne saurait sérieusement soutenir que son affectation à [Localité 7] aurait été déterminante de son consentement, alors qu’elle a accepté la prolongation de son contrat de travail, après avoir été affectée à [Localité 8].
Au surplus, l’appelante ne justifie d’aucun préjudice résultant de ce prétendu manquement de l’employeur.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il la déboute de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la violation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi :
La bonne foi contractuelle étant toujours présumée, les juges n’ont pas à rechercher si la décision de l’employeur de modifier les conditions de travail d’un salarié est conforme à l’intérêt de l’entreprise et il incombe au salarié de démontrer que cette décision a en réalité été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ou bien qu’elle a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle
En l’espèce, alors qu’il est établi que les affectations de la salariée dans différentes agences de [Localité 5] et de [Localité 8] relevait de l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur, la salariée ne produit aucun élément démontrant que ces décisions ont en réalité été prises pour des raisons étrangères à l’intérêt de l’entreprise.
La salariée ne justifie au surplus d’aucun préjudice résultant de ce prétendu manquement de l’employeur.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il la déboute de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation de l’obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi.
Sur les autres demandes :
La société BNP Paribas, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Il y a de faire application de l’article 700 du code de procédure civile et d’allouer à ce titre une somme de 1.500 euros à la salariée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement rendu le 23 janvier 2020 par le conseil de prud’hommes de Versailles, sauf en ce qu’il déboute Madame [P] [H] de ses demandes de dommages et intérêts pour modification du contrat de travail et pour violation de l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Ordonne la requalification du contrat de travail à durée déterminée conclu entre les parties en contrat de travail à durée indéterminée ;
Condamne la société anonyme BNP Paribas à payer à Madame [P] [H] les sommes suivantes :
– 1.807,69 euros à titre d’indemnité de requalification ;
– 1.807,69 euros bruts à titre d’indemnité de préavis ;
– 180,76 euros bruts au titre des congés payés afférents à l’indemnité de préavis ;
– 338,94 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
– 1.807,69 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société anonyme BNP Paribas à payer à Madame [P] [H] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société anonyme BNP Paribas aux dépens de première instance et d’appel, cette condamnation étant assortie au profit de Maître De Carfort du droit de recouvrer directement contre la société anonyme BNP Paribas ceux des dépens d’appel dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,