CDD pour accroissement d’activité : décision du 17 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03438
CDD pour accroissement d’activité : décision du 17 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03438

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRET DU 17 JANVIER 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/03438 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDQYK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX – RG n° F19/00905

APPELANTE

Madame [K] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérôme HASSID, avocat au barreau de PARIS, toque : E0048

INTIMEE

S.A.S. NESTLE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean D’ALEMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M.Stéphane MEYER, président

M.Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [K] [T] a été embauchée par contrat écrit à durée déterminée par la société NESTLE FRANCE pour une période allant du 1er juillet 2018 au 31 janvier 2019, en qualité de comptable catégorie B, moyennant une rémunération brute mensuelle de 2.518,52 €.

Elle a informé son employeur de sa grossesse, qui en a accusé réception par courrier du 13 septembre 2018, l’informant des dispositions prévues par un accord d’entreprise sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes du 30 novembre 2015, lui permettant de bénéficier de deux semaines de congés supplémentaires à prendre avant le début du congé maternité, ou après dans l’année suivant son retour.

Madame [T] demandant à bénéficier des deux semaines de congés prévues par l’accord par mail du 12 novembre 2018, son employeur lui a répondu le 19 novembre 2018 qu’elle ne pouvait pas y prétendre dans la mesure où cet avantage était réservé aux collaboratrices dont le congé maternité était effectué en totalité au sein de la société.

Madame [T] a quitté l’entreprise au terme de son contrat le 31 janvier 2019.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Meaux le 26 novembre 2019 afin de voir requalifier son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de voir juger qu’elle a fait l’objet d’un licenciement nul, et de se voir accorder une indemnité pour les deux semaines de congés supplémentaires dont elle aurait dû bénéficier, outre diverses demandes indemnitaires.

Par jugement du 21 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Meaux a débouté Madame [T] de l’ensemble de ses demandes et a laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.

Madame [T] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 6 avril 2021, en visant expressément les dispositions critiquées.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 30 juin 2021, Madame [K] [T] demande à la cour de :

– Infirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris en date du 21 janvier 2021,

En conséquence,

– Requalifier son contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée,

– Condamner la société NESTLE FRANCE au paiement d’une somme de 3.000 € à titre d’indemnité de requalification de son contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée,

– Déclarer son licenciement nul,

– Condamner la société NESTLE FRANCE au paiement des sommes suivantes :

– 10.072 € correspondant au salaire de janvier à mai 2019,

– 1.007,2 € correspondant aux congés payés y afférents,

-15.108 € à titre d’indemnité de licenciement pour rupture illégale du contrat de travail,

-1.259 € à titre d’indemnité pour les deux semaines de congé maternité supplémentaires que Madame [T] souhaitait prendre avant le début dudit congé,

-1.500 € à titre de résistance abusive,

– Dire et juger que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter de la saisine,

– Condamner la société NESTLE France aux entiers dépens.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 30 septembre 2021, la société NESTLE FRANCE demande à la cour de :

A titre principal :

– Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Meaux et débouter Madame [T] de l’intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire, si la cour devait requalifier le contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée :

– Retenir que le salaire moyen de Madame [T] était de 2518,52 €,

– Réduire le montant des demandes de Madame [T] dans de plus justes proportions comme suit :

– indemnité de requalification de contrat d’intérim en contrat à durée indéterminée : 2.518,52 €,

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2.518,52 €,

– Débouter Madame [T] de ses autres demandes.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 septembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Aux termes de l’article L. 1221-2 du code du travail, le contrat à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail.

Aux termes de l’article L. 1242-12 du même code, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif.

Aux termes de l’article L. 1242-2 du code du travail, un contrat à durée déterminée peut être conclu pour un accroissement temporaire d’activité de l’entreprise.

Aux termes de l’article L.1242-1 du code du travail, un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de

pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Aux termes de l’article L.1245-1 du même code, est réputé contrat à durée indéterminée, tout contrat de travail conclu en méconnaissance de ces dispositions.

Il résulte des dispositions de l’article 1315 alinéa 2 du code civil qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité de ce motif.

En l’espèce, le contrat de travail de Madame [T] stipulait qu’il était conclu en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité lié à la réorganisation de la comptabilité client Purina ».

La salariée expose qu’en réalité, son poste a été occupé de façon permanente par une succession de salariés en contrat en durée déterminée, et que les fonctions relevaient d’un emploi durable.

Son conseil a dressé une liste des personnes ayant occupé le poste avec les dates des contrats successifs pendant deux ans et demi, et a sollicité officiellement des éléments de réponse de la société NESTLE FRANCE, avec production du livre du personnel. Celle-ci n’a pas donné suite à cette demande et n’apporte aucun élément en réponse sur ce point dans le cadre de la présente instance.

S’agissant du caractère temporaire de l’accroissement d’activité, la société NESTLE FRANCE produit un volumineux rapport de juin 2018 sur un projet d’évolution de l’organisation « Nestlé France 2020 ». Toutefois, ce rapport destiné à l’information des partenaires sociaux pour un projet devant être mis en place entre juin 2018 et juin 2021 est très général et ne suffit pas à justifier l’accroissement temporaire d’activité spécifiquement lié à la comptabilité du client Purina, qui ne découle pas de façon explicite de la lecture du rapport.

Par ailleurs, la liste des tâches de la salariée, telle qu’elle découle du mail qui lui a été adressé préalablement à sa prise de poste le 5 juin 2018, ne met pas non plus en évidence qu’elle occupait un poste dans le cadre d’un accroissement temporaire d’activité, le travail confié apparaissant générique et classique d’un poste comptable.

Au regard de ces éléments, la société NESTLE FRANCE échoue à rapporter la preuve que le contrat à durée déterminée de Madame [T] était destiné à faire face à un accroissement temporaire d’activité de l’entreprise.

Par conséquent, le contrat doit être requalifié en contrat à durée indéterminée.

Madame [T] est donc fondée à percevoir l’indemnité de requalification prévue par l’article L. 1245-2 du code de travail, au moins égale à un mois de salaire, soit en l’espèce la somme de 2.518,52 €.

En conséquence, il convient d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes et statuant de nouveau:

– de requalifier le contrat de Madame [T] en contrat à durée indéterminée ;

– de condamner la société NESTLE FRANCE à lui verser la somme de 2.518,52 € à titre d’indemnité de requalification.

Sur la rupture du contrat de travail

Madame [T] fait valoir que la rupture de son contrat de travail constitue un licenciement nul en application de l’article L. 1225-4 du code du travail.

Aux termes de ce texte, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes.

Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.

En l’espèce, le congé maternité de la salariée devait commencer le 31 janvier 2019 au matin, selon les termes même de la lettre de l’employeur accusant réception de sa déclaration d’état de grossesse.

En mettant un terme au contrat de la salariée le 31 janvier 2019 au soir, date de la fin de son contrat à durée déterminée, l’entreprise a donc rompu le contrat pendant la période d’interdiction de licencier prévue par l’article L. 1225-4 du code du travail, de sorte que la rupture constitue un licenciement nul de la salariée.

En conséquence de la nullité de son licenciement, la salariée sollicite :

– un rappel de salaire de janvier à mai 2019,

– une indemnité pour licenciement illégal.

S’agissant de la demande de rappel de salaire, la cour rappelle que le licenciement nul par application des dispositions de l’article L. 1225-4 du code du travail ne prend effet qu’à la date à laquelle la période de protection prévue par l’article L. 1225-17 prend fin. En conséquence, l’employeur doit payer à la salariée ses salaires pour la période par l’article L. 1225-17, soit en l’espèce de février à mai 2019 inclus, le congé maternité ayant débuté le 31 janvier 2019.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande à ce titre, et statuant de nouveau, la société NESTLE FRANCE sera condamnée à verser à Madame [T] la somme de 10.072 € de rappels de salaires de février à mai 2019, outre 1.007,20 € de congés payés y afférents.

S’agissant de l’indemnité de rupture, le licenciement de la salariée étant nul, elle a droit, en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, à une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande à ce titre, et statuant de nouveau, la société NESTLE FRANCE sera condamnée à verser à Madame [T] la somme de 15.108 € à titre d’indemnité pour licenciement nul.

Sur la demande d’indemnité pour les deux semaines de congé maternité supplémentaires au titre de l’accord collectif

L’accord d’entreprise sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes en date du 30 novembre 2015, applicable à la relation de travail, prévoit qu’une salariée enceinte peut bénéficier d’un congé prénatal de deux semaines si elle en fait la demande.

La société NESTLE FRANCE soutient que ce congé ne serait applicable qu’aux salariées dont le congé se déroulait intégralement au cours du CDD, et non après son terme, de sorte que Madame [T] ne pouvait y prétendre.

Toutefois, l’accord d’entreprise ne pose pas la condition que le congé maternité ait lieu en totalité pendant l’exécution du contrat de travail pour que la salariée puisse y avoir droit. Dès lors que le congé maternité de Madame [T] débutait avant la fin de son CDD, soit le 31 janvier 2019 au matin, alors que son contrat devait prendre fin le 31 janvier 2019 au soir, elle pouvait prétendre à ce congé de deux semaines.

Au surplus, le contrat de travail étant requalifié en contrat à durée indéterminée, et ayant pris fin à raison d’un licenciement nul puisque réalisé au cours de la période de protection de la salariée telle que définie par l’article L. 1225-4 du code du travail, l’argumentation de l’employeur ne peut être accueillie.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande à ce titre, et statuant de nouveau, la société NESTLE FRANCE sera condamnée à verser à Madame [T] la somme de 1.259 € à titre d’indemnité pour les deux semaines de congé maternité supplémentaires telles que prévues par l’accord d’entreprise.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive

En vertu de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l’espèce, Madame [T] a sollicité à plusieurs reprises le bénéfice des deux semaines de congé maternité supplémentaires prévues par l’accord d’entreprise, auxquelles elle avait manifestement droit, son congé maternité débutant avant la fin de son contrat. Toutefois, l’employeur s’y est opposé en faisant une interprétation fallacieuse dudit accord.

Cette résistance abusive a causé à la salariée un préjudice qu’il convient d’évaluer à 500 €.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande à ce titre, et statuant de nouveau, la société NESTLE FRANCE sera condamnée à verser à Madame [T] la somme de 500 € de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive.

Sur les dépens

Il y a lieu d’infirmer la décision du conseil de prud’hommes sur ces points, et statuant de nouveau, de condamner la société NESTLE FRANCE aux dépens tant de la première instance que de l’appel.

Sur les intérêts

Il convient de dire, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2019, date de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du même code.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant de nouveau,

Requalifie le contrat à durée déterminée de Madame [T] en contrat à durée indéterminée,

Dit que le licenciement de Madame [T] est nul,

Condamne la société NESTLE FRANCE à verser à Madame [T] les sommes suivantes :

– 2.518,52 € à titre d’indemnité de requalification,

– 10.072 € de rappels de salaires de février à mai 2019, outre 1.007,20 € de congés payés y afférents,

– 15.108 € à titre d’indemnité pour licenciement nul,

– 1.259 € à titre d’indemnité pour les deux semaines de congé maternité supplémentaires telles que prévues par l’accord d’entreprise,

– 500 € de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive,

Condamne la société NESTLE FRANCE aux dépens tant de la première instance que de l’appel,

Dit que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2019.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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