COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 16 NOVEMBRE 2023
N° 2023/
SM/FP-D
Rôle N° RG 20/02914 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BFVDC
[T] [R]
C/
S.C.E.A. SAINT LOUIS OLLIER-EMERIC
Groupement G.E. GROUPE REAGIR
Copie exécutoire délivrée
le :
16 NOVEMBRE 2023
à :
Me François MAIRIN, avocat au barreau de TARASCON
Me Thomas SALAUN, avocat au barreau de TARASCON
Mme [V] [C] (Délégué syndical patronal)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ARLES en date du 18 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 19/00112.
APPELANT
Monsieur [T] [R]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/003990 du 09/10/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 1]
représenté par Me François MAIRIN, avocat au barreau de TARASCON
INTIMEES
S.C.E.A. SAINT LOUIS OLLIER-EMERIC, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Thomas SALAUN, avocat au barreau de TARASCON
GROUPEMENT D’EMPLOYEURS GROUPE REAGIR, demeurant [Adresse 2]
représentée par Mme [V] [C] (Délégué syndical patronal) munie de pouvoirs
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie MOLIES, Conseillère, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Natacha LAVILLE, Présidente
Mme Emmanuelle CASINI, Conseillère
Madame Stéphanie MOLIES, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Novembre 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 Novembre 2023
Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [T] [R] a travaillé pour le compte de la S.C.E.A. Saint Louis en qualité d’ouvrier agricole suivant contrats de type Office des migrations internationales (O.M.I.) sur les périodes suivantes :
– du 14/01/2000 au 13/07/2000,
– du 9/11/2000 au 8/07/2001,
– du 1/11/2001 au 30/06/2002,
– du 11/10/2002 au 30/06/2003,
– du 2/11/2003 au 1/07/2004,
– du 10/10/2004 au 9/06/2005,
– du 9/11/2005 au 8/06/2006,
– du 8/10/2006 au 7/06/2007,
– du 17/10/2007 au 19/04/2008,
– du 28/10/2008 au 31/03/2009,
– du 1/01/2010 au 30/04/2010.
Par la suite, des contrats saisonniers ont été conclus entre M. [T] [R] et le Groupement d’employeurs Groupe Reagir aux termes desquels le salarié a été mis à disposition de la S.C.E.A. Saint Louis en qualité d’ouvrier agricole sur les périodes suivantes :
– du 28/09/2010 au 5/03/2011,
– du 29/03/2011 au 13/07/2011,
– du 7/09/2011 au 8/02/2012,
– du 21/02/2012 au 6/07/2012,
– du 24/09/2012 au 28/02//2013,
– du 19/03/2013 au 2/07/2013,
– du 6/09/2013 au 14/03/2014,
– du 1/04/2014 au 24/06/2014,
– du 18/08/2014 au 25/02/2015,
– du 17/03/2015 au 10/07/2015,
– du 8/08/2015 au 4/03/2016,
– du 29/03/2016 au 14/04/2017,
– du 16/10/2017 au 30/04/2018,
– du 12/10/2018 au 9/11/2018.
M. [T] [R] a par ailleurs été employé par la S.C.E.A. Saint Louis entre le 17/04/2017 et le 13/10/2017 en qualité d’ouvrier agricole.
Les relations de travail ont été soumises à la convention collective des exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône du 12 février 1986.
Le 2 mai 2019, le salarié a saisi le conseil des prud’hommes d’Arles à l’encontre du Groupe Reagir et de la S.C.E.A. Saint Louis pour voir requalifier les contrats de travail à durée déterminée conclus en un contrat de travail à durée indéterminée, voir reconnaître le caractère sans cause réelle et sérieuse de son licenciement et obtenir le paiement de diverses indemnités et dommages et intérêts.
Suivant jugement du 18 février 2020, le conseil des prud’hommes d’Arles a :
Vu la non-requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
Vu la non-reconnaissance de la rupture des relations contractuelles de travail comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [T] [R] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la S.C.E.A. Saint Louis de sa demande de voir condamner M. [R] à lui verser un montant de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chaque partie conserve la charge de ses propres éventuels dépens d’instance.
****
La cour est saisie de l’appel formé le 26 février 2020 par le salarié.
Par ses dernières conclusions régulièrement remises au greffe le 7 avril 2020 et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. [T] [R] demande à la cour de :
Recevoir l’appel du concluant comme étant régulier en la forme et juste au fond ;
Infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
Vu les dispositions des articles L1242-1, L1245-1 et L1245-2 du Code du Travail.
Requalifier les contrats de travail à durée déterminée conclus en un contrat de travail à durée indéterminée,
En conséquence, condamner conjointement et solidairement la SCEA SAINT LOUIS et LE GROUPE REAGIR au paiement de la somme de 2.501,26 € à titre d’indemnité de requalification au visa de l’article L1245-2 du Code du travail.
Vu les articles L1232-1 et L1232-6 du code du travail ;
Dire et juger que la rupture des relations contractuelles de travail s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En conséquence, condamner le GROUPE REAGIR au paiement des sommes suivantes :
– 3.118,34 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 311,83 à titre d’incidence congés payés ;
– 3.246,97 € à titre d’indemnité de licenciement ;
– 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;
Ordonner la remise d’un certificat de travail et d’une attestation POLE EMPLOI conformes sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir.
Condamner conjointement et solidairement la SCEA SAINT LOUIS et LE GROUPE REAGIR au paiement de la somme de 3.000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Les condamner conjointement et solidairement aux entiers dépens, en ce compris les frais d’exécution.
Par ses dernières conclusions régulièrement remises au greffe le 5 juin 2020 et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la S.C.E.A. Saint Louis Ollier-Emeric, représentée, demande à la cour de :
Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Arles le 18 février 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
Condamner M. [R] à verser à la S.C.E.A. Saint Louis la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Le condamner aux entiers dépens.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe le 9 juin 2020, le Groupement d’employeurs Groupe Reagir pris en la personne de son président, M. [X] [Z], demande à la cour de :
– confirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris,
En conséquence,
– débouter le demandeur de sa demande de requalification de la relation contractuelle avec le G.E. Groupe Reagir en contrat à durée indéterminée,
A titre subsidiaire,
– constater que le premier contrat conclu entre le G.E. Groupe Reagir et M. [T] [R] est en date du 28 septembre 2010,
En conséquence, limiter les effets de la requalification à compter du 28 septembre 2010,
– constater que M. [T] [R] n’apporte pas la preuve que le G.E. Groupe Reagir ait été à l’origine de la rupture de son dernier contrat de travail à durée déterminée,
Par conséquence,
– débouter le demandeur de l’ensemble de ses demandes liées à la prétendue rupture abusive de son contrat de travail,
A titre subsidiaire,
– condamner l’employeur à verser les salaires restant due dans le cadre du contrat à durée déterminée conclu, soit 7 mois de salaire brut, à l’exclusion de toute autre indemnité,
A titre infiniment subsidiaire,
– faire application des montants d’indemnisation prévus par l’article L1235-3 en matière d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– constater que M. [T] [R] ne démontre aucun préjudice à l’appui de sa demande de dommages et intérêts,
En conséquence, appliquer le barème minimum de l’article L1235-3 du code du travail,
En tout état de cause,
– débouter l’appelant de toutes ses autres demandes,
– statuer ce que de droit sur les dépens.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 28 août 2023.
MOTIFS :
1- Sur la qualification en contrat à durée indéterminée :
L’appelant estime qu’il n’est pas démontré que les contrats conclus correspondent à un emploi saisonnier, faute pour l’employeur de prouver que les tâches qui lui étaient confiées étaient liées à un accroissement d’activité cyclique.
Il ajoute qu’au cours de l’année civile, il travaillait au sein de la S.C.E.A., directement ou dans le cadre d’une mise à disposition, entre 10 et 11 mois, ce qui permettrait, à son sens, de démontrer que le cadre strict de la saison était dépassé.
Il précise enfin qu’il demande la requalification des relations contractuelles dans leur ensemble.
En réponse, la S.C.E.A. Saint-Louis Ollier-Emeric explique qu’à compter de l’année 2010, M. [R] a obtenu un titre de séjour permanent et ne pouvait plus dès lors bénéficier du système O.M.I.
Par la suite, seul le groupe Reagir aurait été l’employeur de M. [R], à l’exception de la période du 17 avril au 4 octobre 2017 au cours de laquelle le salarié aurait été employé directement par la société appelante pour des travaux saisonniers de solarisation.
Elle s’étonne de l’imprécision des demandes, puisque M. [R] n’indiquerait ni le contrat de travail encourant la requalification, ni l’identité de son employeur.
Elle fait valoir que la requalification des contrats O.M.I. en contrat à durée indéterminée est impossible en ce que cela lui permettrait d’acquérir un droit dont il n’aurait pu bénéficier à l’époque, ne disposant alors pas de titre de séjour permanent en France.
Elle relève en outre que dans le cadre de ces contrats, la durée du travail n’a jamais excédé huit mois, sa propre activité saisonnière s’étendant approximativement entre les mois d’octobre à mai/juin de chaque année. Elle affirme à ce titre que M. [R] était affecté aux plantations et récoltes, tâches saisonnières.
Elle estime que la seule période litigieuse concerne l’année 2017 au cours de laquelle elle a embauché directement M. [R] pour effectuer des tâches de solarisation réalisées de manière régulière tous les deux ou trois ans, ce qui établirait son caractère saisonnier.
Elle indique enfin que si un des contrats saisonniers conclus avec le Groupe Reagir devait être requalifié, elle-même n’aurait aucun lien contractuel avec l’appelant.
Le Groupement d’employeurs Groupe Reagir observe en premier lieu que la durée maximale de huit mois arguée par l’appelant ne figure pas dans le code du travail et lui est inopposable.
Il affirme que les contrats conclus avec l’appelant avaient pour objet de pourvoir un emploi dont les tâches sont amenées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe en fonction du rythme des saisons.
Il indique n’avoir jamais été informé de la relation contractuelle ayant existé entre M. [R] et la S.C.E.A. Saint Louis au cours de l’année 2017 et rappelle n’être pas intervenu dans ce lien contractuel.
Il souligne que l’appelant ne précise ni le contrat ni l’employeur à l’égard desquels il sollicite la requalification.
L’article L.1242-1 du code du travail dispose :
‘Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.’
L’article L. 1242-2 du code du travail prévoit pour sa part qu’un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, notamment, en cas d’emploi à caractère saisonnier.
Le contrat à durée déterminée saisonnier est défini comme celui qui porte sur des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes en fonction des rythmes des saisons ou des modes de vie collectifs.
La faculté pour l’employeur de conclure des contrats à durée déterminée successifs avec le même salarié afin de pourvoir un emploi saisonnier n’est assortie d’aucune limite.
La seule succession de contrats saisonniers avec le même salarié ne suffit pas à instaurer entre celui-ci et son employeur une relation de travail à durée indéterminée.
Cependant, un contrat à durée indéterminée peut se déduire de la circonstance que le salarié a été employé chaque année pendant toute la période d’ouverture ou de fonctionnement de l’entreprise lorsque celle-ci ne fonctionne pas toute l’année, cette situation permettant d’identifier un emploi correspondant à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
En l’espèce, dès lors que M. [R] sollicite la requalification des ‘contrats de travail à durée déterminée’ et demande la condamnation solidaire de la S.C.E.A. Saint Louis et du Groupe Reagir, la cour doit examiner l’ensemble des contrats.
Dans un premier temps, M. [R] a conclu différents contrats saisonniers de type O.M.I. avec la S.C.E.A. Saint Louis, pour lesquels aucune prescription de la demande en requalification n’est soulevée.
A l’instar des premiers juges, il sera rappelé que le contrat O.M.I. est défini légalement comme un contrat de main-d »uvre saisonnière bénéficiant à un travailleur étranger.
M. [R] a exercé dans le cadre de ces contrats saisonniers des fonctions d’ouvrier agricole pour des durées conformes aux articles R.341-7-2 et R.5221-23 du code du travail dans leurs versions applicables aux contrats successivement en cause.
Aucune requalification des contrats de type O.M.I. conclus avec la S.C.E.A. Saint Louis n’est donc encourue.
De même, aucune requalification n’est encourue pour le contrat conclu le 17 avril 2017 pour les travaux saisonniers suivants ‘Récolte des salades et céleris, débarrassage et nettoyage des terres’, la S.C.E.A. Saint Louis démontrant par les pièces versées au débat que les travaux de nettoyage consistaient en une solarisation des terres pratiquée tous les deux à trois ans et revêtaient ainsi un caractère saisonnier, contrairement au nettoyage annuel des terres ressortant du fonctionnement normal de la société.
S’agissant des contrats de travail saisonniers conclus avec le Groupe Reagir, il sera rappelé en premier lieu que le caractère saisonnier d’un emploi s’apprécie au regard de l’activité de l’entreprise employeur et non celles de ses entreprises clientes.
Ainsi, lorsqu’un salarié est engagé par un groupement d’employeurs pour être mis à la disposition de ses membres, le caractère saisonnier de l’activité motivant le recours au contrat à durée déterminée doit s’apprécier en fonction de l’activité du groupement et non de celle de l’utilisateur qui n’a pas la qualité d’employeur.
Il appartient dès lors au groupement d’employeurs Groupe Reagir de rapporter la preuve de la réalité du motif utilisé dans le cadre du contrat à durée à déterminée.
Or, l’employeur se borne à affirmer que l’entreprise de mise à disposition avait affecté M. [R] à des chantiers saisonniers détenus par cette dernière.
Ce faisant, en invoquant l’activité de la société utilisatrice et non la sienne, l’employeur ne justifie pas que l’activité ayant nécessité l’embauche de M. [R] était saisonnière et se répétait chaque année à la même période.
Il convient par conséquent d’infirmer la décision déférée et de requalifier les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée dès l’origine, soit le 28 septembre 2010, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens.
2 – Sur l’indemnité de requalification
Aux termes de l’article L.1245-2 alinéa 2 du code du travail, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il doit lui accorder une indemnité mise à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
L’indemnité de requalification est unique dans le cas où le juge requalifie une succession de contrats de travail à durée déterminée conclus avec le même salarié en contrat à durée indéterminée.
S’agissant du montant de l’indemnité de requalification, il ne peut être inférieur au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction, étant précisé que le salaire s’entend de tous les éléments de la rémunération perçue par le salarié.
Au cours du dernier mois travaillé en intégralité, soit le mois d’avril 2018, M. [R] a perçu un salaire mensuel brut de 2 501,26 euros.
En conséquence, la cour condamne l’employeur à payer au salarié la somme de 2 501,26 euros au titre de l’indemnité de requalification.
M. [R] sera en revanche débouté de sa demande de condamnation solidaire de la S.C.E.A. Saint Louis Ollier-Emeric, faute de moyen de droit ou de fait permettant d’accueillir une telle demande à l’encontre de l’entreprise utilisatrice qui n’a pas la qualité d’employeur, ainsi qu’il a été vu ci-dessus.
3 – Sur la rupture du contrat à durée indéterminée :
M. [R] observe que l’employeur a lui-même indiqué être à l’origine de la rupture du contrat de travail sur l’attestation destinée à Pôle Emploi remplie par ses soins.
Il souligne plus largement que l’employeur ne produit aucun justificatif au soutien de ses affirmations relatives à une démission, et relève que le témoin évoque un départ de l’appelant le 13 octobre alors que les intimés évoquent le 9 novembre.
Il affirme que la démission prétendue ne procéderait d’aucune volonté éclairée et ne résulte d’aucun écrit, tandis qu’aucune période d’essai ne pourrait être retenue alors que l’employeur connaissait déjà ses capacités professionnelles.
En réponse, le Groupe Reagir soutient que M. [R] a quitté son poste de travail le 9 novembre 2018 à la suite d’un contentieux avec la S.C.E.A. Saint Louis Ollier-Emeric.
Il fait valoir qu’aucune démission n’était possible s’agissant d’un contrat à durée déterminée, et conclut à une rupture anticipée à l’initiative du salarié.
Il souligne à ce propos qu’aucun motif ne justifiait une rupture anticipée du contrat par l’employeur alors que l’entreprise utilisatrice avait encore besoin du salarié pendant sept mois, ainsi que cela se pratiquait les années précédentes.
Il ajoute que le cas échéant, il aurait simplement mis fin à la période d’essai.
Il justifie les mentions apposées sur le document destiné à Pôle Emploi par sa volonté de ne pas pénaliser le salarié et observe à ce propos que le salarié n’a fait parvenir ni réclamation à la suite de la rupture de son contrat de travail, ni demande d’emploi auprès d’un autre utilisateur.
La S.C.E.A. Saint Louis précise que M. [R] a quitté son poste le 9 novembre 2018, après avoir appris que les membres de sa famille n’avaient pas reçu l’autorisation préfectorale de travailler en France dans le cadre de contrats O.M.I. sur l’exploitation.
Elle affirme avoir signalé ces absences à l’employeur, le Groupe Reagir, qui aurait géré la cessation du contrat de travail.
Il convient de rappeler que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Si elle doit être librement consentie, le législateur n’a prévu aucune disposition particulière quant aux règles de formes à respecter pour signifier une démission : elle peut donc être écrite ou seulement verbale.
Il est constant que n’est pas librement consentie, la démission donnée dans un état psychologique anormal, sous le coup de la colère ou de l’émotion.
D’autre part, il appartient à l’employeur qui soutient que le contrat à durée indéterminée est rompu par démission, d’en rapporter la preuve. La démission en effet ne se présume pas et ne peut résulter, notamment, de l’absence irrégulière du salarié.
En l’espèce, l’employeur se fonde sur deux attestations pour justifier de la démission de M. [R].
M. [I], voisin du site d’exploitation, affirme notamment que M. [R] ‘a déposé une lettre en précisant que cetait ses heures en hurlant moi je m’arrete de travailler tu n’a pas fait les contrats que je t’ai demander pour ma famille il est alors reparti sans dire aurevoir’.
M. [B], salarié de la S.C.E.A. Saint Louis, explique pour sa part que l’appelant ‘arrive vers moi énervé et me di j’arrete de travailler, je vais donner mes heures et je m’en vais’.
Il convient de relever qu’aucun des témoins n’évoque le terme de ‘démission’ ou l’idée d’une rupture définitive du contrat de travail exprimée par M. [R], ce dernier manifestant simplement sa volonté de quitter l’entreprise utilisatrice sur le champ, et non de mettre un terme à la relation contractuelle l’unissant à son employeur, le Groupe Reagir, qui pouvait, le cas échéant, le mettre à disposition d’un autre membre du groupement.
Il est en outre établi que le salarié était en colère contre la société utilisatrice pour des raisons liées à la situation de membres de sa famille et qu’il ne pouvait, dans ces conditions, exprimer une volonté claire et non équivoque.
L’employeur ne saurait arguer de l’absence de réclamation ultérieure du salarié ou de l’absence de demande de mise à disposition auprès d’une autre entreprise pour établir la réalité de la démission alors que cette dernière ne se présume pas et que la charge de la preuve pèse sur l’employeur.
Si aucune des parties ne produit l’attestation de l’employeur destinée à Pôle Emploi, il résulte de leurs écritures respectives que le Groupe Reagir n’a nullement fait état d’une démission du salarié sur ledit document mais a endossé la responsabilité de la rupture du contrat de travail.
Dans ces conditions, aucun acte de démission non équivoque de M. [R] n’est démontré par l’employeur.
Le contrat à durée indéterminée n’a donc pas été rompu par la démission.
Eu égard à la requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à compter du 28 septembre 2010, la circonstance que le salarié a cessé définitivement sa collaboration le 9 novembre 2018 caractérise à cette date une rupture du contrat de travail qui s’analyse nécessairement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse dont il convient ci-après d’apprécier les conséquences financières.
4 – Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail
4.1. Sur l’indemnité compensatrice de préavis
Le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis avec les congés payés afférents dont il n’est pas discuté qu’elle est équivalente à deux de mois de salaire sur la base du salaire que le salarié aurait perçu s’il avait travaillé pendant la durée du préavis, lequel comprend tous les éléments de la rémunération.
En l’espèce, il a été vu ci-dessus que M. [R] a perçu la somme brute de 2 501,16 euros au cours du mois d’avril 2018, congés payés compris.
S’il avait effectué un préavis, M. [R] aurait donc perçu la somme totale de 5 002,32 euros brute.
Néanmoins, dès lors que le salarié a entendu limiter sa réclamation à la somme de 3 118,34 euros outre 311,83 euros au titre des congés payés afférents, il conviendra de prononcer la condamnation dans cette double limite.
4.2. Sur l’indemnité de licenciement
L’article L.1234-9 du code du travail prévoit que le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.
Il résulte de cette disposition que l’ancienneté se calcule à la date d’envoi de la lettre de licenciement pour déterminer le droit à indemnité, et à la fin du préavis pour calculer le montant de l’indemnité.
L’article R.1234-2 du même code, dans sa version en vigueur au jour du licenciement, dispose que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :
1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;
2° Un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.
Il est par ailleurs constant que par l’effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier, les interruptions des relations contractuelles entre les différents contrats à durée déterminée étant indifférentes à ce titre.
En l’espèce, la requalification intervenant à compter du 28 septembre 2010, l’ancienneté à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement s’établit à compter de cette date.
En tenant compte d’un préavis d’une durée de deux mois, le contrat de travail a expiré le 9 janvier 2019, ce dont il résulte que l’ancienneté s’établit à 8 ans et 3 mois.
Il ressort des bulletins de salaire des mois de février à avril 2018 que le salaire moyen brut de M. [R] s’élève à la somme de 2 179,15 euros, tandis que le salaire moyen brut perçu au cours des douze derniers mois travaillés (soit du 1er octobre 2016 au 31 mars 2017 puis du 1er novembre 2017 au 30 avril 2018) s’élève à la somme de 2 166,69 euros brut.
La somme de 2 179,15 euros sera donc retenue pour le calcul des différentes indemnités dues dans le cadre du licenciement sans cause réelle et sérieuse conformément à l’article R1234-4 du code du travail.
En conséquence, l’indemnité de licenciement se calcule comme suit :
(2 179,15 x 1/4 x 8) + (2 179,15 x 1/4 x 3/12) = 4 494, 49 euros.
Dès lors que le salarié a entendu limiter sa réclamation à la somme de 3 246,97 euros, il conviendra de prononcer la condamnation dans cette limite.
4.3. Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En premier lieu, il convient d’observer que si M. [R] sollicite une indemnisation pour rupture abusive du contrat de travail, il fonde sa demande sur les dispositions de l’article L1235-3 du code du travail.
Eu égard aux arguments développés dans les motifs de ses conclusions, notamment sur l’inconventionnalité desdites dispositions, sa demande s’analyse dès lors comme une demande d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse et sera examinée sur ce fondement.
Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié.
Il sera rappelé en premier lieu que le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail. Le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard de cette convention internationale. La loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct.
En considération notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération mensuelle brute versée au salarié, de son âge au jour de son licenciement, de son ancienneté à cette même date, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, il convient de réparer le préjudice par le salarié du fait de la perte injustifiée de son emploi en lui allouant la somme de 15 000 euros réclamée.
5 -Sur la remise sous astreinte des documents de contrats rectifiés :
Il convient d’ordonner au Groupement d’employeurs Groupe Reagir de remettre à M. [R] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt et ce dans un délai de deux mois à compter de son prononcé.
La demande au titre de l’astreinte est en revanche rejetée.
6 – Sur le remboursement des indemnités de chômage
En application de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient, en ajoutant au jugement déféré, d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation.
7 – Sur les demandes accessoires
Il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
Le Groupement d’employeurs Groupe Reagir est condamné aux dépens, en ceux compris les dépens de première instance.
L’équité et les situations économiques respectives des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel et de première instance dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes les dispositions qui lui sont soumises,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Requalifie les contrats à durée déterminée conclus entre M. [T] [R] et le Groupement d’employeurs Groupe Reagir en contrat à durée indéterminée à compter du 28 septembre 2010,
Condamne le Groupement d’employeurs Groupe Reagir à payer à M. [T] [R] la somme de 2 501,26 euros au titre de l’indemnité de requalification,
Déboute M. [T] [R] de ses demandes à l’encontre de la S.C.E.A. Saint Louis Ollier-Emeric,
Dit que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 9 novembre 2018,
Condamne le Groupement d’employeurs Groupe Reagir à payer à M. [T] [R] les sommes suivantes :
– 3 246,97 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– 3 118,34 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 311,83 euros au titre des congés afférents,
– 15 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dit que toutes les sommes allouées sont exprimées en brut,
Rappelle que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne au Groupement d’employeurs Groupe Reagir de remettre à M. [R] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois,
Rejette la demande au titre de l’astreinte,
Ordonne d’office au Groupement d’employeurs Groupe Reagir le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [R] dans la limite de trois mois d’indemnisation,
Condamne le Groupement d’employeurs Groupe Reagir aux dépens d’appel et de première instance,
Condamne le Groupement d’employeurs Groupe Reagir à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel et de première instance,
Déboute la S.C.E.A. Saint Louis Ollier-Emeric de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
LE GREFFIER LE PRESIDENT