CDD pour accroissement d’activité : décision du 15 septembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 20/03073
CDD pour accroissement d’activité : décision du 15 septembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 20/03073

C2

N° RG 20/03073

N° Portalis DBVM-V-B7E-KSES

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL ABAD & VILLEMAGNE – AVOCATS ASSOCIÉS

la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER

SELARL FOURMANN & PEUCHOT

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 15 SEPTEMBRE 2022

Appel d’une décision (N° RG 18/00672)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 04 septembre 2020

suivant déclaration d’appel du 07 octobre 2020

APPELANT :

Monsieur [D] [F]

né le 24 Avril 1987 à [Localité 5] (38)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Sébastien VILLEMAGNE de la SELARL ABAD & VILLEMAGNE – AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEES :

S.A.S.U. VENCOREX FRANCE prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me LEYRAUD de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE

Société LIP TERTIAIRE SOLUTIONS RH pris en son établissement situé [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Olivier FOURMANN de la SELARL FOURMANN & PEUCHOT, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 juin 2022,

Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport, assistée de Carole COLAS, Greffière, a entendu les parties en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 15 septembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L’arrêt a été rendu le 15 septembre 2022.

EXPOSE DU LITIGE

M. [D] [F], né le 19 avril 1987, a conclu avec l’entreprise de travail temporaire Lip Tertiaire Solutions RH un contrat de mission temporaire pour la période du 18 avril 2016 au 29 juillet 2016 pour effectuer une mission pour le compte de la société Vencorex France SAS en qualité d’agent empoteur/dépoteur au sein de l’équipe logistique opérationnelle au motif d’un surcroît temporaire d’activité.

Cette mission a été renouvelée par un premier avenant du 26 juillet 2016 pour la période du’30’juillet 2016 au 31 octobre 2016, puis par un second avenant du 24 octobre 2016 pour la période du 1er novembre 2016 au 31 mars 2017.

Trois avenants subséquents des 1er novembre 2016, 1er janvier 2017 et 1er février 2017 ont modifié le taux de rémunération horaire de M. [D] [F].

Le 1er avril 2017, M. [D] [F] a signé avec la société Lip Tertiaire Solutions RH un nouveau contrat de mission temporaire pour la période du 1er avril 2017 au 31 août 2017, en qualité d’opérateur de transfert poste HMD sur le secteur HDI au motif

Cette mission s’est poursuivie jusqu’au 30 septembre 2017, suivant contrat de mise à disposition du 6 juin 2017.

Par avenant du 29 septembre 2017, ce contrat a été renouvelé jusqu’au 31 janvier 2018.

Par courrier du 21 décembre 2017, la société Vencorex a convoqué M. [D] [F] pour lui signifier la rupture du contrat.

Par courrier recommandé en date du 7 février 2018, du conseil de M. [D] [F], ce dernier a sollicité la réintégration de son poste et l’exercice de ses fonctions en contrat à durée indéterminée.

Estimant avoir occupé un emploi durable au sein de la société Vencorex, M. [D] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble par requête en date du 31 juillet 2018 aux fins d’obtenir la requalification de ses missions temporaires en contrat à durée indéterminée.

Selon une opération de fusion avec effet au 3 juin 2020, la société Lip Tertiaire Solutions RH a été absorbée par la nouvelle société Les Intérimaires Professionnels – LIP.

Suivant jugement en date du 4 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Grenoble a’:

Dit et jugé que les contrats de travail temporaire sont parfaitement réguliers,

Dit n’y avoir lieu à requalification en contrat à durée indéterminée,

Débouté Monsieur [D] [F] de l’intégralité de ses demandes.

Débouté les SAS Vencorex France et SARL Lip Tertiaire Solution RH en leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Laissé les dépens à la charge de M. [D] [F].

La décision rendue a été notifiée par lettres recommandées avec accusés de réception signés le’9 septembre 2020 par la société Vencorex France SAS et la société LIP.

La lettre recommandée avec accusé de réception envoyée à M. [D] [F] est revenue avec la mention «’destinataire inconnu à l’adresse’».

Par déclaration en date du 7 octobre 2020, M. [D] [F] a interjeté appel à l’encontre de cette décision.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 4 mai 2022, M.'[D]'[F] sollicite de la cour de’:

Vu les articles L.1251-1 et suivants et L.8223-1 du Code du Travail,

Vu la CCN des Collective Nationale des Industries Chimiques et Connexes du 30 décembre 1952 (IDCC44),

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées au dossier,

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 4 septembre 2020 en toutes ses dispositions (RG n°F18/00672)

Et statuant à nouveau

A titre principal

Prononcer la requalification du contrat de travail temporaire de M. [D] [F] en contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société Vencorex à compter du 18 avril 2016,

Dire que la rupture du contrat de travail de M. [D] [F] s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Constater les manquements de la société Lip Tertiaire Solutions RH,

Dire et juger que les sociétés Vencorex et Lip Tertiaire Solutions RH sont responsables in solidum à l’égard de M. [D] [F],

En conséquence,

Condamner in solidum la société Vencorex et la société Lip Tertiaire Solutions RH à verser à M. [D] [F] les sommes suivantes :

– Indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement : 2.617,00 €

– Indemnité compensatrice de préavis : 5.234,00 €

– Congés payés afférents : 523,40 €

– Indemnité de licenciement : 1.145,00 €

– Indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 7.851,00 €

– Indemnité en application de l’article 8223-1 du Code du travail : 15.702,00 €

– Remise de documents de fin de contrat sous astreinte à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 50 € par jour de retard,

A titre subsidiaire

Prononcer la requalification du contrat de travail temporaire de M. [D] [F] en contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société Lip Tertiaire Solutions RH ;

Dire que la rupture du contrat de travail de M. [D] [F] s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

En conséquence,

Condamner la société Lip Tertiaire Solutions RH à verser à M. [D] [F] les sommes suivantes:

– Indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement : 2.617,00 €

– Indemnité compensatrice de préavis : 5.234,00 €

– Congés payés afférents : 523,40 €

– Indemnité de licenciement : 1.145,00 €

– Indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 7.851,00 €

– Indemnité en application de l’article 8223-1 du Code du travail : 15.702,00 €

– Remise de documents de fin de contrat sous astreinte à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 50 € par jour de retard,

En toute hypothèse

Ordonner à la société Vencorex et subsidiairement la société Lip Tertiaire Solutions RH de délivrer à M. [D] [F] sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification du jugement :

– les bulletins de salaires rectifiés

– le certificat de travail

– l’attestation Pole Emploi

Condamner solidairement la société Lip Tertiaire Solutions RH et la société Vencorex à verser à M. [D] [F] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner solidairement la société Lip Tertiaire Solutions RH et la société Vencorex aux entiers dépens de la présente instance.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 juin 2022, la société’Vencorex France SAS demande à la cour de’:

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris en ce qu’il a :

– Dit et jugé que les contrats de travail temporaire sont parfaitement réguliers,

– Dit n’y avoir lieu à requalification en contrat à durée indéterminée,

– Débouté Monsieur [F] de l’intégralité de ses demandes,

Condamner M. [D] [F] à verser à la société Vencorex France la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [D] [F] aux entiers dépens,

A titre subsidiaire,

Limiter le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 2.617,57 €.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 31 mars 2021, la société Les intérimaires Professionnels ‘ LIP SAS, venant aux droits de LIP Tertiaire Solutions RH, sollicite de la cour de’:

A titre principal,

Confirmer en tout point la décision du conseil de prud’hommes de Grenoble, et ainsi :

Débouter M. [D] [F] de toutes ses demandes à l’encontre de la société Les Intérimaires Professionnels – LIP, venant aux droits de LIP Tertiaire Solutions RH,

Y ajoutant :

Condamner M. [D] [F] au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article’700 du code de procédure civile,

Condamner M. [D] [F] aux entiers dépens.

A titre infiniment subsidiaire,

Limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 5 234,00 €.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article’455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.

La clôture de l’instruction, initialement prononcée le 5 mai 2022, a été reportée au 9 juin’2022.

L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 16 juin 2022, a été mise en délibérée au’15’septembre’2022.

MOTIFS DE LA DECISION

1 ‘ Sur la demande de requalification des missions d’intérim en contrat à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice

Des articles L. 1251-5 et L 1251-6 du code du travail, il résulte que la possibilité donnée à l’entreprise utilisatrice de recourir à des’contrats de missions’successifs avec le même salarié intérimaire pour remplacer un ou des salariés absents ou dont le contrat de travail avait été suspendu et pour faire face à un accroissement d’activité ne peut avoir pour effet ni pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice qui ne peut recourir de façon systématique aux missions d’intérim pour faire face à un besoin structurel de main d »uvre.

Il est admis qu’en application de l’article L. 1251-40 du code du travail’, l’entreprise utilisatrice qui ne respecte pas ces prescriptions peut se voir opposer les droits attachés à un contrat de travail à durée indéterminée, prenant effet au premier jour de la mission irrégulière.

En cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de travail.

D’une première part, les contrats de missions successifs signés par le salarié portent sur une période d’emploi de 21 mois sans interruption et définissent des affectations à deux postes distincts avec des justifications différenciées.

Ainsi, les contrats de mission temporaires conclus avec la société LIP pour la période cumulée du 18 avril 2016 au 31 mars 2017, pour un poste d’agent empoteur/dépoteur, auprès de la société Vencorex France, portent mention de ce qu’ils l’ont été au motif avancé d’un accroissement temporaire d’activité lié à une variation cyclique d’activité en précisant le justificatif suivant’: «’Surcroît temporaire d’activité lié à la mise en place de l’équipe logistique opérationnelle deux bulles et au démarrage de son activité (reprise des tâches ainsi que des transferts des matières premières et produits finis nécessaires à l’exploitation des ateliers 2 bulles vers cette nouvelle équipe’».

Le contrat de mission de temporaire signé pour la période du 1er avril 2017 au 31 août 2017 pour un poste «’opérateur de transfert poste H’» avance le même motif d’un accroissement temporaire d’activité lié à une variation cyclique d’activité, en précisant à titre de justificatif «’Nécessité de renforcer temporairement l’équipe logistique opérationnelle deux bulles afin de permettre la transition vers le nouveau fonctionnement du poste HMD suite à l’investissement réalisé’».

Et les contrats de mise à disposition signés pour la période du 6 juin 2017 au 31 janvier 2018, pour un poste d’opérateur de fabrication 5*8, avancent le même motif d’un accroissement temporaire d’activité lié à une variation cyclique d’activité en précisant : «’liée à la formation au poste d’opérateur 5*8 de l’atelier HDI 1 compte tenu des contraintes spécifiques de l’activité de l’établissement en termes de formation à la sécurité et d’habilitation au poste de travail préalable à sa tenue’».

Or, la société Vencorex n’allègue ni ne démontre pas que la nature des travaux du poste intitulé «’opérateur de transfert poste H coefficient 190’» diffère de celle du poste intitulé «’opérateur de fabrication 5*8’».

D’une seconde part, alors qu’il appartient à l’entreprise utilisatrice de justifier du motif de recours aux contrats de mission d’intérim et de la réalité de l’accroissement temporaire d’activité allégué, force est de constater que la société Vencorex s’appuie sur les contrats de mission eux-mêmes et les mentions y figurant, sans produire d’élément probant de l’accroissement temporaire d’activité allégué.

Ainsi, elle justifie d’un accord de gestion de l’emploi et d’accompagnement social du redéploiement stratégique (plan de départs volontaires) conclu le 10 juillet 2014 pour soutenir qu’elle a dû faire face à des départs échelonnés et des mobilités internes nécessitant un recours au travail temporaire pour renforcer les équipes, sans justifier des variations de son activité, de ses effectifs, et du caractère imprévisible de ces évolutions.

Ni les décisions de l’inspection du travail l’autorisant à déroger à l’interdiction d’emploi de salariés temporaires sur des postes à risques pour l’exécution de certains travaux obtenue le’13’août 2014 et prorogée jusqu’au 30 juin 2018, ni les avis de sections syndicales pour l’emploi de personnel temporaire sur les postes visés par l’article D4154-1 du code du travail, ni le compte-rendu de la visite d’inspection de la DREAL du 21 mai 2015, ne la dispensent de justifier de la réalité du motif d’accroissement temporaire d’activité allégué sur la période d’emploi de M. [D] [F], du 18 avril 2016 au 31 janvier 2018.

En l’absence d’élément justificatif de l’accroissement temporaire d’activité allégué et d’élément de nature à démontrer que l’activité subissait des cycles, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de requalifier les missions de M. [D] [F] à l’égard de la société Vencorex France SAS en contrat à durée indéterminée de droit commun à compter du’18’avril’2016.

2 ‘ Sur les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail à l’égard de la société Vencorex France SAS

Il’est établi que la relation de travail entre la société Vencorex France et M.'[D]'[F] a pris fin le 17 janvier 2018, hors de tout formalisme, à la suite d’un entretien du’14’décembre’2017.

Or, l’employeur qui prend l’initiative de la rupture du contrat de travail, le rompt ou le considère comme rompu, en dehors de toute manifestation de volonté expresse du salarié tendant à la rupture, doit engager la procédure de licenciement. A défaut, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Et, il n’est nullement allégué ni, a fortiori, établi que M. [D] [F] aurait manifesté l’intention claire et non-équivoque de rompre la relation de travail.

Le contrat de travail a dès lors été rompu sans que ne soit observée la moindre procédure de licenciement ni notification d’un motif, de sorte que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré est donc infirmé de ce chef.

Il s’ensuit, d’une première part, que M. [D] [F] est fondé à solliciter de la société’Vencorex France une indemnité compensatrice de préavis équivalente à deux mois de salaire au vu des dispositions de l’article 20 de la convention collective applicable, soit la somme de 5’234 euros bruts, outre 523,40 euros bruts au titre des congés payés afférents, prenant en compte un salaire mensuel moyen de 2’617 euros.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

D’une seconde part, par application des dispositions de l’article L 1234-9 du code du travail, au regard de l’ancienneté du salarié d’un an et onze mois, il convient de condamner la société’Vencorex France à lui verser une somme de 1’145 euros à titre d’indemnité de licenciement, telle que stipulé au dispositif des conclusions de l’appelant qui seul lie la cour.

Le jugement déféré est donc infirmé de ce chef.

D’une troisième part, au visa de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au jour de la rupture M. [D] [F] avait plus d’une année d’ancienneté au service de la société Vencorex France, de sorte qu’il a droit à une indemnisation comprise entre un et trois mois de salaire.

S’il ne produit pas d’élément sur sa situation d’emploi en janvier 2018, il verse aux débats le justificatif de versement des indemnités versées par Pôle Emploi à compter du 1er août 2018 jusqu’à la fin du mois de février 2020. Il convient de lui allouer la somme de 5’234 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le surplus de la demande étant rejeté.

Le jugement déféré est infirmé de ce chef.

D’une quatrième part, au visa de l’article L 1235-2 du code du travail, il convient de rappeler que l’indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement ne se cumule pas avec l’indemnité accordée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il y a donc lieu de débouter M. [D] [F] de sa demande indemnitaire au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement mise en ‘uvre.

Le jugement déféré est confirmé de ce chef.

3 – Sur la délivrance des bulletins de salaire et de documents de rupture

Il convient d’ordonner à la société Vencorex France de délivrer les bulletins de paie, un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt sans qu’il y ait lieu de fixer d’ores et déjà une astreinte.

4 ‘ Sur les demandes formées à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire

Les dispositions de l’article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui sanctionnent l’inobservation par l’entreprise utilisatrice des dispositions des articles L. 1251-5 à L.1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 du même code, n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d »uvre est interdite n’ont pas été respectées.

Par ailleurs, il résulte de l’article L. 1251-36 et de l’article L. 1251-37 du code du travail, dans leur version applicable avant le 24 septembre 2017, que l’entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs qu’à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l’un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels ne figure pas l’accroissement temporaire d’activité.

Lorsque l’entreprise de travail temporaire manque à ses propres obligations et agit frauduleusement, en concertation avec l’entreprise utilisatrice, pour contourner l’interdiction faite à cette dernière de recourir au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente, elle peut être condamnée à supporter in solidum avec l’entreprise utilisatrice les conséquences de la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée.

En l’espèce, d’une première part, les contrats de mission se sont succédés sans interruption sur une période d’emploi cumulée du 18 avril 2016 au 17 janvier 2018 au profit du même salarié au motif avancé d’un accroissement temporaire d’activité alors que ce motif n’entre pas dans le champ d’application de l’article L 1251-37 du code du travail, recensant limitativement les situations dans lesquelles le respect d’un délai de carence lors de la conclusion de contrats successifs n’est pas indispensable.

En effet les’contrats de mission’conclus les 18 avril 2016, 26 juillet 2016 et 24 octobre 2016 par la société LIP Tertiaire Solutions RH avec M. [D] [F] pour pourvoir un même emploi d’agent empoteur/dépoteur, au motif avancé d’un accroissement temporaire de l’activité de la société utilisatrice, ne respectent pas le délai de carence prévu par les dispositions de l’article L.’1251-36 du code du travail.

De même, les’contrats de mission’conclus les 1er avril 2017, 6 juin 2017 et 29 septembre 2017 par la société LIP Tertiaire Solutions RH avec M. [D] [F] pour pourvoir un même emploi d’opérateur de fabrication 5*8 dont il n’est pas établi qu’il diffère du poste «’opérateur de transfert poste H coefficient 190’»’précédemment occupé, ne respectent aucun délai de carence.

D’une seconde part, les contrats de mission versés aux débats ne sont pas signés par le salarié, et la société LIP Tertiaire Solutions RH ne justifie pas de la transmission effective des contrats à M. [D] [F] dans le délai de 48 heures prévu par les dispositions précitées. Elle se limite à remettre une attestation rédigée par la directrice d’agence qui reste inefficiente dès lors que celle-ci indique en des termes généraux que les contrats de l’agence sont transmis par courrier dans le délai légal de 48 heures.

Aussi, c’est par un moyen inopérant que la société LIP vise les dispositions entrées en vigueur à compter du 24 septembre 2017 qui ne sont pas applicables aux contrats litigieux signés entre le 18 avril 2016 et le 1er septembre 2017, seul le dernier contrat étant daté du’29’septembre’2017.

Il en résulte que la société LIP Tertiaire Solutions RH n’a pas respecté, à l’occasion de la conclusion avec M. [D] [F] des’contrats de mission’auprès de la société Vencorex France les obligations qui lui sont propres dans l’établissement des contrats de mission et à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d »uvre est interdite.

Si le non-respect du délai de carence ne caractérise pas nécessairement une collusion frauduleuse entre l’entreprise’utilisatrice’et l’entreprise de travail temporaire’puisqu’il faut, de surcroît, établir que l’entreprise de travail temporaire’savait que le recours à l’intérim visait en réalité à pourvoir un emploi permanent et durable au sein de l’entreprise’utilisatrice, la succession irrégulière des contrats de mission met en évidence un manquement, non seulement de l’entreprise utilisatrice qui ne justifie pas des motifs invoqués, mais également de l’entreprise de travail temporaire aux obligations qui lui sont propres dans l’établissement des contrats de mission.

En manquant de respecter le délai de carence prévu par l’article L 1251-36 et de transmettre le contrat dans le délai de légal de 48 heures, la société LIP Tertiaire Solutions RH s’est placée hors du champ d’application du travail temporaire et se trouve lié au salarié par un contrat de droit commun à durée indéterminée.

M. [D] [F] est donc fondé à obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée auprès la société de travail temporaire qui devra supporter, in’solidum avec la société Vencorex France, les conséquences de la rupture de la relation contractuelle.

5 ‘ Sur les prétentions au titre du travail dissimulé

Aux termes de l’article L.’8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L.’8221-3 ou en commettant les faits relatifs au travail dissimulé prévus à l’article L.8221-5 du même code a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L’article L.’8221-5 du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité de déclaration préalable à l’embauche ainsi qu’à la délivrance d’un bulletin de paie.

D’une première part, la cour constate que la société LIP justifie, d’une part, de la délivrance des bulletins de paie à M. [F] sur la période d’emploi et verse, d’autre part, aux débats son registre des déclarations préalables à l’embauche opérés au titre des contrats de salariés mis à la disposition de la société Vencorex sans que le salarié n’établisse de manière suffisante l’élément intentionnel du travail dissimulé allégué à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire.

D’une seconde part, M. [F], qui dispose pour chaque mois travaillé d’un contrat de mission et d’un bulletin de salaire, ne démontre pas d’élément intentionnel du travail dissimulé allégué à l’encontre de l’entreprise utilisatrice.

Le jugement entrepris est donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de prétention.

6 ‘ Sur les demandes accessoires

Les sociétés intimées, parties perdantes à l’instance au sens des dispositions de l’article’696 du code de procédure civile, doit être tenue d’en supporter in solidum les entiers dépens de première instance par infirmation du jugement déféré, y ajoutant les dépens d’appel.

Elles sont donc déboutées de leurs prétentions au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [D] [F] l’intégralité des sommes qu’il aurait été contraint d’exposer en justice, de sorte qu’il convient d’infirmer le jugement déféré et de condamner les sociétés intimées in solidum à lui verser une indemnité de’2’000’euros au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi’;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [D] [F] de ses demandes indemnitaires au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement et au titre du travail dissimulé’;

L’INFIRME pour le surplus’;

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

PRONONCE la requalification du contrat de travail temporaire de M. [D] [F] en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 avril 2016 à l’égard de la société Vencorex France SAS et à l’égard de la société Les intérimaires Professionnels – LIP SAS venant aux droits de la société LIP Tertiaire Solutions RH’;

DIT que la rupture du contrat de travail de M. [D] [F] s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE in solidum la société Vencorex France SAS et la société Les intérimaires Professionnels – LIP SAS venant aux droits de la société LIP Tertiaire Solutions RH à verser à M. M. [D] [F] les sommes suivantes :

– 5’234 euros (cinq mille deux cent trente-quatre euros) bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 523,40 euros (cinq cent vingt-trois euros et quarante centimes) bruts au titre des congés payés afférents,

– 1’145 euros (mille cent quarante-cinq euros) à titre d’indemnité de licenciement

– 5’234 euros (cinq mille deux cent trente-quatre euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE in solidum la société Vencorex France SAS et la société Les intérimaires Professionnels – LIP SAS venant aux droits de la société LIP Tertiaire Solutions RH à remettre à M. [D] [F] les bulletins de paie sur la période d’emploi, un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt’;

DIT n’y avoir lieu à fixation d’une astreinte’;

DÉBOUTE M. [D] [F] du surplus de ses prétentions financières’;

CONDAMNE in solidum la société Vencorex France SAS et la société Les intérimaires Professionnels – LIP SAS venant aux droits de la société LIP Tertiaire Solutions RH à verser à M. [D] [F] la somme de 2’000 euros (deux mille euros) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

DÉBOUTE la société Vencorex France SAS et la société Les intérimaires Professionnels – LIP SAS venant aux droits de la société LIP Tertiaire Solutions RH de leurs prétentions au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

CONDAMNE in solidum la société Vencorex France SAS et la société Les intérimaires Professionnels ‘ LIP SAS venant aux droits de la société LIP Tertiaire Solutions RH aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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