CDD pour accroissement d’activité : décision du 15 novembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 19/04231
CDD pour accroissement d’activité : décision du 15 novembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 19/04231

ARRÊT N°

N° RG 19/04231 – N° Portalis DBVH-V-B7D-HRI3

YRD/EB

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NIMES

03 octobre 2019

RG :18/00708

[S] [Y]

C/

S.A.S. NESTLE WATERS SUPPLY SUD

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2022

APPELANT :

Monsieur [I] [S] [Y]

né le 23 Juin 1988 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Aurélie SCHNEIDER de la SELARL AURELIE SCHNEIDER, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Marianne SARDENNE, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉE :

SAS NESTLE WATERS SUPPLY SUD Prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Patrick LANOY de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 30 Mai 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

M. Michel SORIANO, Conseiller

Madame Leila REMILI, Conseillère

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 01 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 15 Novembre 2022.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 15 Novembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

M. [I] [S] [Y] a été engagé par la SAS Nestle Waters Supply Sud suivant contrat de travail à durée déterminée du 16 septembre 2013 au 13 octobre 2013, dans le cadre d’un surcroît d’activité lié à un ‘push’ de volume important sur North America lié au référencement de nouveaux distributeurs, en qualité d’opérateur de zone de conditionnement.

Ce contrat a été renouvelé pour la période du 14 octobre au 24 novembre 2013.

Le 3 février 2014, M. [S] [Y] était à nouveau recruté dans le cadre d’un contrat à durée déterminée pour surcroît d’activité lié à la constitution de stocks importants pour le lancement du programme Sleek et le lancement de ce format sur les différents marchés.

La durée initiale était prévue du 3 février 2014 au 25 mai 2014. Ce contrat a été renouvelé pour la période du 26 mai au 24 août 2014.

M. [S] [Y] a été recruté dans le cadre d’un contrat à durée déterminée du 8 décembre au 21 décembre 2014 en remplacement de M. [D] [T], absent pour congés payés.

Il a été recruté pour la période du 22 au 23 décembre 2014 en remplacement de M. [N] [U], absent pour congés payés.

Le 2 janvier 2015, les parties ont signé un 5ème contrat à durée déterminée, pour une période allant du 2 janvier 2015 au 8 mars 2015, dans le cadre d’un surcroît temporaire d’activité lié à un volume de commandes additionnelles de 20 millions de cols pour le lancement de la promotion « Win a Trip » sur le marché USA.

Ce contrat a été renouvelé pour la période du 9 mars au 27 décembre 2015.

Le 11 juin 2016, les parties signaient un 6ème contrat à durée déterminée, pour une période allant du 11 juin au 31 décembre 2016, dans le cadre d’un surcroît d’activité lié aux activations supplémentaires des lignes de production sur l’ensemble des secteurs (VC/B, PET et VP), notamment de week-end, pour répondre aux commandes additionnelles non prévues par le client North America, suite à l’ouverture de nouveaux dépôts.

Ce contrat a été renouvelé pour la période du 19 décembre 2016 au 22 octobre 2017, puis pour la période du 23 octobre 2017 au 3 décembre 2017.

Le 19 décembre 2017, la société Nestle Waters adressait à M. [S] [Y] ses documents de fin de contrat.

Estimant que la société Nestle Waters n’avait pas respecté les règles relatives aux contrats de travail à durée déterminée, le 03 décembre 2018, M. [S] [Y] saisissait le conseil de prud’hommes de Nîmes en vue d’obtenir la requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée, ainsi que la condamnation de l’employeur au paiement de diverses sommes à caractère indemnitaire.

Par jugement contradictoire en date du 03 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Nîmes a :

– dit et jugé qu’il n’y a pas lieu de requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée,

– dit et jugé que les contrats à durée déterminée n’avaient pas pour objet ou pour effet à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise,

– dit et jugé que ‘la rupture du contrat de travail a été rompu du fait du terme du contrat’

– débouté M. [I] [S] [Y] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné M. [I] [S] [Y] à verser à la société Nestle Waters Supply Sud la somme de 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné M. [I] [S] [Y] aux entiers dépens.

Par acte du 04 novembre 2019, M. [S] [Y] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 30 janvier 2020, M. [I] [S] [Y] demande à la cour de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nîmes du 3 octobre 2019 en ce qu’il l’a débouté de sa demande de requalification et de ses conséquences indemnitaires ;

Statuant à nouveau :

– dire et juger que les contrats de travail à durée déterminée avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise

– dire et juger que la relation de travail doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée

– dire et juger que la rupture de la relation de travail intervenue le 3 décembre 2017 est dépourvue de cause réelle et sérieuse

En conséquence,

– condamner la société Nestle Waters Supply Sud à lui verser les sommes suivantes :

o 2.451,44 euros à titre d’indemnité de requalification

o 12.124,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement injustifié

o 4.849,92 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis

o 484,99 euros bruts au titre des congés payés afférents

o 2017,56 euros à titre d’indemnité de licenciement

– condamner la société Nestle Waters Supply Sud à lui remettre les documents de fin de contrat (certificat de travail, solde de tout compte, attestation Pôle emploi) conformes, sous astreinte de 15 euros par jour de retard, courant à compter de la notification du ‘jugement’ à intervenir,

– condamner la société Nestle Waters Supply Sud à la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

– condamner la société Nestle Waters Supply Sud aux entiers dépens de l’instance.

Il soutient que :

– ses contrats à durée déterminée doivent être requalifiés en contrats à durée indéterminée car :

* la société Nestle Waters n’a pas respecté le délai de carence entre le 27 décembre 2015 et le 11 juin 2016. Le délai de carence se calculant en jours d’ouverture de l’entreprise, il y aurait moins de 119 jours entre le 27 décembre 2015 et le 11 juin 2016.

* le 11 juin 2016, la société Nestle lui a adressé une prolongation de son contrat, sans qu’aucun contrat initial ne lui ait été adressé. De surcroît, elle a fait une prolongation de contrat sur des postes de travail différents ; en effet, il avait toujours occupé les fonctions d’opérateur zone de conditionnement mais pour cette prolongation, il occupait le poste d’opérateur de production.

* l’employeur ne rapporte pas la preuve de la réalité d’un accroissement d’activité lié à son développement, d’autant plus que le poste d’opérateur zone conditionnement est un poste lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

– il a subi un préjudice financier compte tenu de son ancienneté dans l’entreprise et de sa croyance à la volonté de son employeur de le conserver dans ses effectifs. Il a également été victime d’une utilisation abusive du contrat de travail à durée déterminée, rendant sa relation contractuelle précaire.

En l’état de ses dernières écritures en date du 10 avril 2020, la SAS Nestle Waters Supply Sud demande à la cour de :

A titre principal,

– constater la prescription de l’action relative aux contrats conclus avant le 3 décembre 2016

– rejeter toutes les demandes de M. [I] [S] [Y]

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nîmes du 3 octobre 2019

A titre subsidiaire,

– dire et juger qu’il n’y a pas lieu de requalifier les contrats de travail de M. [I] [S] [Y] en contrat de travail à temps complet,

– en toute hypothèse, constater que le salarié ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui causé par la rupture du contrat, à l’appui de sa demande de dommages et intérêts,

– condamner [I] [S] [Y] au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

– l’ensemble des 5 contrats conclus entre le 16 septembre 2013 et le 27 juin 2015 est couvert par la prescription, M. [S] [Y] ayant saisi le conseil de prud’hommes le 3 décembre 2018. Il ne peut donc soumettre à la cour que l’analyse des contrats conclus depuis le 3 décembre 2016.

– l’emploi occupé par M. [S] [Y] n’a pas pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

– M. [S] [Y] a été recruté pour deux motifs majeurs, soit le remplacement de salarié absent soit des périodes d’accroissement temporaire d’activité. Tous ces contrats étaient espacés dans le temps et parfaitement justifiés.

– la simple répétition de contrats à durée déterminée ne peut suffire à caractériser la nature permanente de l’emploi et le besoin structurel de main-d »uvre.

– à l’issu de son dernier contrat, M. [S] [Y] s’est vu proposer d’intégrer le parcours de formation mis en place dans le cadre du Groupement d’Employeur Progress, mais il a refusé. Ce parcours lui aurait permis de bénéficier d’un contrat de professionnalisation de 18 mois, destiné à obtenir la qualification professionnelle de technicien de production.

– elle a respecté le délai de carence entre chaque contrat de travail. Conformément à la circulaire ministérielle DRT n°2002-08, M. [S] [Y] a bénéficié de 4 jours de délai de carence en 2015 puis de 123 jours de carence en 2016 (129 jours ‘ 6 jours fériés) soit au total sur cette période 127 jours de carence.

– le courrier d’engagement du 11 juin 2016 comporte une simple erreur de rédaction, mais constitue bien un nouvel engagement du salarié et non un renouvellement comme tente de souligner M. [S] [Y].

– s’il est exact que la qualification de M. [S] [Y] a changé à l’occasion du dernier avenant de prolongation de son contrat de travail, à savoir « opérateur de production » après avoir été « opérateur de zone de conditionnement », ce n’est pas en raison d’un changement de fonction de ce dernier mais en raison d’une modification des intitulés des postes résultant d’un avenant à l’accord sur la classification, la rémunération et l’évolution professionnelle du personnel non cadre du 12 mai 2016.

– les demandes du salarié sont totalement disproportionnées et injustifiées car ce dernier sollicite 5 mois de salaire sans démontrer le moindre préjudice.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 30 mai 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 18 août 2022. L’affaire a été fixée à l’audience du 01 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la requalification en contrat à durée indéterminée

L’employeur soulève la prescription biennale de l’action en requalification.

En application des dispostions de l’article L 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Le point de départ du délai de prescription de deux ans diffère selon le fondement de l’action en requalification.

Si est invoqué le non-respect du délai de carence entre deux contrats successifs, le

point de départ de l’action est le premier jour d’exécution du second de ces contrats.

Si l’action est fondée sur la réalité du motif du recours au contrat à durée déterminée indiqué sur le contrat, le point de départ du délai de prescription est le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat

Il est en effet acquis que la requalification en CDI pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point

de départ du délai de prescription. Il en résulte qu’en cas de succession de contrats temporaires ou de contrats à durée déterminée séparés par des périodes intercalaires, il n’y a pas lieu d’appliquer la prescription contrat par contrat. Le délai de prescription court à compter du terme du dernier contrat, pour l’ensemble de la relation de travail.

En l’espèce, le salarié soulève le non respect du délai de carence entre le 27 décembre 2016 et la conclusion du contrat en date du 11 juin 2016, mais conteste également la réalité des motifs de recours aux contrats à durée déterminée, et ce pour l’ensemble de la relation de la travail.

Il y a lieu en conséquence d’apprécier la prescription de l’action introduite par l’appelant au regard du point de départ du délai de prescription applicable aux contestations portant sur la réalité des motifs de recours, hypothèse la plus favorable au salarié.

En l’espèce, le dernier contrat s’est achevé le 3 décembre 2017 de sorte que M. [S] [Y] disposait d’un délai expirant le 3 décembre 2019 pour saisir le conseil de prud’hommes d’une action en requalification.

L’appelant ayant saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes le 3 décembre 2018, son action fondée sur les motifs de recours est parfaitement recevable.

Sur le fond :

L’accroissement d’activité

En vertu de l’article L1242-1 du code du travail, « un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».

L’article L. 1242-2 du même code, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017, dispose que sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3, un contrat à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans certains cas limitativement énumérés, notamment le remplacement d’un salarié en cas d’absence ou de suspension de son contrat de travail et l’accroissement temporaire d’activité de l’entreprise.

En application des articles L. 1244-1 et L. 1244-4 alors applicables, les dispositions de l’article L. 1243-11 ne font pas obstacle à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié lorsque le contrat est conclu en cas, notamment, de remplacement d’un salarié absent ou d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu et le délai de carence n’est pas applicable lorsque le contrat de travail à durée déterminée est conclu pour assurer le remplacement d’un salarié temporairement absent ou dont le contrat de travail est suspendu, en cas de nouvelle absence du salarié remplacé.

En application de l’article L. 1245-1, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 et L. 1242-2.

Les contrats litigieux ont été conclus pour deux motifs, à savoir un accroissement temporaire d’activité et le remplacement de salariés absents, ce dernier motif n’étant pas contesté par l’appelant.

Le terme « accroissement temporaire d’activité » correspond selon les termes de la circulaire DRT no 18-90 du 30 octobre 1990 à une augmentation temporaire de l’activité habituelle de l’entreprise.

Cette situation recouvre les augmentations accidentelles ou cycliques de la charge de travail que l’entreprise ne peut pas absorber avec ses effectifs habituels. Si ce surcroît n’est pas nécessairement exceptionnel, il doit être néanmoins inhabituel et précisément limité dans le temps. Par ailleurs il peut tout aussi bien résulter d’accroissements ponctuels inhérents à l’organisation de l’activité de l’entreprise que de surcharges normales dans le cadre de son activité permanente.

L’énonciation précise du motif imposée par l’alinéa 1er dudit article fixe les limites du litige au cas où la qualification du contrat se trouve contestée.

L’employeur doit être en mesure d’apporter une double preuve concernant d’une part la réalité de l’accroissement, et d’autre part, son caractère temporaire.

Les contrats fondés sur un surcroît d’activité concernent le développement du marché nord américain (USA).

L’employeur produit, pour en justifier, les ‘données économiques permettant de justifier l’accroissement d’activité sur le marché Américain

Source : Rapport APEX Situation économique et financière 2017 et 2018 (expert mandaté par le CE) présenté en CE au mois de juin 2018.

Par zone géographique (source NW M&D)

L’export a été le principal vecteur de l’augmentation des ventes en 2017

La baisse des ventes en France prévue au budget ne s’est pas réalisée.

…’

Les chiffres figurant dans ce documents montrent qu’entre 2013 et 2017 (période d’embauche de l’appelant en CDD), les ventes réalisées en Amérique du nord sont passées de 390,1 millions de cols à 726,9 millions de cols, nécessitant le recours à des CDD.

De plus, il résulte de ce même rapport que l’effectif des ouvriers entre 2013 et 2017 a fortement diminué au profit des techniciens, de sorte que le poste d’opérateur de production occupé par M. [S] [Y] avait vocation à disparaître et ne constituait pas un poste lié à l’activité permanente et normale de l’entreprise, l’embauche de l’appelant ayant été rendue indispensable par l’accroissement d’activité retenue ci-dessus.

Enfin, l’accroissement d’activité démontrée par l’employeur étant par nature provisoire, elle ne peut avoir pour objet de pourvoir durablement un même poste lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

La preuve d’un surcroît brutal et provisoire d’activité nécessitant un renfort est ainsi rapportée et la demande de requalification fondée sur l’accroissement temporaire d’activité sera rejetée.

Le délai de carence

En dehors des exceptions prévues à l’article L 1244-1 du code du travail, l’employeur doit en principe respecter un délai de carence entre deux contrats à durée déterminée sur un même poste.

L’article L.1244-3 du même code dans sa version applicable au litige apporte les précisions suivantes :

‘A l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat, renouvellement inclus. Ce délai de carence est égal :

1° Au tiers de la durée du contrat venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est de quatorze jours ou plus ;

2° A la moitié de la durée du contrat venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est inférieure à quatorze jours.

Les jours pris en compte pour apprécier le délai devant séparer les deux contrats sont les jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement concerné.’

Il résulte de l’article L. 1245-1 du code du travail que le non-respect du délai de carence entraîne la requalification en contrat à durée indéterminée.

L’appelant estime que le délai de carence entre le contrat du 9 mars 2015 au 27 décembre 2015 et celui conclu le 11 juin 2016 n’a pas été respecté par l’employeur.

Les parties s’accordent sur le délai devant être respecté, à savoir 119 jours, le salarié prenant en compte les jours ouvrés, l’employeur prenant en compte les jours d’activité, à savoir l’ensemble des jours à l’exception du dimanche et des jours fériés.

L’employeur considère ainsi que le salarié a bénéficié de 127 jours de carence entre les deux contrats en cause.

Le délai de carence se décompte en jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement concerné.

Il appartient dès lors à l’employeur de produire tous éléments justifiant d’un nombre de jours d’activité de l’entreprise supérieur à celui de M. [S] [Y].

La cour relève ainsi que l’employeur se contente de procéder par allégations sans communiquer le moindre élément à ce titre, alors qu’en tenant compte des jours ouvrés et des jours fériés, le délai de carence entre les deux contrats du 9 mars 2015 et du 11 juin 2016 est inférieur à 119 jours.

Il résulte du non respect du délai de carence entre le contrat du 9 mars 2015 et le contrat du 11 juin 2016 que le contrat de travail à durée déterminée conclu le 9 mars 2015 est réputé à durée indéterminée.

Le jugement entrepris sera dans ces circonstances réformé de ce chef et sur les sommes devant revenir au salarié eu égard à la requalification en contrat à durée indéterminée.

Il y a lieu ainsi, tirant les conséquences juridiques de la requalification ainsi ordonnée, de faire droit aux réclamations de M. [S] [Y] tant au titre de l’indemnité de requalification que de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents dont les modalités de calcul n’ont pas été querellées.

Il résulte en effet de l’article L. 1245-2 du code du travail que lorsqu’il est fait droit à la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée du salarié, il lui est accordé une indemnité à la charge de l’employeur ne pouvant être inférieure à un mois de salaire, soit la somme de 2451,44 euros.

Par ailleurs, l’employeur a cessé de fournir du travail et de verser un salaire au salarié à l’expiration du contrat de travail qui a été requalifié. Cette rupture à son initiative s’analyse donc en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvrant droit au profit du salarié au paiement des dommages et intérêts et indemnités liés à cette rupture.

S’agissant du licenciement d’un salarié disposant d’une ancienneté de 2 ans et 11 mois et compte tenu de son âge (née en 1988), de son salaire mensuel brut (2424,96 euros) et des justificatifs produits sur sa situation, il y a lieu de d’allouer au salarié les sommes de :

– 4849,92 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, l’article 3.4 de la convention collective des entreprises de production des eaux embouteillées prévoyant un préavis de deux mois pour les salariés non cadre ayant deux ans d’ancienneté,

– 484,99 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 1768,20 euros au titre de l’indemnité de licenciement, le mode de calcul prévu par la convention collective en son article 3.6 étant moins favorable que celui prévu par l’article R 1234-2 du code du travail dans sa version applicable au litige, à savoir 2/10ème de mois par année entière d’ancienneté par tranche de 1 à 10 ans et un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans pour l’indemnité légale (en tenant compte d’une ancienneté de 2 ans et 11 mois),

– 7274,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif en application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige (entre 3 mois et 3,5 mois).

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société aux organismes concernés, parties au litige par l’effet de la loi, des indemnités de chômage qu’ils ont versées le cas échéant à M. [S] [Y] à compter du jour de son licenciement, jusqu’au jour du présent arrêt et ce à concurrence de six mois.

Sur les demandes accessoires

Il y a lieu également d’ordonner la délivrance par l’employeur des documents sociaux conformes aux dispositions du présent arrêt.

Aucune circonstance ne justifie que cette décision soit assortie d’une astreinte.

Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il conviendra de réformer le jugement querellé en ce qui concerne les mesures relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,

Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action en requalification des contrats de travail à durée déterminée conclus à compter du 16 mars 2013 en un contrat à durée indéterminée,

Confirme le jugement rendu le 3 octobre 2019 par le conseil de prud’hommes de Nîmes en ce qu’il a dit que les contrats à durée déterminée n’avaient pas pour objet ou pour effet à pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise,

Le réforme pour le surplus

Et statuant à nouveau,

Prononce la requalification des contrats de travail à durée déterminée conclus à compter du 9 mars 2015 en un contrat à durée indéterminée en raison du non respect du délai de carence,

Condamne la SAS Nestle Waters Supply Sud à payer à M. [I] [S] [Y] les sommes suivantes :

– 2451,44 euros à titre d’indemnité de requalification

– 4849,92 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 484,99 euros bruts au titre des congés payés afférents

– 1768,20 euros à titre d’indemnité de licenciement

– 7274,88 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture injustifiée de son contrat de travail

Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère salarial à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation, et à défaut de demande initiale, à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées, que s’agissant des créances salariales à venir au moment de la demande, les intérêts moratoires courent à compter de chaque échéance devenue exigible, et qu’ils courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus,

Ordonne la délivrance par l’employeur à M. [I] [S] [Y] des documents sociaux conformes aux dispositions du présent arrêt,

Ordonne le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage,

Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Nestle Waters Supply Sud aux dépens de première instance et d’appel,

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x