COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 15 DECEMBRE 2023
N° 2023/337
Rôle N° RG 19/18629 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFIKO
[O] [C]
C/
SA SOCIETE GENERALE D’ESPACES VERTS
SASU ADECCO FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le : 15 décembre 2023
à :
Me Philippe RAFFAELLI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
(Vestiaire 123)
Me Emmanuel MOLINA, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Agnès ERMENEUX, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
(Vestiaire 355)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’AIX-EN-PROVENCE en date du 31 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F14/01917.
APPELANT
Monsieur [O] [C], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Philippe RAFFAELLI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEES
SA SOCIETE GENERALE D’ESPACES VERTS, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Emmanuel MOLINA, avocat au barreau de MARSEILLE
SASU ADECCO FRANCE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Agnès ERMENEUX, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Mathilde HELLEU, avocat au barreau de LYON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 18 Octobre 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Marianne FEBVRE, Présidente suppléante a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2023,
Signé par Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante et Mme Cyrielle GOUNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
M. [O] [C] a été mis à la disposition de la SA Société Générale d’Espaces Verts (la société Sogev ci-après) par la société Adecco France en qualité de man’uvre travaux publics dans le cadre de différents contrats de missions temporaires entre la fin septembre 2012 et la fin septembre 2014.
Le 26 septembre 2014 le salarié a été victime d’un accident sur son lieu de travai – lequel a été reconnu comme accident du travail le 10 octobre 2014 par la caisse primaire d’assurance-maladie des Bouches-du-Rhône – et les missions se sont arrêtées.
C’est dans ce contexte que le 18 décembre 2014, M. [C] a saisi le conseil des prud’hommes d’Aix-en-Provence à l’encontre de l’entreprise utilisatrice et de l’entreprise de travail temporaire pour obtenir le bénéfice d’un contrat de travail à durée indéterminée et le paiement de diverses sommes en lien avec un licenciement nul pour être survenu pendant la période de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail.
En cours d’instance, soit le 24 septembre 2015, le salarié s’est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé pour la périod e du 26 février 2015 au 26 février 2018 par la MDPH des Bouches-du-Rhône. A compter du 1er juillet 2016, il a bénéficié d’une pension d’invalidité d’un montant de 4.871,74 €, laquelle a été augmentée régulièrement et qui s’élevait à 8.340,74 € en novembre 2021.
Parallèlement, le 23 février 2016, il a déposé une plainte contre la société Sogev pour infraction en matière d’hygiène et d’accidents du travail, laquelle a été classée sans suite le 19 septembre 2016.
Par jugement rendu le 31 octobre 2019 après procès verbal de partage de voix en date du 25 avril 2017, le juge départiteur assisté à l’audience d’un seul conseiller prud’homal a :
‘ déclaré recevable la demande de requalification des contrats de mission ;
‘ rejeté l’exception de prescription ;
‘ requalifié les contrats de mission temporaire en contrat à durée indéterminée prenant effet le 15 octobre 2012 ;
‘ fixé la moyenne du salaire à la somme de 550,75 € ;
‘ condamné la société Sogev à payer au salarié les sommes suivantes :
– 468,97 € à titre d’indemnité de requalification ;
– 550,75 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 55 € au titre des congés payés y afférents ;
– 4.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ condamné la société Adecco France à payer à M. [O] [C] la somme de 400 € en réparation de la perte de chance de faire liquider les droits acquis au titre du DIF ;
‘ dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de l’une ou l’autre des parties ;
‘ ordonné l’exécution provisoire en application de l’article 515 du code de procédure civile ;
‘ rejeté toute autre demande des parties ;
‘ condamné la société Sogev aux dépens.
M. [C] a formé appel principal par une déclaration d’appel en date du 6 décembre 2019 précisant les chefs expressément critiqués suivants :
en ce que le jugement :
– rejet de sa demande de nullité du licenciement intervenu le 26 septembre 2014,
– fixation de la moyenne mensuelle de ses salaires à la somme de 550,75 €,
– limitation des montants de l’indemnité de requalification à la somme de 468,97 €, de l’indemnité compensatrice de préavis à 550,75 €, celui des congés payés par incidence à 55 €, les dommages et intérêts de licenciement à 4.000 € et la condamnation au titre du DIF à 400 €,
– rejet de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les société Adecco France et Sogev ont formé appel incident par le biais de leurs premières conclusions en date respectivement des 3 mars et 7 mai 2020 (demandes d’infirmation partielle).
Dans le cadre de la mise en état, le salarié a sollicité la communication par l’entreprise de travail temporaire de l’intégralité des contrats de mission le concernant entre janvier 2012 et septembre 2014 et par l’entreprise utilisatrice de l’intégralité des contrats de mise à disposition symétrique le concernant et passés entre septembre 2012 et septembre 2014.
Par une ordonnance d’incident rendue le 26 février 2021, le conseiller de la mise en état a fait injonction à la société Adecco France de produire sous deux mois la copie de l’intégralité des contrats de mission concernant M. [O] [C] de septembre 2012 à septembre 2014 ainsi que de l’intégralité des contrats de mise à disposition symétriques des contrats de mission passés entre elle et toute société utilisatrice concernant toujours le salarié de septembre 2012 à septembre 2014.
Par une communication de pièces qui a eu lieu le 12 mars 2021, l’entreprise de travail temporaire a effectivement produit 49 contrats ou avenants aux contrats de missions signés avec M. [C] entre le 28 septembre 2012 pour le premier et le 16 septembre 2014 pour le dernier, et concernant des affectations auprès de la société Sogev.
Vu les dernières conclusions, transmises par voie électronique le 21 juillet 2023 pour le compte de M. [C], qui demande à la cour en substance de :
– confirmer le jugement entrepris sur la recevabilité de sa demande de requalification des contrats de missions, l’absence de prescription de cette demande et la requalification des contrats de mission temporaire en contrat à durée indéterminée,
– le reformer pour le surplus et statuer à nouveau sur tous les chefs expressément critiqués dans la déclaration d’appel (ci-dessus rappelés), – juger que la requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée a pris effet au 6 septembre 2012,
– condamner la société Sogev seule à lui payer la somme de 1.868,07 € par application de l’article L.1251-41 du code du travail,
– condamner la société ADECCO seule à lui payer la somme de 1.868,07 € à titre de dommages et intéréts pour non-respect des articles L.1251-36, L.1251-36-1 et L.1251-37 du code du travail,
– condamner les deux sociétés intimées in solidum à lui payer les sommes suivantes avec intéréts légaux à compter du 18 décembre 2014, jour de la demande en justice :
– 3.736,14 € à titre d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis par application conjuguée des articles L.1226-8, 9, 14 alinéa 1 et 15 alinéa 3, du code du travail,
– 829,80 € d’indemnité de licenciement en vertu des mêmes articles sus-visés,
-condamner les mêmes in solidum à lui payer les indemnités suivantes :
– 20.000 € par application conjuguée des articles L.1226-9 et L.1235-3-1, par. 6, du code du travail,
-1.000 € à titre de dommages et intéréts en réparation de la perte de chance de faire liquider ses droits acquis au titre du Droit Individuel à la Formation (DIF),
– 3.000 € par application cle l’article 700 du code de procédure civile
ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel,
Vu les uniques conclusions prises le 7 mai 2020 pour de la société Sogev, aux fins de voir en substance :
– In limine litis, constater que l’action en requalification des contrats de travail temporaire est prescrite,
– à titre principal, infirmer le jugement entrepris sur la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée et débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes indemnitaires liées à cette requalification,
– subsidiairement, infirmer le jugement entrepris sur la rupture de la relation contractuelle et rejeter les demandes indemnitaires formulées à ce titre par le salarié,
– à défaut, rejeter les demandes liées à l’existence d’un licenciement nul en l’absence d’accident du travail ou d’arrêt de travail, confirmer le jugement en ce qu’il a alloué au salarié une indemnité de requalification de 468,97 € et une indemnité de préavis de 550,75 €, l’infirmer sur le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (fixée à 4.000 €) et le limiter à la somme de 1.445 €,
– rejeter les demandes du salarié au titre de l’article 700 du code de procédure civileet, ainsi que toute ses demandes fins et conclusions et le condamner au paiement d’une indemnité de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,
Vu les dernières conclusions transmises le 22 avril 2022 pour la société Adecco France, tendant :
– à la confirmation partielle du jugement entrepris avec infirmation seulement sur la requalification des contrats de mission temporaire en contrat à durée indéterminée et sur sa condamnation à payer au salarié 400 € de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance pour ce dernier de faire liquider ses droits acquis au titre du DIF,
– au rejet de toutes les demandes à son encontre,
– subsidiairement, à la limitation des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 5.098,97 € équivalent à 3,5 mois de salaire,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 18 septembre 2023,
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.
A l’issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 15 décembre 2023 par mise à disposition au greffe.
SUR CE :
Sur la prescription de l’action en requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée :
Dans le cadre de son appel incident, la société Sogev critique le jugement qui a écarté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action en requalification engagée par M. [C], qu’elle avait soulevée en première instance. Elle fait à nouveau valoir qu’étant fondée sur le non respect des délais de carence, cette action aurait dû être engagée dans le délai de deux ans ayant commencé à courir dès le premier renouvellement des missions en octobre ou novembre 2012, ce qui n’était pas le cas.
Le salarié oppose que le point de départ de son action était le dernier jour du dernier contrat dont la requalification était sollicitée et non le premier renouvellement des missions.
Dans un arrêt récent (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n°20-12.271, FS-B), la Cour de cassation a rappelé les règles applicables en matière de requalification de contrats de travail temporaire en contrat à durée indéterminée, notamment celles relative à la prescription de cette action, en énonçant ceci :
– Selon l’article L.1471-1 du code du travail (issu de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013) dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
– Aux termes de l’article L.1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
– Selon l’article L.1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L.1251-5 à L.1251-7, L.1251-10 à L.1251-12, L.1251-30 et L.1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
– Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de prescription d’une action en requalification d’une succession de contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière,
– la requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription.
Le point de départ du délai de prescription (le terme du dernier contrat lorsque l’action est fondée sur le motif du recours) ne se confond donc pas avec le début de la relation contractuelle déterminant la date d’effet du contrat à durée indéterminée issue de cette opération de requalification.
C’est donc à bon droit en l’espèce que le juge départiteur a décidé que l’action en requalification engagée le 18 décembre 2014 n’était pas prescrite car le délai de prescription expirait le 30 septembre 2016, soit deux ans après la fin du dernier contrat.
En effet, en dépit d’une référence matérielle erroné dans le jugement à une requalification de contrats ‘à durée déterminée’ alors qu’il s’agissait de missions de travail temporaire, l’action engagée par M. [C] était fondée sur le motif du recours au contrat de mission et ne reposait pas sur le non respect des délais de carence (ce qui est seulement reproché à l’entreprise de travail temporaire dans le cadre d’une action indemnitaire) : le salarié invoquait bien le fait que les contrats litigieux avaient permis de pourvoir à un emploi permanent et durable au sein de l’entreprise utilisatrice et non à des missions ponctuelles liées à un accroissement temporaire d’activité.
Au regard de la jurisprudence précitée relative à la prescription de l’action en requalification en lien avec le motif du recours, le jugement entrepris mérite donc d’être confirmé quant à la recevabilité de son action et au rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription.
Sur la requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée et ses conséquences financières :
L’article L.1251-1 du code du travail qui définit le contrat de travail temporaire, énonce que « le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d’un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d’un client utilisateur pour l’exécution d’une mission ».
Dans le respect du principe énoncé à l’article L.1221-2 du code du travail, selon lequel « le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail », l’article L.1251-5 énonce – à l’instar de ce que fait l’article L.1242-1 en matière de contrats à durée déterminée – que « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice », comme déjà rappelé ci-dessus.
Pour encadrer l’usage de cette forme dérogatoire de relation de travail, l’article L.1251-6 du code du travail institue des cas limitatifs de recours en prévoyant notamment dans ses 1 et 2 le remplacement d’un salarié et l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, tout comme le fait l’article L.1242-2 en matière de contrats à durée déterminée.
Ainsi, en cas de recours à une succession de contrats de mission visant ce dernier motif (accroissement temporaire d’activité), la demande de requalification est à bon droit accueillie lorsqu’il est constaté que le recours aux contrats avait eu pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise (par ex. Soc., du 23 janvier 2019, pourvoi n° 17-21.796).
Il est par ailleurs admis de longue date et par une jurisprudence constante qu’en cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, la charge de la preuve pèse sur l’entreprise utilisatrice, à laquelle il incombe de justifier de la réalité du motif énoncé dans le contrat.
Enfin, la requalification des contrats de travail temporaires successifs en contrat à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice pour non respect des motifs du recours au travail temporaire autorise le salarié à agir parallèlement en indemnisation à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire qui aurait manqué aux obligations qui lui sont propres dans l’établissement des contrats de mission, notamment en ne respectant pas le délai de carence minimal entre les missions prévu à l’article L.1251-36 du code du travail. Dans ce cas, le salarié n’a pas à spécialement motiver sa demande de condamnation in solidum des deux entreprises – et particulièrement à caractériser l’existence d’une collusion entre les deux entreprise -, s’agissant des conséquences financières de la requalification : la condamnation in solidum est dans ce cas possible, à l’exception de l’indemnité de requalification dont seule l’entreprise utilisatrice est débitrice, s’agissant de la requalification fondée sur le fait que le recours aux contrats de travail temporaire avaient pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à son activité normale et permanente.
C’est dans ce sens que la Cour de cassation a statué dans un arrêt publié (Soc., 12 novembre 2020, pourvoi n° 18-18.294, FS-P+B+I) qui, d’une part, rappelle qu’il ‘résulte des articles L.1251-5 du code du travail, L.1251-6 du même code, dans sa rédaction applicable, et de l’article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu’en cas de litige sur le motif de recours au travail temporaire, il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat’ et qui, d’autre part, apporte les réponses suivantes :
– Les dispositions de l’article L.1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui sanctionnent l’inobservation par l’entreprise utilisatrice des dispositions des articles L.1251-5 à L.1251-7, L.1251-10 à L.1251-12, L.1251-30 et L.1251-35 du même code, n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite n’ont pas été respectées.
– Par ailleurs, il résulte de l’article L.1251-36 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, et de l’article L.1251-37 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que l’entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs qu’à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l’un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels ne figure pas l’accroissement temporaire d’activité.
– Ayant fait ressortir que l’entreprise de travail temporaire avait conclu plusieurs contrats de mission au motif d’un accroissement temporaire d’activité sans respect du délai de carence, la cour d’appel en a exactement déduit que la relation contractuelle existant entre le salarié et l’entreprise de travail temporaire devait être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009.
– Le non-respect du délai de carence caractérisant un manquement par l’entreprise de travail temporaire aux obligations qui lui sont propres dans l’établissement des contrats de mission, la cour d’appel, sans avoir à procéder à une recherche inopérante, en a exactement déduit qu’elle devait être condamnée in solidum avec l’entreprise utilisatrice à supporter les conséquences de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, à l’exception de l’indemnité de requalification, dont l’entreprise utilisatrice est seule débitrice.
En l’espèce, dans le cadre de leurs appels incidents, les sociétés Sogev et Adecco France critiquent le jugement en ce qu’il a accueilli la demande de requalification des contrats de travail temporaires conclus avec M. [C] en contrat à durée indéterminée à effet au 15 octobre 2012 à l’égard de la première et condamné l’entreprise utilisatrice à indemniser le salarié des conséquences de cette requalification.
De son côté, M. [C] demande la confirmation du jugement entrepris s’agissant du principe de cette requalification mais – indépendamment des questions liées à la rupture – il demande, d’une part, à voir juger que la relation a débuté le 6 septembre 2012, d’autre part, à voir fixer sa rémunération mensuelle moyenne à la somme de 1.868,07 € pour le calcul des indemnités de fin de contrat et de requalification, enfin, la condamnation in solidum des deux sociétés au titre des conséquences de la requalification – à l’exclusion de l’indemnité de requalification à la seule charge de la société Sogev -, outre des dommages et intérêts pour non respect du délai de carence à la charge de la société Adecco France.
Au vu des pièces versées aux débats – et particulièrement des huit contrats de missions temporaires, des deux certificats de travail des 13 octobre 2014 et 27 mars 2015 ainsi que de l’attestation de salaire pour accident du travail du 20 octobre 2014 et des bulletins de salaire produits par M. [C], des quarante neufs contrats de mission ou avenants communiqués le 12 mars 2021 par la société Adecco France en exécution de l’ordonnance d’incident prise par le conseiller de la mise en état ainsi que des deux contrats de mise à disposition produits par la société Sogev -, la cour estime établi le fait que le salarié a été employé de manière quasi continue par cette dernière entre le 24 septembre 2012 et le 30 septembre 2014, terme de sa dernière mission.
En effet, si contrairement à ses affirmations à ce sujet, M. [C] ne démontre pas que ses missions chez Sogev ont débuté dès le 6 septembre 2012, en revanche, le premier document produit par Adecco France est un ‘avenant de renouvellement’ à effet du 29 septembre 2012. Or, comme on peut l’observer dans tous les avenants de renouvellement versés aux débats, il précise bien la durée de la mission qui, en l’occurrence était : ‘du 24/09/2012 au 12/10/2012″.
Il ressort par ailleurs de l’examen de ces pièces que les missions étaient systématiquement motivées par référence à un accroissement temporaire d’activité, lié soit à un ‘chantier à terminer dans les délais imposés’, soit à des ‘travaux non prévus’, soit à un ‘chantier à terminer avant congé’, à un ‘retard de livraison de matériel’ ou encore à une ‘attente de personnel retardé sur un autre chantier’. La société Sogev expose d’ailleurs qu’elle devait faire face à une importante activité sur toute la période de deux années considérée et ce, en lien avec le fait que [Localité 4] avait été désignée ‘capitale de la culture 2013″ et avec les élections municipales 2014. Cet accroissement d’activité n’avait donc rien de ‘temporaire’.
Il est également établi que ces missions se sont enchaînées sans interruption, sauf durant les week-ends, lors des fêtes de fin d’années (du 21 décembre 2012 au 7 janvier 2013 et du 20 décembre 2013 au 7 janvier 2014), à l’occasion d’un arrêt de travail faisant suite à un premier accident de travail (du 1er au 18 mars 2013) ou lors des seuls congés annuels d’été – avec une partie de congés sans solde – accordés au salarié (du 9 juillet au 19 septembre 2013) sur les deux années d’emploi.
Enfin, les missions confiées au salarié ne respectaient pas le délai de carence imposé par l’article L.1251-36 du code du travail en l’état par exemple d’un délai de 2 jours seulement entre les contrats du 1er juillet 2014 au 1er août 2014, du 4 au 29 août 2014 et du 1er au 15 septembre 2014, ou sans aucun jour de carence avec le suivant, du 16 au 30 septembre 2014.
Au vu de ces éléments dont il se déduit que le salarié occupait en réalité durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, il convient de confirmer le jugement entrepris sur le principe de la requalification des contrats de travail temporaire en contrat à durée indéterminée.
En revanche, la cour l’infirmera quant à la date de prise d’effet et sur ses conséquences financières : il est en effet démontré que le contrat a débuté le 24 septembre 2012 et non le 15 octobre 2012 ; par ailleurs, en l’état des manquements commis par la société Adecco France dans l’établissement des contrats de mission sans respecter les délais de carence, lesquels ont contribué à la précarisation de la situation du salarié, ce dernier est fondé à solliciter la condamnation in solidum de l’entreprise utilisatrice et de l’entreprise de travail temporaire (sauf pour ce qui concerne l’indemnité de requalification qui demeure à la seule charge de la société Sogev à l’égard de laquelle la requalification est prononcée).
Inversement et faute pour le salarié d’établir l’existence d’un préjudice distinct de celui déjà réparé par cette condamnation in solidum, la cour confirmera le jugement qui a rejeté sa demande d’octroi de dommages et intérêts spéficiques à l’encontre de la société Adecco France.
S’agissant du montant de l’indemnité de requalification, la cour réformera le jugement entrepris sur le quantum. Le juge départiteur l’a en effet limité à la somme de 468,97 € par référence au dernier bulletin de salaire.
La somme retenue par le premier juge est le ‘net à payer’ figurant sur le dernier bulletin de paie de M. [C] après déduction d’un acompte de 1.190 €, ce qui donne un salaire net de 1.658,97 € pour un brut imposable de 1.922,60 €.
Or il résulte de l’article L.1245-2 du code du travail que le salarié a droit à une indemnité ne pouvant être inférieur à un mois de salaire.
Au regard de la moyenne des trois derniers mois de salaire perçus s’élèvant à 1.964,24 € en brut et au vu du calcul proposé par M. [C], confirmé par la société Sogev dans ses écritures, fixant la moyenne de ses six derniers mois de salaire à la somme de 1.868,07 €, la société utilisatrice sera condamnée au paiement d’une indemnité correspondant à cette somme, justement réclamée par le salarié à titre d’indemnité de requalification.
Sur la rupture et ses conséquences financières :
Le juge départiteur a estimé que la rupture consécutive à l’absence de poursuite de la relation contractuelle au terme de la dernière mission de M. [C] s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, cela après avoir rejeté la demande du salarié invoquant un licenciement nul. Il a en effet retenu que ce dernier ne rapportait pas la preuve d’un arrêt de travail consécutif à l’accident de travail du 26 septembre 2014 dont il faisait état.
Le salarié appelant fait valoir qu’il avait pourtant versé aux débats de multiples éléments de preuve établissant la réalité de cet accident (une feuille d’accident de travail, un certificat médical initial du 27 septembre 2014, un certificat médical de prolongation, la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident par la caisse primaire d’assurance maladie le 10 octobre 2014) et le paiement d’indemnités journalières au titre de cet accident du travail sur une période courant du 27 septembre 2014 au 8 septembre 2015.
Il produit ces éléments en cause d’appel et fonde sa demande de nullité du licenciement sur les dispositions des articles L.1226-9 et L.1226-13 du code du travail dont il résulte qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail du salarié consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur ne peut rompre ce contrat que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance de ces dispositions étant nulle.
Cependant, les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’employeur a connaissance de l’origine professionnelle de la maladie ou de l’accident (cf. Soc., 4 novembre 2021, pourvoi n° 19-24.378).
En l’espèce, la société Sogev conteste formellement avoir été informée de l’accident du travail de M. [C].
Or, si cet accident a bien été déclaré par la société Adecco France auquel le salarié avait transmis un certificat médical initial établi le 27 septembre 2014 par un médecin hospitalier mentionnant ‘lombalgies – entorse poignet droit’, les pièces versées aux débats ne permettent pas de déterminer la date de la déclaration d’accident du travail par la société Adecco France. Par ailleurs, il n’est produit aucun élément de preuve démontrant les circonstances de l’accident et sa connaissance par l’entreprise utilisatrice ou ne serait-ce que par des personnes présentes sur le chantier.
Inversement, le dernier bulletin de salaire produit par le salarié ne mentionne aucune retenue et ne fait pas état d’un arrêt de travail.
Il n’est donc pas établi que la société Sogev avait été informée de cet accident du travail au moment de sa survenance ou lorsqu’elle a décidé de ne plus avoir recours aux services du salarié dans le cadre d’un nouveau contrat de mission de travail temporaire.
Dans ce contexte, la cour ne peut accueillir la demande du salarié de voir prononcer la nullité de son licenciement résultant de l’absence de poursuite des relations contractuelles à l’issue de sa dernière mission le 30 septembre 2014.
Elle confirmera donc le jugement en ce qu’il a fait produire à la rupture de la relation contractuelle les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à l’issue de cette dernière mission.
S’agissant du préjudice résultant de la perte de l’emploi, compte tenu du montant de la rémunération versée (1.868,07 € en moyenne ), de l’âge de M. [C] au moment de la rupture (34 ans) et de son ancienneté dans l’entreprise (2 ans), mais également des circonstances de la rupture, de l’accident du travail survenu alors que le salarié n’avait pas bénéficié d’aucun congés au cours de l’été précédent et de ses conséquences en termes d’invalidité tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour, la société Sogev sera condamnée à verser à M. [C] la somme de 15.000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
S’il est confirmé sur le principe du licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement sera donc réformé sur le quantum de l’indemnité dont le montant avait été limité à 4.000 € en première instance.
Compte tenu de la moyenne de sa rémunération mensuelle brute, M. [C] est par ailleurs fondé à solliciter la réformation du jugement sur le quantum des indemnités de rupture et la cour fixera à 3.736,14 € (1.868,07 € x 2) le montant de l’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis par application conjuguée des articles L.1226-8, 9, 14 alinéa 1 et 15 alinéa 3, du code du travail et à 747,22 € (1.868,07 € x 2 x 1/5) le montant de l’indemnité de licenciement en vertu des mêmes textes.
Sur la demande indemnitaire à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire pour défaut d’information sur son droit individuel à la formation (DIF)
Dans le cadre de son appel incident, la société Adecco France demande l’infirmation du jugement qui l’a condamnée au paiement d’une somme de 400 € à titre de dommages et intérêts pour non respect deu droit à la formation.
Elle ne conteste pas avoir manqué à ses obligations en la matière à l’égard de M. [C] mais elle fait valoir que l’indemnisation d’un préjudice n’est pas automatique et qu’il appartient au salarié demandeur de le caractériser en vertu d’une jurisprudence datant du 13 mai 2016.
Quant à lui, M. [C] affirme qu’alors qu’il ‘comptait plus de deux ans d’ancienneté’ (en réalité, tout juste deux ans), il aurait dû être informé de son droit à bénéficier d’un droit individuel à la formation et que l’absence de notification d’un licenciement l’avait donc privé de cette information, ce qui lui occasionnait ‘nécessairement un préjudice’, alors surtout qu’il avait été privé d’emploi du jour au lendemain, sans information sur ses capacités de réadaption.
Il ne mentionne cependant aucune formation qu’il aurait pu engager et qui lui a fait défaut et il ne justifie donc d’aucun préjudice lié au défaut d’information qu’il reproche à l’entreprise de travail temporaire.
Par ailleurs, il se garde bien de rappeler ici qu’il était en arrêt de travail pour cause d’accident du travail jusqu’au 8 septembre 2015 et de faire référence à son placement en invalidité, lequel lui a été notifié le 24 septembre 2015.
En conséquence , la cour estime que sa demande indemnitaire n’est pas fondée. Le jugement entrepris sera donc infirmé et le salarié débouté de ses prétentions indemnitaires de ce chef.
Sur les autres demandes :
Les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de sa convocation devant le bureau de conciliation) tandis que les sommes à caractère indemnitaire seront majorées de ces intérêts à compter et dans la proportion de la décision qui les a prononcées.
Il serait inéquitable que M. [C] supporte l’intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que les sociétés intimées – qui seront condamnées aux dépens – doivent en être déboutées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe :
Infirme le jugement rendu le 31 octobre 2019 par le juge départiteur du conseil des prud’hommes d’Aix en Provence sauf sur :
– la recevabilité de la demande de requalification des contrats de mission temporaire en contrat à durée indéterminée ,
– le rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription,
– le principe de cette requalification en contrat à durée indéterminée à l’égard de la société Sogev,
– les effets de la rupture (licenciement sans cause réelle et sérieuse) au 30 septembre 2014, terme de la dernière mission ,
– le rejet de la demande indemnitaire spécifique à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire,
– les dépens ;
Le confirme de ces chefs,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,
Dit que la requalification de la succession de contrats de mission temporaire a produit ses effets à compter du 24 septembre 2012 ;
Condamne la société Sogev à payer à M. [O] [C] la somme de 1.868,07 € à titre d’indemnité de requalification ;
Condamne les sociétés Sogev et Adecco France in solidum à lui payer les sommes suivantes :
– 3.736,14 € à titre d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis,
– 747,22 € d’indemnité de licenciement,
– 15.000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dit que les créances salariales seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la convocation des sociétés Sogev et Adecco France devant le bureau de jugement et la créance indemnitaire à compter et dans la proportion de la décision qui les a prononcées (sur 4.000 € à compter du jugement et sur 11.000 € à compter du présent arrêt) ;
Déboute M. [O] [C] de sa demande d’indemnisation au titre de la perte de chance de faire liquider ses droits acquis au titre du Droit Individuel à la Formation (DIF),
Déboute M. [O] [C] du surplus de ses demandes à l’encontre de la société Sogev et de la société Adecco ;
Condamne les sociétés Sogev et Adecco France in solidum à payer à M. [O] [C] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les mêmes aux dépens d’appel.
Le greffier Le président