Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2023
(n° 536, 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02219 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBTMY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 janvier 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de [Localité 2] – RG n° 19/00233
APPELANTE
S.A.S. KUEHNE + NAGEL
Immatriculée au RCS de MEAUX sous le n° 333 583 466
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Véronique MARTIN BOZZI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305
INTIMÉ
Monsieur [X] [M]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Isabelle WASSELIN, avocat au barreau de [Localité 2]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Kuehne+Nagel (ci-après désignée la société KN) est une entreprise de plus de 10 salariés, exerçant une activité de logistique, d’entreposage et de transport routier et soumise à la convention collective des transports routiers.
Entre le 18 février 2014 et le 15 juin 2018, M. [X] [M] a été engagé dans le cadre de plusieurs contrats de mission à durée déterminée conclus avec la société de travail temporaire Adequat [Localité 2] au profit de la société KN, principalement en qualité de cariste.
Au terme du dernier contrat de travail (soit le 15 juin 2018), la société KN n’a plus fait appel aux services de M. [M].
Sollicitant la requalification de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée, M. [M] a saisi le 17 mai 2019 le conseil de prud’hommes de Melun afin que la société KN soit condamnée à lui verser diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement du 27 janvier 2020, le conseil de prud’hommes a :
– requalifié les contrats de mission en contrat à durée indéterminée ;
– condamné la société KN à lui verser les sommes suivantes :
*1.917,64 euros à titre d’indemnité de requalification,
* 2.077,44 euros à titre d’indemnité de licenciement,
* 3.835,28 euros à titre d’indemnité de préavis,
* 383,52 euros de congés payés afférents,
* 7.670,56 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que l’intérêt légal courra à compter du dépôt de la requête ;
– ordonné la délivrance par la société KN à M. [M] d’une attestation destinée à Pôle emploi, d’un certificat de travail, d’un bulletin de salaire et d’un reçu pour solde de tout compte conformes à la décision sous astreinte de 50 euros par jour de retard pour l’ensemble des documents ;
– fixé le point de départ de l’astreinte à compter du 21ème jour après la notification et la limite à une période de deux mois ;
– dit se réserver la liquidation de l’astreinte ;
– ordonné l’exécution provisoire en application de l’article D. 1251-3 du code du travail ;
– débouté la société KN de sa demande reconventionnelle ;
– condamné la société KN aux entiers dépens.
Le 10 mars 2020, la société KN a interjeté appel du jugement.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 21 avril 2021, la société KN demande à la cour de :
– infirmer le jugement ;
Statuant à nouveau,
– constater que les contrats de mission conclus avec M. [M] sont conformes aux dispositions légales ;
– constater que le recours aux contrats de mission n’a pas pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;
– constater que M. [M] ne démontre aucun préjudice résultant de la rupture de son contrat de travail ;
En conséquence,
– débouter M. [M] de l’intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
– réduire le montant des demandes formulées par M. [M] ;
En tout état de cause,
– condamner M. [M] à lui verser la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les éventuels dépens.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 3 février 2021, M. [M] demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a limité le quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 7.670,56 euros ;
Et statuant à nouveau,
– condamner la société KN à lui verser la somme de 9.588,20 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
– condamner la société KN à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– condamner la société KN en tous les dépens y compris les éventuels dépens d’exécution.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L’instruction a été déclarée close le 28 juin 2023.
MOTIFS :
Sur les documents communiqués à la cour en langue étrangère et non traduits :
Il est de jurisprudence constante que si l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 ne vise que les actes de procédure, le juge, sans violer l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est fondé, dans l’exercice de son pouvoir souverain et sans qu’il y ait lieu de rouvrir les débats, à écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de production d’une traduction en langue française.
Par suite, il sera écarté des débats les pièces communiquées par l’employeur en langue étrangère et qui ne comportent pas une traduction en langue française.
Sur l’action en requalification des contrats de mission à durée déterminée en contrat à durée indéterminée :
M. [M] sollicite la requalification des contrats de mission à durée déterminée en contrat à durée indéterminée pour les motifs suivants :
– la société n’établit pas la réalité des motifs de recours aux différents contrats de mission,
– le salarié occupait un emploi permanent au sein de l’entreprise utilisatrice.
En défense, la société KN conclut au débouté de cette demande de requalification.
Il est constant que le motif de l’intégralité des contrats de missions conclus sur la période du 18 février 2014 au 15 juin 2018 est l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
L’article L. 1251-40 du code du travail dispose : ‘Lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10, L. 1251-11, L. 1251-12-1, L. 1251-30 et L. 1251-35-1, et des stipulations des conventions ou des accords de branche conclus en application des articles L. 1251-12 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission’.
L’article L. 1251-6 du code du travail, auquel renvoie l’article L. 1251-40 du code du travail, dispose qu’il ‘ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée ‘mission’ et seulement dans les cas suivants : (…) 2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (…)’.
Comme l’expose la société KN, il ressort des termes des contrats de mission versés aux débats que ceux-ci ont été conclus pour ‘accroissement temporaire d’activité’.
Dans ses écritures, la société se fonde exclusivement sur ces mentions et sur des documents (pièces 8 à 10) en langue étrangère non traduits (dont il ne sera pas tenu compte pour les raisons mentionnées ci-dessus) pour affirmer que les contrats ont été conclus conformément aux dispositions de l’article L. 1251-6 du code du travail.
Dans ses conclusions (p.6), le salarié conteste la réalité de ces motifs.
Il est rappelé qu’en cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat. A défaut, le contrat est requalifié en contrat à durée indéterminée.
Comme il a été dit précédemment, la société KN (entreprise utilisatrice) ne produit aucun élément justifiant la réalité de l’accroissement d’activité invoquée dans les différents contrats de mission versés aux débats.
Par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen soulevé par le salarié, il y a lieu de faire droit à la demande de requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée entre la société KN et M. [M] prenant effet le 18 février 2014 (1er jour de mission), conformément aux prescriptions précitées de l’article L. 1251-40 du code du travail.
Sur l’indemnité de requalification :
Le salarié sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il lui a alloué la somme de 1.917,64 euros à titre d’indemnité de requalification, correspondant selon lui à un mois de salaire.
En défense, l’employeur demande à titre subsidiaire à la cour de réduire cette indemnité à de plus justes proportions, le salaire mensuel brut de M. [M] étant d’un montant de 1.607,92 euros bruts.
L’article L. 1251-41 du code du travail dispose : ‘Lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de requalification d’un contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans le délai d’un mois suivant sa saisine. Si le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s’applique sans préjudice de l’application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée’.
L’indemnité de requalification ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel perçu, avant la saisine de la juridiction.
Le juge prud’homal de première instance ayant été saisi le 17 mai 2019, l’indemnité ne peut dès lors être inférieure au salaire de mai 2018 (dernier mois plein travaillé) d’un montant de 1.917,64 euros bruts selon les bulletins de paye versés aux débats.
Eu égard à l’âge du salarié (né le 1er juillet 1981), à son ancienneté (un peu plus de 4 ans) et à sa rémunération, il lui sera alloué la somme de 1.917,64 euros à titre d’indemnité de requalification et le jugement sera ainsi confirmé en conséquence.
Sur la rupture du contrat de travail :
* Sur le bien-fondé de la rupture :
Il est constant que la société KN a mis fin aux relations contractuelles avec le salarié au terme du dernier contrat de mission, soit le 15 juin 2018.
Il ressort des développements précédents que les contrats de mission ont été requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée entre la société KN et M. [M].
De même, il est constant que la société KN n’a pas mis fin à ce contrat en notifiant au salarié son licenciement.
Par suite, la rupture du contrat de travail survenue le 15 juin 2018 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
* Sur les conséquences pécuniaires de la rupture :
Le salarié dont la rupture du contrat produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse a droit aux indemnités de rupture et à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En premier lieu, il ressort des bulletins de paye versés aux débats que, comme le sollicite le salarié, sa rémunération mensuelle brute doit être fixée à la somme de 1.917,64 euros et non à celle de 1.760,82 euros comme le soutient l’employeur.
En deuxième lieu, il ressort des développements précédents que le salarié bénéficiait au moment de la rupture d’une ancienneté supérieure à deux ans. Par suite, en application des dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail, M. [M] peut utilement solliciter une indemnité compensatrice de deux mois sur la base d’un salaire mensuel de référence de 1.917,54 euros.
Par suite, comme le sollicite le salarié, le jugement sera confirmé en ce qu’il lui a alloué la somme de 3.835,28 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (1.917,24×2), outre 383,52 euros de congés payés afférents, précision faite que ces sommes sont allouées en brut.
En troisième lieu, les article R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail dans leur rédaction applicable à la date de la rupture, disposent : ‘L’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9 ne peut être inférieure à une somme calculée par année de service dans l’entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. En cas d’année incomplète, l’indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets. L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants : 1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans [… ]’.
Par suite, comme le sollicite le salarié, le jugement sera confirmé en ce qu’il lui a alloué la somme de 2.077,44 euros à titre d’indemnité de licenciement.
En quatrième lieu, M. [M] sollicite la somme de 9.588,20 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur s’oppose à cette demande.
Dans son jugement attaqué, le conseil de prud’hommes a alloué au salarié la somme de 7.670,56 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, correspondant à 4 mois de salaire.
L’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version modifiée par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 applicable à la date de la rupture (15 juin 2018) dispose que lorsque le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, et que si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau reproduit dans l’article.
En l’occurrence, pour une ancienneté de 4 ans, la loi prévoit une indemnité minimale de 3 mois de salaire brut et une indemnité maximale qui s’élève à 5 mois.
Eu égard à ces éléments, à l’âge du salarié au moment de la rupture du contrat de travail, à son salaire mensuel brut, à son ancienneté et au fait qu’il justifie être toujours pris en charge par Pôle emploi, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué à M. [M] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse représentant 4 mois de salaire.
En dernier lieu, il ressort des développements précédents que la rupture a été jugée dépourvue de cause réelle et sérieuse par la cour. Etant ainsi dans le cas prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail, il y a lieu d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de quatre mois d’indemnités en application de l’article L. 1235-4 du code du travail.
Sur les demandes accessoires :
La société qui succombe est condamnée à verser au salarié la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
La société doit supporter les dépens de première instance et d’appel.
Elle sera déboutée de ces demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions, précision faite que sont exprimées en brut les sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Kuehne+Nagel à verser à M. [X] [M] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
ORDONNE à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage éventuellement versées par eux au salarié dans la limite de quatre mois d’indemnités,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE l’employeur aux dépens d’appel.
La greffière, La présidente.