RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11908 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CBBV2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Octobre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F19/04973
APPELANT
Monsieur [S] [K]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Me Déborah PUSZET, avocat au barreau de PARIS, toque : C2522
INTIMÉES
SELARL ACTIS prise en la personne de Me [W] ès qualités de mandataire judiciaires de la société LES BATISSEURS CONTEMPORAINS
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Sans avocat constitué, signifié à personne habilitée le 24 Février 2020
ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Hélène NEGRO-DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0197
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le19 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président, et Mme Valérie BLANCHET, conseillère, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Stéphane MEYER, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– Réputé contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement du 3 avril 2019, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Les Bâtisseurs Contemporains, ci-après LBC, et a désigné la société Actis en qualité de mandataire-liquidateur.
La société LBC compte moins de onze salariés et est régie par les accords nationaux bâtiment ouvriers et bâtiment ouvriers régions parisienne.
Soutenant avoir été engagé par la société LBC, M. [K] a saisi le 6 juin 2019 le conseil de prud’hommes de Paris pour voir fixer sa créance au passif de la société.
Par jugement du 24 octobre 2019, il a été débouté de ses demandes.
Le 30 novembre 2019, il a interjeté appel du jugement notifié le 2 novembre 2019.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 février 2020, l’intéressé demande à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de fixer au passif de la société LBC et ou de la condamner, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine, à lui verser les sommes suivantes :
– 1 521, 25 euros au titre de l’indemnité de requalification,
– 5 324, 37 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 521, 25 euros à titre d’indemnité pour procédure de licenciement irrégulière,
– 791, 05 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 3 042, 50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
-304, 25 euros au titre des congés payés afférents,
– 6 085 euros à titre de rappel de salaire,
– 608, 50 euros au titre des congés payés afférents,
– 9 127, 50 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
– 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Il sollicite la garantie des AGS, la remise d’une attestation pour Pôle Emploi, d’un certificat de travail et de bulletins de paie rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document et la condamnation de la société Actis, es qualité de mandataire liquidateur de la société LBC à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 27 mai 2020, l’Unedic- AGS CGEA IDF Ouest demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes de condamnation à son encontre, de confirmer le jugement, de rejeter les demandes et de dire que sa garantie n’est due que dans la limite de plafonds.
La société Actis, prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société LBC, n’a pas constitué avocat.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 20 septembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience de plaidoirie du 19 octobre 2022.
MOTIFS
Sur l’irrecevabilité des demandes formées à l’encontre de la société LBC
La société LBC étant en liquidation judiciaire, sont recevables les demandes de fixation de la créance du salarié au passif de cette société mais non celles de condamnation au paiement de diverses sommes.
Sur l’existence d’un contrat de travail
M. [K] soutient avoir été embauché oralement par la société LBC le 15 mai 2017 en qualité de manoeuvre. Puis, un contrat de travail à durée déterminée a été établi pour accroissement temporaire d’activité pour la période du 7 mai 2018 au 29 juin 2018 et à l’expiration de ce contrat à durée déterminée, il a travaillé sans être déclaré, sans contrat écrit et sans fiche de paye jusqu’en avril 2019.
L’AGS conteste l’existence d’une relation de travail antérieurement et postérieurement à la conclusion du contrat de travail à durée déterminée.
La relation de travail suppose l’existence d’un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
C’est en principe à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence. Toutefois, en présence d’un contrat apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve.
La preuve du contrat de travail ou du caractère fictif du contrat apparent peut être rapportée par tous moyens.
En l’espèce, M. [K] verse aux débats :
-des SMS de mars 2018 à mars 2019 adressés à [C] et à [I] correspondant au prénom du gérant de la société et des rendez vous proposés à [Localité 4] ville dans laquelle le gérant dirige la société MTF,
– un relevé de temps de travail manuscrit établi par l’intéressé mentionnant le nombre de jours travaillés, le mode de paiement ( chèque ou liquide), les lieux sans quelconque mention du nom de l’employeur.
Ces éléments ne permettent pas d’établir l’existence d’un contrat de travail apparent du 15 mai 2017 au 6 mai 2018 et du 29 juin 2018 à avril 2019.
En conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté l’intéressé de sa demande en reconnaissance de sa qualité de salarié, de ses demandes de salaires et de ses demandes subséquentes.
Sur la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée
L’intéressé soutient que le contrat de travail à durée déterminée a été conclu du 7 mai 2018 au 29 juin 2018 pour pallier ‘un accroissement temporaire d’activité’ qui n’est pas caractérisé par l’employeur. Il sollicite la somme de 1 521, 25 euros à titre d’indemnité de requalification et la somme de 6 085 euros à titre de rappel de salaires pour la période de janvier à mars 2019.
Lorsqu’un salarié demande la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, c’est à l’employeur qu’il incombe de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.
L’accroissement temporaire d’activité, qui autorise la conclusion de contrats à durée déterminée en cas d’augmentation temporaire de l’activité habituelle de l’entreprise, de l’exécution d’une tâche occasionnelle, précisément définie et non durable ne relevant pas de l’activité normale de l’entreprise, de la survenance d’une commande exceptionnelle ou de la nécessité de travaux urgents, doit rester inhabituel et temporaire. S’il s’avère durable, la relation contractuelle doit être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée.
Les articles L.1245-1 et L.1245-2 du code du travail prévoient les sanctions applicables en pareille hypothèse, soit la requalification du contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée et le versement au profit du salarié d’une indemnité de requalification ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.
En l’occurrence, la société Actis, prise en sa qualité de mandataire liquidateur dela société LBC, ne verse aux débats aucun élément relatif à l’accroissement d’activité allégué.
La cour ordonne en conséquence la requalification du contrat à durée déterminée conclu du 7 mai 2018 au 29 juin 2018 par la société LBC en contrat à durée indéterminée et accorde au salarié une indemnité de requalification de 1 521, 25 euros.
Sur la rupture du contrat de travail
Du fait de la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la rupture des relations constitue un licenciement qui est dépourvu de cause réelle et sérieuse faute de lettre de licenciement conforme aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail.
Le salarié revendique une ancienneté depuis le 15 mai 2017, ce que la cour n’a pas retenu en l’absence d’élément produit par le salarié relatif à cette période d’emploi.
Dès lors, la cour retient une ancienneté entre le 7 mai 2018 et le 29 juin 2018.
Le salarié percevait une rémunération contractuelle de 1 480, 30 euros par mois.
Selon l’article L.1234-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, le salarié a droit à une indemnité de licenciement dès lors qu’il justifie d’une ancienneté ininterrompue au service du même employeur de 8 mois. Compte tenu de sa faible ancienneté, aucune indemnité de licenciement n’est due, par confirmation du jugement.
L’article L.1234-1 du même code prévoit que lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit, s’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif ou à défaut par les usages pratiqués dans la localité et la profession. En l’espèce, le salarié qui justifie d’une ancienneté d’un mois et demi chez le même employeur n’a droit à aucune indemnité compensatrice de préavis en l’absence de disposition conventionnelle, d’accord collectif ou d’usage, par confirmation du jugement.
En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, le salarié ayant une ancienneté inférieure à un an, au sein d’une société dont l’effectif est inférieur à onze salariés a droit à une indemnité comprise entre zéro et un mois maximum de salaire.
En l’absence de pièces sur l’évolution de la situation professionnelle du salarié et compte tenu de son ancienneté réduite et des circonstances de la rupture, la cour fixe à la somme de 1 500 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement.
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, le juge ne peut sanctionner les irrégularités de la procédure, seule est due l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, la cour par infirmation du jugement, dit que la somme de 1 500 euros allouée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société LBC et confirme le jugement pour le surplus en ce qu’il a débouté le salarié de ses autres demandes.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
L’appelant soutient que l’employeur l’a fait travailler sans le déclarer du 15 mai 2017 au 1er avril 2019.
Conformément à l’article L.8221-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, est constitutif de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour l’employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche.
En l’espèce, la cour n’a pas retenu l’existence d’un travail dissimulé et aucun élément ne permet d’imputer à l’employeur une volonté manifeste de dissimuler le travail accompli par le salarié, étant relevé qu’une déclaration préalable à l’embauche a été établie lorsque le salarié a été embauché à durée déterminée.
La cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé.
Sur les autres demandes
La cour ordonne à la société Actis, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société LBC, de délivrer au salarié les documents de fin de contrat conformes à la présente décision, sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte.
S’agissant des sommes fixées au passif de la liquidation de la société, les créances du salarié doivent être garanties par l’association UNEDIC délégation AGS CGEA Ile-de-France Ouest à qui le présent arrêt est déclaré opposable, dans la limite des plafonds applicables, conformément aux articles L. 3253-6 à L 3253-13, L 3253-17 et D3253-5 du code du travail.
En application de l’article L. 622-28 du code de commerce le jugement du tribunal de commerce qui a prononcé l’ouverture de la procédure collective à l’encontre de la société Les Bâtisseurs Contemporains a arrêté le cours des intérêts légaux.
La société Actis, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société LBC, sera tenue de verser à l’intéressé une indemnité globale de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
-Déclare irrecevables les demandes de condamnation de la société Les Bâtisseurs Contemporains;
– Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [K] de sa demande de rappel de salaire, de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, de sa demande d’indemnité de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
– Ordonne la requalification du contrat à durée déterminée conclu le 7 mai 2018 au 29 juin 2018 avec la société Les Bâtisseurs Contemporains ;
– Fixe la créance de M. [K] au passif de la société Les Bâtisseurs Contemporains aux sommes de :
-1 521, 25 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Dit que ces créances seront garanties par l’association UNEDIC délégation AGS CGEA Ile-de-France Ouest à qui le présent arrêt est déclaré opposable, dans la limite des plafonds applicables, conformément aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail ;
– Dit que les condamnations prononcées à l’encontre de la société Les Bâtisseurs Contemporains porteront intérêts au taux légal, à compter de la réception, par cette société, de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;
– Enjoint à la société Actis, en sa qualité de liquidateur de la société Les Bâtisseurs Contemporains de remettre à M. [K] un bulletin de paie récapitulatif, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt ;
– Rejette la demande d’astreinte ;
– Déboute M. [K] du surplus de ses demandes ;
-Rappelle qu’en application de l’article L. 622-28 du code de commerce le jugement du tribunal de commerce qui a prononcé l’ouverture de la procédure collective à l’encontre de la société Les Bâtisseurs Contemporains a arrêté le cours des intérêts légaux ;
– Condamne la société Actis en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Les Bâtisseurs Contemporains à verser à M. [K] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne la société Actis ,en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Les Bâtisseurs Contemporains, aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT