7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°234/2023
N° RG 20/02048 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QSTP
S.C.O.P. S.A. TRAOU AN DOUAR
C/
M. [J] [N]
Copie exécutoire délivrée
le :01/06/2023
à :MAITRES
BOURGES
LE COULS-BOUVET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 01 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 06 Mars 2023
En présence de Monsieur [F] [O], médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
S.C.O.P. S.A. TRAOU AN DOUAR prise en la personne de sa représentante légale domiciliée en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Nicolas ROBIN de la SELARL AVOXA RENNES 1, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [J] [N]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Marie- Armel NICOL de la SELARL DEBREU MILON NICOL PAPION, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUCsubstitué par Me PAPION,Plaidant, avocat au barreau de SAINT BIREUC
Représenté par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
La SCOP Traou an Douar est spécialisée dans le secteur d’activité des supérettes commercialisant des denrées ‘bio’. Elle exploite trois magasins Biocoop, dont l’un est situé à [Localité 3].
M. [J] [N] a été engagé le 2 juin 2003 en qualité de boucher charcutier par la société Traou an Douar dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée pour accroissement d’activité, jusqu’au 2 décembre 2003. La relation s’est poursuivie à durée indéterminée à compter du 02 décembre 2003.
L’employeur applique la convention collective nationale des fruits et légumes, épicerie et produits laitiers.
Selon contrat du 1er juillet 2007, M. [N] a pris les fonctions de chef boucher charcutier à temps complet, sur la base de 35 heures hebdomadaires, dans le magasin de [Localité 3]. En dernier lieu, le salarié percevait un salaire moyen de 3 325,47 euros brut par mois incluant les heures supplémentaires.
Le samedi 7 octobre 2017 au soir, M.[N] a quitté le magasin pour prendre des congés payés jusqu’au 17 octobre 2017.
Le mardi 10 octobre 2017 au matin, lors de la réouverture du rayon boucherie son remplaçant intérimaire a alerté la direction sur la présence de moisissures et de suintements sur une demi-carcasse de porc, stockée dans la réserve frigorifique de l’établissement. L’employeur a fait procéder à un constat d’huissier et les analyses bactériologiques se sont avérées contraires aux normes sanitaires.
Le 16 octobre 2017, M. [N] a été contacté la veille de sa reprise pour qu’il se rende sur son lieu de travail et s’est vu remettre le même jour une convocation à un entretien préalable au licenciement ainsi que sa mise à pied à titre conservatoire.
Le 7 novembre 2017, l’employeur lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse résultant d’un manquement caractérisé aux règles d’hygiène et de sécurité alimentaire mettant en danger la santé des clients et la réputation du magasin.
Par courrier du 21 juin 2018, le conseil de M. [N] a contesté en vain le bien fondé de son licenciement.
***
M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Guingamp par requête en date du 7 août 2018 afin de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect des amplitudes de travail et repos quotidien.
La SCOP Traou an Douar a conclu au rejet des demandes de M. [N].
Par jugement en date du 2 mars 2020, le conseil de prud’hommes de Guingamp a :
– Dit le licenciement de M. [N] sans cause réelle et sérieuse ;
– Condamné la SARL Traou an Douar à verser à M. [N] les sommes suivantes :
– 10.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;
– 1.500 euros pour non respect des amplitudes de travail et repos quotidien ;
-1.200 euros à titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement lesdites condamnations devant être consignées auprès de la caisse des dépôts et consignations de Saint-Brieuc;
– Débouté la SARL Traou an Douar de l’ensemble de ses demandes;
– Condamné la SARL Traou an Douar aux éventuels et entiers dépens, y compris les frais d’exécution.
La SCOP Traou an Douar a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe le 3 avril 2020.
En l’état de ses conclusions n° 3 transmises par RPVA le 30 janvier 2023, la SCOP Traou an Douar demande à la cour de :
– réformer le jugement en ce qu’il a :
– Dit le licenciement de M. [N] sans cause réelle et sérieuse ;
– Condamné la SARL Traou an Douar à verser à M. [N] les sommes suivantes :
– 10 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;
– 1 500 euros pour non respect des amplitudes de travail et repos quotidien ;
-1 200 euros à titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement lesdites condamnations devant être consignées,
– et statuant à nouveau,
– Débouter M.[N] de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes,
– Condamner M.[N] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La SCOP Traou an Douar a pris des conclusions de procédure le 7 février 2023, afin voir rejeter la demande du salarié de rejet des conclusions déposées et notifiées dans l’intérêt de la société Traou an Douar le 30 janvier 2023 et de la nouvelle pièce numérotée 23 communiquée à la même date.
En l’état de ses conclusions n°2 transmises par RPVA le 07 février 2023, M. [N] demande à la cour de :
– rectifier l’erreur matérielle commises par le conseil de prud’hommes de Guingamp en ce qu’il a mentionné que la société Traou An Douar est une Sarl et mentionner qu’il s’agit d’une SCOP,
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, lui a alloué des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect des amplitudes de travail et repos quotidien, lui a alloué la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– réformer le jugement sur le montant des dommages-intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour licenciement brutal et vexatoire et pour non-respect des amplitudes de travail et repos quotidien,
– statuant à nouveau,
– condamner la SCOP Traou An Douar à lui régler les sommes suivantes:
– 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;
– 3 000 euros pour non respect des amplitudes de travail et repos quotidien ;
– 2 000 euros à titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– subsidiairement, confirmer le jugement dont appel.
Dans des conclusions distinctes du 7 février 2023, M.[N] a conclu au rejet des débats de la pièce 23 et des nouvelles conclusions signifiées le 30 janvier 2023 par la SCOP Traou an Douar.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 31 janvier 2023 avec fixation de l’affaire à l’audience du 6 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rejet des conclusions et de la pièce 23 transmises le 30 janvier 2023 par l’appelante
L’article 15 du code de procédure civile dispose: ‘Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense’.
La société appelante Traou an Douar a notifié des conclusions les 2 juillet 2020, le 22 décembre 2020 et le 30 janvier 2023. Dans le dernier jeu de conclusions signifié la veille de l’ordonnance de clôture du 31 janvier 2023, la société Traou An Douar a réactualisé ses conclusions en réponse aux conclusions prises le 7 novembre 2022 par le salarié et a transmis une pièce numérotée 23, correspondant au contrat de maintenance de son installation frigorifique.
Contrairement à ce qui est soutenu par le salarié, la société appelante n’a pas méconnu le principe du contradictoire, s’agissant seulement de justifier du suivi de ses équipements frigorifiques et de répliquer aux moyens soulevés dans les conclusions n°2 de l’intimé, ayant formé un appel incident. Pour preuve, M.[N] n’a pas jugé utile de solliciter le rabat de l’ordonnance de clôture ni de prendre des écritures dans le délai de 5 semaines avant l’audience.
Dans ces conditions, le moyen tiré de l’irrecevabilité des dernières conclusions et de la pièce 23 communiquées les 30 janvier 2023 sera rejeté.
Sur la rectification de l’erreur matérielle
En l’absence de moyen opposant, il sera fait droit à la demande du salarié tendant à voir rectifier l’erreur matérielle affectant le jugement désignant l’employeur sous la forme sociale d’une SARL, alors qu’il s’agit d’une SCOP.
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
L’article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. Selon l’article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 7 novembre 2017 qui fixe les limites du litige se fonde sur un motif disciplinaire en ce que le salarié a commis un manquement caractérisé aux règles impératives d’hygiène et de sécurité.
La société appelante demande l’infirmation du jugement en ce que M.[N], avait l’entière responsabilité de son rayon en tant que Chef boucher, avec le pouvoir d’écarter les produits non conformes aux règles d’hygiène; qu’il ne peut pas sous couvert d’un départ en congés le samedi soir précédent, échapper à sa responsabilité alors qu’il a conservé dans les frigos de morceaux de porc destinés à la vente au cours de la semaine suivante alors que cette viande provenait d’un animal abattu depuis 15 jours. L’employeur soutient que la carcasse litigieuse, tracée par l’abattoir, a été soumise aux constatations d’un huissier de justice et à l’analyse d’un laboratoire; que les morceaux présents dans la chambre froide destinés à la vente le mardi matin 10 octobre correspondaient bien à la carcasse litigieuse et n’ont pas été prélevés dans les poubelles de la boucherie, ayant fait l’objet d’un enlèvement spécifique le lundi précédent ; que les allégations du salarié selon lesquelles l’employeur aurait mis en place un stratagème pour se débarrasser de lui à bon compte ne sont ni sérieuses ni crédibles ; que le salarié tente de manière maladroite d’invoquer un dysfonctionnement de la chambre froide, ce qui est démenti par la maintenance assurée par une société spécialisée.
M.[N] conteste la matérialité des griefs au motif que:
– les faits auraient été découverts alors qu’il se trouvait en période de congés par un boucher remplaçant qui n’a pas fourni de témoignage, que les constatations de l’huissier ne sont pas contradictoires notamment sur l’identification des morceaux de viande, non tatouée, et sur l’endroit de leur découverte ; qu’il conteste avoir laissé les morceaux dans la partie livraison/commercialisation du frigo et n’a laissé que de la viande consommable indiquant à la gérante qu’il fallait passer rapidement les morceaux de porc ; que les morceaux photographiés proviennent en réalité du bac à déchets jetés le samedi soir en partant de son travail ; que l’enlèvement des déchets s’effectue de manière variable; que comme il avait commandé une demi-carcasse le mardi suivant pendant son absence, il suffisait si la viande était abîmée de l’écarter et de ne pas en faire un prétexte de faute à son encontre ; que la question de la conservation de la viande dans la chambre froide posait un problème récurrent dont il n’est pas responsable. La question de la rotation des viandes tous les 15 jours ne posait aucune difficulté ni interrogation de l’employeur s’agissant d’un porc abattu le 22 septembre précédent. Enfin, il dispose d’une longue expérience et n’a rencontré aucune difficulté dans l’exercice de son métier en tenant compte du délai de maturation de la viande.
Le dernier avenant a confié à M.[N] le poste de Chef-boucher charcutier, de niveau 5B, à charge pour lui d’avoir ‘ la responsabilité globale du rayon tout au long de la semaine et de surperviser le second boucher. En lien permanent avec le gérant de l’entreprise, il assumera la responsabilité d’une bonne coordination entre les différentes activités liées à sa charge et à celles du second boucher. Ces activités comprennent la réception de la marchandise, la découpe des carcasses, la préparation et la mise en place, la vente et le relationnel avec les consommateurs, l’état de propreté et d’hygiène du lieu, l’ensemble des commandes et des relations avec les fournisseurs, un inventaire et un calcul des marges tous les mois. Il s’engage plus particulièrement à appliquer à l’état d’hygiène et de propreté du lieu et du matériel ,(…) de mettre en oeuvre toutes les mesures d’hygiène nécessaires à l’élaboration et la bonne conservation des diverses préparations-traiteur(..)
Au soutien de son grief, la société appelante verse aux débats :
– le constat d’huissier établi le mardi 10 octobre 2017, mandaté par la gérante du magasin, après la réouverture du rayon boucherie – fermé le lundi- par M.[B], boucher remplaçant, pour faire toutes constatations utiles sur le demi-porc présentant des signes de viande avariée. Le rapport comporte des photographies et confirme la présence dans la chambre froide ‘côté livraison’ des morceaux de porc avariés.
– les résultats du laboratoires d’analyse Labocea concernant la viande transmise le 10 octobre 2017, correspondant à des morceaux d’un animal abattu le 22 septembre 2017 avec un numéro P 15032, établissant que la viande est avariée avec des germes aérobies mésophiles en très grand nombre.
– le certificat de l’abattoir Quintin Viandes, selon lequel le porc portant le numéro d’abattage P 15032 vendu à la société Biocoop a été abattu le 22 septembre 2017.
– un courriel du 8 novembre 2017 de la société Quintin Viandes confirmant qu’aucun porc n’a été livré durant la semaine 39 pour la société Biocoop. Même en l’absence de réglementation sur la durée de conservation de carcasse de porc entière non découpée, la société considère qu’une durée maximale de 10 jours est admise sous conditions d’une carcasse entière, abattue et conservée dans leurs frigos sans aucun transfert. Toute manipulation réduit de plusieurs jours la conservation et donc la qualité sanitaire du produit.
– des extraits des articles et des bonnes pratiques pour l’industrie de la viande préconisant une durée de conservation de 1 à 2 semaines pour la viande de porc, et alertant sur les risques des toxi-infections d’origine alimentaire.
– le témoignage de Mme [W], Responsable du magasin Biocoop de [Localité 3], selon laquelle M.[N] avant de partir en vacances le 7 octobre ‘a fait le point avec elle sur les approvisionnements, lui a confirmé que tout était en ordre et lui a d’ailleurs dit ‘ le demi-porc est à passer’; qu’il avait commandé également un porc pour une livraison le mardi suivant et a rencontré le boucher intérimaire qui devait le remplacer afin de recevoir ses instructions, avant son départ en vacances le samedi soir. Le mardi 10 , le remplaçant boucher est venu à son poste dès 6h30 et elle est arrivée à 7h30. Très rapidement, le boucher est venu lui signaler un problème de qualité sur le porc, que la viande n’est pas fraîche et qu’il ne peut pas mettre cette viande en vente ou l’utiliser pour la transformer. Elle a immédiatement constaté cela. Le boucher avait commencé à casser la carcasse du demi-porc, la viande suintait avec une coloration sombre à certains endroits. ‘ nous avons écarté cette viande qui nous paraissait impropre à la commercialisation. J’étais choquée de penser que l’autre- demi-porc avait été vendu le vendredi et le samedi précédent par M.[N] à nos clients. Je suis allée voir le bon de livraison correspondant .Le porc avait été abattu le 22 septembre 2017, soit depuis 18 jours. J’ai contacté l’abattoir pour avoir confirmation que le dernier porc abattu pour nous était bien celui-ci ce qui me fut confirmé. Le service qualité m’a confirmé qu’un porc se travaille généralement dans la semaine ( découpe et transformation), que l’on peut le conserver maximum 10 jours dans des conditions optimales de conservation
( sans transport et sans ouverture de chambre froide), ce qui n’a pas été le cas, car le porc a été manipulé, transporté et la chambre froide est ouverte au minimum 3 à 5 fois par jour. (..) Nous avons décidé de faire venir un huissier pour prendre des photos. Puis nous avons jeté le porc.’
– le témoignage de M.[L], ancien gérant du magasin de [Localité 3] (1996-2015), qui rapporte les difficultés rencontrées avec M.[N], sanctionné à plusieurs reprises par des avertissements : il ne pouvait travailler avec personne, n’était pas à la hauteur de ses obligations mais surtout sur le plan de l’hygiène, de sorte qu’il a été fait appel à une société de nettoyage spécialisée 2 fois par semaine le lundi et le jeudi. Il quittait son travail à 19h45 au lieu de 20 h, temps prévu pour le nettoyage du rayon.
– la recommandation des moniteurs boucher de la société Biocoop ( M. [X] et [P]) confirmant qu’une carcasse de porc livré le mardi doit être débité et fabriqué en saucisse ou préparation bouchère pour être vendue avant le mardi de la semaine suivante. Elle ne doit jamais dépasser 8 jours dans un frigo au risque d’un développement de bactérie sur la peau et le gras.
– le relevé du passage de l’entreprise spécialisée [R] chargée de la collecte des déchets du magasin le lundi 9 octobre 2017 à 8 heures, pour un poids de 50kg.
– un tableau récapitulatif de la chronologie des faits,
– le contrat d’entretien passé par le magasin Biocoop pour ses équipements frigorifiques avec la société Axima réfrigération, prévoyant un passage deux fois par an ( mars et novembre) des services techniques et un service de maintenance 24/24.
M.[N] qui conteste la version des faits de l’appelante, produit.
– le compte rendu de l’entretien du 31 octobre établi par M.[N], ‘ lorsque j’ai quitté le rayon samedi le frigo était comme d’habitude, rangé et propre et la viande était très saine’.
– le témoignage de M.[C] ancien boucher, ayant travaillé en intérim de 2009 à 2016 en remplacement pendant les vacances de M.[N], selon lequel ‘ il y avait un problème de chambre froide ( trop d’humidité) malgré les travaux, ce qui posait un problème récurrent pour la conservation de la viande qui devient poisseuse.’
– deux attestations de clients du magasin Biocoop, se déclarant satisfaits des conseils de M.[N] qui leur fournissait de la viande de qualité.
– un article tiré de la revue Pistretto de septembre 2008 selon lequel’ la viande crue de porc a une durée de maturation de 7 jours. Lors de l’entreposage, il faut trouver un compromis entre degré de maturité et rotation microbienne.’
Malgré les dénégations du salarié, la société appelante justifie que M.[N] en sa qualité de Chef boucher était responsable en vertu des dispositions contractuelles de son rayon au sein du magasin Biocoop de [Localité 3], à charge pour lui de passer et de contrôler les commandes mais aussi de respecter la propreté et l’hygiène des produits et des locaux. Le salarié qui conteste l’imputabilité des faits ne fournit aucune explication sérieuse sur la présence de morceaux de viande de porc avariée dans les chambres froides du magasin, alors que le la dernière carcasse livrée par l’unique fournisseur du magasin de [Localité 3] correspondait à un animal abattu le 22 septembre 2017, dûment tracé selon les références retrouvées dans le frigo par l’huissier de justice et le laboratoire d’analyses. Même en l’absence de texte réglementaire, les professionnels de la boucherie recommandent de ne pas commercialiser de la viande de porc crue au-delà du délai de 8 jours après l’abattage ou de la livraison par l’abattoir, au regard des risques sanitaires encourus pour le consommateur. Les explications fournies de manière évolutive par le salarié durant la procédure, selon lesquelles il aurait finalement jeté des morceaux de viande de porc dans le compartiment déchets de la chambre froide le samedi soir précédent son départ en congés, sont démenties par l’employeur qui rapporte la preuve du passage de l’entreprise spécialisée chargée de l’évacuation des déchets le lundi précédent – 9 octobre- . M.[N] n’est donc pas fondé à soutenir que la viande litigieuse présentée par son employeur à l’huissier de justice provenait de la benne, dans le but d’évincer un salarié bénéficiant d’une rémunération importante. La version du salarié est au surplus incohérente avec les directives, qu’il ne dément pas avoir données à la gérante le samedi 7 octobre au soir , de ‘passer un demi-porc ‘ à la vente la semaine suivante. Ses explications tardives sur un prétendu dysfonctionnement récurrent de la chambre froide sont difficilement crédibles en ce qu’elles reposent sur les seules allégations de M.[C], ancien boucher intérimaire du magasin Biocoop ayant arrêté son intervention dans le magasin au cours de l’année 2016, soit plus de 12 mois avant le licenciement de M.[N]. Ce dernier, chargé de veiller au contrôle du fonctionnement du matériel de son rayon, ne soutient à aucun moment qu’il a signalé la défaillance de la chambre froide durant la relation de travail, ce qui remet en cause la pertinence du moyen ainsi soulevé.
En dépit des contestations du salarié, les pièces produites permettent d’établir la matérialité et le caractère sérieux du grief invoqué à l’encontre de M. [N], s’agissant d’un manquement grave à ses obligations de respect des règles d’hygiène et de sécurité alimentaire, de nature à engager la responsabilité de son employeur. Le salarié dont le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse sera en conséquence débouté de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause et sérieuse, par voie d’infirmation du jugement.
Sur les dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire
M. [N] qui s’est vu remettre la veille de la reprise de son poste une convocation à entretien préalable avec mise à pied conservatoire durant la procédure de licenciement, dont le bien fondé a été admis par la cour au regard de la gravité des faits qui lui étaient reprochés dans le domaine de la sécurité alimentaire, ne rapporte pas la preuve de circonstances de fait particulièrement abusives ou vexatoires dans lesquelles la relation de travail a pris fin.
Il sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, par voie d’infirmation du jugement.
Sur les dommages-intérêts pour non-respect de la durée du travail
Les premiers juges ont alloué au salarié la somme de 1 500 euros pour non-respect des amplitudes de travail et de repos quotidien au motif que l’employeur avait laissé le salarié organiser librement ses journées et que ses horaires de travail excédaient les durées maximales quotidiennes de travail.
La société appelante demande l’infirmation du jugement en ce que M.[N] se contente d’affirmer le non-respect des dispositions relatives à l’amplitude de travail et au repos quotidien, sans en rapporter la preuve, que le salarié avait exigé de son employeur, qui a accepté dans un souci de souplesse, de concentrer ses heures de travail pour bénéficier de 3,5 jours de repos, de sorte qu’il est malvenu à en faire grief à la société.
Toutefois, il incombe à l’employeur, et non au salarié, de rapporter la preuve qu’il a bien satisfait à ses obligations en matière de respect des limites maximales de durée du travail quotidienne et de repos quotidien. En l’espèce, c’est à juste titre que les premiers juges ont constaté que les plannings du salarié faisaient apparaître une amplitude horaire excédant 10 heures par jour durant sa semaine de travail concentrée sur 4 jours. Peu importe que le salarié ait été à l’origine de l’aménagement de ses horaires de travail, l’employeur devant veiller au respect des règles impératives en matière de durée du travail et du repos quotidien. Le fait que M.[N] ne respectait pas les plannings et qu’il partait plus tôt à 19h45 au lieu de 20 heures, est sans incidence, l’employeur ayant l’obligation de veiller au respect des obligations impératives en matière de respect des durées de travail et de repos. Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué au salarié la somme de 1 500 euros, justement évaluée, à titre de dommages-intérêts pour méconnaissance des règles sur la durée maximale de travail et de repos quotidien.
Sur les autres demandes et les dépens
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens en appel. Les parties seront donc déboutées de leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du code de procédure civile, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions de ce chef.
L’employeur partie perdante au litige sera condamné aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
– Rejette le moyen tiré de l’irrecevabilité des conclusions n°3 et de la pièce 23 communiquées le 30 janvier 2023 par l’appelante.
– Rectifie l’erreur matérielle affectant le jugement attaqué en ce que la forme sociale de l’employeur est une SCOP, et non pas une SARL.
– Confirme partiellement le jugement seulement en ses dispositions relatives aux dommages-intérêts pour non respect des amplitudes de travail et de repos quotidien et aux dépens.
– Infirme les autres dispositions du jugement.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
– Dit que le licenciement de M.[N] repose sur une cause réelle et sérieuse,
– Déboute M.[N] des demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
– Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamne la SCOP Traou an Douar aux dépens de l’appel.
Le Greffier Le Président