Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 1er FÉVRIER 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02531 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBYL6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – Section Industrie – RG n° F18/01211
APPELANT
Monsieur [R] [T]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Nicolas PEYRÉ, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 188
INTIMÉE
EURL [N] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Patrice GRILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : A0745
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par contrat de travail à durée déterminée du 1er mars 2016 pris au motif d’un accroissement temporaire d’activité, M. [T] a été engagé par la société [N] [Y] en qualité de man’uvre, jusqu’au 31 mai 2016, moyennant un salaire mensuel brut de 1 466,65 euros pour 151,67 heures de travail par mois.
La relation de travail est régie par la Convention collective régionale des ouvriers du bâtiment de la région parisienne du 28 juin 1993.
La société emploie habituellement moins de 11 salariés.
Par avenant du 30 mai 2016, le contrat de travail à durée déterminée de M. [T] a été prolongé du 1er juin 2016 au 31 juillet 2016,
Par contrat de travail à durée déterminée du 6 septembre 2016, M. [T] a de nouveau été engagé par la société [N] [Y] en qualité de man’uvre du 1er septembre 2016 au 31 juillet 2017, au motif d’un accroissement temporaire d’activité, moyennant un salaire mensuel brut de 1 466,65 euros pour 151,67 heures de travail par mois.
Par avenant du 13 juillet 2017, ce contrat a été prolongé du 1er août 2017 au 28 février 2018 inclus et la rémunération mensuelle brute du salarié a été portée à 1 589 euros.
Après avoir été convoqué à un entretien préalable fixé au 22 février 2018, par lettre du 12 février 2018 portant notification d’une mise à pied à titre conservatoire, M. [T] s’est vu notifier la rupture anticipée de son contrat à durée déterminée pour faute grave, par lettre du 26 février 2018.
Estimant que sa relation de travail avec la société [N] [Y] s’analyse en un contrat de travail à durée indéterminée et contestant le bien fondé de la rupture, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny, le 25 avril 2018, afin qu’il ordonne la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, et qu’il condamne la société [N] [Y] à lui payer les sommes suivantes assorties des intérêts au taux légal :
– 1 766,81 euros à titre d’indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,
– 6 183,83 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
– 3 533,62 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 353,36 euros à titre des congés payés afférents,
– 883,40 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 1 766,81 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 1 766,81 euros à titre de rappel de salaire d’août 2016,
– 1032,80 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
– 279,96 euros à titre de congés payés afférents,
– 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [T] sollicitait également la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie conformes d’août 2015 à avril 2018 et d’un certificat pour la caisse des congés payés sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ainsi que l’exécution provisoire de la décision.
La société [N] [Y] a conclu au débouté de M. [T] et à la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 12 novembre 2019, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny a débouté M. [T] de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné aux dépens et à verser à la société [N] [Y] la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 16 mars 2020, M. [T] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 14 février 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 août 2020, M. [T] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Bobigny,
– Requalifier les contrats de travail à durée déterminée successifs en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2016,
– Dire et juger le licenciement irrégulier et abusif et, subsidiairement, la rupture anticipée abusive,
En conséquence,
– Condamner la société [N] [Y] à lui payer les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal :
° 1 766,81 euros à titre d’indemnité de requalification,
° 1 766,81 euros à titre de rappel de salaire du mois d’août 2016,
° 176,68 euros à titre de congés payés afférents,
° 1 032,80 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 12 février 2018 au 28 février 2018,
° 103,28 euros à titre de congés payés afférents,
° 3 533,62 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
° 353,36 euros à titre de congés payés afférents,
° 883,40 euros à titre d’indemnité de licenciement,
° 1 766,80 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
° 6 183,33 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, à tout le moins, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
– Ordonner la remise des bulletins de salaire d’août 2016 à avril 2018 inclus, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard s’agissant de l’attestation Pôle Emploi,
– Condamner la société [N] [Y] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 novembre 2020, la société [N] [Y] demande à la cour de :
– Dire et juger que les conclusions de l’appelant ne répondent pas aux critères de l’article 954 alinéa 2 du code de procédure civile,
– Dire et juger que les conclusions de l’appelant sont nulles et de nul effet,
– Dire et juger que la déclaration d’appel de M. [T] est caduque,
Au fond :
– Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– Débouter M. [T] des fins de son appel ;
Subsidiairement :
– Débouter M. [T] de toutes ses demandes salariales et indemnitaires tant au titre de la requalification de son contrat de travail qu’au titre de la rupture du contrat de travail et, à défaut, les ramener à de plus justes et raisonnables proportions,
– Condamner M. [T], si la Cour devait requalifier le contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée, à lui rembourser la somme de 1 000,87 euros versée à titre d’indemnité de fin de contrat perçue à tort,
Dans tous les cas de :
– Condamner M. [T] à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’instruction a été clôturée le 8 novembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 22 novembre 2022.
MOTIFS
Sur le moyen de nullité
Aux termes de l’article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions.
La société [N] [Y] fait valoir, d’abord, que les conclusions de l’appelant ne contiennent pas un énoncé distinct des chefs de jugement critiqués, seuls étant mentionnés un exposé des faits, une discussion et un dispositif, et ensuite, que le moyen développé à titre principal par l’appelant, à savoir le fait qu’il appartiendrait à l’employeur de rapporter la preuve de l’existence d’un surcroît d’activité, n’est assorti d’aucune référence textuelle constituant le fondement d’une telle affirmation, ce qui vient là encore méconnaître l’article précité.
Elle estime donc que les conclusions d’appelant ne respectent pas les prescriptions formelles de l’article 954 alinéa 2 précité, qu’elles doivent être ainsi déclarées irrecevables et que, par conséquent, l’appelant est réputé ne pas avoir conclu dans le délai prévu par l’article 905 du code de procédure civile, ce qui entraîne la caducité de son appel.
Mais, les conclusions de M. [T] comportent bien l’énoncé des chefs de jugement critiqués en ce qu’elles rappellent en leur page 2 que le jugement du 28 janvier 2020 a débouté l’intéressé de l’intégralité de ses demandes et que celui-ci demande alors à la cour d’infirmer ledit jugement et de faire droit à ses demandes initiales.
Par ailleurs, aucune prescription n’impose à une partie qui ne fait que rappeler une règle de preuve de citer ses références textuelles.
Le moyen tendant à la nullité des conclusions de M. [T] sera donc rejeté.
Sur la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée
Aux termes de l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Selon l’article L. 1242-2 du même code, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
En application de l’article L. 1242-12 du même code, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. À défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
À l’appui de son appel et au soutien de sa demande de requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, M. [T] fait valoir que la société [N] [Y] ne rapporte pas la preuve du motif de surcroît d’activité, que des contrats à durée déterminée ont été prolongés alors que le contrat initial ne prévoyait pas la possibilité de renouvellement, que le contrat du 6 septembre 2016 a pris effet au 1er septembre 2016, ce qui implique qu’aucun contrat écrit n’a été matérialisé entre les parties pour la période du 1er au 6 septembre 2016 et, en tout état de cause, que son emploi en qualité de man’uvre et la durée de la relation de travail attestent que les contrats de travail à durée déterminée avaient pour but de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
La société [N] [Y] réplique qu’à la date du 1er mars 2016, compte tenu de ses effectifs limités à deux salariés en CDI, elle avait un besoin ponctuel en effectifs supplémentaires pour faire face à un accroissement d’activité lié à l’obtention, dans un délai très court et pour une durée limitée, de différents chantiers supplémentaires. Elle produit plusieurs factures de travaux de mise en conformité pour les périodes de mars à mai 2016 et de septembre 2016 ainsi que son compte de résultat 2015-2016 démontant que, sur ces années, son chiffre d’affaires est passé de 325’539 euros à 369’183 euros.
Elle ajoute qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit de recourir à un avenant de prolongation d’un CDD dans le silence du contrat initial sur ce point, qu’en ce qui concerne le contrat du 6 septembre 2016, celui-ci a bien été transmis à M. [T] le lendemain de son embauche, soit le vendredi 2 septembre 2016 dans le respect de l’obligation de l’article L. 1242-13 du code du travail, mais que M. [T] a indiqué qu’il voulait tranquillement en prendre connaissance pendant le week-end et qu’il reviendrait avec le contrat signé dès le lundi 5 septembre 2016, ce qu’il n’a pas fait puisqu’il s’est présenté ce jour-là sur son lieu de travail sans le contrat.
Cela étant, il ressort de l’analyse des différents devis produits par la société [N] [Y] couvrant la période de mars 2016 à octobre 2016 et du compte de résultat 2015-2016 que la société [N] [Y] a bien connu un accroissement d’activité.
Toutefois, cet accroissement d’activité n’a pas de caractère temporaire en ce qu’il repose sur une progression du chiffre d’affaires de l’entreprise par l’augmentation de ses commandes entraînant la nécessité d’embauches supplémentaires.
Ce constat est, d’ailleurs, confirmé par la durée de la relation contractuelle entre les parties qui s’est étalée du 1er mars 2016 au 26 février 2018 de façon presque continue, à l’exception du mois d’août 2016 correspondant traditionnellement à une période de congés. L’incertitude d’obtenir des chantiers dans le futur et les interrogations légitimes de toute entreprise sur la pérennité de l’évolution favorable de son chiffre d’affaires ne permettent pas de recourir à des contrats de travail à durée déterminée.
Il s’ensuit que, sous couvert de contrat de travail à durée déterminée pris au motif d’un accroissement temporaire de l’activité, M. [T] a pourvu durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
En conséquence, la réalité du motif des contrats de travail à durée déterminée n’est pas démontrée.
Dès lors, par infirmation du jugement entrepris, la relation contractuelle de travail entre M. [T] et la société [N] [Y] sera requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter de la date du premier contrat irrégulier, soit à compter du 1er mars 2016 sans qu’il soit nécessaire d’aborder les autres moyens soulevés par M. [T], la cour relevant, en tout état de cause, que ne peut être considéré comme respectant l’exigence d’un écrit de l’article L. 1242-12 du code du travail, un contrat de travail daté du 6 septembre 2016 (et non du 2 septembre comme cela ressort des explications de la société à ce sujet) pour une relation de travail ayant débuté le 1er septembre 2016 et que les factures et le compte de résultat de la société [N] [Y] ne couvrent pas l’ensemble de la période des contrats de travail à durée déterminée et de leur renouvellement, spécialement le dernier renouvellement conclu pour la période du 1er août 2017 au 28 février 2018.
La requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ouvre droit pour le salarié à l’indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, prévue par l’article L. 1245-2 du code de travail.
En conséquence, la société [N] [Y] sera condamnée à verser à M. [T] la somme de 1 766, 81 euros correspondant à un mois de salaire, selon le salaire de référence à retenir, au titre de l’indemnité de requalification.
Par ailleurs, l’indemnité de précarité qui compense, pour le salarié, la situation dans laquelle il est placé du fait de son contrat à durée déterminée, lorsqu’elle est perçue par ce dernier à l’issue du contrat, lui reste acquise en cas de requalification ultérieure des contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
La société [N] [Y] sera donc déboutée de sa demande de remboursement de l’indemnité de précarité.
Enfin, en cas de discontinuité dans les successions de contrats de travail à durée déterminée requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée, le salarié ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes, ce qu’il lui appartient de démontrer.
Or, il doit être relevé que M. [T] ne rapporte pas la preuve de s’être maintenu à la disposition de l’employeur durant le mois d’août 2016 alors que ce mois correspond à une période habituelle de vacances et que la société [N] [Y] produit une attestation de sa secrétaire indiquant que le gérant avait proposé à M. [T] un renouvellement pour plusieurs mois supplémentaires de son CDD qui expirait le 31 juillet 2016 mais que le salarié a refusé cette proposition au motif qu’il devait partir en vacances et qu’il allait se mettre au chômage.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande de rappel de salaire pour le mois d’août 2016.
Sur la rupture du contrat de travail
La requalification des contrats à durée déterminée liant M. [T] à la société [N] [Y] en un contrat à durée indéterminée entraîne la requalification de la rupture anticipée du contrat de travail en un licenciement pour faute grave.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
‘Monsieur,
Malgré votre refus d’entrer seul dans nos locaux à l’entretien du 22 février 2018 à 10 heures, auquel nous vous avions convoqué en date du 12 février 2018, nous sommes au regret de vous notifier la rupture de votre contrat à durée déterminée pour faute grave.
En effet, vous avez eu une conduite constitutive d’une faute grave. Le lundi 12 février 2018, au matin sur le chantier, vous avez pris à partie Monsieur [N] [Y], en l’interpellant en lui tenant des propos discourtois et non appropriés sur un chantier, jusqu’à vouloir en venir aux mains. Vous avez eu un comportement agressif à son égard et cela n’est pas acceptable. Nous avons même dû faire intervenir les forces de l’ordre, car votre comportement devenait de plus en plus menaçant.
Par conséquent, au regard de ces faits, nous vous confirmons que nous ne pouvons pas poursuivre notre collaboration, puisque les faits reprochés que nous avons constatés constituent une faute grave, justifiant ainsi la rupture anticipée du contrat à durée déterminée sans indemnités, ni préavis.
Nous vous rappelons que vous faites l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée du 12 février 2018 au 26 février 2018 ne sera pas rémunérée.
La rupture de votre contrat de travail prend effet dès l’envoi de cette lettre.
(…)’.
À l’appui de son appel et au soutien de sa contestation de la régularité et du bien-fondé de son licenciement, M. [T] fait valoir, en premier lieu, qu’aucun entretien préalable ne s’est tenu dans la mesure où l’employeur lui a refusé d’être entendu en présence d’un conseiller du salarié et, en second lieu, que les pièces versées aux débats n’établissent ni la matérialité, ni l’imputabilité, ni la gravité des griefs qui lui sont reprochés et qu’il conteste.
La société [N] [Y] réplique, d’une part, que M. [T] s’est présenté à l’entretien avec un de ses cousins et qu’il a par la suite refusé d’assister à l’entretien lorsqu’il lui a été rappelé qu’il ne pouvait pas être assisté par une personne étrangère à l’entreprise et, d’autre part, que, le 12 février 2018, M. [T] s’est montré injurieux, agressif et violent l’égard de son employeur qui a été blessé à cette occasion, ce qui est totalement incompatible avec le maintien du salarié dans l’entreprise.
Elle ajoute que les demandes indemnitaires ne sont fondées ni en leur principe ni en leur montant et devront à ce titre être rejetées, à tout le moins, réduites à de plus raisonnables proportions.
Cela étant, pour attester de la réalité des faits reprochés à M. [T], la société [N] [Y] verse la lettre de convocation à l’entretien préalable du 12 février 2018 à la suite de ‘faits qui se sont déroulés ce matin’, un procès-verbal de dépôt de plainte établi par le commissariat de police de [Localité 4] dans lequel le gérant de l’entreprise indique avoir été victime de violences de la part de son salarié lui ayant provoqué une torsion du majeur gauche, en avoir avisé les forces de d’ordre qui sont venues immédiatement et ont pris en charge l’individu pour le ramener dans leurs locaux et un certificat médical du 12 février 2018 relevant sur la personne de [N] [Y], une plaie superficielle du troisième doigt de la main gauche entraînant une incapacité totale de travail de trois jours sous réserve de complications ultérieures, après avoir noté que le patient a indiqué avoir été victime de coups et blessures.
Toutefois, ces pièces sont établies sur les seules déclarations de [N] [Y] en ce qu’elles imputent les blessures subies par le plaignant le 12 février 2018 à une altercation avec M. [T]. La société [N] [Y] ne verse aucun autre élément de preuve alors que le mis en cause aurait été ramené dans les locaux du commissariat de police à la suite de l’intervention de fonctionnaires, ce qui aurait nécessairement donné lieu à la rédaction soit de procès-verbaux, soit, à tout le moins, d’une mention sur la main courante du commissariat et que l’altercation aurait eu lieu dans l’entreprise qui emploie d’autres salariés.
En conséquence, les faits ayant motivé le licenciement reproché à M. [T] ne sont pas établis de sorte que, par infirmation du jugement entrepris, la rupture du contrat de travail de M. [T] par la société [N] [Y] sera déclarée sans cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l’article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l’ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.
Si le salarié justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus compris entre six mois et moins de deux ans, la durée du préavis est fixée à un mois.
Selon l’article L.1234-5 du même code, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, ou si l’inexécution résulte du commun accord des parties, à une indemnité compensatrice.
Ainsi, la société [N] [Y] sera condamnée à verser à M. [T], qui a été engagé le 1er mars 2016 et licencié le 26 février 2018, la somme de 1 766,80 euros représentant un mois de salaire, outre celle de 176,68 euros au titre des congés payés afférents.
La faute grave n’ayant pas été retenue, il convient également de faire droit à la demande de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire en condamnant la société à régler à M. [T] la somme de 1 032,80 euros à ce titre, outre celle de 103,28 euros au titre des congés payés afférents.
Aux termes de l’article L.1234-9 du code du travail dans sa version applicable au présent litige, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte huit mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail.
En vertu de l’article R.1234-2 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige, cette indemnité ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans et à un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.
La période de préavis compte pour la détermination de l’ancienneté à retenir pour le calcul de l’indemnité de licenciement.
Ainsi, pour une ancienneté de deux ans, il revient à M. [T] la somme de 883,40 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement selon un montant non autrement contesté et conforme à la rémunération du salarié.
Par ailleurs, selon l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut.
M. [T] justifie d’une ancienneté de deux ans, en années pleines, à la date de la rupture du contrat de travail de sorte que l’indemnité pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse opéré dans une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés s’élève entre 0,5 et 3,5 mois de salaire brut soit pour M. [T], un montant compris entre 883,40 euros et 6 183,83 euros.
Dès lors, compte tenu de l’ancienneté, de l’âge (42 ans) et de la rémunération du salarié à la date de la rupture et compte-tenu également du fait que M. [T] ne donne aucune indication et ne verse aucune pièce relatives à sa situation postérieure au licenciement, il convient de fixer les dommages et intérêts lui revenant pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 3 000 euros.
Aux termes de l’article L. 1235-2 du code du travail, la juridiction prud’homale ne peut sanctionner les irrégularités de procédure que si elle considère le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, seule l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est due.
Ainsi, indépendamment des versions données par les uns et les autres sur les motifs pour lesquels l’entretien préalable au licenciement n’a pas eu lieu, le jugement entrepris sera confirmé, par substitution de motifs, en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande en dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure.
Sur les intérêts
En vertu des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les sommes ci-dessus de nature salariale, produiront des intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019, date de l’audience devant le bureau de jugement valant date certaine de la connaissance par l’employeur des demandes du salarié, et celles de nature indemnitaire, à compter du présent arrêt.
Sur la remise des documents sociaux de fin de contrat
M. [T] ne motive pas sa demande de remise de bulletins de paie pour la période d’août 2016 à avril 2018 alors que la société [N] [Y] verse à son dossier des bulletins de paie de mai 2017 à octobre 2017 et le salarié des bulletins de paie d’octobre 2017 à février 2018, date de la rupture contestée.
Toutefois, au vu des éléments ci-dessus, la société [N] [Y] sera condamnée à remettre à M. [T] un bulletin de paie récapitulatif pour les sommes mises à la charge de l’employeur par le présent arrêt devant figurer sur un tel bulletin, ainsi qu’un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, sans qu’il apparaisse nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte, une éventuelle résistance de la société à l’exécution de cette obligation ne pouvant être retenue par principe.
Sur les frais non compris dans les dépens
Conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la société [N] [Y], qui succombe en appel, sera condamnée à verser à M. [T] la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’appelant qui ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
REJETTE le moyen soulevé par la société [N] [Y] tendant à la nullité des conclusions de l’appelant et à la caducité de sa déclaration d’appel,
INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté M. [T] de ses demandes de rappel de salaire pour le mois d’août 2016 et en dommages-intérêts pour procédure irrégulière,
Statuant à nouveau,
REQUALIFIE les contrats de travail à durée déterminée ayant lié M. [T] à la société [N] [Y] en un contrat à durée indéterminée à effet au 1er mars 2016,
DIT que la rupture du contrat de travail en date du 26 février 2018 s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société [N] [Y] à verser à M. [T] les sommes suivantes :
° 1 766,81 euros à titre d’indemnité de requalification,
° 1 032,80 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
° 103,28 euros au titre des congés payés afférents,
° 1 766,81 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
° 176,68 euros au titre des congés payés afférents,
° 883,40 euros à titre d’indemnité de licenciement,
° 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
DIT que les sommes de nature salariale produiront des intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019 et celles de nature indemnitaire à compter du présent arrêt,
DÉBOUTE la société [N] [Y] de sa demande en remboursement de la prime de précarité,
CONDAMNE la société [N] [Y] à verser à M. [T] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société [N] [Y] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT