CDD d’usage : l’insécurité socio-économique indemnisée

CDD d’usage : l’insécurité socio-économique indemnisée

Conformément à l’article L. 1245-2 du code du travail, le salarié (Chef de prise de vues)  qui obtient la requalification de sa collaboration en CDI peut prétendre à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure au dernier mois de salaire avant la saisine du conseil de prud’hommes.

En l’espèce, du fait de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée, le salarié  présentait au jour du jugement une ancienneté de 24 années. Par ailleurs, le salarié a produit aux débats un rapport d’expertise du CEDAET diligenté par le CHSCT de France Télévisions sur les conditions de travail des collaborateurs en contrat à durée déterminée, qui soulignait  que ‘l’insécurité socio-économique est anxiogène.

La charge cognitive précédemment décrite en est redoublée avec une crainte de l’erreur très présente car potentiellement source de révocation (…) : ‘Il ne faut pas se tromper parce qu’il y a le risque de ne plus être appelé’. Certains OPS CDD se retrouvent dans une position de grande vulnérabilité économique et sociale du fait que France Télévisions est leur principal employeur ou le soit devenu, cette insécurité pouvant avoir des conséquences sur la santé psychique des salariés’.

Ainsi, compte tenu de la situation de précarité subie par le salarié sur une très longue période et de ses conséquences, notamment en termes de cotisations à la caisse de retraite, les juges lui ont alloué la somme de 10 000 euros à titre d’indemnité.

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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRET DU 20 MAI 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/01023 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7DZK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Décembre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/03614

APPELANTES

Madame Y X

Représentée par Me Joyce KTORZA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0053

Syndicat FEDERATION NATIONALE SOLIDAIRES UNITAIRES ET […]

Représentée par Me Joyce KTORZA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0053

INTIMEE

SA FRANCE TELEVISIONS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Mars 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame C-D E, et Madame A B, Présidentes de chambre, chargées du rapport.

Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame C-D E, Présidente de chambre,

Madame A B, Présidente de Chambre,

Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère.

Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

—  CONTRADICTOIRE,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Madame A B, Présidente de chambre et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROC”DURE ET PR”TENTIONS DES PARTIES

Par contrats de travail à durée déterminée successifs, Mme Y X a été engagée à compter du 7 décembre 1994 en qualité de chef opérateur de prise de vue par la société France 3, aux droits de laquelle est venue la société France Télévisions.

Les relations contractuelles sont soumises à la convention collective de la communication et de la production audiovisuelles et à des accords d’entreprise.

Sollicitant la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 16 mai 2018 aux fins d’obtenir la condamnation de la société France Télévisions au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement en date du 5 décembre 2018, le conseil de prud’hommes a :

— requalifié la relation de travail entre Mme X et la société France Télévisions en contrat à durée indéterminée à temps partiel de 62% à compter du 7 décembre 1994 ;

— dit que le salaire mensuel est fixé à 2.210 euros bruts pour 62% de temps travaillé ;

— condamné France Télévisions à payer à Mme X les sommes suivantes :

10.000 euros au titre de l’article L.1245-2 du code du travail avec exécution provisoire ;

1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— débouté Mme X du surplus de ses demandes ;

— débouté la société de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— reçu la Fédération nationale solidaires unitaires et démocratiques médias télévision «’sud médias télévision’» France 3 en sa demande et condamné France Télévisions à lui payer 200 euros à titre de

dommages et intérêts ;

— débouté le syndicat la Fédération nationale solidaires unitaires et démocratiques médias télévision «’sud médias télévision’» France 3 du surplus de ses demandes.

Le 8 janvier 2019, Mme X et le syndicat susnommé ont interjeté appel de ce jugement.

A la suite de la décision du conseil de prud’hommes, la société France Télévisions a transmis à Mme X le 24 janvier 2019 un contrat de travail à durée indéterminée, prévoyant un engagement à temps partiel pour une durée mensuelle de 21 heures 42 minutes, soit 62 % d’un temps plein, répartie sur trois journées travaillées de 7h14 minutes, en alternance sur 3 semaines, semaine 1 : Vendredi Samedi Dimanche, semaine 2 et 3 : Mercredi Jeudi Vendredi.

La salariée a signé ce contrat le 5 février 2019 en précisant ‘sous réserves de mes droits et de la procédure en cours’.

Selon ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 23 décembre 2020, Mme X et le syndicat Fédération nationale solidaires unitaires et démocratiques médias télévision «’sud médias télévision’»France 3 demandent à la cour de :

— confirmer le jugement en ce qu’il a :

requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée depuis l’origine, soit depuis le 7 décembre 1994 ;

fixé le salaire mensuel brut de base pour un temps plein à 3.565 euros ;

condamné France Télévisions à verser à Mme X :

10.000 euros au titre de l’indemnité de requalification ;

1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— l’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :

— requalifier les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à temps plein depuis le 7 décembre 1994 ;

— juger recevable la demande de rappels de salaire et congés payés afférents formée par Mme X en cause d’appel ;

— condamner la société France Télévisions à payer à Mme X les sommes suivantes :

pour la période du 7 décembre 1994 au 24 janvier 2019, soit antérieurement à la requalification judiciaire et à la transmission du CDI à temps partiel :

69.682 euros au titre des rappels de salaires et 6.968 euros au titre des congés payés afférents ;

20.107 euros au titre de la prime d’ancienneté et 2.010 euros au titre des congés payés afférents;

pour la période postérieure au 24 janvier 2019 et provisoirement arrêtée au 31 décembre 2020 soit après la requalification judiciaire et la transmission du CDI à temps partiel :

31.165 euros au titre des rappels de salaires et 3.117 euros au titre des congés payés afférents ;

4.369 euros au titre de la prime d’ancienneté et 437 euros au titre des congés payés afférents ;

En tout état de cause,

— condamner la société France Télévisions à verser à Mme X au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour la présente procédure d’appel : 7.000 euros ;

— le tout assorti de l’intérêt au taux légal à compter de la réception par la société France Télévisions de la convocation adressée par le greffe du conseil de prud’hommes de Paris pour le bureau de jugement .

— condamner la société France Télévisions aux entiers dépens.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 12 janvier 2021, la société France Télévisions demande à la cour de :

— confirmer le jugement en ce qu’il a alloué la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts et débouté le syndicat du surplus de ses demandes ; requalifié la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à temps partiel de 62% à compter du 7 décembre 1994 ; dit que le salaire mensuel est fixé à 2.210,00 euros brut pour 62% de temps travaillé ; condamné la société à 1.000 euros au titre des frais de procédure ;

— le réformer pour le surplus ;

— débouter Mme X de sa demande de rappel de salaires et de congés payés afférents ;

— fixer le montant de l’indemnité de requalification à la somme de 1.911 euros (base de rémunération moyenne de 2017 avant saisine du conseil de prud’hommes) ;

— dire y avoir lieu à requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée sur la base d’un temps partiel de 62% ;

— fixer le salaire de base brut mensuel à 2.210 euros ;

— fixer la prime mensuelle d’ancienneté à la somme de 152,26 euros brut ;

— dire n’y avoir lieu à des frais de procédure au titre de la procédure en 1re instance ;

— condamner Mme X et le syndicat Fédération nationale solidaires unitaires et démocratiques médias télévision «’sud médias télévision’» France 3 à payer chacun à la société France Télévisions la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— les condamner aux entiers dépens.

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L’instruction a été déclarée close le 13 janvier 2021.

MOTIFS

Aux termes de ses conclusions, Mme X distingue deux périodes :

— une première, de son engagement le 7 décembre 1994 à la transmission du contrat à durée indéterminée à temps partiel le 24 janvier 2019, au cours de laquelle la collaboration a été couverte par une succession de contrats à durée déterminée,

— une seconde période, depuis la transmission du contrat à durée indéterminée à temps partiel le 24 janvier 2019.

Sur la période antérieure à la requalification en CDI, du 7 décembre 1994 au 24 janvier 2019

Au titre de cette période, Mme X sollicite que la relation de travail soit requalifiée en contrat à durée indéterminée à temps plein depuis l’origine et que la société soit condamnée à lui verser un rappel de salaire sur les périodes interstitielles au cours desquelles elle est restée à sa disposition permanente, outre un rappel de prime d’ancienneté et une indemnité de requalification.

  • Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Aucun appel n’ayant été formé sur ce chef du jugement, celui-ci est définitif.

  • Sur l’indemnité de requalification

Mme X fait valoir, en substance, qu’elle a vécu dans la peur constante de perdre son travail, de ne plus percevoir de revenus réguliers et d’être exclue si elle ne répondait pas immédiatement présente aux appels de France Télévisions, qu’elle a donc renoncé à tout autre employeur restant sous la dépendance économique totale de France Télévisions, qu’en outre, elle n’a pas pu disposer des dispositions prévues par l’Accord d’Entreprise et réservées au personnel en contrat à durée indéterminée, en termes de complémentaires de santé, de prévoyance, de congés payés supplémentaires, d’accessoires de salaire et enfin qu’étant aujourd’hui âgée de 62 ans, elle va devoir supporter un préjudice de retraite considérable, son assiette de cotisations ayant été amoindrie dès lors que France Télévisions a fait varier son salaire d’un mois sur l’autre.

La société rétorque notamment que de 1994 à 2015, Mme X n’a pas sollicité le bénéfice d’un contrat à durée indéterminée préférant continuer à bénéficier d’un système qui lui était très favorable, avec une majoration de 30% du salaire des intermittents du spectacle en application de l’accord du 28 février 2000, une rémunération majorée de l’indemnité de fin de contrat (10% de la rémunération globale brute perçue) et sans différé d’indemnisation Pôle Emploi.

Conformément à l’article L. 1245-2 du code du travail, Mme X peut prétendre à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure au dernier mois de salaire avant la saisine du conseil de prud’hommes.

Du fait de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée, Mme X présentait au jour du jugement une ancienneté de 24 années.

Si comme soulevé par la société, Mme X ne justifie de sa candidature à un poste permanent qu’à compter de 2015, il n’en demeure pas moins que le recours par la société à des contrats de travail temporaires n’a pas permis à la salariée de bénéficier des droits sociaux réservés aux salariés permanents de l’entreprise.

Par ailleurs, Mme X produit aux débats le rapport d’expertise du CEDAET du 19 décembre 2014, diligentée par le CHSCT de France Télévisions sur les conditions de travail des collaborateurs en contrat à durée déterminée, qui souligne que ‘l’insécurité socio-économique est anxiogène. La charge cognitive précédemment décrite en est redoublée avec une crainte de l’erreur très présente car potentiellement source de révocation (…) : ‘Il ne faut pas se tromper parce qu’il y a le risque de ne plus être appelé’. Certains OPS CDD se retrouvent dans une position de grande vulnérabilité économique et sociale du fait que France Télévisions est leur principal employeur ou le soit devenu, cette insécurité pouvant avoir des conséquences sur la santé psychique des salariés’.

Ainsi, compte tenu de la situation de précarité subie par la salariée sur une très longue période et de ses conséquences, notamment en terme de cotisations à la caisse de retraite, c’est par une juste appréciation du préjudice subi que les premiers juges lui ont alloué la somme de 10 000 euros à titre d’indemnité.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

  • Sur la demande de requalification en contrat à durée indéterminée à temps plein depuis l’origine

Les parties s’opposent sur la durée du travail de la salariée.

Mme X considère que le contrat à durée indéterminée doit être qualifié de temps plein depuis l’origine. Elle invoque notamment le formalisme du temps partiel exigé par l’article L. 3123-6 du code du travail qui n’a pas été respecté, aucun contrat n’étant produit aux débats et soutient que la société ne renverse pas la présomption de temps plein puisqu’il n’existait aucune régularité, aucune fixité, aucune constance, dans la répartition des jours travaillés et que pour répondre à tout moment aux demandes de France Télévisions, elle devait se tenir à sa disposition permanente, ne pouvant organiser son emploi du temps et anticiper ses périodes de travail comme ses périodes de repos.

La société fait valoir que le contrat de travail à durée indéterminée doit être qualifié de temps partiel au regard du nombre de jours payés sur la période des trois dernières années, à savoir 127 jours en 2015, 114 jours en 2016 et 139 jours en 2017, soit une moyenne de 126 jours payés par an sur une base de 204 jours travaillés pour un temps plein, soit une proportion de 62%, avec une rémunération brute mensuelle de base de 2.210 euros, compte tenu du salaire à temps plein de 3.565 euros.

La requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

En l’occurrence, il ressort de l’examen des fiches de paie de la salariée que celle-ci était engagée par des contrats successifs d’une ou plusieurs journées de huit heures, soit pour une durée de travail à temps plein, laquelle doit s’apprécier au regard de la période couverte par les contrats et non, comme demandé par la société, sur le mois ou sur l’année.

Par conséquent, les périodes successives couvertes par un contrat ayant été travaillées à temps plein, la relation de travail liant les parties sera requalifiée en contrat à durée indéterminée à temps plein depuis l’origine, peu important à cet égard l’existence de périodes interstitielles non travaillées.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Par ailleurs, les parties s’accordent sur un salaire de base à temps plein pour l’emploi de la salariée à hauteur de 3 565 euros bruts.

  • Sur la demande de rappel de salaire sur les périodes interstitielles

Mme X soutient que durant les périodes séparant deux contrats, elle se tenait à la disposition permanente de la société qui était son employeur exclusif, pour laquelle elle n’a jamais refusé de travailler et dont les modalités de proposition de contrat impliquaient une disponibilité constante. Elle en déduit qu’elle est bien fondée à réclamer un rappel de salaire pour cette mise à disposition permanente.

La société France Télévisions soulève l’irrecevabilité de la demande de rappels de salaire et de

congés payés afférents, au motif qu’elle est formée pour la première fois en cause d’appel.

Mme X conclut à la recevabilité de ses demandes relatives à la durée du travail, en faisant valoir qu’elle a formé une demande de requalification en temps plein en cause d’appel en vu d’écarter la prétention adverse de requalification de la relation de travail à hauteur d’un temps partiel de 62% et que la demande de rappel de salaire est le complément nécessaire de sa demande de requalification en temps plein.

Le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 a abrogé les dispositions de l’article R.1452-6 du code du travail qui portaient sur le principe de l’unicité d’instance.

L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter des prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. L’article 565 précise que les prétentions ne sont pas nouvelles lorsqu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. L’article 566 ajoute que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 16 mai 2018 d’une demande de requalification des contrats à durée déterminée successivement conclus avec la société en un contrat à durée indéterminée et n’a pas sollicité de rappel de salaire sur les périodes non travaillées entre deux contrats. La société, quant à elle, a introduit une demande reconventionnelle subsidiaire afférente à la durée du travail, à savoir une requalification en temps partiel de 62%.

Le fait que sur les périodes couvertes par un contrat, la durée de travail soit à temps complet et que de ce fait la relation contractuelle soit requalifiée en contrat à temps plein comme précédemment développé, n’emporte pas obligation pour l’employeur de payer un salaire pour les périodes interstitielles pour lesquelles, par définition aucune prestation n’était demandée au salarié. Ainsi, la requalification en contrat à durée indéterminée à temps plein ne donne pas, par elle-même, droit au paiement d’un salaire pour les périodes non travaillées et il appartient au salarié de rapporter la preuve de ce qu’il se trouvait alors à la disposition permanente de son employeur.

Par conséquent, si la demande de requalification de la relation contractuelle en temps plein est bien de nature à faire écarter la prétention de la société intimée de requalification à temps partiel, tel n’est pas le cas de la demande de rappel de salaires durant les périodes interstitielles, nouvelle en cause d’appel. Cette demande n’est pas non plus le complément nécessaire de la demande de requalification du contrat en temps plein, contrairement à ce que soutient Mme X, sauf à contourner les exigences probatoires pour le paiement du salaire afférent aux périodes interstitielles.

Par conséquent, cette demande nouvelle en cause d’appel est irrecevable.

  • Sur la prime d’ancienneté

Mme X sollicite, sur la période non prescrite des trois dernières années, un rappel de prime d’ancienneté, au visa de l’article 1.4.1 Titre 1 Livre 2 de l’accord du 28 mai 2013.

La société s’oppose à cette demande en faisant valoir qu’en vertu de l’accord collectif du 28 février 2000, les intermittents techniques bénéficient d’une majoration de salaire de 30%, et qu’en conséquence, Mme X ne peut pas prétendre au cumul des avantages liés aux salariés permanents avec ceux dont bénéficient les intermittents techniques, ce qui entraînerait une rupture de l’égalité de traitement entre salariés.

La requalification de la relation contractuelle confère au salarié le statut de travailleur permanent de l’entreprise et a pour effet de le replacer dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait été recruté depuis l’origine dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée et ouvre droit au paiement des accessoires de rémunération.

L’article 1.4.2 de l’Accord d’Entreprise France Télévisions du 28 mai 2013 prévoit les éléments de salaire comme suit :

‘le salaire est déterminé par l’addition de deux éléments :

  • un salaire mensuel brut de base,
  • une prime d’ancienneté calculée en fonction de l’ancienneté dans l’entreprise dans les conditions suivantes :

0,8% du salaire minimal garanti du groupe de classification 6 (Cadre 2) par année d’ancienneté entreprise jusqu’à 20 ans, puis 0,5% par année de 21 à 36 années’.

La société produit l’Accord Collectif conclu par l’Association des Employeurs du Service Public de l’Audiovisuel (AESPA), aux termes duquel les salariés soumis au contrat à durée déterminée, disposaient d’une rémunération supérieure de 30% à celles des salariés permanents de France Télévisions.

Toutefois, Mme X soutient, sans être contredite, que cet accord n’est plus applicable depuis 2009 en raison de la dissolution de l’AESPA entraînant l’annulation de tous les accords collectifs qu’elle avait contractés.

En tout état de cause, la société France Télévisions ne rapporte pas la preuve que Mme X a perçu une rémunération supérieure à un salarié permanent occupant les mêmes fonctions, avec une ancienneté équivalente.

Ainsi, la salariée est en droit de solliciter le paiement de la prime d’ancienneté dont elle a été privée, sur la période non prescrite des trois dernières années.

Toutefois, la demande au titre des périodes interstitielles étant irrecevable, la prime d’ancienneté doit être calculée uniquement sur les périodes travaillées par Mme X. Il en résulte une créance de 12 466 euros, compte tenu du salaire annuel minimal garanti du groupe de classification 6 (Cadre 2), de l’ancienneté de la salariée et de son temps de travail sur trois années, tel qu’il ressort des écritures des parties.

Enfin, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de congés payés étant la rémunération totale du salarié, incluant les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en contrepartie du travail, ce qui inclut les primes d’ancienneté, il sera fait droit à la demande en paiement de congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.

Sur la période postérieure à la requalification en CDI

Mme X sollicite une requalification du contrat à durée indéterminée à temps partiel signé avec la société le 5 février 2019 à la suite du jugement et un rappel de salaires et de prime d’ancienneté subséquente. Elle considère que la société France Télévisions n’a pas respecté les dispositions de son contrat de travail à temps partiel, quant à la répartition des jours de la semaine, au volume horaire hebdomadaire ou au délai de prévenance et qu’ainsi la société a continué de la faire travailler selon

un calendrier aléatoire, avec des variations quant à son volume d’heures de travail ce qui ne lui permet pas de prévoir son rythme de travail et l’oblige à se tenir constamment à sa disposition.

La société France Télévisions soulève à nouveau l’irrecevabilité des demandes, nouvelles en cause d’appel, au visa des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile.

La demande de requalification du contrat signé entre les parties le 5 février 2019, comme la demande en paiement d’un rappel de salaire et de prime d’ancienneté, sont nouvelles en cause d’appel puisque portant sur une période postérieure au jugement du conseil de prud’hommes. Elles sont fondées, non pas sur un fait lié au litige dont a été saisi le conseil de prud’hommes mais sur les conditions d’exécution d’un nouveau contrat conclu entre les parties postérieurement au jugement. Elles ne sont donc ni l’accessoire, ni la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge qui portaient uniquement sur la requalification de la relation contractuelle en cours entre les parties depuis 1994.

Ces demandes nouvelles sont donc irrecevables.

Sur les demandes accessoires

La société France Télévisions ne conteste pas la recevabilité de l’action du syndicat dans le cadre de son intervention volontaire et conclut à la confirmation de la décision de 1re instance en ce qu’elle lui a alloué la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts et l’a débouté de sa demande relative aux frais de procédure.

La société France Télévisions qui succombe partiellement supportera les entiers dépens et sera condamnée à verser à Mme X la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

DECLARE irrecevable la demande au titre du rappel de salaires et de congés payés afférents sur la période antérieure au 24 janvier 2019 formée par Mme X en cause d’appel ;

DECLARE irrecevables les demandes portant sur la période postérieure au 24 janvier 2019 et l’exécution du contrat à durée indéterminée à temps partiel du 5 février 2019 ;

CONFIRME le jugement en ce qu’il a :

— requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée depuis l’origine, soit depuis le 7 décembre 1994,

— condamné la société France Télévisions à verser à Mme X :

  • 10.000 euros au titre de l’indemnité de requalification,
  • 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— reçu la Fédération nationale solidaires unitaires et démocratiques médias télévision «’sud médias télévision’» France 3 en sa demande et condamné France Télévisions à lui payer 200 euros à titre de dommages et intérêts ;

L’INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau :

REQUALIFIE les contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée à temps plein depuis le 7 décembre 1994 ;

DIT que le salaire mensuel brut de base pour l’emploi occupé par la salariée, sur un temps plein, s’élève à 3.565 euros ;

CONDAMNE la société France Télévisions à payer à Mme X les sommes suivantes:

—  12 466 euros bruts au titre de la prime d’ancienneté et 1 246,60 euros bruts de congés payés afférents, avec intérêt au taux légal à compter de la réception par la société France Télévisions de la convocation adressée par le greffe du conseil de prud’hommes de Paris pour le bureau de jugement,

—  1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société France Télévisions aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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