M. [Y] [Z] a souscrit un prêt immobilier de 120.048 euros auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur en mai 2011, avec un remboursement sur 300 mensualités à un taux d’intérêt fixe de 3,2 %. En août 2015, un avenant a modifié les conditions du prêt, réduisant le montant restant dû à 10.367,50 euros, le taux d’intérêt à 2,75 % et le taux effectif global à 2,86 %. En septembre 2022, M. [Y] [Z] a assigné la banque en justice, demandant la déchéance totale des intérêts conventionnels, soutenant qu’il y avait une erreur dans le calcul du taux effectif global, basé sur une année normalisée de 360 jours au lieu d’une année civile. La banque a contesté ces allégations, affirmant que ses calculs étaient conformes à la législation en vigueur et que le rapport d’expertise présenté par M. [Y] [Z] était erroné. Elle a également demandé des dommages et intérêts symboliques. La procédure a été clôturée en avril 2024, et la décision est attendue pour septembre 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE
GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)
JUGEMENT : [Y] [Z] c/ CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE CÔTE D’AZUR
N°
Du 10 Septembre 2024
4ème Chambre civile
N° RG 22/03824 – N° Portalis DBWR-W-B7G-OOKG
Grosse délivrée à
Me Philippe BARBIER
expédition délivrée à
Me Laura SANTINI
le 10 Septembre 2024
mentions diverses
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du dix Septembre deux mil vingt quatre
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame SANJUAN-PUCHOL Présidente, assistée de Madame PROVENZANO, Greffier.
Vu les Articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile sans demande de renvoi à la formation collégiale.
DÉBATS
A l’audience publique du 07 Mai 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 10 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction, les parties en ayant été préalablement avisées.
PRONONCÉ
Par mise à disposition au Greffe le 10 Septembre 2024 après prorogation du délibéré, signé par Madame SANJUAN-PUCHOL Présidente, assistée de Madame PROVENZANO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DE LA DÉCISION :
contradictoire, en premier ressort, au fond.
DEMANDEUR:
Monsieur [Y] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Me Océane AUFFRET de PEYRELONGUE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant, Me Laura SANTINI, avocat au barreau de NICE, avocat postulant
DÉFENDERESSE:
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE CÔTE D’AZUR
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par Me Philippe BARBIER, avocat au barreau de TOULON, avocat plaidant
Suivant offre de prêt du 17 mai 2011,acceptée le 30 mai 2011 suivant, M. [Y] [Z] a souscrit un prêt immobilier auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur d’un montant de 120.048 euros, remboursable en 300 mensualités calculées au taux d’intérêt annuel fixe de 3,2 % avec un taux annuel effectif global de 3,9865 %.
Suivant avenant de renégociation du 13 août 2015, la durée résiduelle pour le remboursement du capital restant dû de 10.367,50 euros a été portée à cent quatre-vingts mois, le taux d’intérêt annuel fixe à 2,75 % et le taux annuel effectif global à 2,86 %.
Par acte du 22 septembre 2022, M. [Y] [Z] a fait assigner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur devant le tribunal judiciaire de Nice afin notamment de voir prononcer la déchéance totale des intérêts conventionnels du prêt et de son avenant.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2023, M. [Y] [Z] sollicite :
la déchéance totale des intérêts conventionnels du prêt litigieux et de son avenant, la condamnation de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Il soutient, sur le fondement d’un rapport d’expertise amiable établi par la société Lauranael, que le taux effectif global figurant dans l’offre de prêt est erroné car l’établissement prêteur n’a pas calculé les intérêts conventionnels sur la base d’une année civile de 365 jours ou 366 jours mais d’une année normalisée de 360 jours. Il fait valoir que ce rapport démontre mathématiquement une erreur entre le taux effectif global mentionné par le contrat de prêt et par l’avenant et le taux effectif global réel supérieur à la décimale en méconnaissance de l’article L. 313-1 du code de la consommation. Il rappelle qu’en application de l’article L. 312-33 du code de la consommation, le prêteur doit être déchu de son droit aux intérêts en totalité.
Dans ses écritures communiquées le 13 mars 2023, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur conclut au débouté et sollicite à titre reconventionnel la condamnation de M. [Z] à lui verser la somme d’un euro symbolique à titre de dommages et intérêts outre la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens distraits au profit de Maître Philippe Barbier, sous l’exclusion de l’exécution provisoire.
Elle fait valoir que les prétentions adverses reposent exclusivement sur un rapport d’expertise amiable unilatéral qui ne peut, à lui seul, fonder une condamnation. Elle soutient qu’en tout état de cause, les conclusions de ce rapport sont erronées et mathématiquement biaisées.
Elle expose que les intérêts du prêt ont été calculés sur la base d’une année civile décomposée en douze mois normalisés, ce qui est licite et conforme à la jurisprudence applicable ainsi qu’à l’annexe de l’article R. 313-1 du code de la consommation qui fixe les rapports périodiques à retenir pour le calcul du TAEG.
Elle précise que les intérêts du prêt litigieux sont remboursés en échéances constantes et selon une périodicité mensuelle et qu’une année comprenant douze mois implique que les intérêts conventionnels soient calculés chaque mois sur la base d’un taux annuel conventionnel divisé par douze mois et non quotidiennement, et ainsi sur une base d’année civile.
Elle ajoute qu’il est équivalent de calculer le taux d’intérêt mensuel en multipliant le taux d’intérêt conventionnel annuel par 1/12, 30/360 ou 30,41666/365 et que les établissements bancaires peuvent utiliser un mois dit normalisé de 30,41666 (365/12) afin de tenir compte des années de 365 jours et des années bissextiles.
Elle indique que le tableau d’amortissement joint à l’offre de prêt indique à l’emprunteur le montant des échéances mensuelles calculées par la banque sur la base d’un mois normalisé qui est strictement équivalent au montant des échéances calculées sur la base d’une année civile.
Elle estime que le rapport d’expertise amiable est erroné, notamment en ce que le calcul de l’expert utilise une année de 365 jours pour déterminer le montant des intérêts journaliers avant de multiplier ce montant par trente pour obtenir le montant des intérêts perçus pour la deuxième échéance, alors qu’il aurait fallu le multiplier par 30.41666.
Elle affirme qu’en vertu de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, le défaut ou l’erreur du TAEG peut donner lieu à la déchéance du droit aux intérêts du prêteur mais seulement dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur, à condition de démontrer une incidence du trop-perçu sur la décimale du TAEG. Elle considère que sans préjudice de l’amende civile encourue, les prétentions du demandeur doivent ainsi être sanctionnées par l’application des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil, à savoir des dommages et intérêts évalués à la somme d’un euro symbolique.
La clôture de la procédure est intervenue le 23 avril 2024. L’affaire a été retenue à l’audience du 23 avril 2024. La décision a été mise en délibéré au 10 juillet 2024 prorogée au 10 septembre 2024.
Sur la demande de déchéance totale du droit aux intérêts de l’établissement prêteur.
Il résulte de l’application combinée des articles L. 313-1, L.313-2 et R. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable à la date de l’offre litigieuse et de son avenant, que le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, être calculé sur la base de l’année civile.
Aucune disposition législative ou règlementaire n’existant pour le calcul du taux d’intérêt nominal, il a été aligné sur les paramètres du taux effectif global définis par l’article R. 313-1, III du code de la consommation qui prescrit l’utilisation d’un mois normalisé de 365/12 (30,41666 jours).
Il incombe cependant à l’emprunteur qui se prévaut d’une erreur de calcul des intérêts d’en rapporter la preuve, la référence formelle par le contrat à un diviseur 360 étant à elle seule insuffisante.
En l’espèce, suivant offre de prêt du 17 mai 2011 et acceptée le 30 mai 2011 suivant, M. [Y] [Z] a souscrit un prêt immobilier auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur d’un montant de 120.048 euros remboursable en trois cents mensualités calculées au taux d’intérêt annuel fixe de 3,2 % avec un taux annuel effectif global de 3,9865%.
Suivant avenant de renégociation du 13 août 2015, la durée résiduelle de ce prêt a été portée à cent quatre-vingts mois, le taux d’intérêt annuel fixe à 2,75 % et le taux annuel effectif global à 2,86 %.
Le contrat de prêt comme son avenant ne comportent pas de mention du recours à une année de 360 jours pour procéder au calcul des intérêts durant la phase d’amortissement mais le demandeur, sur lequel pèse la charge de la preuve d’une erreur de calcul des intérêts, produit un rapport d’analyse mathématique qui retient que le nombre de jours retenus entre deux échéances par la banque est de 30 jours.
Au terme de ce rapport établi unilatéralement par la société Lauranael le 12 septembre 2022, le taux d’intérêt de l’offre de prêt a été calculé sur une année normalisée de 360 jours si bien qu’après avoir « recalculé » le taux conventionnel sur une année civile de 365 jours, celui-ci est de 3,2444 %, ce qui emporte une erreur de TEG supérieure à la décimale. Cette société parvient à la même conclusion, et pour les mêmes motifs, s’agissant de l’avenant au contrat.
Si ce rapport d’expertise réalisée à la demande d’une des parties ne peut fonder à lui seul la décision, il doit cependant être examiné dès lors qu’il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire.
Il convient de souligner en premier lieu que l’utilisation d’un mois normalisé de 30,41666 jours (365/12) pour la durée d’amortissement du prêt revient à fixer le montant des intérêts de chaque mois uniformément au douzième des intérêts annuels, sans qu’importe le nombre de jours dans le mois, puisque l’emprunteur procèdera toujours à douze versements pour rembourser son prêt dans l’année quel que soit le nombre de jours qu’elle comporte.
S’agissant d’un prêt remboursable mensuellement, l’utilisation d’un diviseur 30/360 jours, de 30,41666/365 ou de 1/12 est identique puisque le résultat de ces diviseurs est le même, soit 0,0833.
Ainsi, s’agissant du prêt initial remboursable par échéances mensuelles d’un montant constant, le taux d’intérêt nominal annuel est de 3,20 % (0,032) si bien qu’il est possible de procéder, à titre d’illustration, au calcul suivant :
– pour la première échéance : le capital restant dû est de 120.048 euros, soit un montant d’intérêts 120.048 € x 0,032/ 12 = 320,128 euros arrondi à 320,13 euros correspondant au montant des intérêts figurant dans le tableau d’amortissement, résultat équivalent à celui résultant de l’application de l’année civile obtenu par l’opération 120.048 x 3,20 % x 30,41666/365.
– pour la dixième échéance : le capital restant dû est de 117.399,15 euros, soit un montant d’intérêts de 117.399,15 euros x 0,032 / 12 = 313,0644 € arrondi à 131,06 € correspondant au montant des intérêts figurant dans le tableau d’amortissement, résultat équivalent à celui résultant de l’application de l’année civile obtenu par l’opération 117.399,15 € x 3,20 % x 30,41666/365.
Concernant l’avenant du 13 août 2015 portant la durée résiduelle pour le remboursement du capital restant dû de 106.367,50 euros à cent quatre-vingts mois au taux d’intérêt annuel fixe de 2,75 % pour un taux annuel effectif global à 2,86 %, il est possible de vérifier, à titre d’illustration que, pour la première échéance : le capital restant dû est de 120.048 euros, soit un montant d’intérêts 106.367,50 € x 0,0275/ 12 = 243,758625 euros arrondi à 243,76 euros correspondant au montant des intérêts figurant dans le tableau d’amortissement, résultat équivalent à celui résultant de l’application de l’année civile obtenu par l’opération 106.367,50 x 2,75 % x 30,41666/365.
Le rapport d’analyse mathématique procède à un calcul erroné des intérêts puisqu’il convertit le taux d’intérêt annuel en un taux journalier avant de le multiplier par le nombre de jours exacts dans le mois, ce qui n’est conforme ni au contrat et à son avenant fixant un taux d’intérêt annuel pour le remboursement du prêt par échéances mensuelles d’un montant égal, ni au code de la consommation qui n’impose pas un calcul des intérêts dus à un taux journalier.
Il s’ensuit que le montant des intérêts au taux nominal de 3,20 % l’an du prêt et au taux nominal de 2,75 % pour son avenant a bien été calculé sur la base d’une année civile, de sorte que le recours à un diviseur 360 durant la période d’amortissement n’est pas démontré et n’aurait pas pu avoir d’incidence sur leur montant dès lors que le prêt était remboursable mensuellement et qu’une année civile comporte invariablement douze mois.
L’erreur de taux effectif global de plus d’une décimale invoquée est exclusivement fondée sur un surcroît d’intérêts payés par suite de l’application de l’année dite « lombarde ».
Or, le rapport d’analyse mathématique versé aux débats, fondé sur des postulats et calculs erronés, ne permet pas à M. [Y] [Z] de rapporter la preuve d’une telle erreur de nature à emporter une déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts.
Il sera par conséquent débouté de l’intégralité de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Par application de l’article 1241 du code civil, l’exercice d’un droit peut constituer une faute lorsque le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.
Toutefois, le fait de se méprendre sur ses droits ou de succomber à une action en justice ne suffit pas à caractériser une faute qui ne dégénère en abus qu’en cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière appréciée au regard des circonstances.
En l’espèce, bien que l’action ne s’avère pas fondée, sa mauvaise foi ou son intention de nuire n’est pas démontrée car il a pu être induit en erreur par le rapport d’un analyste en mathématiques financières.
En l’absence de démonstration d’une faute constitutive d’un abus de leur droit d’agir en justice, la demande de dommages intérêts formée à son encontre par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur sera rejetée.
Sur les demandes accessoires.
Aucune circonstance ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision.
Partie perdante au procès, M. [Y] [Z] sera condamné aux dépens ainsi qu’à verser à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire rendu en premier ressort:
DEBOUTE M. [Y] [Z] de toutes ses demandes ;
CONDAMNE M. [Y] [Z] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d’Azur de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la présente décision ;
CONDAMNE M. [Y] [Z] aux dépens, avec distraction au profit de Maître Philippe Barbier, avocat au Barreau de Toulon, dans les conditions de l’article 699 du code de procéure civile.
Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT