Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B… ont demandé au tribunal administratif de Montreuil, à titre principal, la restitution partielle de la retenue à la source prélevée sur les dividendes de source française au titre de l’année 2014, pour un montant de 185 533 euros, assortie du paiement des intérêts moratoires, à titre subsidiaire, le sursis à statuer et la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, et la mise à la charge de l’Etat de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1610408 du 17 avril 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 août 2018, 29 janvier 2019, 6 octobre 2019 et 3 décembre 2019, M. et Mme B…, représentés par Me Toison, avocat, demandent à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la restitution demandée, assortie du paiement des intérêts moratoires ;
3°) de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne deux questions préjudicielles.
Ils soutiennent que :
– le 2° de l’art. 119 bis du code général des impôts ne prévoit pas que la retenue à la source pour les non-résidents est calculée sur le montant brut des dividendes perçus ;
– par suite, à défaut de règles spéciales, ce sont les règles générales d’assiette pour l’imposition des dividendes prévues par les dispositions du 2° du 3 de l’article 158 qui s’appliquent aux dividendes de source française versés aux non-résidents ;
– l’article 164 A du code général des impôts prévoit une règle unique de détermination du revenu imposable, pour les résidents comme pour les non-résidents, même si les modalités de paiement de l’impôt sont distinctes ;
– l’administration ne pouvait se fonder sur l’article 48 de l’annexe II au code général des impôts, pour déterminer l’assiette des impositions litigieuses, dès lors que cet article est inconstitutionnel et contraire aux dispositions du 2° du 3 de l’article 158 et des articles 164 A et 164 B du code général des impôts ;
– il y a lieu d’appliquer les dispositions des articles 164 A et 158 du code général des impôts, dès lors que la convention fiscale franco-belge stipule que les dividendes sont un revenu et que la retenue à la source est un impôt sur le revenu et que les stipulations conventionnelles prévalent aux termes de la Constitution sur les dispositions de droit interne ;
– eu égard à l’ » interprétation évolutive des conventions internationales « , il convient d’appliquer l’abattement de 40 % à la place de l’avoir fiscal, qui demeure prévu dans les stipulations du 3 de l’article 15 de la convention fiscale franco-belge ;
– le refus de les faire bénéficier de l’abattement de 40 % constitue une discrimination, contraire au droit communautaire, dès lors qu’elle introduit une règle d’assiette différente pour les non-résidents et que cet abattement permet aux seuls résidents de bénéficier d’une mesure visant à réduire la double imposition économique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne modifiés ;
– la convention du 10 mars 1964 entre la France et la Belgique, tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôts sur les revenus, modifiée ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
– le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Le rapport de Mme A… a été entendu au cours de l’audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C… B…, résident fiscaux belges, ont perçu au cours de l’année 2014 des dividendes de source française qui ont donné lieu au versement d’une retenue à la source de 463 832,98 euros, après application du taux de 15% prévu par les dispositions du b du 2 de l’article 15 de la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions. M et Mme B… font appel du jugement du 17 avril 2018, par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs demandes tendant à la restitution partielle des retenues à la source auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2014.
Sur l’application de la loi fiscale :
2. Si une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions peut, en vertu de l’article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition. Par suite, il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une telle convention, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l’imposition contestée a été valablement établie et, dans l’affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer – en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s’agissant de déterminer le champ d’application de la loi, d’office – si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale.
3. Aux termes de l’article 4 A du code général des impôts : » Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l’impôt sur le revenu en raison de l’ensemble de leurs revenus. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française. » Aux termes de l’article 4 bis du même code : » Sont également passibles de l’impôt sur le revenu : […] 2° Les personnes de nationalité française ou étrangère, ayant ou non leur domicile fiscal en France, qui recueillent des bénéfices ou revenus dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions « .
4. Aux termes du premier alinéa du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts : » Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187-1 lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Un décret fixe les modalités et conditions d’application de cette disposition « . Aux termes de l’article 199 quater A du même code : » La retenue prévue au 2 de l’article 119 bis libère les contribuables fiscalement domiciliés hors de France de l’impôt sur le revenu dû en raison des sommes qui ont supporté cette retenue. » Aux termes du premier alinéa du 1 de l’article 48 à l’annexe II à ce même code : » La retenue à la source mentionnée à l’article 119 bis-2 du code général des impôts est liquidée sur le montant brut des revenus mis en paiement « .
5. Aux termes de l’article 164 A du code général des impôts : » Les revenus de source française des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France sont déterminés selon les règles applicables aux revenus de même nature perçus par les personnes qui ont leur domicile fiscal en France. Toutefois, pour la détermination du revenu global, les charges énumérées à l’article 156-II ne peuvent pas être déduites « . Aux termes de l’article 164 B du même code : » I. Sont considérés comme revenus de source française : […] b. Les revenus de valeurs mobilières françaises et de tous autres capitaux mobiliers placés en France ; […] « .
6. En premier lieu, il résulte de la combinaison des dispositions citées aux points 3 à 5 que les retenues à la source prélevées sur les revenus de capitaux mobiliers perçus par les personnes qui ne sont pas résidents fiscaux en France sont libératoires et constituent, non une simple modalité de perception de l’impôt sur le revenu, mais une imposition distincte de ce dernier. L’article 158 du code général des impôts, relatif à la détermination des revenus catégoriels entrant dans la composition du revenu net global soumis à l’impôt sur le revenu, ne leur est par suite pas applicable. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que l’assiette de ces retenues à la source doit se voir appliquer l’abattement de 40 % prévu au 2° du 3 de l’article 158 du code général des impôts ne peut qu’être écarté.
7. En deuxième lieu, il résulte des travaux préparatoires relatifs à l’article 4 de la loi du 29 décembre 1976 modifiant les règles de territorialité et les conditions d’imposition des Français de l’étranger ainsi que des autres personnes non domiciliées en France, codifié à l’article 164 A du code général des impôts, que les dispositions de cet article s’appliquent aux revenus de source française perçus par les personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France passibles, en application du second alinéa de l’article 4 A du même code, de l’impôt sur le revenu à raison de ces revenus, à l’exception, notamment, des revenus soumis à une retenue à la source libératoire de l’impôt sur le revenu tels les dividendes distribués par des sociétés établies en France à des actionnaires non-résidents en application des dispositions combinées du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts et de l’article 199 quater A du même code précités. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 164 A du code général des impôts doivent être appliquées pour déterminer le revenu imposable au titre de la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis du code général des impôts doit être écarté.
8. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts que cet article renvoie, pour la détermination de l’assiette de la retenue à la source qu’il institue, aux produits visés aux articles 108 à 117 bis du même code, et que, faute de dispositions contraires dans ces articles, ces produits doivent être regardés comme des revenus bruts pour l’application de cette retenue. Par suite, et sans qu’il soit besoin de se référer à l’intention du législateur relativement au champ d’application et à l’assiette de cette retenue à la source, le moyen tiré de ce que l’administration se serait fondée à tort, pour déterminer l’assiette des impositions litigieuses, sur l’article 48 de l’annexe II au code général des impôts et aurait ainsi assis les impositions litigieuses sur un article de nature réglementaire, pris au surplus sans qu’il ait été prévu par le législateur, est inopérant.
Sur l’application de la convention fiscale franco-belge :
9. Aux termes de l’article 15 de la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique : » 1. Les dividendes ayant leur source dans un Etat contractant qui sont payés à un résident de l’autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, sous réserve des dispositions du paragraphe 3, ces dividendes peuvent être imposés dans l’Etat contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat, mais l’impôt ainsi établi ne peut excéder : / […] b) 15 p. cent du montant brut des dividendes […] / 3. Les dividendes payés par une société résidente de la France qui donneraient droit à un avoir fiscal s’ils étaient reçus par des résidents de la France ouvrent droit, lorsqu’ils sont payés à une personne physique résidente de la Belgique, au paiement de l’avoir fiscal après déduction de la retenue à la source calculée au taux de 15 p. cent sur le dividende brut constitué par le dividende mis en distribution augmenté de l’avoir fiscal « .
10. Ainsi qu’il a été dit au point 8, l’assiette de la retenue à la source acquittée par M. et Mme B… a été déterminée en application des dispositions du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts. Les stipulations précitées de la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique ne prévoyant aucune règle d’assiette, elles ne peuvent faire obstacle à l’application des dispositions prévues par la loi fiscale française. Le moyen tiré de ce que les stipulations de la convention bilatérale conclue entre la France et la Belgique doivent conduire à appliquer d’autres dispositions du code général des impôts ne peut, par suite, qu’être écarté.
11. En outre, M. et Mme B… ne peuvent utilement se prévaloir des stipulations précitées du paragraphe 3 de l’article 15 de la convention fiscale franco-belge, qui sont relatives à l’avoir fiscal qui a été supprimé au 31 décembre 2004 en droit interne français, et non à l’abattement en litige institué au 1er janvier 2005. La seule circonstance que ces stipulations de la convention n’ont pas été modifiée est sans incidence sur la portée des dispositions relatives à l’abattement de 40 % prévu par le code général des impôts.
Sur l’application du droit communautaire :
12. Aux termes de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : » Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites « . Aux termes de l’article 65 du même traité : » 1. L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les Etats membres :/ a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; […] / 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 « .
13. Il résulte des stipulations précitées, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que les désavantages pouvant découler de l’exercice parallèle des compétences fiscales des différents Etats membres, pour autant qu’un tel exercice ne soit pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions interdites par le traité instituant la Communauté européenne. Toutefois, lorsqu’un Etat membre exerce sa compétence fiscale à l’égard de contribuables résidents et non-résidents, pour que la réglementation fiscale nationale qu’il applique à ces contribuables puisse être regardée comme compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, la différence de traitement entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. En matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d’un État par un non-résident ne constitue, le plus souvent, qu’une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence, et que la capacité contributive personnelle du non-résident, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s’apprécier le plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond en général à sa résidence habituelle. Ainsi, le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde au résident n’est-il, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale. Toutefois, la différence de traitement fiscal entre résidents et non-résidents peut être regardée comme discriminatoire au regard des stipulations du traité instituant la Communauté européenne si, nonobstant leur résidence dans des États membres différents, il est établi que, au regard de l’objet et du contenu de la disposition nationale en cause, les deux catégories de contribuables se trouvent dans une situation comparable.
14. A l’égard des mesures prévues par un Etat membre afin de prévenir ou d’atténuer l’imposition en chaîne ou la double imposition économique de bénéfices distribués par une société résidente, la situation des actionnaires non-résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents lorsque l’Etat membre assujettit à l’impôt non seulement les actionnaires résidents mais également les actionnaires non-résidents pour les dividendes qu’ils perçoivent d’une société résidente. Ainsi, à l’égard des mesures prévues par la France afin d’atténuer la double imposition économique de bénéfices distribués par une société résidente, un actionnaire personne physique résidant en Belgique se trouve dans une situation objectivement comparable à celle d’un actionnaire domicilié en France, dès lors que la France assujettit à l’impôt tant les personnes résidant sur son territoire que celles résidant hors de France à raison des dividendes de source française qu’elles perçoivent.
15. Ainsi, pour vérifier l’absence de traitement fiscal discriminatoire de M. et Mme B…, il y a lieu de comparer la charge fiscale, résultant de l’application de la retenue à la source au taux conventionnel de 15 %, à laquelle ils ont été assujettis, à l’imposition qui aurait été appliquée, pour des montants identiques de dividendes, à des contribuables résidents soumis à une imposition commune, l’abattement proportionnel de 40 % prévu par le 2e du 3 de l’article 158 du code général des impôts, qui ne constitue pas, en tout état de cause, une déduction de charges au sens de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 juillet 2016, C-18/15, Brisal – Auto estradas do Litoral SA, KBC Finance Ireland, devant être pris en compte.
16. Il est constant que pour l’année 2014, les requérants ont supporté l’intégralité de la retenue à la source opérée sur les dividendes perçus à un taux de 15%. L’administration soutient que l’application à ces mêmes revenus du taux marginal supérieur du barème progressif de l’impôt sur le revenu avec un quotient familial de deux parts, la situation familiale des requérants n’étant pas connue, et après déduction de l’abattement de 40%, aboutirait à un impôt largement supérieur à la retenue à la source prélevée. M et Mme B… ne contestent ni les éléments de comparaison retenus par l’administration, ni les conclusions qu’en tire cette dernière. Par suite, sans qu’il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur ce point, ils ne sont, par suite, pas fondés à soutenir qu’ils auraient fait l’objet d’un traitement fiscal discriminatoire.
17. Il résulte de tout ce qui précède, que M. et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande de restitution partielle de la retenue à la source qu’ils ont acquittée au titre de l’année 2014.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme B… est rejetée.
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N° 18VE02817