Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société L’AIR LIQUIDE SA POUR L’ETUDE ET L’EXPLOITATION DES PROCEDES GEORGES CLAUDE (ci-après « SOCIETE L’AIR LIQUIDE « ) a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la restitution des sommes payées au titre du précompte mobilier dont elle s’est acquittée en 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004 à hauteur de la somme totale, dans le dernier état de ses prétentions, de 212 961 535 euros.
Par une ordonnance n° 0902606 du 15 septembre 2009, le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l’article R. 351-3 du code de justice administrative, a transmis la demande au Tribunal administratif de Montreuil.
Par un jugement n° 0902606 du 11 juillet 2014, le Tribunal administratif de Montreuil a, d’une part, prononcé la restitution des sommes litigieuses à hauteur, respectivement, des sommes de 18 315 969 euros au titre de l’année 2002 et de 11 994 059 euros au titre de l’année 2003 et, d’autre part, rejeté le surplus de cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2014 et des mémoires, enregistrés les 24 juin 2015, 1er juin 2016, 20 février et 28 juin 2017, 22 janvier 2018, 21 janvier et 26 décembre 2019 et 12 février 2020, la SOCIETE L’AIR LIQUIDE, représentée en dernier lieu par Mes A… et Madec, avocats, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1° d’annuler ce jugement, en ce qu’il ne fait pas droit à l’intégralité de sa demande ;
2° à titre principal, de prononcer la restitution des montants de précompte mobilier dont elle s’est acquittée au titre des années 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004 à due concurrence de la somme totale de 207 881 829 euros, comprenant les sommes dont la restitution a été prononcée par le jugement attaqué, et augmentée de l’application des intérêts moratoires ;
3° à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles ;
4° de mettre à la charge de l’État la somme de 20 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que de la somme de 26 292, 63 euros au titre des frais de traduction qu’elle a engagés pour les besoins de la procédure.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
– elle est recevable à demander la restitution des montants de précompte dont elle s’est acquittée au titre des années 2000 et 2001, dans la mesure où sa réclamation préalable présentée le 22 décembre 2004 n’était pas tardive en vertu des dispositions du c) de l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction lors applicable, l’événement motivant sa réclamation étant constitué en l’espèce par l’intervention de l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 7 septembre 2004, n° C-319 /02 » Petri Manninen » ;
– elle est fondée à obtenir la restitution de l’intégralité des montants de précompte mobilier restant en litige en ce qu’ils se rapportent à la redistribution de revenus tirés de ses filiales établies dans d’autres États de l’Union européenne, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne rendue en ce qui concerne le dispositif fiscal, identique dans ses fondements, de la » fairness tax » belge, le dispositif du précompte mobilier n’est pas conforme aux dispositions de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, reprises sans changement, pour ce qui concerne le présent litige, par la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 sur le fondement de laquelle s’est prononcée la Cour, dès lors qu’il institue une double imposition de ces dividendes supérieure à celle admise par la directive ;
– au surplus, les premiers juges, en restreignant le droit à restitution du précompte mobilier acquitté à hauteur de l’imputation du montant des impositions effectivement payées par ses filiales dans les autres États de l’Union européenne dans lesquelles elle sont établies, ont laissé perdurer une inégalité de traitement incompatible avec les principes du droit de l’Union en ce qui concerne le traitement fiscal des dividendes versés par ces filiales étrangères et celui des dividendes qui auraient été servis par des filiales françaises, lesquels sont intégralement exonérés d’impôt, dans la mesure où le taux d’imposition effectif des bénéfices des sociétés appliqué dans les autres États de l’Union peut être inférieur au taux de l’impôt sur les sociétés français ;
– les déclarations de précompte qu’elles a souscrites ne lui sont pas opposables, en ce que ces formulaires, dont l’objet est purement fiscal, conduisent à déclarer des imputations de dividendes servis par les filiales d’une société mère incompatibles avec les principes d’effectivité et d’équivalence prévus par le droit de l’Union, les conditions d’imputation dans le précompte mobiliers des revenus provenant de ses filiales établis dans d’autres États de l’Union européennes qui découlent de l’utilisation de ces déclarations de précompte étant moins favorables que celles applicables aux revenus provenant de ses filiales françaises ; pour la détermination de ses droits à crédit d’impôt, il convient de prendre en compte uniquement les documents sociaux émanant des organes compétents pour décider d’une distribution ; en tout état de cause, elle est fondée à demander, nonobstant les mentions portées sur ces déclarations de précompte, que les distributions de dividendes ayant donné lieu au prélèvement de ce précompte soient réputées avoir été effectuées par reversement aux actionnaires des revenus de ses filiales situées dans l’autres États de l’Union européenne dont elle disposait au titre de chacune des années de distribution en litige et à obtenir, par suite, la restitution des montants de précompte en cause, dans la mesure où, pour les motifs exposés ci-dessus, ces revenus auraient dû être distribués en franchise de précompte ;
– pour ce dernier motif, elle est fondée à obtenir la restitution des montants de précompte dont elle s’est acquittée par redistribution de sommes prélevées sur sa réserve spéciale de plus-values de long terme, dans la mesure où elle aurait choisi de manière préférentielle, en tout état de cause, de redistribuer ses revenus remontés de ses filiales établies dans l’autres États de l’Union européenne, qui l’auraient ainsi été en franchise de précompte ; lui refuser une telle affectation rétroactive de ces revenus à ses distributions la prive de la possibilité de bénéficier de l’exonération d’impôt qui s’y attache et méconnait donc le principe d’effectivité, qui est au nombre des principes garantis par le droit de l’Union ; en tout état de cause, il y aurait lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité avec ce principe de l’impossibilité de procéder, pour ces motifs, à une nouvelle liquidation de l’assiette du précompte mobilier dont la restitution est demandée ;
– les stipulations de la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989, qui permet à une société mère de demander au fisc italien le bénéfice de l’avoir fiscal qui aurait été attaché, en vertu de la législation de cet État, aux dividendes versés par ses filiales italiennes, ne peuvent avoir pour effet de réduire le droit à restitution du précompte mobilier qu’elle tire de l’incompatibilité de ce dispositif avec le droit de l’Union ; en tout état de cause, la prise en compte de ces avoir fiscaux devrait elle-même être minorée à raison de la prise en compte de la retenue à la source opérée sur ces mêmes dividendes en application du paragraphe 4 b de l’article 10 de cette même convention ;
– la limitation du crédit d’impôt dont elle peut demander la restitution au tiers du montant des dividendes perçus de ses filiales et pris en compte pour le calcul du précompte mobilier, par référence au taux nominal de l’impôt sur les sociétés appliqué en France, dont le tribunal a fait application, ne permet pas d’assurer l’égalité de traitement des dividendes versés par les filiales d’une société-mère, que ces filiales soient françaises ou établies dans d’autres Etats de l’Union européenne, et elle est en outre entachée d’une erreur de droit ; à ce titre, elle est fondée à obtenir la restitution de l’intégralité du précompte acquitté au titre de ces distributions, soit 50 % du montant des revenus de ses filiales européennes redistribués à ses actionnaires pour chacune des années en litige ;
– elle est fondée à obtenir la restitution des montants de précompte mobilier qu’elle a acquitté à l’occasion de la distribution à ses actionnaires des résultats versés par ses filiales établies hors de l’Union européenne, en ce que l’application du précompte à ces revenus est contraire au principe de liberté de circulation des capitaux sans que la clause de gel de l’article 65 du TFUE puisse lui être opposée ;
– elle est également fondée à obtenir la restitution des montants de précompte mobilier prélevés à l’occasion de la redistribution de revenus tirés de ses filiales établies hors de l’Union européenne, dès lors que l’imposition de ces redistributions au titre du précompte emporterait, pour les contribuables devant s’acquitter de ce dernier, une discrimination vis-à-vis de ceux distribuant à leurs actionnaires des revenus tirés de leurs filiales situées dans l’autres États de l’Union européenne, cette discrimination étant incompatible avec les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales combinées avec celles de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; le service ne saurait opposer l’existence de la » clause de gel » prévue par l’article 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui est sans effet sur l’appréciation de l’existence d’une discrimination au regard des stipulations précitées ;
– à titre subsidiaire, il y aurait lieu pour la Cour de poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles tendant, d’une part, à ce que cette juridiction indique si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national prélevant un impôt sur la distribution de dividende tel que le précompte mobilier, si ce régime a pour conséquence que lorsqu’un dividende reçu d’une filiale résidente d’un autre État membre de l’Union européenne est distribué par une société résidente, elle doit acquitter au titre de ce dividende le précompte mobilier, qui constitue une imposition qui excède le seuil prévu à l’article 4, paragraphe 2, précité, de cette directive et, d’autre part, à ce que cette juridiction se prononce sur l’applicabilité de la » clause de gel » prévue par l’article 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux dividendes versés par des filiales extérieures à l’Union européenne à une société établie dans un des États de l’Union.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
– le traité instituant la Communauté européenne ;
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– la convention signée le 5 octobre 1989 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales ;
-la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents ;
– les arrêts C-319/02 du 7 septembre 2004, C-310/09 du 15 septembre 2011, C-35/11 du 13 novembre 2012 et C-68/15 du 17 mai 2017 ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.
– l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. C…,
– les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
– et les observations de Me A…, représentant la SOCIETE L’AIR LIQUIDE et de M. B…, représentant le ministre de l’action et des comptes publics.
Une note en délibéré, présenté par le ministre de l’action et des comptes publics, a été enregistrée le 25 juin 2020.
Considérant ce qui suit :
1. La SOCIETE L’AIR LIQUIDE est la société de tête d’un groupe fiscalement intégré. Elle a sollicité le 22 décembre 2004 auprès de l’administration fiscale, qui a opposé une décision implicite de rejet à cette demande, la restitution des sommes acquittées par elle au titre du précompte mobilier en 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004, à hauteur des sommes versées par elle au titre des redistributions à ses actionnaires, notamment, de produits des participations qu’elle détient dans ses filiales établies dans d’autres États de l’Union européenne. Elle fait appel du jugement du 11 juillet 2014 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil n’a fait que partiellement fait droit à cette demande, à hauteur des sommes respectives de 18 315 969 euros au titre de l’année 2002 et de 11 994 059 euros au titre de l’année 2003, en ce qu’il en rejette le surplus de ses conclusions.
Sur la recevabilité des conclusions aux fins de restitution des montants de précompte mobilier acquittés au titre des années 2000 et 2001 :
2. Aux termes de l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable : » Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l’administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d’un avis de mise en recouvrement ; / b) Du versement de l’impôt contesté lorsque cet impôt n’a pas donné lieu à l’établissement d’un rôle ou à la notification d’un avis de mise en recouvrement ; / c) De la réalisation de l’événement qui motive la réclamation … ».
3. Le précompte mobilier institué par l’article 223 sexies du code général des impôts a le caractère d’un impôt direct perçu au profit de l’État au sens des dispositions précitées. Une société s’étant acquitté spontanément de ce précompte à l’occasion de la distribution de dividendes à ces actionnaires peut ainsi en demander le remboursement à l’administration par voie de réclamation préalable dans le délai prescrit par l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales.
4. Il est constant que la SOCIETE L’AIR LIQUIDE a formé sa réclamation tendant à la restitution du précompte mobilier dont elle s’est acquittée au titre des cinq années en litige le 22 décembre 2004. Le délai de deux ans suivant l’année du paiement effectif des montants de précompte en cause expirant, respectivement, le 31 décembre 2002 en ce qui concerne le précompte versé au cours de l’année 2000 et le 31 décembre 2003 en ce qui concerne le précompte versé au cours de l’année 2001, cette réclamation était tardive en ce qu’elle visait à la restitution des sommes acquittées au titre de ces deux années au regard des dispositions du b) de l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales.
5. La SOCIETE L’AIR LIQUIDE soutient, il est vrai, qu’en l’espèce, le délai dont elle disposait pour former une réclamation tendant au remboursement du précompte relatif à ces deux années a couru à compter de l’intervention de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes n° C-319/20 » Petri Manninen » du 7 septembre 2004, qui constituerait l’événement motivant sa réclamation au sens du c) de l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales précité, dans la mesure où cet arrêt aurait révélé l’incompatibilité du système français, alors en vigueur, de l’avoir fiscal et du précompte, avec la libre circulation des capitaux garantie par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Toutefois, seules les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne retenant une interprétation du droit de l’Union qui révèle directement une incompatibilité avec ce droit d’une règle applicable en France sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d’un tel événement, au sens et pour l’application de l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, et de la période sur laquelle l’action en restitution peut s’exercer en application de l’article L. 190 du même livre. En principe, tel n’est pas le cas d’arrêts de la Cour de justice concernant la législation d’un autre État membre, sous réserve, notamment, de l’hypothèse dans laquelle une telle décision révèlerait, par l’interprétation qu’elle donne d’une directive, la transposition incorrecte de cette dernière en droit français. La décision précitée de la Cour de justice des Communautés européennes n’ayant ni pour objet, ni pour effet de révéler une telle transposition incorrecte d’une directive en droit français, elle n’a pu constituer un événement faisant courir au profit de la SOCIETE L’AIR LIQUIDE un nouveau délai de réclamation aux fins d’obtenir la restitution des montants de précompte versés par elles en 2000 et 2001. Ainsi, et comme le fait valoir le ministre de l’action et des comptes publics, la réclamation préalable présentée par la société requérante était irrecevable en ce qu’elle demandait le remboursement des sommes acquittées au cours de ces deux années. Il y a lieu, par suite, de rejeter pour ce motif, les conclusions aux fins de restitution de la SOCIETE L’AIR LIQUIDE portant sur ces dernières sommes.
Sur le bien-fondé de la demande de restitution :
6. Aux termes du I de l’article 158 bis du code général des impôts, en vigueur pendant les années d’imposition en litige : » Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d’un revenu constitué /: a) par les sommes qu’elles reçoivent de la société ;/ b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le
Trésor (…) Ce crédit d’impôt est égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société. « . Aux termes du I de l’article 216 du même code : » Les produits nets des participations, ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères (…), touchés au cours d’un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de
celle-ci (…) La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à
5 % du produit total des participations, crédit d’impôt compris (…) « . Le 1 de l’article 223 sexies de ce même code, dans sa rédaction en vigueur pendant ces années d’imposition : » (…) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n’a pas été soumise à l’impôt sur les sociétés au taux normal (…), cette société est tenue d’acquitter un précompte égal au montant du crédit d’impôt calculé dans les conditions prévues au I de l’article 158 bis. Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d’impôt prévu à l’article 158 bis quels qu’en soient les bénéficiaires « . Enfin, aux termes du 2 de l’article 146 du même code, dans sa rédaction en vigueur pendant ces années d’imposition : » Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l’application du précompte prévu à l’article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d’impôts qui sont attachés aux produits des participations (…) encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus (…) « .
7. Il résulte des dispositions précitées de l’article 216 du code général des impôts que, sous réserve d’une quote-part de frais et charges, une société mère française n’est pas soumise à l’impôt sur les sociétés à raison des dividendes qu’elle reçoit de ses filiales, quelle qu’en soit la provenance. En application des dispositions de l’article 223 sexies du même code, lorsqu’elle redistribue ces dividendes à ses propres actionnaires, elle est tenue d’acquitter à ce titre un précompte, quelle que soit la provenance des dividendes qui lui ont été distribués et qu’elle a ainsi redistribués. Le montant de l’avoir fiscal dont la société mère bénéficie au titre de dividendes distribués par une filiale établie en France en vertu des dispositions du I de l’article 158 bis du même code s’impute sur le montant de ce précompte en application du 2 de l’article 146 du même code alors que les dispositions du I de l’article 158 bis font obstacle à l’attribution à cette société mère d’un avoir fiscal au titre de dividendes en provenance de filiales implantées dans un autre État membre de l’Union européenne et, par suite, à toute imputation sur le montant du précompte exigible lorsque cette société mère redistribue ces dividendes.
En ce qui concerne la compatibilité du dispositif du précompte mobilier avec le droit de l’Union européenne :
8. Aux termes du 1 de l’article 1er de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 susvisée : » Chaque Etat membre applique la présente directive : – aux distributions de bénéfices reçues par des sociétés de cet Etat et provenant de leurs filiales d’autres Etats membres, – aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet Etat à des sociétés d’autres Etats membres dont elles sont les filiales. (…) « . L’article 4 de cette directive, dans sa rédaction applicable pendant les années correspondant aux impositions en litige, dispose :
» 1. Lorsqu’une société mère reçoit, à titre d’associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de celle-ci, l’Etat de la société mère :
– soit s’abstient d’imposer ces bénéfices, – soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l’impôt de la filiale afférente à ces bénéfices (…) / 2. Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale « . Aux termes de l’article 5 de la même directive : » 1. Les bénéfices distribués par une société filiale à sa société mère sont, au moins lorsque celle-ci détient une participation minimale de 25 % dans le capital de la filiale, exemptés de retenue à la source. (…) « . Enfin, l’article 7 de cette même directive précise :
» 1. L’expression » retenue à la source » utilisée dans la présente directive ne comprend pas le paiement anticipé ou préalable (précompte) de l’impôt sur les sociétés à l’État membre où est située la filiale, effectué en liaison avec la distribution des bénéfices à la société mère. / 2. La présente directive n’affecte pas l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes, en particulier les dispositions relatives au paiement de crédits d’impôt aux bénéficiaires de dividendes « .
9. La SOCIETE L’AIR LIQUIDE soutient dans le dernier état de ses écritures devant la Cour, à titre principal, que l’application du précompte mobilier aux redistributions aux actionnaires d’une société mère française des dividendes versés par les filiales de cette dernière situées dans d’autres États de l’Union européenne est incompatible avec les dispositions de l’article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, en ce qu’elle entraîne une imposition de ces dividendes supérieure à l’application de la quote-part de 5 % appliquée, par l’administration fiscale française en vertu de l’article 216 du code général des impôts, dès lors que la France a opté pour le régime d’exonération d’impôt des bénéfices provenant de filiales établies dans d’autres États de l’Union européenne, en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 de la directive précitée.
10. D’une part, le ministre de l’action et des comptes publics fait valoir que, dans la mesure où le dispositif du précompte mobilier a déjà été déclaré, par l’arrêt C-310/09 du
15 septembre 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne, incompatible avec les principes du droit de l’Union relatifs à la liberté d’établissement et à la liberté de circulation des capitaux, découlant respectivement des articles 43 et 56 du traité instituant la Communauté européenne et repris aux articles 49 et 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la SOCIETE L’AIR LIQUIDE ne saurait utilement se prévaloir de ce que ce même dispositif serait, en outre, incompatible avec les objectifs de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990. Toutefois, contrairement à la méconnaissance des principes précités du droit de l’Union qui n’a pour effet que de conduire à la restitution des montants de précompte de nature à garantir l’application d’un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de la société mère établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans d’autres États membres, l’incompatibilité du précompte mobilier avec les objectifs de la directive en cause, si elle est constituée, a pour conséquence de prohiber toute imposition des bénéfices distribués provenant de filiales de l’Union européenne au-delà de l’application de la quote-part de 5 % prévue par l’article 216 du code général des impôts dès lors qu’il est établi que ces dividendes ont bien été versés par des filiales situées dans d’autres États membres de l’Union européenne, et qu’ils ont été effectivement redistribués aux actionnaires de la société-mère. Par suite, les effets de l’incompatibilité du précompte mobilier avec les objectifs de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 étant de nature à ouvrir à la société mère un droit à la restitution des montants de précompte litigieux plus étendu que celui qui résulte de la
non-conformité de ce même dispositif avec les principes du droit de l’Union précités, la SOCIETE L’AIR LIQUIDE peut utilement invoquer cette incompatibilité à l’appui de ses conclusions en restitution.
11. D’autre part, la Cour de justice de l’Union européenne, par ses arrêts C-68/15 » X. c. Ministerraad » et C-365/16 » Association française des entreprises privées (AFEP) et autres » du 17 mai 2017, a dit pour droit que les dispositions de l’article 4, respectivement, de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents et de cette même directive, telle que modifiée par la directive 2014/86/UE du Conseil du 8 juillet 2014, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent, d’une part, à une législation fiscale nationale qui, dans une situation où des bénéfices perçus par une société mère de sa filiale sont distribués par cette société mère postérieurement à l’année au cours de laquelle ils ont été perçus, a pour conséquence de soumettre ces bénéfices à une imposition dépassant le plafond de 5 % prévu par ces mêmes dispositions et qu’elles s’opposent également, d’autre part, à une législation nationale prévoyant la perception d’un impôt à l’occasion de la distribution des dividendes par la société mère et dont l’assiette est constituée par les montants des bénéfices distribués, y compris ceux provenant des filiales non-résidentes de cette société.
12. En premier lieu, les termes de l’article 4 de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 et de la directive 2014/86/UE du Conseil du 8 juillet 2014, successivement interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne par les deux arrêts précités, sont identiques à ceux de l’article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, applicable au présent litige. Il s’ensuit que l’interprétation ainsi faite de la portée du droit de l’Union au regard des législations nationales par la Cour de justice de l’Union européenne s’étend, contrairement à ce que fait valoir le ministre de l’action et des comptes publics, à cette dernière directive. Par voie de conséquence, le ministre n’est pas fondé à soutenir que la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ne trouverait pas à s’appliquer au seul motif que le précompte s’applique aux redistributions par une société mère à ses actionnaires de revenus reçus de ses filiales situées dans d’autres États membres.
13. En deuxième lieu, et ainsi qu’il a été dit plus haut, le précompte mobilier a le caractère d’un prélèvement de nature fiscale, dont est exclusivement redevable la société-mère distribuant les dividendes entrant dans l’assiette du précompte, quand bien même la charge économique de cet impôt est susceptible d’être répercutée sur l’actionnaire, résident fiscal français, bénéficiant des distributions ainsi que le fait valoir le ministre. Il constitue donc, pour cette société-mère, un impôt direct. La circonstance que le précompte mobilier soit, par ailleurs, distinct de l’impôt sur les sociétés est sans incidence sur sa nature d’imposition et sur sa compatibilité avec la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990. De même, la circonstance que le précompte mobilier fasse l’objet d’un dispositif de prélèvement particulier sur les distributions aux actionnaires de dividendes prélevés sur la réserve spéciale des plus-values de long terme en vertu du quatrième alinéa du 1 de l’article 223 sexies du code général des impôts, qui présente le caractère d’une taxation complémentaire de ces plus-values, est également sans incidence sur la nature d’imposition à la charge de la société-mère distributrice que revêt le précompte mobilier lorsqu’il est perçu à l’occasion de la redistribution sous forme de dividendes des revenus tirés des filiales de cette société. Enfin, est également sans incidence sur cette compatibilité le fait que le précompte mobilier serait, par ailleurs, la contrepartie ou le gage de l’avoir fiscal dont bénéficient les actionnaires de la société-mère du fait de la redistribution de ces dividendes ainsi qu’il est également soutenu en défense.
14. En outre, et en troisième lieu, le précompte mobilier ne saurait être regardé, comme le fait valoir le ministre de l’action et des comptes publics, comme une retenue à la source opérée sur le bénéficiaire final des distributions en cause au sens de l’article 5 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, dès lors que, ainsi que l’a également dit pour droit la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt C-68/15 » X. c. Ministerraad » du
17 mai 2017 précité, un impôt ne peut être qualifié de retenue à la source, au sens de l’article 5 de la directive mères-filiales, que sous réserve que soient satisfaits trois critères cumulatifs qui tiennent, premièrement, à ce que l’impôt soit prélevé dans l’État dans lequel les dividendes sont distribués et que son fait générateur soit le versement de dividendes ou de tout autre rendement des titres, deuxièmement, à ce que l’assiette de cet impôt soit le rendement des titres et, troisièmement, à ce que l’assujetti soit le détenteur des mêmes titres. Cette dernière condition manquant en l’espèce, le détenteur des titres des filiales versant les dividendes en cause étant, non pas l’actionnaire de la société-mère, mais la société-mère elle-même, il s’ensuit que le ministre de l’action et des comptes publics n’est pas davantage fondé à soutenir que le précompte mobilier entrerait dans le champ d’application des dispositions du paragraphe 1 d