CAA de VERSAILLES, 1ère chambre, 10/11/2020, 20VE01296, Inédit au recueil Lebon

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CAA de VERSAILLES, 1ère chambre, 10/11/2020, 20VE01296, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ORANGE agissant pour le compte de la société ORANGE France a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des suppléments d’impôts mis à sa charge, notamment en matière d’impôt sur les sociétés, résultant, d’une part, de la minoration de la moins-value d’annulation des titres CGBC subie par la société Orange France pour un montant de 18 592 484 euros au titre de l’exercice clos en 2010 et, d’autre part, de l’inscription en immobilisation des cartes SIM au titre des exercices clos en 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1404051 du 3 décembre 2015, le Tribunal administratif de Montreuil, après avoir constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d’annulation du rehaussement relatif à l’immobilisation des cartes SIM au titre des exercices clos en 2009 et 2010, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande portant sur l’exercice clos en 2010.

Par un arrêt n° 16VE00247 du 6 novembre 2018, la Cour administrative d’appel de Versailles, sur appel de la Société ORANGE, a donné acte du désistement d’instance des conclusions de la demande de la société ORANGE qui tendaient à l’annulation du rehaussement notifié pour absence d’inscription en immobilisations par la société ORANGE France des cartes SIM au titre des exercices clos en 2009 et 2010, a rétabli la moins-value d’annulation des titres CGBC subie par la société ORANGE France dans le cadre de la transmission universelle du patrimoine de la société CGBC réalisée le 19 février 2010 à hauteur de 18 592 484 euros se décomposant en une moins-value à long terme de 10 932 819 euros et une moins-value à court terme de 7 659 665 euros, et a réformé en conséquence le jugement attaqué.

Par une décision n° 426473 du 18 mars 2020, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles du 6 novembre 2018 en tant qu’il a rétabli la moins-value d’annulation des titres CGBC à hauteur de 18 592 484 euros et renvoyé l’affaire, dans cette mesure, à cette cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés, sous le n° 20VE01296, les 26 janvier 2016 et le 20 octobre 2016 et, après cassation, le 26 mai 2020, le 22 juillet 2020 et le 8 octobre 2020, ce dernier non communiqué, la société ORANGE représentée par Me Quentin, avocat, demande à la Cour :

1° d’annuler le jugement précédemment mentionné du Tribunal administratif de Montreuil ;

2° de rétablir la moins-value d’annulation des titres CGBC à hauteur de 18 592 484 euros, se décomposant en une moins-value à long terme de 10 932 819 euros et une moins-value à court terme de 7 659 665 euros ;

3° de mettre à la charge de l’État la somme de 5 000 euros, à lui verser, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La requérante soutient que :

– c’est à tort que l’administration, pour calculer la moins-value d’annulation des titres découlant de la dissolution sans liquidation dans le cadre d’une transmission universelle du patrimoine de la société CGBC réalisée le 19 février 2010, avec effet rétroactif au 1er janvier 2010, a refusé de prendre en compte l’augmentation de capital de 6 000 000 d’euros réalisée le 5 février 2010, dès lors que les conséquences de la rétroactivité fiscale sur les opérations de cessions d’immobilisations ou de distributions de dividendes réalisées par la société confondue ne doivent pas être étendues au cas d’une augmentation de capital de la société confondante souscrite par la société confondue, que l’augmentation de capital ne peut être réputée inexistante au plan économique et fiscal et doit nécessairement être prise en compte pour la détermination du montant de la valeur des titres annulés chez l’associé unique, et que, en outre, cette opération n’a pas d’effet sur les résultats de la période intercalaire de l’une ou de l’autre des sociétés ;

– elle entend se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédure fiscales de l’interprétation administrative de la loi fiscale exprimée par l’instruction administrative référencée 4 I-1-2-2000 du 18 août 2000, en ses paragraphes 89 et suivants et 101 selon laquelle l’annulation de la participation de la société absorbante dans la société absorbée est réputée intervenir, pour la détermination des résultats imposables, à la date d’effet rétroactif ou  » à la date d’acquisition des titres si elle est postérieure « , ce qui est le cas en l’espèce. Elle entend se prévaloir en outre du paragraphe 65 de l’instruction référencée 4 I-1-05, selon lequel, s’agissant de la rétroactivité des opérations de dissolution sans liquidation, il convient d’entendre au plan fiscal par date de réalisation d’une telle opération non pas la date de décision de la dissolution mais la date de transmission effective du patrimoine, qui lui est postérieure ;

– dans sa décision, le Conseil d’Etat a voulu transposer au plan fiscal les principes comptables relatifs aux opérations réciproques réalisées pendant la période intercalaire afin d’assurer pour l’ensemble des opérations de restructuration une uniformité entre la fiscalité et la comptabilité, et ce en s’appuyant sur les articles 752-1 et 752-3 du Plan comptable général. Pourtant, les dispositions de l’article 770-3 du Plan comptable général prévoient que  » La rétroactivité des opérations de dissolution par confusion de patrimoine n’étant pas prévue par le code civil, les articles 751-1 à 752-5 ne sont pas applicables à ce type d’opérations « . Par suite, la décision du Conseil d’Etat crée une distinction entre fiscalité et comptabilité sur ce point, au lieu de l’uniformisation voulue.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2016, et après cassation, le 24 septembre 2020, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre de l’action et des comptes publics fait valoir que :

– la question à trancher est celle de la date à laquelle il convient de se placer pour le calcul de la moins-value globale d’annulation des titres de la société CGBC, compte tenu de la clause de rétroactivité fiscale affectant la transmission universelle du patrimoine au profit de la société ORANGE France ;

– le principe de la prise en compte de la rétroactivité de l’opération en matière de fusion a une portée générale et s’applique donc aussi bien aux opérations placées sous le bénéfice du régime de faveur de l’article 210 A du code général des impôts qu’à celles réalisées sous l’empire du droit commun par application de l’article 38 du code général des impôts applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code, le bilan fiscal devant rétroagir à la date d’effet de la fusion ;

– ce principe est réaffirmé par la doctrine administrative et, en particulier, par l’instruction administrative référencée 4-I-2-00 du 18 août 2000 en ses paragraphes 88, 89, 90, 101 et 110 ; si le paragraphe 66 du BOI 4 I-1-05 admet qu’un effet rétroactif puisse être donné à une transmission universelle du patrimoine, cet effet doit être prévu dans la décision de dissolution sans liquidation avec mention de son point de départ, ce qui est le cas dans la présente affaire ;

– l’opération d’apport au capital ayant été réalisée auprès de la société confondue, il s’agit d’une opération réciproque, purement interne qui n’a aucune incidence sur le résultat de la société confondante, et qui doit être neutralisée ;

– dès lors, il convient de se placer à la date d’effet rétroactif, soit le 1er janvier 2010 ou à la date d’acquisition des titres détenus par des tiers, soit le 19 janvier 2010, pour calculer la moins-value d’annulation des titres de la société CGBC, sans tenir compte de l’augmentation de capital de 6 000 000 d’euros réalisée le 5 février 2010 ;

– peu importe que la confusion de patrimoine soit réalisée en application des dispositions du plan comptable général ou du code civil, dès lors que la société confondante a pour obligation, sur le plan fiscal, de retraiter sa comptabilité par des retraitements extracomptables ;

– le tribunal a commis une erreur de plume en mentionnant que l’actif net par la société CGBC était de 19 177 484 euros et non de 13 177 484 euros, mais cette erreur de plume est restée sans influence sur la validité de son raisonnement.

……………………………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme A… ;

– et les conclusions de M. Met, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société ORANGE France a procédé à une dissolution sans liquidation de sa filiale CGBC, sur le fondement de l’article 1844-5 du code civil, par le rachat de la totalité des titres de cette dernière, opération placée sous le régime de faveur des fusions prévu par l’article 210 A du code général des impôts. Par un jugement rendu le 3 décembre 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a refusé de faire droit à sa demande de rétablissement de la moins-value d’annulation des titres CGBC subie par la société ORANGE France à hauteur de 18 592 484 euros se décomposant en une moins-value à long terme de 10 932 819 euros et une moins-value à court terme de 7 659 665 euros. Par une décision en date du 18 mars 2020, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a cassé, en tant qu’il a rétabli la moins-value d’annulation des titres CGBC à hauteur de 18 592 484 euros, l’arrêt du 6 novembre 2018 par lequel la Cour administrative d’appel de Versailles avait annulé le jugement n° 1404051 du 3 décembre 2015 du Tribunal administratif de Montreuil, avait donné acte du désistement d’instance des conclusions de la société Orange tendant à l’annulation du rehaussement pour absence d’inscription en immobilisation des cartes SIM au titre des exercices clos en 2009 et 2010, et avait rétabli la moins-value d’annulation des titres CGBC à hauteur de 18 592 484 euros.

2. En premier lieu, aux termes du 2 de l’article 38 du code général des impôts, applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu du I de l’article 209 du même code :  » Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés « . Aux termes de l’article 1844-5 du code civil :  » La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n’entraîne pas la dissolution de plein droit de la société (…) / En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l’associé unique, sans qu’il y ait lieu à liquidation. « .

3. Il résulte de ces dispositions qu’un bilan doit être établi à la date de clôture de chaque période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt et que ce bilan doit exprimer de manière régulière et sincère la situation de l’entreprise, telle qu’elle résulte à cette date des opérations de toute nature faites par l’entreprise. Si, parmi ces opérations, figure la dissolution sans liquidation d’une filiale, les conséquences de cette dissolution pour la société confondante doivent être reprises dans le bilan établi à la date de clôture de la période au cours de laquelle cette opération est intervenue, mais ne peuvent l’être dans le bilan précédent. Lorsqu’un effet rétroactif est attaché, sur le plan fiscal, à cette dissolution à une date déterminée, laquelle ne peut être antérieure à la date de clôture du bilan de l’exercice précédent, la société confondante est tenue de prendre en compte, au besoin au moyen de retraitements extra-comptables, toutes les conséquences de la date ainsi stipulée, à laquelle les effets de la fusion remontent.

4. La société ORANGE France, propriétaire de sa filiale CGBC à 75,5 %, a acquis 19,15 % des titres de cette société le 24 avril 2009 à la société Financière TEN. Le 19 janvier 2010, elle a acquis 5,15 % des titres de la société CGBC aux fondateurs de celle-ci. Après être devenue le seul actionnaire de cette société, elle a procédé à une augmentation de capital d’une valeur de 6 millions d’euros le 5 février 2010 afin de combler les dettes de sa filiale. En application des dispositions de l’article L. 1844-5 du code civil, elle a prononcé le 11 février suivant la dissolution de cette dernière, sans liquidation, avec effet rétroactif au 1er janvier 2010. Après s’être placée sous le régime prévu par les dispositions de l’article 210 A du code général des impôts, elle a évalué son actif net résultant de l’ensemble de ces opérations à 19 177 484 euros, et a bénéficié d’un boni de liquidation de 103 344 euros et d’une moins-value globale de 18 592 484 euros se décomposant en une moins-value à long terme de 10 932 819 d’euros et d’une moins-value à court terme de 7 659 665 d’euros. Le service vérificateur a considéré que la société ORANGE France était réputée s’être substituée fiscalement à la société absorbée à la date d’effet rétroactif, soit au 1er janvier 2010, et qu’elle devait ainsi être regardée comme ayant reçu elle-même les apports pour leur valeur à la date où l’augmentation du capital est intervenue, soit le 5 février 2010. Il a ainsi estimé la valeur de l’actif net à 13 177 484 euros, à la date de la dernière acquisition, ne retenant pas l’augmentation de capital de 6 000 000 euros effectuée postérieurement. Le service vérificateur ainsi donné son plein effet à la rétroactivité fiscale conférée à la décision de dissolution sans liquidation de la société CGBC, en matière d’impôt sur les sociétés et dans les limites de son dernier exercice en cours, sans que la société requérante puisse se prévaloir utilement de la combinaison des articles 752-1, 752-3 et 770-3 du plan comptable général dont il résulte que les opérations réciproques réalisées entre une société absorbante et une société absorbée sont éliminées comptablement sauf dans le cas des confusions de patrimoine réalisées sur le fondement de l’article 1844-5 du code civil, dès lors que la neutralisation interne à la société absorbante doit se faire au besoin au moyen de retraitements extra-comptables. Ce faisant, le service vérificateur a fait une exacte application des dispositions précitées.

5. En second lieu, la requérante se prévaut, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédure fiscales, des paragraphes 89 et suivants et 101 de l’instruction administrative référencée 4 I-1-2-2000 du 18 août 2000 selon laquelle l’annulation de la participation de la société absorbante dans la société absorbée est réputée intervenir, pour la détermination des résultats imposables, à la date d’effet rétroactif ou  » à la date d’acquisition des titres si elle est postérieure  » et du paragraphe 65 de l’instruction référencée 4 I-1-05, selon laquelle s’agissant de la rétroactivité des opérations de dissolution sans liquidation, il convient d’entendre au plan fiscal par date de réalisation d’une telle opération non pas la date de décision de la dissolution mais la date de transmission effective du patrimoine, qui lui est postérieure. Cependant, l’administration a bien estimé la valeur de l’actif net de la société CGBC à la date d’acquisition des derniers titres auprès de tiers, soit le 19 janvier 2010, la société requérante devenant à cette occasion seul actionnaire de la société CGBC. Cette opération n’est pas assimilable à l’augmentation de capital du 11 février 2010, qui constitue une opération réciproque entre la société confondante et la société confondue. La société requérante ne peut dès lors utilement invoquer une différence de traitement injustifiée entre les titres acquis le 19 janvier 2010, nécessaire à la réalisation d’une opération de dissolution sans liquidation, et ceux issus de l’augmentation de capital pratiquée le 5 février 2010, issue d’une décision de gestion distincte de l’opération de dissolution.

6. Il résulte de ce qui précède que la SA ORANGE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions à fin de décharge, de même que celles présentées au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société anonyme ORANGE est rejetée.

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N° 20VE01296


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