CAA de PARIS, 9ème chambre, 15/10/2021, 20PA02545, Inédit au recueil Lebon

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CAA de PARIS, 9ème chambre, 15/10/2021, 20PA02545, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… C… a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2014 et 2015.

Par un jugement n° 1815535 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris rejeté la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2 septembre 2020 sous le n° 20PA02545, M. C…, représenté par Me Bouquet, avocat, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1815535 du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2014 et 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– la proposition de rectification est insuffisamment motivée au motif qu’elle ne précise pas les modalités de détermination du rehaussement et qu’elle n’explicite pas les raisons ayant amené l’administration a considéré qu’existait un procédé de fraude lié au TPE ; la proposition de rectification adressée à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Le Fournil du Père Lachaise ne saurait suppléer à ce défaut de motivation ;

– les sommes présumées distribuées n’ont en réalité pas été désinvesties par l’EURL Le Fournil du Père Lachaise ; l’absence de comptabilisation ne peut être regardée comme ayant eu pour but de lui accorder un avantage ;

– le recours à la notion de  » maître de l’affaire  » est inopérant ;

– il ne peut avoir appréhendé les bénéfices non déclarés dans la mesure où ces sommes sont restées investies sur le compte bancaire de l’EURL, même si ce compte a été ouvert à l’étranger ;

– si en application du principe de la cascade complète prévue à l’article 77 du LPF, un contribuable qui reverse à la société les sommes distribuées antérieurement peut déduire de ses revenus au titre de l’année du versement ces sommes, les sommes étant restés sur son compte, il ne pourrait démontrer qu’il a, à titre personnel, procédé au remboursement des sommes et serait en conséquence taxé à deux reprises ;

– la pénalité pour manœuvres frauduleuses n’est pas justifiée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2020, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Boizot,

– les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

– les observations de Mmes D… et B… pour le ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Considérant ce qui suit :

1. L’EURL Le Fournil du Père Lachaise, dont M. C… est le gérant et l’unique associé, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 30 septembre 2016, objet d’une proposition de rectification en date du 28 mars 2017. A l’issue de ce contrôle, par une seconde proposition datée du même jour, des rehaussements d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, assortis des intérêts de retard et des majorations prévues par l’article 1729 du code général des impôts en cas de manœuvres frauduleuses, lui ont été notifiés au titre des années 2014 et 2015 sur le fondement des dispositions, respectivement, du 1° et du 2° de l’article 109-1 du code général des impôts. M. C… relève régulièrement appel du jugement du 7 juillet 2020, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

2. Aux termes de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales :  » L’administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (…) « . Aux termes de l’article R. 57-1 du même livre :  » La proposition de rectification prévue par l’article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L’administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article « .

3. Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l’impôt concerné, de l’année d’imposition et de la base d’imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l’administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, afin de permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend ni du bien-fondé de ces motifs, ni des précisions apportées par l’administration sur l’origine des documents sur lesquels elle s’est fondée pour prononcer les redressements envisagés.

4. Contrairement à ce que soutient M C…, la proposition de rectification du 28 mars 2017 énonce précisément les motifs sur lesquels l’administration s’est fondée pour justifier les rectifications en matière d’impôt sur le revenu et contributions sociales, lui permettant de formuler ses observations de façon entièrement utile. Ainsi, la proposition de rectification mentionne d’abord les faits constatés à l’occasion de la vérification de comptabilité de l’EURL Le Fournil du Père Lachaise, puis énonce avec précision les motifs pour lesquels le service a estimé être en présence d’une minoration de recettes au titre des années 2014 et 2015 grâce à un procédé de fraude lié à des terminaux électroniques de paiement, ainsi que les conséquences qu’il en a tirées en matière d’impôt sur le revenu et de contributions sociales en sa qualité de maître de l’affaire. Ce document est ainsi suffisamment motivé alors même que ne figure pas le mode de calcul de la reconstitution de recettes et charges. En outre, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé des motifs retenus à l’appui de la caractérisation d’une fraude à la loi. Par ailleurs, M. C… a également été destinataire, en qualité de représentant légal de l’EURL Le Fournil du Père Lachaise, et à l’issue de la vérification de comptabilité de cette société à laquelle il avait pris part, d’une proposition de rectification du même jour, motivée au regard des mêmes éléments. Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

Sur le bien-fondé de la procédure d’imposition :

5. Aux termes de l’article 109 du code général des impôts :  » 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés ou porteurs de parts et non prélevées sur le bénéfice. (…). « . Aux termes de l’article 110 du même code :  » Pour l’application du 1° du 1 de l’article 109, les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés « . Les sommes réintégrées par l’administration dans le résultat imposable d’une société ayant fait l’objet d’un rehaussement ne peuvent être regardées comme des revenus distribués au sens de ces dispositions que dans la mesure où elles ont été effectivement appréhendées par leur bénéficiaire. Toutefois, si peuvent seuls être imposés, en application de ces dispositions, les revenus réputés distribués qui ont été effectivement appréhendés par le contribuable, le contribuable qui est maître d’une affaire est réputé avoir appréhendé les distributions réalisées par la société qu’il contrôle. Est qualifiée de maître de l’affaire une personne qui exerce la responsabilité effective de l’ensemble de la gestion administrative, commerciale et financière de la société et dispose sans contrôle de ses fonds. Si l’administration fiscale entend imposer des revenus réputés distribués sur le fondement du 1° du 1. de l’article 109 du code général des impôts au nom du maître de l’affaire, elle doit justifier de cette qualification, laquelle nécessite une analyse des circonstances propres à l’affaire et notamment du fonctionnement spécifique de l’entreprise. Le contribuable peut établir que les éléments apportés par l’administration sont insuffisants pour justifier de cette qualification.

S’agissant de l’existence des revenus distribués par l’Eurl Le Fournil du père Lachaise :

6. En premier lieu, il résulte de l’instruction, s’agissant de l’année 2015, que le service a fondé ses redressements sur les dispositions du 2° de l’article 109-1 du code général des impôts. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l’administration pouvait les mettre en œuvre, au cas particulier, sans qu’il lui soit nécessaire de faire la preuve d’un quelconque désinvestissement de l’EURL Le Fournil du Père Lachaise. Le moyen soulevé doit dès lors être écarté comme inopérant.

7. En second lieu, s’agissant de l’année 2014, il résulte de l’instruction que l’administration a établi l’existence de bénéfices imposables à l’impôt sur les sociétés, dissimulés par l’EURL Le Fournil du Père Lachaise à raison de recettes non comptabilisées. La société, qui n’a pas présenté de fichiers de ses écritures comptables, a omis d’inscrire dans sa comptabilité et de déclarer les recettes encaissées au moyen de cartes bancaires reliées à des terminaux de paiement électronique, gérés par une plate-forme de paiement en ligne établie à Malte par l’intermédiaire d’un prestataire, la société française Afone Paiement, selon un contrat conclu avec l’EURL. Les recettes ainsi enregistrées par le système de paiement en ligne étaient encaissées sur un compte bancaire ouvert au nom de l’EURL en Belgique. Afin de contester l’existence de ces bénéfices, M. C… soutient qu’il ne peut être regardé comme ayant appréhendé les revenus en litige, ces derniers étant restés sur les comptes de la société. Toutefois, cet élément est sans incidence sur l’existence d’un désinvestissement de bénéfices de l’EURL, dès lors qu’il est constant que les recettes ainsi encaissées n’ont pas été soumises à l’impôt. Par ailleurs, la circonstance que les sommes en litige auraient été reversées sur le compte bancaire français de la société le 17 novembre 2016, soit postérieurement à la période vérifiée, ne saurait remettre en cause l’absence de comptabilisation des recettes au cours de la période vérifiée caractérisant ainsi un désinvestissement sur ladite période. En conséquence, ces recettes n’ayant été, ni mises en réserve, ni incorporées au capital, elles sont présumées avoir été distribuées en application des dispositions ci-dessus reproduites du 1° de l’article 109-1 du code général des impôts.

S’agissant du bénéficiaire des distributions :

8. S’agissant de l’année 2014, M C… étant l’unique associé de la société et son gérant, il a déposé des pouvoirs les plus étendus au sein de l’EURL Le Fournil du Père Lachaise, et, à ce titre, s’est entremis pour la mise en place du système de paiement électronique mentionné au point 7 du présent arrêt. Par suite, c’est à juste titre qu’il a été regardé comme le maître de l’affaire au sens du 1° de l’article 109-1 du code général des impôts. S’agissant de l’année 2015, il résulte de l’instruction que, lors des opérations de vérification, l’intéressé a indiqué oralement qu’il disposait d’une carte bancaire pour retirer les fonds ainsi désinvestis de la société sur le compte ouvert en Belgique, mentionné au point précédent du présent arrêt, lequel constituait un compte mixte, à partir duquel il a été effectué des prélèvements sous forme de retraits d’espèces ou de règlement de dépenses personnelles ou professionnelles. Faute pour l’intéressé d’apporter des éléments de nature à remettre en cause les éléments qu’il a ainsi lui-même déclarés, c’est à bon droit que l’administration a estimé que les sommes qualifiées de revenus distribués au titre de cette année sur le fondement du 2° de l’article 109-1 du code général des impôts avaient été appréhendées par le requérant et les a imposées entre ses mains.

9. Aux termes de l’article L. 77 du livre des procédures fiscales :  » Les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés peuvent, dans la mesure où le bénéfice correspondant aux rectifications effectuées est considéré comme distribué, par application des articles 109 et suivants du code général des impôts, à des associés ou actionnaires dont le domicile ou le siège est situé en France, demander que l’impôt sur le revenu supplémentaire dû par les bénéficiaires en raison de cette distribution soit établi sur le montant du rehaussement soumis à l’impôt sur les sociétés diminué du montant de ce dernier impôt. / (…) Les demandes que les contribuables peuvent présenter au titre des troisième et quatrième alinéas doivent être faites au plus tard dans le délai de trente jours consécutif à la réception de la réponse aux observations prévue à l’article L. 57 ou, à défaut, d’un document spécifique les invitant à formuler lesdites demandes. / L’imputation prévue aux troisième et quatrième alinéas est soumise à la condition que les associés ou actionnaires reversent dans la caisse sociale les sommes nécessaires au paiement des taxes sur le chiffre d’affaires et des taxes assimilées, de l’impôt sur les sociétés et de la retenue à la source sur les revenus de capitaux mobiliers se rapportant aux sommes qui leur ont été distribuées « .

10. Il résulte des dispositions précitées que le bénéfice de la cascade complète est subordonné au reversement, dans la caisse sociale, des sommes nécessaires au paiement des taxes sur le chiffre d’affaires et de l’impôt sur les sociétés se rapportant aux sommes distribuées. Par suite, M. C… qui, d’une part, n’apporte pas la preuve de l’existence et du montant du reversement en cause et, d’autre part, n’établit ni n’allègue avoir demandé à bénéficier des dispositions prévues, n’est pas fondé à se prévaloir des dispositions précitées de l’article L. 77 du livre des procédures fiscales.

Sur les pénalités :

11. Aux termes de l’article 1729 du code général des impôts :  » Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’Etat entraînent l’application d’une majoration de : / c. 80 % en cas de manœuvre frauduleuse (…)  » Aux termes de l’article L. 195 A du livre des procédures fiscales :  » En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d’affaires, des droits d’enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l’administration « .

12. Ces dispositions proportionnent les pénalités selon les agissements commis par le contribuable et prévoient des taux de majoration différents selon la qualification qui peut être donnée au comportement de celui-ci. Le juge de l’impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir ou d’appliquer la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, sans pouvoir moduler celui-ci pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable, soit, s’il estime que l’administration n’établit, ni que celui-ci se serait rendu coupable de manœuvres frauduleuses, ni qu’il aurait agi de mauvaise foi, de ne laisser à sa charge que des intérêts de retard.

13. Pour justifier l’application de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses aux suppléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels le requérant a été assujetti au titre des exercices clos en 2014 et 2015, le service a relevé que les opérations de contrôle, ainsi qu’il a été dit précédemment, ont révélé l’omission d’inscrire dans la comptabilité de l’entreprise et de déclarer pour les exercices 2014 et 2015 les sommes encaissées au moyen du système de paiement bancaire en ligne décrit au point 8 du présent arrêt, objet d’un contrat conclu entre l’EURL et un prestataire. Ce système, reposant sur l’utilisation de terminaux de paiement électronique non présentés spontanément à l’administration lors de l’engagement du contrôle, a permis de dissimuler une partie des recettes de la société en égarant l’administration fiscale. Ces éléments n’ont pas été efficacement contestés par le requérant, qui en sa qualité de gérant de l’EURL, a pris part à la mise en place de ce système de paiement, et a reconnu avoir procédé à des prélèvements sur le compte ouvert à l’étranger pour abriter les sommes ainsi encaissées hors toute déclaration fiscale. Dans ces conditions, l’administration établit, de la part du requérant, des manœuvres frauduleuses destinées à l’égarer dans ses contrôles.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. C… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à ce qu’il soit fait application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… C… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction nationale d’enquêtes fiscales.

Délibéré après l’audience du 1er octobre 2021, à laquelle siégeaient :

– M. Carrère, président de chambre,

– M. Soyez, président assesseur,

– Mme Boizot, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 15 octobre 2021.

La rapporteure,

S. BOIZOTLe président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 20PA02545


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