Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 juillet et 28 octobre 2021, la société Nord Sud Communication Multimédias (NORSUCOM), représentée par Me De Baecke, demande à la Cour :
1°) d’annuler la décision du conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) du
28 avril 2021 rejetant la candidature présentée par la société Nord Sud Communication Multimédias en vue d’exploiter, sur la zone de Montpellier, le service de radio de catégorie D dénommé France Maghreb 2 ;
2°) d’enjoindre au CSA de réexaminer sa candidature dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle une fréquence est disponible, pour quelque motif que ce soit, dans la zone concernée ;
3°) de mettre à la charge du CSA le versement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la décision du CSA du 28 avril 2021 est entachée d’un vice de procédure dès lors que l’autorisation a été délivrée en méconnaissance de l’article 28-1 de la loi n° 86-1067 du
30 septembre 1986 relative à la liberté de communication vingt mois après l’expiration du délai qui lui était imparti ;
– elle est entachée d’une erreur d’appréciation s’agissant de l’intérêt du public dans la zone concernée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er septembre 2021, le conseil supérieur de l’audiovisuel conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La procédure a été communiquée à la SAS AIME C2 qui n’a pas produit d’observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Collet,
– les observations de Mme Bernard, rapporteure publique,
– et les observations de Me Foerster, avocat de la société Nord Sud Communication Multimédias.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision n° 2019-129 du 17 avril 2019, le conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a lancé un appel à candidatures pour l’exploitation de services de radio par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence à temps complet dans le ressort du comité territorial de l’audiovisuel (CTA) de Toulouse. La société Nord Sud Communication Multimédias (NORSUCOM) a présenté sa candidature pour la diffusion d’un service de radio dénommé France Maghreb 2 en catégorie D dans la zone de Montpellier. Lors de sa séance du 28 avril 2021, le CSA a examiné l’ensemble des candidatures et pourvu les trois fréquences disponibles dans la zone de Montpellier et a notamment autorisé la SAS AIME C2 à exploiter en catégorie D le service radiophonique dénommé Beur FM par la décision du 28 avril 2021 et a rejeté la candidature de la société NORSUCOM. Par la présente requête, la société NORSUCOM demande à la Cour d’annuler la décision du CSA du 28 avril 2021 en tant qu’elle rejette sa candidature en vue d’exploiter, sur la zone de Montpellier, le service de radio de catégorie D dénommé France Maghreb 2.
En ce qui concerne la légalité externe :
2. Aux termes de l’article 29 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : » (…) l’usage des fréquences pour la diffusion de services de radio par voie hertzienne terrestre est autorisé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans les conditions prévues au présent article. / Pour les zones géographiques et les catégories de services qu’il a préalablement déterminées, le conseil publie une liste de fréquences disponibles ainsi qu’un appel à candidatures. Il fixe le délai dans lequel les candidatures doivent être déposées. / (…) A l’issue du délai prévu au deuxième alinéa ci-dessus, le conseil arrête la liste des candidats dont le dossier est recevable. / Le conseil accorde les autorisations en appréciant l’intérêt de chaque projet pour le public (…) « . Aux termes du I de l’article 28-1 de la même loi : » La durée des autorisations délivrées en application des articles 29, 29-1, 30, 30-1 et 30-2 ne peut excéder dix ans. Toutefois, pour les services de radio en mode analogique, elle ne peut excéder cinq ans. Ces autorisations sont délivrées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans un délai de huit mois à compter de la date de clôture de réception des déclarations de candidatures des éditeurs ou des distributeurs de services. (…) « .
3. Les dispositions précitées de l’article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986 qui prescrivent au CSA de délivrer les autorisations d’émettre dans un délai de huit mois à compter de la date de clôture de l’appel à candidatures ont été introduites par l’article 42 de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 afin de transposer en droit interne l’article 7-4 de la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques, qui a prévu un tel délai afin de favoriser un usage plus efficace de la ressource radioélectrique en évitant que des fréquences attribuables soient gelées pendant des durées excessives. Il ne résulte ni des dispositions de la directive, ni des dispositions législatives qui les ont transposées, que le dépassement du délai de huit mois entraîne la caducité de la procédure de sélection, laquelle aurait pour conséquence de retarder encore plus l’attribution des fréquences. Il en résulte que le moyen tiré de ce que le seul dépassement du délai de huit mois prévu par les dispositions précitées, qui n’a pas le caractère d’une garantie et dont le dépassement n’est en lui-même pas susceptible d’exercer une influence sur la décision du CSA, aurait dû entraîner la nullité de la procédure d’appel à candidatures doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
4. Aux termes de l’article 29 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA » accorde les autorisations en appréciant l’intérêt de chaque projet pour le public, au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socio-culturels, la diversification des opérateurs, et la nécessité d’éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence. Il tient également compte :
1° De l’expérience acquise par le candidat dans les activités de communication ; 2° Du financement et des perspectives d’exploitation du service notamment en fonction des possibilités de partage des ressources publicitaires entre les entreprises de presse écrite et les services de communication audiovisuelle ; 3° Des participations, directes ou indirectes, détenues par le candidat dans le capital d’une ou plusieurs régies publicitaires ou dans le capital d’une ou plusieurs entreprises éditrices de publications de presse ; 4° Pour les services dont les programmes comportent des émissions d’information politique et générale, des dispositions envisagées en vue de garantir le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, l’honnêteté de l’information et son indépendance à l’égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public ; 5° De la contribution à la production de programmes réalisés localement ; 6° Pour les services dont les programmes musicaux constituent une proportion importante de la programmation, des dispositions envisagées en faveur de la diversité musicale au regard, notamment, de la variété des œuvres, des interprètes, des nouveaux talents programmés et de leurs conditions de programmation ;
7° S’il s’agit de la délivrance d’une nouvelle autorisation après que l’autorisation précédente est arrivée à son terme, du respect des principes mentionnés au troisième alinéa de l’article
3-1. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille, sur l’ensemble du territoire, à ce qu’une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l’expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l’environnement ou la lutte contre l’exclusion. Le conseil veille également au juste équilibre entre les réseaux nationaux de radiodiffusion, d’une part, et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants, d’autre part. Il s’assure que le public bénéficie de services dont les programmes contribuent à l’information politique et générale. (…) « .
5. Il ressort des pièces du dossier que le CSA a rejeté la candidature de France Maghreb 2, aux motifs qu’ » essentiellement à destination d’un public transgénérationnel, franco-maghrébin et familial, et composée d’émissions d’information, d’actualité, culturelles, confessionnelles, de débats, de services, de divertissement et de musique orientale et du Maghreb, [elle] est au moins en partie représentée par celle de Beur FM, candidat retenu dans la même catégorie, qui propose, en complément, la diffusion quotidienne d’émissions sportives (Europe et Afrique) et s’adresse plus particulièrement à un public urbain jeune (cœur de cible 25-45 ans), qui représente près de 30% de la population de l’unité urbaine de Montpellier (Source : INSEE, RP2017 exploitation principale, géographie au 1er janvier 2020) et s’avère dès lors susceptible d’intéresser un large public à Montpellier » et au surplus aux motifs que l’offre de la société NORSUCOM est susceptible » de satisfaire dans une moindre mesure l’intérêt du public de la zone que les candidatures de Skyrock et Sud Radio, qui bénéficient respectivement d’une expérience dans la zone depuis 2007 pour le premier et 1993 pour le deuxième. La disparition de ces services, serait donc de nature à mécontenter l’auditoire de Montpellier « . Par ailleurs, le CSA a considéré que Skyrock qui propose de » diffuser une programmation musicale axée principalement sur le groove-rap, genre musical peu représenté dans la zone et dominant chez les jeunes et les jeunes-adultes, public visé (…) alors que les 15-34 ans sont surreprésentés dans la zone (soit 33,2 % de la population totale de l’unité urbaine de Montpellier contre 23,7 % de la population totale en France métropolitaine » propose une offre qui s’avère ainsi susceptible d’intéresser un large public à Montpellier.
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment de son dossier de candidature que le cœur de cible de l’offre de France Maghreb 2 est » un large public transgénérationnel composé de toutes les générations de son auditoire cible (de 7 à 77 ans) » et que son auditorat est composé, outre des auditeurs franco-maghrébins, » d’immigrés et de citoyens français originaires de pays de culture musulmane, mais également d’immigrés et de citoyens originaires des différentes diasporas étrangères qui vivent en France et de nombreux autres auditeurs originaires des différentes traditions culturelles et religions françaises « . La société NORSUCOM fait valoir que son offre répond, de la même manière que Beur FM, à l’intérêt du public dans la zone considérée par le CSA, qui admet que la population franco-maghrébine ne bénéficie d’aucun service qui lui est spécifiquement destiné dans la zone de Montpellier alors même que la population immigrée maghrébine y est » largement supérieure à la moyenne nationale et à celle des autres unités urbaines de plus de 400 000 habitants » et que c’est à tort que le CSA a considéré qu’il y avait dans la zone de Montpellier une surreprésentation de la jeunesse maghrébine.
7. Or, d’une part, il ressort des pièces du dossier et notamment de son dossier de candidature que l’offre de Beur FM a pour cœur de cible un public de la tranche d’âge de 25 à 45 ans et non pas un auditorat de 15 à 34 ans contrairement à ce que soutient la société requérante. Par ailleurs, les offres de Beur FM et de France Maghreb 2 ne visent pas un auditorat exclusivement composé de ressortissants algériens, marocains et tunisiens mais au contraire un auditorat maghrébin et plus large indépendamment de son origine ou de sa nationalité. La société NORSUCOM n’établit pas, par le tableau qu’elle produit et qui reprend les statistiques publiées le 9 décembre 2020 par l’INSEE concernant la répartition de la population par sexe, âge et nationalité en 2017 dans la commune de Montpellier mentionnant la présence de 46,82 % de ressortissants algériens, marocains et tunisiens âgés de 25 à 54 ans, tranche d’âge qui représente 39,61 % toutes nationalités confondues dans cette commune que l’offre de Beur FM qui a pour cœur de cible un public de la tranche d’âge de 25 à 45 ans qui est la plus représentée dans la zone ne correspondrait pas davantage à l’intérêt du public que son offre qui vise un auditorat plus large. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l’offre d’émission sportive de Beur FM avec des retransmissions en direct et commentaires de matchs de football par ses journalistes à l’occasion de certaines compétitions (coupe d’Afrique des Nations, coupe du Monde) a également été prise en compte par le CSA qui a considéré que cette programmation permet à Beur FM de se démarquer par rapport à l’offre de la société NORSUCOM puisqu’elle est susceptible d’intéresser le public de la zone et de compléter utilement l’offre radiophonique existante. Par suite, la décision du 28 avril 2021, par laquelle le CSA a rejeté la candidature présentée par la société Nord Sud Communication Multimédias en vue d’exploiter, sur la zone de Montpellier, le service de radio de catégorie D dénommé France Maghreb 2 au profit de l’offre Beur FM n’est pas entachée d’une erreur d’appréciation.
8. D’autre part, en se bornant à produire le tableau précité qui comporte la répartition de la population de Montpellier par tranche d’âge allant de moins de 25 ans, puis de 15 à 24 ans, de 25 à 54 ans et de 55 ans ou plus, la société NORSUCOM n’établit pas que le CSA en retenant la candidature de Skyrock au détriment de la sienne aux motifs que sa » programmation musicale axée principalement sur le groove-rap, genre musical peu représenté dans la zone et dominant chez les jeunes et les jeunes-adultes, public visé (…) » était davantage susceptible d’intéresser » les 15-34 ans [qui] sont surreprésentés dans la zone (soit 33,2 % de la population totale de l’unité urbaine de Montpellier contre 23,7 % de la population totale en France métropolitaine » aurait entaché sa décision du 28 avril 2021 d’une erreur d’appréciation.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions par lesquelles la société Nord Sud Communication Multimédias demande l’annulation de la décision du 28 avril 2021 du CSA doivent être rejetées ainsi que, par suite, ses conclusions à fin d’injonction et celles présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Nord Sud Communication Multimédias est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Nord Sud Communication Multimédias, au conseil supérieur de l’audiovisuel et à la SAS AIME C2.
Copie de la présente décision sera adressée pour information à la ministre de la culture.
Délibéré après l’audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :
– M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,
– Mme Collet, première conseillère,
– Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition le 21 mars 2022.
La rapporteure,
A. COLLETLe président,
F. HO SI FAT
La greffière,
N. COUTY
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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N° 21PA04024