Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société BNP Paribas a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution partielle des cotisations d’impôt sur les sociétés qu’elle a acquittées au titre des exercices clos de 1999 à 2003.
Par une ordonnance n° 0803463 en date du 4 octobre 2013, le président de la 2ème chambre de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 13PA04417 en date du 8 juillet 2016, la Cour administrative d’appel de Paris, d’une part, a donné acte du désistement de la société BNP Paribas concernant ses conclusions relatives à l’exercice clos en 1999 et ses conclusions relatives aux exercices clos de 2000 à 2003 à concurrence d’un montant de 17 858 611 euros, d’autre part, a annulé l’ordonnance attaquée en tant qu’elle avait rejeté pour irrecevabilité le surplus des conclusions de la demande de première instance et, enfin, a rejeté ce surplus, ainsi que le surplus des conclusions d’appel de la société BNP Paribas.
Par une décision n° 403356 en date du 28 janvier 2019, le Conseil d’État statuant au contentieux, saisi d’un pourvoi présenté pour la société BNP Paribas, a annulé l’article 3 de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 8 juillet 2016, rejetant le surplus des conclusions à fin de restitution et, dans cette mesure, renvoyé l’affaire à la Cour.
Procédure initiale devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 6 décembre 2013 et des mémoires enregistrés les
1er avril 2015, 12 juin 2015 et 15 juin 2016, la société BNP Paribas, représentée par Me C… et Me B…, demande à la Cour :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 0803463 du 4 octobre 2013 par laquelle le président de la 2ème chambre de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la restitution de la somme de 204 937 915 euros, correspondant à une partie de l’impôt sur les sociétés qu’elle a acquitté au titre des années 1999 à 2003 ;
2°) de prononcer la restitution de cette somme ;
3°) de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S’agissant de la régularité de l’ordonnance attaquée :
– c’est à tort que le tribunal a rejeté sa demande comme tardive ; en effet, le motif d’irrecevabilité qui lui a été opposé n’était pas manifeste, au sens des dispositions du 4° de
l’article R. 222-1 du code de justice administrative ; il appartenait au premier juge, pour considérer avec certitude sa requête comme tardive, de recueillir au préalable ses observations ; il résulte d’ailleurs de la jurisprudence du Conseil d’État que seule l’omission de présenter une réclamation préalable constitue un motif d’irrecevabilité manifeste ;
– ses réclamations présentées les 22 décembre 2004, 22 décembre 2005 et
18 décembre 2006, en vue respectivement de la restitution d’une partie de l’impôt sur les sociétés acquitté au cours des années 2002, 2003 et 2004, à raison des dividendes perçus de 2001 à 2003, sont recevables au regard des dispositions du b) de l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ; en outre, sa réclamation présentée le 22 décembre 2004 en vue de la restitution d’une partie de l’impôt sur les sociétés acquitté à raison des dividendes qui lui ont été distribués en 2000 est recevable, au regard de la proposition de rectification du 27 novembre 2003, sur le fondement de l’article R. 196-3 dudit livre ; enfin, sa réclamation présentée le 17 décembre 2004 au titre de l’exercice clos en 1999 est recevable au regard des dispositions, dans leur version alors applicable, de l’article L. 190 et du c) de l’article
R. 196-1 de ce livre, dès lors que l’arrêt rendu le 7 septembre 2004 par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Petri Manninen (aff. C-319/02) a révélé l’incompatibilité du système français, alors en vigueur, de l’avoir fiscal et du précompte, avec la libre circulation des capitaux garantie par le Traité ;
S’agissant du bien-fondé de la demande en restitution :
– elle déclare se désister de ses conclusions relatives à l’année 1999, ainsi que de ses conclusions relatives aux années 2000 à 2003 à hauteur de 17 858 611 euros correspondant aux avoirs fiscaux attachés à certains dividendes distribués par des sociétés italiennes ;
– il ne s’agit pas en l’espèce d’une demande en restitution d’un précompte mobilier, puisque les dividendes qui lui ont été reversés au titre des exercices en cause l’ont été par des filiales dans lesquelles elle ne détient que des participations très minoritaires ; ainsi, sa demande était présentée en vue d’une restitution d’une partie de l’impôt sur les sociétés acquitté au titre de ces exercices, à raison de l’avoir fiscal auquel ouvrent droit ces mêmes dividendes ; dès lors, les solutions des arrêts Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Sociétés Accor et Rhodia rendus par le Conseil d’État le 10 décembre 2012 ne sont pas pleinement applicables ;
– les exigences probatoires du Conseil d’État sont disproportionnées au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ; il résulte de la jurisprudence de la Cour que tout document permettant de justifier, de façon claire et précise, de l’éligibilité des distributions en cause à l’avoir fiscal, présente une valeur probante suffisante ; à cet égard, les éléments d’information qu’elle a pu recueillir sur la base de données Bloomberg suffisent à attester du caractère régulier des distributions dont elle a bénéficié ; en outre, du fait de son statut d’actionnaire minoritaire, il ne peut être exigé d’elle la justification du montant de l’impôt acquitté par la filiale lui ayant distribué des dividendes ; il s’agit en effet d’une information confidentielle que seul un actionnaire majoritaire peut obtenir ; enfin, rien ne s’oppose à ce que l’avoir fiscal bénéficie aux dividendes distribués au cours des cinq années précédant l’exercice considéré ; il ne saurait ainsi être exigé des sociétés ayant présenté une réclamation, au regard des principes d’effectivité et d’équivalence du droit de l’Union européenne, la production de justificatifs au-delà du délai légal de conservation ;
– elle a mené d’importants travaux de recherche pour justifier de la réalité et de la régularité des distributions ainsi que du taux et du montant d’impôt acquitté par ses filiales dans d’autres États membres de l’Union européenne ; il est précisé que les distributions ayant bénéficié à sa filiale BNP Paribas Arbitrage – qui représentent en définitive plus de 98,5 % du montant de l’avoir fiscal dont elle sollicite l’octroi – proviennent de sociétés cotées soumises à une réglementation stricte, si bien que le caractère régulier de celles-ci doit être présumé et que les données issues de la base Bloomberg revêtent une valeur probante suffisante ; pour les autres filiales, les justificatifs peuvent provenir d’autres sources ; elle présente par ailleurs un descriptif des activités des sociétés distributrices afin de justifier de leur assujettissement à l’impôt sur les sociétés dans l’État membre considéré ;
– la banque étant une banque de stature internationale, les titres sont placés chez des dépositaires qui peuvent à leur tour s’adresser à d’autres dépositaires ; qu’ainsi, les demandes de l’administration équivalent à exiger une preuve impossible ;
– le cabinet Ernst et Young a adressé à chaque société distributrice une demande concernant le niveau d’imposition des distributions ; l’absence de réponse démontre que la preuve exigée par l’administration est impossible à apporter ; l’imposition acquittée apparaît distinctement au niveau de la société consolidante qui correspond la plupart du temps, s’agissant de sociétés cotées, à l’entité distributrice ; en tout état de cause, le tableau annexé au rapport d’expertise mentionne pour un certain nombre de distributions un » impôt sur les sociétés statutaire » ;
– certaines solutions issues des décisions rendues le 10 décembre 2012 par le Conseil d’État apparaissent en contrariété avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ; il résulte de la jurisprudence européenne que l’impôt acquitté par les sous-filiales doit être pris en compte ; cette jurisprudence fait en outre obstacle à l’instauration d’un mécanisme fiscal d’imputation déterminé par l’impôt acquitté à l’étranger ; par ailleurs, la Cour n’a pas pris position sur l’opposabilité de la déclaration de précompte posée par la haute juridiction administrative ; il conviendrait, sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une demande de décision préjudicielle sur ces trois questions, qui posent une difficulté sérieuse et sont déterminantes pour la solution du litige ;
– son droit à percevoir un crédit d’impôt italien au titre des actions italiennes détenues par sa filiale, BNP Arbitrage, dans le cadre de son activité de trading, a été reconnu par une juridiction italienne dans une décision du 19 juillet 2013 ; en revanche, dès lors que le droit à un tel crédit est exclu par le droit italien s’agissant de l’activité de prêt-emprunt, les dividendes qui lui ont été reversés dans ce cadre n’ont pas à faire l’objet d’une limitation ; la transaction en date du 26 septembre 2014 conclue entre la filiale BNP Arbitrage et l’administration fiscale italienne confirme que la filiale n’était pas en droit de réclamer au Trésor italien les crédits d’impôt attachés aux dividendes perçus dans le cadre d’opérations de prêt-emprunt ; il en résulte que seuls 41,14 % des distributions étaient éligibles au crédit d’impôt italien ;
– en ce qui concerne le montant du crédit d’impôt, il n’y a pas de raison de limiter l’avoir fiscal en fonction du taux d’impôt effectivement supporté dans l’État membre considéré ; en effet, au vu des informations publiées par le Conseil des prélèvements obligatoires, les sociétés cotées ont en France un taux effectif d’imposition de 13 % qui ne correspond ainsi pas au taux nominal, si bien que l’avoir fiscal auquel donnait droit la distribution de dividendes par des filiales établies en France ne dépendait pas de l’impôt effectivement acquitté sur le territoire ; en tout état de cause, la méthode de calcul du service est spécifique au système du précompte alors qu’il s’agit simplement en l’espèce d’une demande tendant à la restitution d’une partie de l’impôt sur les sociétés qu’elle a acquittée au titre des exercices litigieux ; de surcroît, ce mécanisme de calcul est contraire au droit de l’Union européenne ;
– la Commission européenne a engagé une procédure d’infraction contre la France à l’encontre des décisions du Conseil d’État sur lesquelles l’administration se fonde pour rejeter les demandes de restitution.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 mai 2014 et 27 mai 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la société requérante ne sont pas fondés.
Procédure après renvoi :
Par des mémoires en défense enregistrés les 18 mars, 7 juin et 20 juin 2019, le ministre de l’action et des comptes publics conclut, à titre principal, au rejet du surplus des conclusions de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que le montant de la restitution accordée à la société BNP Paribas soit limité à la somme de 102 652 692 euros.
Il soutient que les moyens invoqués par la société BNP Paribas ne sont pas fondés, et notamment que :
– le caractère de dividende de certaines sommes n’est pas justifié ;
– la société BNP Paribas ne justifie pas, pour chaque dividende, le paiement d’un impôt par les sociétés distributrices et le montant de celui-ci ; en particulier, elle n’a pas communiqué la liste des sociétés distributrices ayant la qualité de consolidantes et le détail de l’impôt consolidé allégué, notamment la part de l’impôt local et des impôts différés ;
– le rapport d’expertise produit par la société est partiel et insuffisant pour établir le taux d’imposition et le montant acquitté par la société distributrice.
Par des mémoires enregistrés les 4 avril et 12 juin 2019, la société BNP Paribas, représentée par Me C…, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de lui accorder la restitution de la somme de 155 352 264 euros correspondant à une partie de l’impôt sur les sociétés qu’elle a acquitté au titre des exercices clos de 2000 à 2003 ;
2°) de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
– ses écritures doivent être comprises comme s’inscrivant dans le cadre juridique fixé par le Conseil d’État dans sa décision du 28 janvier 2019 ;
– elle apporte des éléments précis et convergents justifiant sa demande de restitution ;
– l’administration n’apporte aucun élément en sens contraire et notamment aucun élément nouveau ;
– le juge de renvoi est dès lors tenu par l’appréciation portée par le Conseil d’État, qui a jugé que » l’administration n’apportait pas d’élément en sens contraire » et qui a censuré l’arrêt de la Cour pour dénaturation des pièces du dossier.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le traité instituant la Communauté européenne ;
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le traité sur l’Union européenne, notamment son article 4 ;
– la convention signée le 5 octobre 1989 entre la France et l’Italie en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales ;
– le code général des impôts ;
– les arrêts n° C-310/09 du 15 septembre 2011 et n° C-416/17 du 4 octobre 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. A…,
– les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,
– et les observations de Me D…, pour la société BNP Paribas et M. E…, représentant le ministre de l’action et des comptes publics.
Une note en délibéré, enregistrée le 18 octobre 2019, a été présentée par Me C… pour la société BNP Paribas.
Considérant ce qui suit :
1. La SA BNP Paribas, société mère d’un groupe fiscalement intégré au sens de l’article 223 A du code général des impôts, a demandé la restitution partielle des cotisations d’impôt sur les sociétés acquittées à raison du résultat d’ensemble du groupe au titre des exercices clos de 1999 à 2003, correspondant à l’avoir fiscal auquel elle estimait avoir droit en application des dispositions alors en vigueur de l’article 158 bis du code général des impôts, à raison de dividendes qui avaient été versés à certaines de ses filiales membres du groupe et à elle-même par des sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres de l’Union européenne. En l’absence de réponse de l’administration fiscale, la société a porté le litige devant le Tribunal administratif de Paris. Par une ordonnance du 4 octobre 2013, le président de la 2ème chambre de la 1ère section de ce tribunal a rejeté sa demande pour irrecevabilité. Saisie par la SA BNP Paribas, la Cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 8 juillet 2016, d’une part, lui a donné acte de son désistement, total s’agissant de l’exercice clos en 1999 et partiel s’agissant de l’exercice clos en 2000, d’autre part, a annulé pour irrégularité l’ordonnance attaquée en tant qu’elle rejetait le surplus des conclusions de la demande relative aux impositions demeurant en litige au titre des exercices clos de 2000 à 2003, et, enfin, après avoir évoqué le litige, a rejeté ce surplus, ainsi que le surplus des conclusions d’appel. Par une décision du 28 janvier 2019, le Conseil d’État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu’il avait rejeté le surplus des conclusions à fin de restitution et, dans cette mesure, renvoyé l’affaire à la Cour.
Sur les conclusions à fin de restitution :
En ce qui concerne la compatibilité du dispositif de l’avoir fiscal avec le droit de l’Union :
2. Aux termes de l’article 43 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : » (…) les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction d’étend également à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un Etat membre établis sur le territoire d’un Etat membre (…) « .
3. Il résulte de l’arrêt du 15 septembre 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne (C-310/09) que ces dispositions s’opposent à la législation d’un État membre, telle que la législation française, ayant pour objet d’éliminer la double imposition économique des dividendes et qui permet à une société d’imputer sur l’impôt sur les sociétés dont elle est redevable l’avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes s’ils proviennent d’une filiale établie dans cet État membre, mais n’offre pas cette faculté si ces dividendes proviennent d’une filiale établie dans un autre État membre, dès lors que cette législation n’ouvre pas droit, dans cette dernière hypothèse, à l’octroi d’un avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes par cette filiale.
4. Par suite, une société française ayant perçu des dividendes versés par des sociétés distributrices établies dans un autre État membre de l’Union européenne dans les conditions alors fixées par l’article 158 bis du code général des impôts est, sur le principe, fondée à obtenir un crédit d’impôt calculé de telle sorte que les dispositions alors en vigueur de l’article 158 bis soient neutres au regard de la liberté d’établissement.
5. Par l’arrêt C-310/09 du 15 septembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les principes d’équivalence et d’effectivité ne font pas obstacle à ce que la restitution à une société mère des sommes de nature à garantir l’application d’un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de celle-ci établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans d’autres États membres, donnant lieu à redistribution par cette société mère, soit subordonnée à la condition que le redevable apporte les éléments qu’il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d’imposition effectivement appliqué et au montant de l’impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par les filiales installées dans les autres États membres, alors même que, à l’égard des filiales installées en France, ces mêmes éléments, connus de l’administration, ne sont pas exigés. Dès lors, il n’est pas suffisant d’apporter la preuve que la société distributrice a été imposée, dans son État membre d’établissement, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués, sans fournir les informations relatives à la nature et au taux de l’impôt ayant effectivement frappé ces bénéfices.
6. La Cour de justice a précisé que la production de ces éléments ne peut cependant être requise que sous réserve qu’il ne se révèle pas pratiquement impossible ou excessivement difficile d’apporter la preuve du paiement de l’impôt par les filiales établies dans les autres États membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation de ces États se rapportant à la prévention de la double imposition et à l’enregistrement de l’impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu’à la conservation des documents administratifs. Tout en indiquant qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier si ces conditions sont satisfaites, la Cour a précisé que les justificatifs requis ne devraient pas revêtir une forme particulière, l’appréciation ne devant pas être effectuée de manière trop formaliste. Elle a également souligné que l’administration fiscale n’a pas à répondre des difficultés rencontrées par la société mère pour fournir les informations requises relatives à l’impôt acquitté par sa filiale distributrice de dividendes, difficultés liées non pas à la complexité intrinsèque de celles-ci, mais au défaut de coopération éventuel de la part de la filiale concernée, et qu’en outre, la seule existence de mécanismes d’assistance mutuelle ne dispense pas la société mère bénéficiaire de dividendes d’apporter la preuve de l’impôt acquitté par la société distributrice dans un autre État membre.
7. Les principes dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’un contentieux concernant le précompte mobilier relatif à des distributions de dividendes relevant du régime mères et filiales sont également applicables dans le cas où les distributions de dividendes proviennent de sociétés, établies dans un autre État membre de l’Union européenne, dans lesquelles la société qui sollicite une restitution ne détient que des participations minoritaires et où le crédit d’impôt dont elle réclame le bénéfice a vocation à s’imputer non sur le précompte mobilier mais sur l’impôt sur les sociétés. Dans l’un et l’autre cas, la société qui perçoit les dividendes a droit à un crédit d’impôt permettant d’assurer un même traitement fiscal des dividendes provenant de sociétés établies en France et de ceux provenant de sociétés établies dans un autre État membre de l’Union européenne.
8. Le caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve du paiement de l’impôt par les sociétés distributrices établies dans les autres États membres s’apprécie pour chaque dividende en litige et, le cas échéant, en fonction de circonstances exceptionnelles invoquées par le redevable, de nature à justifier l’impossibilité matérielle de produire les éléments requis. Lorsque le redevable produit des éléments ou se prévaut de l’impossibilité matérielle de les produire, il appartient à l’administration d’apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l’impôt de se déterminer au vu de l’instruction et d’apprécier, compte tenu de l’argumentation des parties, si, pour le dividende en litige, le redevable justifie de sa demande en restitution.
En ce qui concerne les conditions d’attribution d’un crédit d’impôt :
9. La société requérante ne peut bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des dividendes provenant d’un autre État membre de l’Union européenne qu’autant que ces distributions remplissent les conditions posées par le droit interne à l’attribution d’un avoir fiscal.
10. Il résulte des dispositions des articles 158 bis et 158 ter du code général des impôts, alors en vigueur et relatives à l’avoir fiscal, que celui-ci était exclusivement attaché aux produits distribués par une société à ses associés à titre de dividendes, en vertu d’une décision régulière des organes compétents de cette société.
11. En premier lieu, s’agissant des sommes perçues par les filiales de la société BNP Paribas autres de la société BNP Paribas Arbitrage, à savoir les sociétés SCI, SFA, SGCF, BNP Paribas Equities France, BNP Paribas SA, BNP Paribas Securities Services, Cortal Consors, Cardif RD, Natio VIE et Cardif SA, la société BNP Paribas fournit des données provenant de la base d’informations financières Bloomberg, accompagnées de tableaux de synthèse mentionnant le montant brut des dividendes versés à ses filiales intégrées par des sociétés établies dans d’autres États membres, ainsi que leur date de paiement. L’administration, qui se borne à soutenir que la société ne justifie pas d’une décision régulière des organes compétents de chacune des filiales, ne conteste pas utilement les premiers éléments avancés par la société concernant le caractère de dividendes des sommes reçues. Dans ces conditions, les justificatifs présentés doivent être regardés comme suffisants pour établir que ces sommes correspondent à des produits distribués à titre de dividendes en vertu de décisions régulières des organes compétents des sociétés distributrices.
12. En second lieu, s’agissant des sommes perçues par la société BNP Paribas Arbitrage, il résulte de l’instruction, et en particulier du rapport d’expertise établi par le cabinet Ernst et Young à partir des données financières disponibles, telles que des rapports annuels de sociétés distributrices, que les sommes autres que celles mentionnées aux deux points suivants correspondent selon toute vraisemblance à des distributions ordinaires de dividendes. Le ministre, qui fait valoir en particulier qu’un procès-verbal d’assemblée générale d’actionnaires n’est produit que pour une dizaine de dividendes, n’apporte aucun élément sérieux de nature à établir qu’en réalité, contrairement aux informations recueillies par le cabinet Ernst et Young et mentionnées dans son rapport d’expertise, ces sommes ne correspondraient pas à des dividendes alloués en vertu d’une décision régulière des organes compétents des sociétés distributrices.
13. En particulier, pour les sommes de 2 998 716 euros et 2 418 929 euros versées en 2001 par les sociétés britanniques Britannic Group PLC et Tomkins, et les sommes de 4 485 479 euros, 1 331 405 euros et 1 057 519 euros versées en 2003 respectivement par les sociétés britanniques BAA et EMAP et par la société finlandaise Instrumentarium, il résulte de l’instruction qu’en dépit des recherches qu’elle a réalisées et fait réaliser par le cabinet Ernst et Young, la société BNP Paribas s’est trouvée dans l’impossibilité matérielle de collecter des éléments permettant de confirmer la nature de ces sommes en l’absence d’informations disponibles, compte tenu du délai légal de conservation des documents sociaux dans ces pays, et en l’absence également de réponse des sociétés distributrices aux demandes d’information qui leur avaient été adressées à cet effet. Dans ces conditions, et alors que l’administration ne conteste pas sérieusement ses allégations, la société BNP Paribas doit être regardée comme établissant que ces sommes correspondent à des produits distribués à titre de dividendes, en vertu de décisions régulières des organes compétents de ces sociétés.
14. En revanche, la société BNP Paribas n’apporte aucun élément de nature à établir que constituent également des produits distribués, à titre de dividendes, en vertu de décisions régulières des organes compétents des sociétés, la distribution exceptionnelle d’un montant de 6 973 128 euros versée en 2000 par la société britannique Allied Zurich, le remboursement en capital d’un montant de 817 795 euros versé en 2000 par la société néerlandaise Köninklijke Philips Electronics NV et les distributions de réserves effectuées en 2002 par les sociétés italiennes Telecom Italia et Telecom Risp, pour des montants respectifs de 7 252 194 euros et 2 714 000 euros. Elle ne peut, dès lors, pas prétendre à la restitution des cotisations d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2000 et en 2002 à raison de ces sommes.
En ce qui concerne le calcul du crédit d’impôt :
15. Le crédit d’impôt auquel peut prétendre la société BNP Paribas ne saurait être supérieur au montant de l’impôt effectivement acquitté dans l’État d’établissement de la société distributrice des dividendes. En effet, une restitution indépendante de l’impôt effectivement versé pourrait conduire non à la suppression d’une double imposition mais, le cas échéant, à une absence de toute imposition. Ainsi, une société mère ne peut légitimement prétendre au bénéfice d’un crédit d’impôt supérieur au montant de l’impôt effectif versé par sa filiale établie dans un autre État membre sur les résultats qui ont fait l’objet d’une distribution.
16. Lorsque les bénéfices sous-jacents aux dividendes versés par cette filiale ont été effectivement soumis à un impôt établi au vu d’un taux inférieur au taux normal de l’impôt français, soit 33,33 %, le montant de la restitution d’impôt sur les sociétés à laquelle la société bénéficiaire de ces dividendes peut prétendre doit être déterminé de manière à rétablir une situation équivalente au regard de la double imposition économique des dividendes selon que ceux-ci ont pour origine une filiale établie en France ou une filiale établie dans un autre État membre de l’Union européenne. Il résulte de l’arrêt précité du 15 septembre 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne que le droit de l’Union n’impose pas à la France de favoriser les contribuables ayant investi dans des sociétés établies dans un autre État de l’Union européenne par rapport à ceux ayant investi dans des sociétés établies en France. Lorsqu’une société établie en France distribue des dividendes prélevés sur des bénéfices qui n’ont pas été soumis au taux normal de l’impôt sur les sociétés, elle doit acquitter un précompte. Le montant du précompte versé à raison de la distribution de ses résultats par une telle société ayant bénéficié d’un taux réduit d’imposition correspond à l’écart entre l’impôt effectivement acquitté sur ces résultats et celui dont aurait résulté l’application du taux normal.
17. Par suite, si la société bénéficiaire d’une telle distribution est, sur le principe, fondée à se prévaloir d’un droit à la restitution à hauteur de l’octroi d’un crédit d’impôt de nature à garantir l’application d’un même régime fiscal aux dividendes distribués par ses filiales selon qu’elles sont établies en France ou dans d’autres États membres, une restitution d’impôt sur les sociétés qui ne tiendrait pas compte de cet écart conduirait à favoriser les dividendes de source étrangère par rapport aux dividendes de source française au regard de la double imposition économique des dividendes. Dès lors, le crédit d’impôt devant être pris en compte pour le calcul de cette restitution ne saurait inclure le montant correspondant à l’écart entre l’impôt effectivement acquitté par la société distributrice sur ses résultats et celui dont aurait résulté l’application du taux normal de l’impôt sur les sociétés.
18. En premier lieu, s’agissant des sommes perçues par les filiales de la société BNP Paribas autres de la société BNP Paribas Arbitrage, à savoir les sociétés SCI, SFA, SGCF, BNP Paribas Equities France, BNP Paribas SA, BNP Paribas Securities Services, Cortal Consors, Cardif RD, Natio VIE et Cardif SA, la société BNP Paribas n’apporte aucun élément sur le taux d’imposition appliqué et le montant de l’impôt acquitté à raison des bénéfices réalisés par les filiales installées dans les autres États membres. Alors que le rapport d’expertise réalisé par le cabinet Ernst et Young ne concerne pas ces dividendes, la société requérante, qui ne fait pas état de diligences spécifiques qui auraient été accomplies pour obtenir ces informations, ne justifie pas d’une impossibilité matérielle de produire ces justificatifs. Dans ces conditions, elle ne peut être regardée comme justifiant, dans cette mesure, du bien-fondé de sa demande de restitution.
19. En second lieu, s’agissant des dividendes perçus par la société BNP Paribas Arbitrage, la société BNP Paribas a fourni, en très grand nombre, des données provenant de la base d’informations financières Bloomberg, accompagnées de tableaux de synthèse, et des extraits des rapports annuels de sociétés distributrices. Elle a également produit, ainsi qu’il a été dit, un rapport d’expertise établi le 31 mars 2015 par le cabinet Ernst et Young, qui analyse les informations disponibles relatives aux impositions auxquelles les sociétés distributrices ont été assujetties, et qui fait état des réponses de ces sociétés aux demandes d’information qui leur avaient été adressées. Ce rapport d’expertise précise que, pour chacun des pays sources des dividendes reçus, les informations fiscales demandées, telles que la liasse fiscale des entités distributrices, et le montant des cotisati