Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) AM Développement a demandé au Tribunal administratif de Paris la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et en 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1822207 du 30 septembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2020, la société AM Développement, représentée par Me Guilmoto et par Me Guerder, demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1822207 du 30 septembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– c’est à tort que l’administration a considéré que la SNC 15 Berlioz avait commis un acte anomal de gestion en prenant en charge les dépenses d’entretien et de réparation de l’immeuble qu’elle possède ;
– l’administration a interprété de manière erronée la loi du 6 juillet 1989 en ne prenant pas en compte les circonstances particulières qui ont présidé à la conclusion du bail d’habitation signé le 31 mars 2005 dès lors que le montant des charges locatives facturables a été plafonné à 20 % du loyer en raison des malfaçons relevées lors de la rénovation du bien ;
– l’expertise produite permet d’établir que le taux de plafonnement des charges à hauteur de 20 % est conforme aux pratiques en vigueur sur le marché locatif ;
– le plafonnement à 20 % des charges refacturées avait pour but d’assurer une relation contractuelle équilibrée et d’éviter la vacance du bien ;
– les majorations pour manquement délibéré ne sont pas justifiées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2021, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;
– le décret n° 87-712 du 26 août 1987 ;
– et le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Aggiouri ;
– et les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société en nom collectif (SNC) 15 Berlioz, qui assure la gestion et l’exploitation locatives d’un l’immeuble situé 15 rue Berlioz à Paris (seizième arrondissement), a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, à l’issue de laquelle l’administration fiscale a rehaussé son résultat imposable au titre des exercices clos en 2013 et en 2014, à raison, notamment, de la réintégration de charges supportées dans le cadre de l’exploitation de cet immeuble, non refacturées aux locataires. Parallèlement, et en conséquence du rehaussement du résultat imposable de la SNC 15 Berlioz, l’administration fiscale a, en application des articles 8 et 218 bis du code général des impôts, mis à la charge de la société AM Développement, qui détient 99 % du capital de la SNC 15 Berlioz – et qui est elle-même détenue, à 100 %, par M. et Mme A…, locataires de l’immeuble en cause – des cotisations supplémentaires d’impôts sur les sociétés à concurrence de la quote-part qu’elle détient dans le capital de cette société. Par une décision du 10 avril 2017, prise à la suite du recours hiérarchique de la SNC 15 Berlioz, l’administration fiscale a réduit le montant des charges réintégrées à son bénéfice imposable. Par une décision du même jour, elle a réduit, en conséquence, les rehaussements assignés à la société AM Développement. La société AM Développement relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires restant à sa charge.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. D’une part, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l’entreprise, à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Les abandons de créances accordés par une entreprise au profit d’un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d’une gestion commerciale normale, sauf s’il apparaît qu’en consentant de tels avantages, l’entreprise a agi dans son propre intérêt. S’il appartient à l’administration d’apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu’un abandon de créances ou d’intérêts consenti par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n’est pas en mesure de justifier qu’elle a bénéficié en retour de contreparties.
3. D’autre part, aux termes de l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, dans sa version alors en vigueur : » Le locataire est obligé : / a) De payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus ; le paiement mensuel est de droit lorsque le locataire en fait la demande / […] / d) De prendre à sa charge l’entretien courant du logement, des équipements mentionnés au contrat et les menues réparations ainsi que l’ensemble des réparations locatives définies par décret en Conseil d’Etat, sauf si elles sont occasionnées par vétusté, malfaçon, vice de construction, cas fortuit ou force majeure […] « . Aux termes de l’article 1er du décret du 26 août 1987 pris en application de l’article 7 de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière et relatif aux réparations locatives : » Sont des réparations locatives les travaux d’entretien courant, et de menues réparations, y compris les remplacements d’éléments assimilables auxdites réparations, consécutifs à l’usage normal des locaux et équipements à usage privatif. / Ont notamment le caractère de réparations locatives les réparations énumérées en annexe au présent décret « .
4. L’administration fiscale a relevé que les montants de charges de 67 942 euros et de 64 706 euros supportés par la SNC 15 Berlioz à raison de l’exploitation de l’immeuble situé 15 rue Berlioz au cours, respectivement, des exercices clos en 2013 et 2014, auraient dû être refacturés à ses locataires, alors que ces derniers avaient pris en charge des montants s’élevant seulement à 17 415 euros en 2013 et à 17 626 euros en 2014. Par voie de conséquence, le service a réintégré au bénéfice de la SNC 15 Berlioz les sommes résultant de la différence entre les charges qu’elle a regardées comme incombant aux locataires et celles effectivement refacturées par la SNC 15 Berlioz à ces derniers, soit, en 2013, 50 527 euros et, en 2014, 47 080 euros. Pour justifier cette réintégration, l’administration fiscale fait valoir, sur la base d’un tableau récapitulatif annexé à son mémoire en défense, que ces sommes correspondent, outre des dépenses d’électricité, de combustible et de téléphonie, à des frais d’entretien courant et à des menues réparations liées à l’usage normal des locaux, qui, en application de l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 et du décret du 26 août 1987, incombaient aux locataires, de sorte que, en ne leur refacturant pas les charges auxquelles elle avait été ainsi exposée, la SNC 15 Berlioz a renoncé à la perception de recettes dans le cadre d’une gestion commerciale anormale.
5. La société AM Développement soutient que la différence entre les charges regardées par le service comme incombant aux locataires et celles effectivement refacturées par la SNC 15 Berlioz à ces derniers s’explique par le plafonnement du montant des charges locatives prévu par l’article 5.3 du contrat de bail conclu le 31 mars 2005 avec M. et Mme A…, qui stipule que les charges refacturées ne doivent pas excéder 20 % du montant total des loyers versés, le surplus étant supporté par le bailleur, et que ce plafonnement serait lui-même justifié par la circonstance que la SNC 15 Berlioz a dû entreprendre, pour remédier à des malfaçons issues de travaux effectués en 2002 et en 2003, de nouveaux travaux, lesquels ne pouvaient, selon elle, être refacturés aux locataires, en application du d) de l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989. Toutefois, elle ne conteste pas, ce faisant, la circonstance que les charges restant en litige correspondent – ainsi qu’en atteste le tableau annexé par l’administration fiscale à son mémoire en défense, qui n’est pas remis en cause par la société requérante – à des dépenses d’électricité, de combustible et de téléphonie, ainsi qu’à des frais d’entretien courant et à des menues réparations liées à l’usage normal des locaux, qui, en application de l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989, incombaient au locataire. Si la société requérante produit une expertise établie, à la demande de M. A…, le 5 septembre 2016, qui indique, en s’appuyant sur une étude réalisée en 2011 par l’observatoire des loyers de la région parisienne et un rapport rédigé en 2018 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), que le taux de plafonnement de 20 % n’est pas » dénué de fondement « , cette expertise, si elle repose, de même que les études auxquelles elle fait référence, sur des échantillons comprenant divers types de copropriétés, ne se prononce nullement sur les caractéristiques propres du bien en cause, composé notamment d’un hôtel particulier d’une surface habitable de 336 mètres carrés, d’une piscine, d’un jacuzzi et d’un sauna. De plus, si la société AM Développement produit une expertise réalisée le 25 septembre 2014, à l’attention de l’assureur du bien en cause, à la suite d’infiltrations, afin d’évaluer le coût des travaux nécessaires, il ne résulte pas de l’instruction que les travaux qui y sont envisagés auraient été réalisés au cours des exercices en litige, ni que les montants finalement facturés à raison de ces travaux auraient été comptabilisés dans les charges en litige. Si la société AM Développement soutient également que la survenue de ce sinistre atteste de ce que le bien en cause aurait été confronté à de multiples dépenses de travaux qui seraient liées aux malfaçons l’affectant, elle n’apporte aucun élément permettant de justifier que, au titre des exercices clos en 2012 et en 2013, les sommes de 50 527 euros et de 47 080 euros ont été versées à raison de la réalisation de travaux nécessités par de telles malfaçons. Dans ces conditions, l’administration fiscale était fondée à considérer que la SNC 15 Berlioz s’est abstenue, à tort, de refacturer aux locataires, en 2013 et en 2014, les sommes s’élevant respectivement à 50 527 euros et à 47 080 euros constitutives de charges locatives.
6. Pour justifier des contreparties dont aurait bénéficié la SNC 15 Berlioz à cet abandon de créances, la société AM Développement se borne à soutenir que le dispositif de plafonnement des charges refacturées, prévu par le contrat de bail conclu le 31 mars 2005, avait pour but, en instaurant une » relation contractuelle équilibrée « , d’éviter la vacance du bien en litige. Toutefois, elle n’apporte aucun élément de preuve au soutien de ses allégations, alors que, ainsi qu’il a été dit précédemment, ce bien a été loué, au cours des exercices en cause, à M. et Mme A…, détenteurs de 100 % du capital de la société AM Développement, elle-même détentrice de 99 % du capital de la SNC 15 Berlioz. Ainsi, la société AM Développement ne démontre pas que la SNC 15 Berlioz aurait bénéficié de contreparties à l’abandon de créances qu’elle a consenti. Par conséquent, l’administration fiscale apporte la preuve qui lui incombe que cet abandon de créance constituait un acte anormal de gestion.
7. Par suite, c’est à bon droit que le service a réintégré les sommes en litige au bénéfice de la SNC 15 Berlioz et a mis à la charge de la société AM Développement, à raison de ces sommes, des cotisations supplémentaires d’impôts sur les sociétés à concurrence de la quote-part qu’elle détient dans le capital de cette société.
Sur les majorations :
8. Aux termes de l’article 1729 du code général des impôts : » Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’Etat entraînent l’application d’une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré […] « .
9. En se fondant sur les circonstances que la société AM Développement, actionnaire principale et société gestionnaire de la SNC 15 Berlioz, ne pouvait ignorer qu’en déduisant sans contrepartie des dépenses locatives incombant normalement à M. A…, lui-même président de la société AM Développement, la SNC 15 Berlioz accordait à ce dernier un avantage conséquent eu égard aux montants en cause, l’administration fiscale établit le caractère délibéré des manquements commis par la société. Par suite, c’est à bon droit que l’administration a fait application des majorations prévues par les dispositions du a. de l’article 1729 du code général des impôts lorsque le manquement délibéré du contribuable est établi, et a assorti les rehaussements en cause de la majoration de 40 % prévue par ces dispositions.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société AM Développement n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, ainsi que des majorations et des intérêts de retard dont elles ont été assorties. Par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société AM Développement est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société AM Développement et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction nationale des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l’audience du 2 décembre 2021, où siégeaient :
– Mme Vinot, présidente de chambre,
– Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
– M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 décembre 2021.
Le rapporteur,
K. AGGIOURILa présidente,
H. VINOT
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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N° 20PA03560