CAA de PARIS, 2ème chambre, 20/06/2018, 17PA03180, Inédit au recueil Lebon

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CAA de PARIS, 2ème chambre, 20/06/2018, 17PA03180, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Covent 4 a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) d’annuler la décision du 16 avril 2015 par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a rejeté sa demande tendant au bénéfice de l’agrément prévu au 3° de l’article 210 B du code général des impôts ;

2°) d’enjoindre au ministre des finances et des comptes publics de lui délivrer ledit agrément dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1509316/1-2 du 3 août 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 octobre 2017 et 6 février 2018, la société Covent 4, représentée par MeB…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 3 août 2017 ;

2°) d’annuler la décision du 16 avril 2015 ;

3°) d’enjoindre au Ministre de réexaminer, dans un délai de deux mois à compter de la décision, sous astreinte de 100 (cent) euros par jour de retard, l’agrément prévu aux articles

210 C 2 et 210 B 3 du CGI au bénéfice de la société Covent 4, ou, le cas échéant, de lui accorder le bénéfice du régime de faveur des fusions et opérations assimilées prévu aux articles 210 A et 210 B du CGI ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

– les premiers juges se sont mépris sur la nature des moyens qui leur étaient soumis ;

– le régime d’agrément auquel elle a été soumise méconnait les stipulations des articles 49 et 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne ( » TFUE « ) et les dispositions de la directive 2005/19/CE du 17 février 2009 régissant les fusions ;

– l’exception de recours parallèle ne peut être opposée au recours contre un refus d’agrément ;

– l’opération d’apport pouvait être qualifiée de branche complète d’activité et, en tout état de cause, l’absence de branche complète d’activité n’avait aucune conséquence sur l’octroi de l’agrément préalable ;

– l’opération d’apport était justifiée par un motif économique.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 décembre 2017 et 2 mars 2018, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

– les moyens soulevés par la société Covent 4 ne sont pas fondés.

Vu :

– les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– la directive 90/434/CEE du 23 juillet 1990 ;

– la directive 2005/19/CE du 17 février 2005 ;

– la directive 2009/133/CE du 19 octobre 2009 ;

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Magnard,

– les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,

– et les observations de MeA…, substituant MeB…, pour la société Covent 4.

1. Considérant que, conformément aux termes d’une lettre d’intention signée le 17 janvier 2012 et en exécution d’un contrat d’apport et de cession d’actions signé par les parties à la date du 28 février 2012, les associés de la SAS Beezik, dont la requérante, ont, le

28 mars 2012, cédé à la société Ebuzzing, société holding établie au Luxembourg, 42,29 % de leurs titres puis, le lendemain, soit le 29 mars 2012, lui ont fait apport en nature de 46,83 % de ces mêmes titres, tout en s’engageant à lui céder le solde de leurs participations, soit 10,88 % des titres, avant le 31 mai de l’année suivante ; que dans une lettre adressée à l’administration le 20 mars 2012, la SAS Covent 4 a demandé que lui soit, sur le fondement des dispositions du 2 de l’article 210 C et du 3 de l’article 210 B du code général des impôts, octroyé un agrément lui permettant de bénéficier, à raison de l’apport en cause, du régime de faveur institué par les dispositions de l’article 210 A du même code ; que la SAS Covent 4 relève appel du jugement

n° 1509316/1-2 du 3 août 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 16 avril 2015 par laquelle le ministre chargé du budget a rejeté cette demande d’agrément ;

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

2. Considérant d’une part qu’aux termes de l’article 210 A du code général des impôts :  » 1. Les plus-values nettes et les profits dégagés sur l’ensemble des éléments d’actif apportés du fait d’une fusion ne sont pas soumis à l’impôt sur les sociétés  » ; qu’aux termes de l’article 210 B du même code :  » 1. Les dispositions de l’article 210 A s’appliquent à l’apport partiel d’actif d’une branche complète d’ activité ou d’éléments assimilés(…)./(…)/ Les apports de participations portant sur plus de 50 p. 100 du capital de la société dont les titres sont apportés sont assimilés à une branche complète d’activité (…). Il en est de même, d’une part, des apports de participations conférant à la société bénéficiaire des apports la détention directe de plus de

30 % des droits de vote de la société dont les titres sont apportés lorsqu’aucun autre associé ne détient, directement ou indirectement, une fraction des droits de vote supérieure et, d’autre part, des apports de participations conférant à la société bénéficiaire des apports, qui détient d’ores et déjà plus de 30 % des droits de vote de la société dont les titres sont apportés, la fraction des droits de vote la plus élevée dans la société./(…)/3. Lorsque les conditions mentionnées au 1 ne sont pas remplies, les dispositions de l’article 210 A s’appliquent aux apports partiels d’actif et aux scissions sur agrément délivré dans les conditions prévues à l’article 1649 nonies./ L’agrément est délivré lorsque, compte tenu des éléments faisant l’objet de l’apport : / a. L’opération est justifiée par un motif économique, se traduisant notamment par l’exercice par la société bénéficiaire de l’apport d’une activité autonome ou l’amélioration des structures, ainsi que par une association entre les parties ; / b. L’opération n’a pas pour objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscale ; / c. Les modalités de l’opération permettent d’assurer l’imposition future des plus-values mises en sursis

d’imposition.  » ; qu’enfin, aux termes de l’article 210 C du code général des impôts :  » 1. Les dispositions des articles 210 A et 210 B s’appliquent aux opérations auxquelles participent exclusivement des personnes morales ou organismes passibles de l’impôt sur les sociétés. 2. Ces dispositions ne sont applicables aux apports faits à des personnes morales étrangères par des personnes morales françaises que si ces apports ont été préalablement agréés dans les conditions prévues au 3 de l’article 210 B  » ;

3. Considérant d’autre part qu’il résulte de l’article 2, e) de la directive 2009/133/CE du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etats membres différents, ainsi qu’au transfert du siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un Etat membre à un autre, qui s’est substituée à la directive 90/434/CEE du 23 juillet 1990, dont le champ a été, en ce qui concerne l’échange d’actions, élargi par la directive 2005/19/CE du 17 février 2005, qu’entrent dans le champ de ses prescriptions les échanges d’actions, définis comme  » l’opération par laquelle une société acquiert, dans le capital social d’une autre société, une participation ayant pour effet de lui conférer la majorité des droits de vote de cette société, ou, si elle détient déjà une telle majorité, acquiert une nouvelle participation moyennant l’attribution aux associés de l’autre société, en échange de leurs titres, de titres représentatifs du capital social de la première société et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable des titres qui sont remis en échange ;  » ; qu’aux termes de l’article 15 de la même directive :  » 1. Un Etat membre peut refuser d’appliquer tout ou partie des dispositions des articles 4 à 14 ou d’en retirer le bénéfice lorsqu’une des opérations visées à l’article 1er : a) a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales ; le fait que l’opération n’est pas effectuée pour des motifs économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l’opération, peut constituer une présomption que cette opération a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales ; (…)  » ;

4. Considérant, que contrairement à ce qui est soutenu par le ministre, l’échange d’actions en cause, qui, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, a permis à la société Ebuzzing d’acquérir dans le capital social de la société Beezik une participation ayant pour effet de lui conférer la majorité des droits de vote de cette société, la somme versée ultérieurement en échange de la cession du solde des titres, ne pouvant, en raison de l’existence de cette contrepartie, être regardée comme une soulte, entrait dans le champ d’application de la directive 2009/133/CE du 19 octobre 2009 tel que défini par les dispositions précitées de son article 2 ;

5. Considérant qu’il résulte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du

8 mars 2017, C-14/16,  » Euro Park Service », par lequel elle s’est prononcée sur les questions dont le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, l’avait saisie à titre préjudiciel, que l’article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434 du 23 juillet 1990 s’oppose à l’adoption d’une législation qui ne serait pas suffisamment précise, claire et prévisible pour permettre aux contribuables de connaître avec exactitude leurs droits afin de s’assurer qu’ils seront en mesure de bénéficier des avantages fiscaux attribués en vertu de ladite directive et de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales et que tel est le cas de la procédure d’agrément prévue par les dispositions de l’article 210 B 3 du code général des impôts ; qu’il résulte également de cet arrêt que la directive 90/434 pose comme principe le bénéfice du report de l’imposition des plus-values afférentes aux biens apportés et ne permet le refus de ce bénéfice qu’à une seule condition, à savoir uniquement lorsque l’opération envisagée a pour objectif principal ou comme l’un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales, et que les dispositions susmentionnées de l’article 210 B 3 subordonnent l’octroi dudit bénéfice à trois conditions qui étendent le champ d’application de la réserve de compétence des Etats membres au-delà de ce qui est prévu à l’article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434 ; que les règles ainsi rappelées doivent être regardées comme procédant également de l’article 15 de la directive 2009/133/CE du 19 octobre 2009 qui s’est substitué à l’article 11 de la de la directive 90/434 du 23 juillet 1990 ;

6. Considérant que si le ministre fait valoir que l’apport de titres en faveur de la société luxembourgeoise ne peut être considéré isolément des deux opérations de cession de titres, et qu’il ne rentre dans aucun des cas décrits au 1 de l’article 210 B ouvrant droit sans agrément préalable au régime fiscal de sursis d’imposition des plus-values, et cela indépendamment du lieu du siège de la société bénéficiaire, cette analyse, à la supposer même fondée, n’est pas de nature à priver de portée les critiques rappelées ci-dessus faites par la Cour de justice aux dispositions du code général des impôts et notamment au 3 de l’article 210 B sur le fondement desquelles a été refusé l’agrément sollicité ; que, par suite, contrairement à ce qu’a estimé le tribunal administratif, le refus d’agrément ministériel litigieux a été opposé illégalement au terme d’une procédure et sur le fondement d’un texte incompatibles avec les objectifs de la directive ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la société requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

8. Considérant que l’annulation de la décision de refus d’agrément procédant de la non-conformité au règles européennes du régime d’agrément établi par la loi fiscale, ladite annulation ne saurait entrainer ni un nouvel examen de la demande d’agrément, ni la délivrance de l’agrément en cause ; que la décharge des impositions qui résulteraient du refus de l’administration d’accorder à l’intéressée le bénéfice du régime de faveur des fusions et opérations assimilées prévu aux articles 210 A et 210 B du code général des impôts ne saurait être demandée que dans le cadre d’un contentieux distinct dirigé contre ces impositions ; qu’il suit de là que le présent arrêt n’appelle aucune mesure d’exécution ; que les conclusions à fin d’injonction présentées par la société requérante ne peuvent dès lors qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1509316/1-2 du 3 août 2017 du Tribunal administratif de Paris et la décision du 16 avril 2015 par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a rejeté la demande de la société Covent 4 tendant au bénéfice de l’agrément prévu au 3 de l’article 210 B du code général des impôts sont annulés.

Article 2 : L’Etat versera à la société Covent 4 la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Covent 4 et au ministre de l’action et des comptes publics.

Délibéré après l’audience du 6 juin 2018, à laquelle siégeaient :

– Mme Appèche, président,

– M. Magnard, premier conseiller,

– Mme Jimenez, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 juin 2018.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLe président assesseur,

En application de l’article R. 222-26 du code

de justice administrative

S. APPECHE

Le greffier,

P. LIMMOIS

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

7

2

N° 17PA03180


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