CAA de PARIS, 2ème chambre, 16/02/2022, 21PA01746, Inédit au recueil Lebon

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CAA de PARIS, 2ème chambre, 16/02/2022, 21PA01746, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A… et C… B… ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mises à leur charge au titre des années 2009 à 2013, ainsi que les majorations et pénalités correspondantes.

Par un jugement nos 1713972/1-3 et 1807225/1-3 du 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 2 avril, 25 juin et 14 juillet 2021, M. et Mme B…, représentés par Me Thierry Nesa, demandent à la Cour :

1°) d’annuler le jugement nos 1713972/1-3 et 1807225/1-3 du 3 février 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses.

Ils soutiennent que :

– l’administration n’apporte aucun élément lui permettant de considérer M. A… B… comme bénéficiaire d’une partie des sommes en litige ;

– le père de M. B… a joué un rôle dans l’opération et a bénéficié de la moitié des sommes ainsi que cela a été reconnu par le juge pénal ;

– l’administration n’a pas fait usage de l’article 117 du code général des impôts ;

– les dispositions de l’article 119 bis 2 du code général des impôts permettaient de taxer la société chypriote à la retenue à la source ;

– l’administration n’a pas démontré que M. B… était  » maitre de l’affaire  » de la société nouvelle des établissements Martelli ni de la société chypriote Hohmann Lirtos LTD ;

– en écartant l’existence de la société chypriote pour imposer directement M. A… B…, l’administration devait se placer dans le cadre de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

– le compte de la société à responsabilité limitée Hohmann Lirtos LTD n’est pas visé par les dispositions de l’article 1649 A du code général des impôts ;

– M. B… n’a pas utilisé ce compte à titre personnel ;

– les sommes versées à la société Hohmann Lirtos LTD en échange de prestations d’intermédiaire ne constituent pas un revenu pour M. B….

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 mai et 2 juillet 2021, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B… ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 28 juin 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au

15 juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Magnard,

– et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société nouvelle des établissements Martelli, qui exerce l’activité principale d’achat-revente d’étiquettes pour vêtements, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité concernant les années 2011 à 2013 à l’issue de laquelle l’administration a constaté qu’en 2009, M. A… B…, dirigeant de la société, a créé avec son père, fondateur historique de l’entreprise, une société à Chypre dénommée Hohmann Lirtos LTD, qui est devenue, à compter de cette date, l’intermédiaire entre la société requérante et ses fournisseurs et lui a facturé à ce titre les marchandises avec une majoration en moyenne de 31,61 % sur la période allant de 2009 à 2013, pour un montant total atteignant près de deux millions d’euros. Les factures ont été payées par des virements à destination d’un compte bancaire en Lettonie appartenant à la société chypriote, pour lequel le dirigeant de la société requérante avait tout pouvoir par le biais d’un  » power of attorney « . Ces sommes ont été, dans un second temps, transférées vers d’autres comptes bancaires personnels du dirigeant et de sa famille en Israël ou par l’intermédiaire d’une société offshore Nyav Finance Ltd basée au Belize. L’administration a en conséquence rejeté la déduction des charges correspondant à la différence entre le montant facturé par la société intermédiaire chypriote et la valeur des marchandises livrées par les fournisseurs allemands et italiens, considérant que la prestation d’intermédiaire n’était justifiée ni dans son principe ni dans son montant. Ces transferts de bénéfices à l’étranger ont été considérés, en ce qui concerne les années 2011 à 2013, comme des revenus distribués au sens du 1° du 1 de l’article 109 du code général des impôts au profit de M. et Mme B…. Concomitamment, à l’issue d’un contrôle sur pièces du dossier de M. et Mme B… effectué au titre des années 2009 et 2010, l’administration a considéré le solde créditeur du compte bancaire letton de la société chypriote précitée, provenant de la facturation de la prestation d’intermédiaire payée par la société nouvelle des établissements Martelli, comme un revenu taxable à leur nom, dans la catégorie des revenus capitaux mobiliers, sur le fondement de l’article 1649 A du code général des impôts. M. et Mme B… relèvent appel du jugement du 3 février 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande en décharge de l’ensemble des impositions supplémentaires mises à leur charge au titre des années 2009 à 2013.

Sur la régularité du jugement :

2. En ne répondant pas au moyen nouveau, présenté tardivement après la clôture de l’instruction, tiré de l’absence de mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit prévue par les dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, moyen qui n’implique, ni l’examen d’une circonstance de fait dont les requérants n’étaient pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, ni l’examen d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office, les premiers juges n’ont entaché leur jugement d’aucune irrégularité.

Sur la procédure d’imposition :

3. Il résulte de l’instruction que l’administration n’a pas écarté l’existence de la société chypriote ni dénoncé l’existence d’un montage destiné à éluder l’impôt mais a fondé ses redressements sur le motif exclusif tiré de ce que M. B… avait effectivement disposé des fonds versés par la société nouvelle des établissements Martelli à la société Hohmann Lirtos LTD. Dans ces conditions, elle pouvait tirer les conséquences de ces constatations en mettant à la charge de M. et Mme B… les impositions mentionnées au point 1. sans mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par les dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé de l’imposition :

En ce qui concerne les revenus de capitaux mobiliers des années 2011 à 2013 :

4. Aux termes de l’article 109 du code général des impôts :  » 1. Sont considérés comme revenus distribués :/ 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (…) « . Aux termes de l’article 110 du même code :  » Pour l’application du 1° du 1 de l’article 109, les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés « .

5. Il résulte de l’instruction que M. B…, qui dirigeait la société nouvelle des établissements Martelli et était son actionnaire le plus important avec 37,4 % de parts était seul en mesure de prendre les décisions conduisant à l’intermédiation de la société chypriote. Il n’est pas sérieusement contesté qu’il détenait 50 % du capital social de cette société, qu’il en était le mandataire depuis sa constitution, et qu’il était le seul à avoir pouvoir sur son compte bancaire. Il résulte également de l’instruction, notamment de la décision rendue par le Tribunal correctionnel de Paris du 26 octobre 2017, qui, sur ce point, est revêtue de l’autorité de la chose jugée, qu’il a personnellement émis les factures permettant de comptabiliser des prestations d’intermédiaire fictives dans les charges de la société Martelli. L’administration, qui n’était pas tenue de faire usage des dispositions de l’article 117 du code général des impôts, apporte ainsi la preuve que le bénéficiaire réel des sommes versées sur le compte bancaire de la société chypriote au cours des années 2011 à 2013 était M. A… B…. Le bénéficiaire des sommes étant ainsi identifié, la circonstance que l’administration n’aurait pas démontré que M. B… était  » maître de l’affaire  » de la société nouvelle des établissements Martelli ni de la société chypriote est dépourvue de portée. La circonstance tirée de ce que l’administration n’a pas eu recours aux dispositions de l’article 119 bis 2 du code général des impôts pour taxer la société chypriote à la retenue à la source sur la somme qui lui était versée ne saurait être utilement invoquée par les requérants, l’administration ayant établi, au vu de ce qui précède, que les sommes en cause constituaient des revenus de M. B…. Enfin, les circonstances que M. B… ait ensuite décidé de reverser la moitié des sommes appréhendées à son père par l’intermédiaire d’une seconde société au Belize ou directement sur ses comptes bancaires en Israël, que son père, qui était administrateur de la société Martelli, ait déposé un dossier de régularisation auprès de l’administration fiscale à raison de la moitié des sommes, que son père soit également actionnaire de la société chypriote, qu’il ait versé de l’argent sur le compte bancaire ouvert en Lettonie, qu’il ait participé à la mise en place du système frauduleux de facturation, qu’il ait accompagné son fils dans la constitution de la société chypriote, et qu’il ait été condamné à une amende pénale supérieure ne sont pas de nature à remettre en cause l’appréhension par M. A… B… des sommes versées sur le compte bancaire de la société chypriote.

En ce qui concerne les revenus de capitaux mobiliers des années 2009 et 2010 :

6. Aux termes de l’article 1649 A du CGI :  » (…) Les personnes physiques, les associations, les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger. Les modalités d’application du présent alinéa sont fixées par décret. / Les sommes, titres ou valeurs transférés à l’étranger ou en provenance de l’étranger par l’intermédiaire de comptes non déclarés dans les conditions prévues au deuxième alinéa constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables « . Pour faire échec aux présomptions édictées par ces dispositions, il appartient au contribuable, quelle que soit la qualification juridique ou comptable que peut recevoir la somme qui est employée afin d’être transférée, d’établir que les ressources ayant contribué à la constituer ont par elles-mêmes déjà été imposées, ou ne devaient, ou ne pouvaient pas l’être, non seulement au titre de l’année du transfert, mais aussi, le cas échéant, au titre d’années antérieures.

7. Il résulte de l’instruction que M. A… B…, actionnaire à 50 % de la société chypriote Hohmann Lirtos LTD, disposait seul de tout pouvoir sur le compte bancaire de la société ouvert en Lettonie en 2009, ainsi qu’il ressort des mentions du  » power of attorney  » du 25 juin 2009 que lui a confié ladite société. Par ailleurs, il résulte également de l’instruction qu’il a personnellement émis les factures au nom de cette société basée à Chypre afin de justifier les virements effectués par la société nouvelle des établissements Martelli, qu’il dirigeait, au profit de cette société, pour un montant de 266 009 euros en 2009 et 1 464 500 euros en 2010. En outre, il est constant que les comptes ont ensuite été débités sur son ordre pour le paiement des fournisseurs des marchandises à hauteur d’un montant de 178 476 euros en 2009 et 1 152 150 euros en 2010. Par suite, M. A… B… étant actionnaire de la société détenteur du compte et le seul juridiquement en pouvoir d’utiliser ce compte, c’est à bon droit que l’administration a, sur le fondement des dispositions précitées, et alors même que le compte était ouvert au nom d’une société commerciale, considéré les montants virés sur ce compte bancaire en Lettonie non utilisés pour le règlement des fournisseurs comme un revenu imposable entre ses mains, conformément aux dispositions précitées, pour un montant de 87 532 euros en 2009 et 312 350 euros en 2010, les requérants ne justifiant ni même n’alléguant que ces sommes n’entreraient pas dans le champ d’application de l’impôt, qu’elles en seraient exonérées ou auraient déjà été soumises à une telle taxation.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A… et C… B… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d’Ile-de-France.

Délibéré après l’audience du 2 février 2022, à laquelle siégeaient :

– M. Platillero, président,

– M. Magnard, premier conseiller,

– Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2022.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLe président assesseur,

En application de l’article R. 222-26 du code

de justice administrative

F. PLATILLERO

Le greffier,

I. BEDR

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

7

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N° 21PA01746


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