Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A… B… ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2007 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1312914/1-1 du 5 janvier 2016, le Tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé la réduction, en droits et en pénalités, des impositions résultant de la taxation de la somme de 3 856 234 euros, correspondant à la fraction de la plus-value réalisée par M. B… le 29 mai 2007 dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, et mis à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Par un arrêt n° 16PA00874 du 12 avril 2018, la Cour administrative d’appel de Paris, sur appel de M. et Mme B… :
1°) les a partiellement déchargés des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2007, restant en litige, ainsi que des pénalités correspondantes, à raison de la taxation dans la catégorie des traitements et salaires du gain réalisé correspondant aux parts de la société CDA apportées directement par M. B… à la société civile Adea Project et de la taxation selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, sur le fondement des dispositions de l’article 150-0 A du code général des impôts, du gain correspondant aux parts de la société CDA apportées par la société civile Adea à la société civile Adea Project ;
2°) a réformé le jugement du Tribunal administratif de Paris du 5 janvier 2016 en ce qu’il a de contraire à cet arrêt ;
3°) a rejeté le surplus des conclusions de M. et Mme B….
Par une décision n° 421452 du 20 décembre 2019, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 12 avril 2018 et renvoyé l’affaire à ladite Cour.
Procédure devant la Cour après renvoi :
Par des mémoires en défense enregistrés le 13 octobre 2021 et le 2 février 2022, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut à ce que la Cour confirme son arrêt du 12 avril 2018.
M. et Mme B… ont été mis en demeure, en application du deuxième alinéa de l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative, de produire un mémoire récapitulatif reprenant les conclusions et les moyens qu’ils entendaient, à l’issue de l’instruction, soumettre à la Cour.
Un mémoire récapitulatif et un mémoire complémentaire ont été présentés le 12 décembre 2021 et le 2 mars 2022 par M. et Mme B…, représentés par Me Clarisse Sand et Me Jean-Paul Hordies. M. et Mme B… demandent l’annulation du jugement n° 1312914/1-1 du 5 janvier 2016 du Tribunal administratif de Paris, la décharge de l’ensemble des droits et pénalités restant à leur charge, la saisine du juge judiciaire et de la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles et la mise à la charge de l’Etat de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent que :
– les conséquences financières des redressements figurant dans la proposition de rectification du 23 décembre 2010 et dans le courrier du 11 janvier 2011, ainsi que dans les courriers qui suivent, sont erronées ;
– ils n’ont pas bénéficié d’un débat contradictoire préalable à la saisine de la commission des infractions fiscales, en méconnaissance du principe général du respect des droits de la défense retranscrit, depuis 2016, à l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, de l’article 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 ; il y a lieu à cet égard de solliciter la communication de la délégation de signature dont a bénéficié l’autorité ayant procédé à la saisine et de transmettre le cas échéant une question préjudicielle au juge judiciaire relative aux modalités et aux effets de la décision individuelle prise par l’autorité administrative fiscale de saisir la commission des infractions fiscales ;
– la pénalité de 40 % n’est pas motivée en l’absence d’éléments concrets liés à la situation personnelle s’agissant de la mise en œuvre de cette pénalité ;
– l’avis de mise en recouvrement comporte un montant de revenus de capitaux mobiliers résultant du rehaussement légèrement inférieur à celui mentionné dans les derniers documents indiquant les conséquences financières ;
– les décisions de dégrèvement du 31 mars 2016 et du 3 juillet 2018 ne sont pas compréhensibles en l’absence des modalités de calcul ;
– les avis d’imposition primitifs et l’extrait de rôle ne peuvent plus servir de base à l’exigibilité des sommes litigieuses en raison des substitutions de base légale prononcées par le juge ;
– la substitution de base légale est impossible puisqu’elle porte sur des impôts distincts, dont le fait générateur et le taux sont différents, et dans la mesure où ces impôts sont recouvrés de manière différente ;
– s’agissant de la part du gain retiré de l’apport à la société civile Adea project des titres CDA détenus directement par M. B…, le critère pertinent n’était pas celui du risque pris par l’investisseur salarié ou dirigeant, mais la question de savoir si le management package a été octroyé au contribuable en sa qualité de salarié ou de dirigeant ;
– la substitution de base légale prononcée s’agissant de l’apport par l’intermédiaire d’une société imposable selon le régime des sociétés de personnes est intervenue en phase contentieuse, après la saisine de la commission des infractions fiscales et du comité d’abus de droit, et porte atteinte à l’égalité des armes et tronque le débat contradictoire antérieur en violation de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
– il n’a été procédé à aucun désinvestissement ; M. B… a réalisé un investissement économique avec l’acquisition à titre personnel titres WI et d’OPCVM ; il a procédé à d’autres démarches d’investissement ;
– la société Adea project n’a rien d’artificiel ;
– elle a donné une garantie de passif à la société CDA ;
– les pénalités pour abus de droit ont un caractère rétroactif ;
– l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ne pouvait trouver à s’appliquer en mai 2007 à la situation de l’espèce ;
– la notion de fraude à la loi développée par la jurisprudence était encore en germe en 2007 ;
– les opérations d’ » apport-cession » n’étaient nullement prohibées par l’article 150-0 B du code général des impôts ou par la jurisprudence au moment des faits ;
– l’application des pénalités de l’article 1729 du code général des impôts procède donc d’une interprétation de l’article 150-0 B du code général des impôts postérieure aux faits qui les motivent ;
– compte tenu des substitutions de base légale prononcées, la procédure tant d’imposition que contentieuse méconnait les principes d’égalité des armes et du contradictoire garantis par les articles 47 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– l’avis du comité de l’abus de droit est irrégulier ;
– les modalités de répression des utilisations abusives de la législation prise pour l’application de la directive européenne relative aux fusions constituent une violation du principe de la légalité et de la proportionnalité des peines contraire à l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– il y a lieu de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : » Le droit de l’Union européenne, et plus particulièrement les articles 8 et 11 de la directive 90/434/CEE relative au régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale et une pratique administrative nationale selon lesquelles le bénéfice du report d’imposition de la plus-value, prévu par cette même réglementation nationale, puisse être considéré comme constitutif d’un abus de droit lorsque l’autorité administrative compétente procède à ce constat sur base de présomptions générales confortées par une pratique administrative qui n’est jamais remise en cause et qui a fait peser définitivement sur le contribuable la charge de la preuve ‘ » ;
– ils ne pouvaient considérer à l’époque des faits que l’échange de titres effectué pouvait être remis en cause sur le fondement de l’abus de droit ;
– les pénalités pour abus de droit sont contraires à l’article 7 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Par ordonnance du 2 février 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 2 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier, ensemble les pièces et mémoires visés par l’arrêt n° 16PA00874 du 12 avril 2018.
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Magnard, rapporteur,
– les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,
– et les observations de Me Sand et de Me Hordies, représentant M. et Mme B…, et les observations orales de M. B….
Une note en délibéré, enregistrée le 26 mai 2022, a été présentée pour M. et Mme B….
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B… ont créé, le 10 avril 2007, la société civile Adea, qui relève du régime d’imposition des sociétés de personnes et qui a pour objet la constitution et la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières. Le même jour, M. B… et la société Adea ont constitué la société civile Adea Project qui a le même objet social et qui a opté pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés. Le 3 mai 2007, M. B… a cédé 570 800 titres qu’il détenait de la société Compagnie de l’Audon (CDA) à la société Adea, laquelle les a immédiatement apportés à la société Adea Project. Cette cession a été effectuée à la valeur nominale des titres de la société CDA. M. B… a également fait directement apport à la société Adea Project de 6 840 titres de la société CDA. M. et Mme B… ont reçu en contrepartie des titres de la société Adea Project. Les plus-values d’un montant total de 11 017 812 euros constatées lors de ces opérations d’apport ont été placées automatiquement sous le régime du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du code général des impôts. Le 29 mai 2007, la société CDA a procédé au rachat de ses propres titres auprès de la société Adea Project, pour un prix identique à leur valeur d’apport. A l’issue d’un contrôle sur pièces du dossier fiscal de M. et Mme B…, l’administration fiscale a considéré que les apports des titres de la société CDA à la société Adea Project, préalablement au rachat de ses propres titres par la société CDA, avaient eu pour seul objet d’éviter l’imposition immédiate que M. B… aurait dû supporter si, à défaut d’interposition de la société Adea Project, il avait cédé lui-même directement à la société CDA les 577 640 titres de cette société qu’il détenait initialement. L’administration fiscale a, pour ce motif, remis en cause le bénéfice du sursis d’imposition en mettant en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. Elle a, par ailleurs, estimé que le gain correspondant au montant des plus-values d’apport constituait, pour partie, un complément de salaire accordé à M. B… à raison de ses fonctions dans le groupe Wendel et l’a taxé à concurrence de 65 % de son montant dans la catégorie des traitements et salaires et, pour le surplus, dans celle des revenus de capitaux mobiliers. M. et Mme B… ont, en conséquence de cette rectification, été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l’année 2007, assorties notamment de la majoration de 40 % pour abus de droit prévue au b) de l’article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 5 janvier 2016, le Tribunal administratif de Paris, faisant partiellement droit à la demande de M. et Mme B…, a prononcé la réduction des impositions et pénalités mises à leur charge, au motif que la fraction des plus-values imposée dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers devait être taxée selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande. M. et Mme B… relèvent appel de ce jugement en tant qu’il leur est défavorable.
Sur la régularité de la procédure d’imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales : » L’administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (…) « . Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l’impôt concerné, de l’année d’imposition et de la base d’imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l’administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations.
3. La proposition de rectification du 23 décembre 2010 adressée à M. et Mme B… mentionne l’année d’imposition, les impositions concernées, ainsi que la nature et le montant des rectifications envisagées. Elle expose les raisons pour lesquelles l’administration a considéré que le placement en sursis d’imposition des plus-values d’un montant total de 11 017 812 euros constatées lors de l’apport des titres de la société CDA à la société civile Adea Project procédait d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, ainsi que les motifs justifiant l’imposition de ce gain à concurrence de 65 % de son montant dans la catégorie des traitements et salaires et pour le surplus dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. M. et Mme B… disposaient ainsi des éléments d’information nécessaires pour contester utilement les impositions mises à leur charge, ce qu’ils ont d’ailleurs fait, et la circonstance que des erreurs figurent dans le calcul des conséquences financières des redressements ne révèle aucune méconnaissance des dispositions précitées de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales.
4. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 48 du même livre : » A l’issue d’un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle au regard de l’impôt sur le revenu ou d’une vérification de comptabilité, lorsque des rectifications sont envisagées, l’administration doit indiquer, avant que le contribuable présente ses observations ou accepte les rehaussements proposés, dans la proposition prévue au premier alinéa de l’article L. 57 ou dans la notification mentionnée à l’article L. 76, le montant des droits, taxes et pénalités résultant de ces rectifications. (…) « .
5. Il résulte de l’instruction que les impositions mises à la charge de M. et Mme B… procèdent d’un contrôle sur pièces de leur dossier fiscal, et non d’un examen de leur situation fiscale personnelle ou d’une vérification de leur comptabilité. Les requérants ne peuvent dès lors utilement soutenir, au motif tiré de ce que les conséquences financières des redressements figurant dans la proposition de rectification du 23 décembre 2010 et dans le courrier du 11 janvier 2011, ainsi que dans les courriers qui suivent, sont erronées, que les impositions en litige ont été établies en méconnaissance de l’article L. 48 du livre des procédures fiscales, les garanties prévues par ces dispositions n’étant pas applicables en cas de contrôle sur pièces. Au surplus et en tout état de cause, les impositions finalement mises à la charge de M. et Mme B… sont inférieures ou égales aux sommes indiquées dans la proposition de rectification et dans les documents notifiés subséquemment. Les requérants ne peuvent par suite être regardés à cet égard comme ayant été privés d’une garantie susceptible d’exercer une influence sur la décision d’imposition. La circonstance que l’avis de mise en recouvrement comporte un montant de revenus de capitaux mobiliers résultant du rehaussement légèrement inférieur à celui mentionné dans les derniers documents indiquant les conséquences financières n’est pas non plus de nature à priver les contribuables d’une telle garantie.
6. En troisième lieu, la commission des infractions fiscales intervient, dans le cadre prévu par les dispositions de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, dans la procédure conduisant au dépôt de plaintes devant la juridiction pénale. Dès lors sa saisine ne saurait être regardée comme une étape de la procédure conduisant à l’établissement de l’impôt. Le moyen tiré du caractère irrégulier de la saisine de cette commission est par suite sans influence sur l’issue du présent litige. M. et Mme B… ne sauraient en conséquence utilement soutenir, dans le cadre du présent contentieux relatif à l’assiette de l’impôt, que les modalités de cette saisine méconnaitraient le principe général du respect des droits de la défense retranscrit à l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, l’article 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la directive 2012/13/UE du Parlement Européen et du Conseil du 22 mai 2012. Il n’y a en conséquence pas lieu à cet égard de solliciter la communication de la délégation de signature dont a bénéficié l’autorité ayant procédé à la saisine, ni de transmettre au juge judiciaire une question préjudicielle relative aux modalités et aux effets de la décision individuelle prise par l’administration de saisir la commission des infractions fiscales.
7. Enfin, les vices de forme ou de procédure dont serait entaché l’avis du comité de l’abus de droit fiscal en date du 3 mai 2012 n’affectent pas la régularité de la procédure d’imposition et ne peuvent avoir pour effet que de modifier, le cas échéant, la dévolution de la charge de la preuve. Par suite, les circonstances alléguées que cet avis n’est pas suffisamment motivé et que le motif retenu par le comité n’a pas fait l’objet d’un débat oral et contradictoire en méconnaissance des dispositions de l’article 1653 E du code général des impôts sont sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition.
Sur le bien-fondé de l’imposition :
En ce qui concerne l’existence d’un abus de droit :
8. D’une part, aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales : » Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité. Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification « . Il résulte de ces dispositions que l’administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
9. D’autre part, aux termes de l’article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition en litige : » Les dispositions de l’article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l’année de l’échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d’une opération d’offre publique, de fusion, de scission, d’absorption d’un fonds commun de placement par une société d’investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (…) « .
10. En vertu du premier alinéa de l’article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition en litige, les plus-values réalisées dans le cadre d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés bénéficient d’un sursis d’imposition au titre de l’année de l’échange des titres. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 de laquelle elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d’entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l’octroi automatique d’un sursis d’imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités. Lorsque l’administration entend remettre en cause les conséquences fiscales d’une opération qui s’est traduite par un sursis d’imposition au motif que les actes passés par le contribuable ne lui sont pas opposables, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. En effet, une telle opération, dont l’intérêt fiscal est de différer l’imposition, entre dans le champ d’application de cet article dès lors qu’elle a nécessairement pour effet de minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.
11. La société Compagnie de l’Audon (CDA) a été constituée par trois dirigeants du groupe Wendel. Son capital a ensuite été ouvert aux principaux cadres dirigeants du groupe. Le 3 avril 2007, la société CDA a acquis la société Solfur auprès de la société Wendel Investissement. Le 3 mai 2007, l’assemblée générale de la société CDA a autorisé ses associés à apporter leurs titres dans des sociétés civiles dont ils détenaient les parts. Elle a décidé en même temps une réduction de capital, non motivée par des pertes, par voie de rachat de ses titres. M. et Mme B… ont créé, le 10 avril 2007, la société civile Adea, société relevant du régime d’imposition des sociétés de personnes, et qui a pour objet la constitution et la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières. Le même jour, M. B… et la société civile Adea ont constitué la société civile Adea Project, ayant le même objet social, et qui a opté pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés. Le 3 mai 2007, M. B… a cédé 570 800 titres qu’il détient de la société CDA à la société civile Adea, laquelle les a immédiatement apportés à la société civile Adea Project. M. B… a également fait apport à cette société de 6 840 titres de la société CDA. Les requérants ont reçu en contrepartie des titres de la société civile Adea Project. Les plus-values d’un montant total de 11 017 812 euros constatées lors de cette opération d’apport ont été placées sous le régime du sursis d’imposition prévu par les dispositions de l’article 150-0 B du code général des impôts. Le 29 mai 2007, la société CDA a procédé au rachat de ses propres titres auprès de la société civile Adea Project, qui a reçu en paiement de cette cession des parts d’une SICAV monétaire. L’administration a, selon la procédure de répression des abus de droit, remis en cause le bénéfice par M. B… du sursis d’imposition, après avoir relevé que les opérations d’apport des titres de la société CDA à la société civile Adea Project constituaient un montage abusif ayant pour seul objet de permettre à l’intéressé, par une application littérale des dispositions de l’article 150-0 B, contraire à l’intention du législateur, de disposer d’un gain en en différant l’imposition grâce à l’interposition d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés, qu’il contrôlait et dirigeait.
12. Le comité de l’abus de droit fiscal, par son avis du 3 mai 2012, a considéré que l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, après avoir relevé que l’opération d’apport-cession des titres de la société CDA participait d’un montage ayant permis à M. B…, grâce à l’interposition de la société civile Adea Project, soumise à l’impôt sur les sociétés, de différer l’imposition du gain qu’il avait réalisé lors de cette opération en plaçant celle-ci artificiellement dans le champ de l’article 150-0 B du code général des impôts. Ainsi, le comité a, contrairement à ce qui est allégué, confirmé le bien-fondé du recours par l’administration à la procédure de répression des abus de droit.
13. Si les vices de forme ou de procédure entachant l’avis émis par le comité de l’abus de droit fiscal n’affectent pas la régularité de la procédure d’imposition et ne sont pas de nature à entraîner la décharge de l’imposition contestée, ces irrégularités ont pour effet de modifier la dévolution de la charge de la preuve. Le comité de l’abus de droit fiscal a confirmé le bien-fondé de la mise en œuvre par l’administration de la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales en retenant, comme l’avait relevé l’administration dans la proposition de rectification du 23 décembre 2010 adressée aux époux B…, que l’opération d’apport-cession des titres de la société CDA participait d’un montage ayant permis à M. B…, grâce à l’interposition de la société civile Adea Project, soumise à l’impôt sur les sociétés, de différer l’imposition du gain qu’il avait réalisé lors de cette opération en plaçant celle-ci artificiellement dans le champ d’application de l’article 150-0 B du code général des impôts. Il résulte de l’instruction que M. et Mme B… ont été invités à présenter leurs observations devant le comité sur le caractère abusif de cette interposition. Si le comité a également fait état d’un montage ayant consisté à dissimuler la dissolution et la liquidation de la société CDA, dans le seul but d’en répartir l’actif, il résulte clairement des mentions de l’avis en litige, que ces circonstances, qui se rapportent en réalité à la situation d’un autre contribuable, ne constituent pas le motif retenu par le comité pour délivrer un avis favorable à la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit. Ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu’ils n’auraient pas été mis en mesure de discuter des motifs fondant cet avis et que l’administration aurait ainsi méconnu le principe du contradictoire ni le principe de l’égalité des armes. Les moyens tirés de la méconnaissance pour ces motifs de l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme ou des articles 47 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne peuvent par suite qu’être écartés. Il résulte de l’instruction que l’administration s’est conformée à cet avis. En vertu des dispositions citées au point 8., la charge de la preuve incombe en principe à M. et Mme B….
14. Il résulte de l’instruction que la succession des opérations rappelées au point 11., notamment l’intervention presque simultanée de l’apport, direct ou indirect, des titres CDA par M. B… à la société Adea project, qu’il avait créée et qu’il contrôlait, directement ou indirectement avec son épouse, dont la gestion patrimoniale de titres était le seul objet et qui avait opté pour l’imposition à l’impôt sur les sociétés, et du rachat par la société CDA de ses propres titres, a permis aux requérants d’entrer artificiellement dans les prévisions de l’article 150-0 B du code général des impôts en évitant l’imposition à laquelle ils auraient été soumis si la société CDA leur avait directement racheté leurs titres, et que l’interposition de la société civile Adea Project et l’apport des titres de la société CDA à cette société doivent être regardés comme ayant poursuivi un but exclusivement fiscal et comme nécessairement contraires à l’objectif poursuivi par le législateur. Dans ces conditions, alors même que les requérants n’auraient reçu aucune liquidité et qu’aucun désinvestissement n’aurait eu lieu, qu’ils auraient réalisé un investissement économique avec l’acquisition à titre personnel de titres Wendel Investissement et d’OPCVM, qu’il aurait été procédé à d’autres démarches d’investissement et que la société Adea Project, laquelle a donné une garantie de passif à la société CDA, et dont les actifs étaient surveillés par la société JP Morgan par l’intermédiaire d’une » golden share « , n’aurait rien d’artificiel, l’administration fiscale était fondée à constater l’existence d’un abus de droit.
15. Enfin, il résulte de l’article 1er la directive 90/434/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etat membres différents qu’elle ne crée d’obligations à l’égard des Etats membres qu’au regard d’opérations qui concernent des sociétés d’au moins deux Etats membres. Il est constant que la plus-value en cause a été réalisée à l’occasion d’un échange de titres de deux sociétés françaises. Ainsi, elle n’entrait pas dans le champ d’application de la directive du 23 juillet 1990. Par suite le moyen tiré de ce que les modalités de remise en cause du droit au sursis d’imposition, en tant qu’elles méconnaitraient le principe de légalité et de proportionnalité garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, seraient contraire aux objectifs poursuivis par le législateur européen dans le cadre de cette directive ne peut qu’être écarté. Au surplus et en tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit précédemment que l’administration a régulièrement pu estimer, sur la base des dispositions législatives en vigueur à l’époque des faits et à l’issue d’une procédure de rehaussement contradictoire régulièrement conduite, que M. B… s’était mis dans une situation constitutive d’un abus de droit. Il suit de là qu’aucune atteinte aux principes de légalité ou de proportionnalité ne peut être identifiée. Il n’y a par suite pas lieu de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle portant sur la question de savoir si le droit de l’Union européenne, et plus particulièrement les articles 8 et 11 de la directive 90/434/CEE relative au régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions s’opposent aux modalités qui ont permis la remise en cause, sur le fondement de l’abus de droit, du sursis d’imposition dont M. B… entendait bénéficier.
En ce qui concerne la catégorie d’imposition du gain réalisé par M. B… :
16. Ainsi qu’il a été dit, le gain en litige correspond à des plus-values réalisées lors de l’apport à la société civile Adea Project, d’une part, de 6 840 titres de la société CDA par M. B… et, d’autre part, de 570 800 titres de la société CDA par la société civile Adea, régie par les dispositions de l’article