Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière Valérie a demandé au tribunal administratif de Montreuil d’annuler la décision du 6 mars 2020 par laquelle le maire de la commune de Drancy a exercé son droit de préemption sur son bien situé 41 avenue Marceau.
Par un jugement n° 2004404 du 5 mai 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la SCI Valérie.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 juin 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 6 janvier 2022, la SCI Valérie, représentée par Me Cieol, demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 2004404 du tribunal administratif de Montreuil en date du 5 mai 2021 ;
2°) d’annuler la décision du 6 mars 2020 par laquelle le maire de la commune de Drancy a exercé son droit de préemption sur son bien situé 41 avenue Marceau ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Drancy une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement attaqué est insuffisamment motivé, s’agissant du moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la décision contestée ;
– cette décision est insuffisamment motivée ;
– l’opération invoquée par la commune n’est pas suffisamment précise et justifiée ;
– la commune ne démontre pas la réalité de son projet, ni la nécessité d’acquérir le bien en cause pour le réaliser ; ce projet ne respecte pas le plan local d’urbanisme qui limite la hauteur des construction à R + 1 + C ;
– le projet ne s’inscrivait pas dans le champ d’application du droit de préemption urbain, s’agissant d’une cession de parts sociales entre époux s’inscrivant, en outre, dans le cadre d’une fusion entre deux SCI ayant les mêmes associés ; dès lors que la cession portait sur des parts sociales et non sur un bien immeuble, la commune, qui ne peut pas apporter de contrepartie identique, ne pouvait que faire une proposition d’acquisition.
Par des mémoires en défense enregistrés les 22 et 30 novembre 2021, la commune de Drancy, représenté par Me Reynet, demande à la Cour de rejeter la requête de la SCI Valérie et de mettre à sa charge une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
Un mémoire a été produit par la commune de Drancy le 7 janvier 2022, soit postérieurement à la clôture de l’instruction intervenue le 6 janvier 2022 à midi en application d’une ordonnance du 23 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus, au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Doré, rapporteur,
– les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique,
– et les observations de Me Alibay, pour la commune de Drancy.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Marceau 41 était propriétaire d’un bien immobilier situé au 41 avenue Marceau à Drancy, parcelle cadastrée AL 180. Le 9 janvier 2020, elle a déclaré à la commune de Drancy son intention de vendre ce bien à la SCI Valérie. Par une décision du 6 mars 2020, le maire de cette commune a exercé son droit de préemption sur ce bien. La SCI Valérie fait appel du jugement du 5 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d’annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué’:
2. Aux termes de l’article L. 9 du code de justice administrative : » Les jugements sont motivés « . Si le juge administratif doit statuer sur l’ensemble des moyens et conclusions qui lui sont soumises, il n’est en revanche pas tenu de répondre à la totalité des arguments présentés à l’appui d’un moyen.
3. Pour écarter le moyen tiré d’une insuffisance de motivation de la décision de préemption du 6 mars 2020, les premiers juges ont, après avoir cité les dispositions du code de l’urbanisme applicables et rappelé la motivation retenue dans cette décision, relevé que cette motivation, bien que succincte, était suffisante. Dans ces conditions, le tribunal a suffisamment motivé sa décision.
Sur le fond du litige :
4. Aux termes de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme : » Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, à l’exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement (…) / Toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé (…) « . Aux termes du premier alinéa de l’article L. 300-1 de ce code : » Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels « .
5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
6. En premier lieu, la décision du maire de Drancy du 6 mars 2020 mentionne que le droit de préemption urbain est exercé sur la parcelle cadastrée section AL numéro 180, située 41 avenue Marceau et appartenant à la SCI Marceau 41, en vue de la réalisation de logements, dont des logements en accession et sociaux, dans le cadre de la requalification, de la restructuration et de la densification du front bâti de l’avenue Marceau, la commune étant propriétaire de lots de copropriété au 43 de cette avenue et un projet de construction d’un ensemble immobilier ayant déjà été établi en septembre 2019 pour les parcelles situées au 39/43 de l’avenue Marceau et au
6 de la rue Blériot. L’objet de la préemption étant ainsi indiqué de manière suffisamment précise, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision contestée ne peut qu’être écarté, la circonstance qu’une partie de la motivation figure à l’article 3 de la décision étant sans incidence sur sa légalité.
7. En deuxième lieu, il ressort de la décision contestée qu’elle vise notamment le plan local d’urbanisme de la commune dont le projet d’aménagement et de développement durable mentionne la volonté de la ville d’augmenter son parc résidentiel en maintenant une mixité sociale et plus particulièrement de redynamiser l’avenue Marceau, ou route départementale
30, par la réalisation d’ » opérations de renouvellement ponctuelles, avec la construction d’immeubles collectifs en remplacement d’un tissu sous-exploité et dégradé » et, plus précisément, des opérations tendant au remplacement progressif des constructions de tailles basses par un habitat collectif de hauteur moyenne R+4. La décision contestée mentionne également l’acquisition par la commune de parts de copropriété au 43, avenue Marceau, qui ont fait l’objet d’une préemption par une décision du 28 juin 2004, ainsi que l’existence d’une étude faisabilité du 2 septembre 2019 pour la réalisation d’un immeuble de logements mixtes R+4 au 39-43 rue Marceau et 6 rue Blériot. Il ressort en particulier des pièces du dossier que cette étude, qui répond aux objectifs du projet d’aménagement et de développement durable de la commune, incluait le bien préempté sis au n° 41 de l’avenue. Dans ces conditions, la réalité du projet en vue duquel a été exercé le droit de préemption par le maire de la commune de Drancy est établie, le titulaire du droit de préemption n’ayant pas à justifier d’un projet précis d’action ou d’opération d’aménagement. Enfin, la circonstance que ce projet méconnaîtrait la hauteur maximale des constructions prévues par le règlement du plan local d’urbanisme est sans incidence sur la réalité de ce projet et, par suite, sur la légalité de la décision contestée.
8. En troisième lieu, il ressort des éléments mentionnés au point précédent que le projet de la commune de Drancy correspond à une opération d’aménagement tendant à mettre en œuvre un projet urbain et une politique locale de l’habitat, répondant ainsi à l’un des objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. Dès lors, si la SCI Valérie fait valoir que la nécessité de disposer de la parcelle en cause pour réaliser ces objectifs n’est pas justifiée, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision de préemption en litige, dont la légalité n’est pas subordonnée à l’exigence que le projet d’action ou d’opération d’aménagement ne puisse être réalisée sans recourir à l’exercice de ce droit.
9. En dernier lieu, aux termes de l’article L. 213-1 du code de l’urbanisme : » Sont soumis au droit de préemption institué par l’un ou l’autre des deux précédents chapitres : 1° Tout immeuble ou ensemble de droits sociaux donnant vocation à l’attribution en propriété ou en jouissance d’un immeuble (…) lorsqu’ils sont aliénés, à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit, (…) 3° Les cessions de la majorité des parts d’une société civile immobilière ou les cessions conduisant un acquéreur à détenir la majorité des parts de ladite société, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non, dont la cession serait soumise au droit de préemption. Le présent 3° ne s’applique pas aux sociétés civiles immobilières constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré inclus « . Aux termes de l’article L. 213-1-2 de ce code : » Sont également soumis au droit de préemption les immeubles ou ensemble de droits sociaux mentionnés au 1° de l’article L. 213-1 lorsqu’ils constituent un apport en nature au sein d’une société civile immobilière « .
10. Alors même qu’aucune promesse de vente n’a été produite, il ressort de la déclaration d’intention d’aliéner établie le 9 janvier 2020 que la cession en cause devait intervenir entre la SCI Marceau 41 et la SCI Valérie et concerner l’apport en nature d’un bien immobilier et non de parts de société civile immobilière. En se bornant à produire un rapport d’analyse patrimoniale établi le 27 décembre 2018 par un notaire et un expert-comptable, la société requérante n’établit pas que l’opération était en réalité une fusion des deux sociétés concernées et que la cession portait sur les parts de la SCI Marceau 41 et non sur un bien immobilier. Au contraire, ce rapport fait état, parmi plusieurs propositions, de la possibilité pour la SCI Marceau 41 de faire apport à la SCI Valérie du bien immobilier dont elle est propriétaire. Par suite, la société requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées du 3° de l’article L. 213-1 du code de l’urbanisme, quand bien même les parts des deux SCI concernés sont toutes détenues par les mêmes époux. Pour le même motif, elle ne peut pas plus utilement soutenir que la commune ne pouvait apporter une contrepartie en nature identique.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société SCI Valérie n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de préemption du 6 mars 2020.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Drancy, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par la SCI Valérie au titre des frais qu’elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SCI Valérie une somme 1 500 euros à verser à la commune de Drancy, en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI Valérie est rejetée.
Article 2 : La SCI Valérie versera à la commune de Drancy une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Valérie et à la commune de Drancy.
Délibéré après l’audience du 13 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
– M. Lapouzade, président de chambre,
– M. Diémert, président-assesseur,
– M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.
Le rapporteur,
F. DORÉLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
C. POVSE
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
N° 21PA03383 2