Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 26 février 2013, présentée pour la société CEP-A Port Guillaume ayant son siège social au bureau du Port, BP 46 à Dives-sur-Mer (14160), par Me D… ; la société CEP-A Port Guillaume demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du 28 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Caen, d’une part, l’a condamnée à verser au département du Calvados la somme de 679 406,61 euros à la suite de la résiliation du contrat de concession de l’aménagement et de l’exploitation du port de plaisance de Dives-sur-Mer conclu le 29 décembre 1989 et à supporter la charge définitive des frais d’expertise et, d’autre part, a rejeté ses conclusions tendant au constat de la nullité du contrat de concession, à la condamnation du département à lui verser une indemnité de 23 008 224 euros HT, à l’annulation du titre exécutoire d’un montant de 1 853 819 euros émis à son encontre le 20 décembre 2011 et de la lettre de rappel du 30 janvier 2012 et à la décharge de l’obligation de payer cette somme ;
2°) de condamner le département du Calvados à lui verser la somme totale de 20 781 562 euros au titre de l’investissement non amorti et du manque à gagner ou, à titre subsidiaire, la somme de 11 753 562 euros au titre de l’investissement non amorti ;
3°) d’annuler le titre exécutoire d’un montant de 1 853 819 euros émis le 20 décembre 2011 et la lettre de rappel du 30 janvier 2012 ;
4°) de la décharger de l’obligation de payer la somme de 1 853 819 euros ;
5°) de mettre à la charge du département du Calvados le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
– la décision de résiliation pour faute n’est pas fondée sur des manquements de nature à rendre l’équipement impropre à sa destination ou à provoquer un risque pour la sécurité des usagers mais sur des manquements de nature administrative, ce qui ne constitue pas un motif suffisamment grave pour résilier la convention ; les principaux ports du Calvados ne sont pas dans un état d’entretien aussi bon que le port de plaisance de Dives-sur-Mer ;
– la modification de son statut juridique et de la répartition des parts sociales constituant son capital ne relevant pas de la procédure d’autorisation prévue par l’article 29.1 du cahier des charges de la concession, l’absence d’autorisation de telles modifications ne constitue pas un motif de résiliation du contrat ;
– lorsqu’elle est requise l’autorisation ne peut être refusée que pour des motifs tenant à l’aptitude du délégataire à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers ; les garanties financières ne sont pas appréciées par rapport au concessionnaire mais à l’égard de l’exécution du contrat ;
– le défaut de production des conditions particulières des contrats d’assurance souscrits et de preuve du paiement des primes d’assurance ne constitue pas un motif de résiliation d’un contrat de concession ; contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, elle a justifié des conditions particulières stipulées et du paiement des primes ;
– les premiers juges ont repris les griefs du département relatifs à la mauvaise gestion comptable de l’exploitation sans en apprécier l’exactitude et la gravité ;
– les documents comptables ont été produits en première instance, notamment dans une note en délibéré ; le caractère déficitaire du bilan résulte de l’usage de présenter un compte de gestion prévisionnel faisant apparaître des charges spécifiques correspondant à des dépenses envisagées susceptibles d’entraîner une augmentation des tarifs si elles sont acceptées ;
– l’augmentation de la refacturation de dépenses par la société mère du concessionnaire à partir de 2005, au demeurant non justifiée, et son incidence sur la gestion de la concession ne sont pas établies et ne constituent pas un motif de déchéance ;
– le tribunal a repris à son compte le grief tiré de l’insuffisance de la dotation aux amortissements et de l’absence de provision pour renouvellement des outillages sans rechercher si le concessionnaire se trouvait ainsi dans l’impossibilité de réaliser les travaux de gros entretien et de remise en état requis ; les provisions pour dragage n’ont jamais diminué ; le versement de dividendes ne constitue pas une faute ;
– le tribunal s’est fondé sur le rapport de l’expert pour constater l’absence de travaux d’entretien alors que l’expert s’est inscrit dans la perspective du renouvellement des installations au lieu de constater et d’apprécier l’état d’entretien des ouvrages à la date du 27 décembre 2007 ainsi que l’atteste l’exemple des pontons, de la porte à marées, des palplanches et de la passerelle ;
– le port était en bon état d’entretien ce qui ressort notamment du fait que le concédant ne l’a jamais mise en demeure de réaliser des travaux et n’en a pas fait réaliser après la résiliation du contrat ; les résultats de l’audit technique de 2007 sur lesquels le tribunal s’est fondé sont contredits par le rapport d’expertise ; les constatations de l’expert vont jusqu’en 2012 alors qu’elle n’exploite plus le port depuis 2007 ;
– contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, le mauvais entretien du port ne constitue pas l’un des motifs de la décision de résiliation ; le jugement mentionne à tort un état de mauvais entretien de nature à porter atteinte à la sécurité des usagers ;
– les premiers juges ont estimé à tort qu’elle n’avait pas droit à l’indemnisation de son manque à gagner ;
– contrairement à ce qu’indique le jugement, les factures relatives à la construction du port ont été communiquées à l’expert qui en a refusé la réception ; elles ont également été communiquées au tribunal ; les investissements doivent être pris en compte alors même qu’ils n’ont pas été inscrits au bilan ; ils s’élèvent ainsi à 12 258 286 euros et non à 552 546 euros dont il a lieu de déduire les sommes de 422 409 euros et de 82 315 euros ;
– l’expert a évalué le coût des travaux d’entretien à mettre à sa charge à 1 231 852,61 euros en s’inscrivant dans une perspective de renouvellement de l’outillage sans tenir compte de l’évaluation qu’elle a elle-même fait réaliser par un ingénieur-conseil, qui mentionne un coût de 82 315 euros ; il y aura lieu de faire procéder avant-dire droit à un complément d’expertise portant sur la nature des travaux qu’il a préconisés ;
– elle n’a pas à supporter le coût d’entretien de l’école de voile, évalué à 270 881,70 euros, cette dernière ne faisant pas partie de la concession ;
– la somme mise à sa charge par le titre exécutoire repose sur une confusion entre les fonds de travaux et les provisions, l’article 44 du traité de concession ne prévoyant pas la constitution d’un fonds de travaux mais de provisions, lesquelles font partie des biens propres et non des biens de retour par destination ;
– le titre exécutoire mentionne des provisions pour renouvellement des immobilisations et pour grandes révisions alors que le traité de concession ne prévoit que des provisions pour renouvellement des outillages et pour gros entretiens ; il mentionne également des amortissements dits de caducité sur lesquels le concédant n’a aucun droit de regard ; les provisions ainsi prévues par le contrat n’ont pas vocation à être restituées au concédant à son échéance ;
– les frais d’expertise doivent être mis à la charge du département ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en intervention volontaire, enregistré le 1er juillet 2013, présenté pour Me G… H…, mandataire liquidateur de la société CEP-A Port Guillaume, par la SELARL Burlett et Associés ; Me H…déclare reprendre la requête à son compte ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2013, présenté pour le département du Calvados, par MeE… ; le département du Calvados demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la société CEP-A Port Guillaume le versement de la somme de 7 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
il soutient que :
– en application de l’article 55 du traité de concession, la déchéance peut être prononcée alors même que les manquements relevés ne portent pas sur des obligations de nature technique ; l’état de vétusté des installations a été constaté à plusieurs reprises à partir de 2001 et des travaux de rénovation ont été effectués en 2009 et en 2010 ;
– la cession de droits sociaux, qui équivaut à une cession de contrat, doit avoir été préalablement autorisée par l’administration ainsi que le prévoyait d’ailleurs le protocole d’accord signé le 15 février 2005 ; réalisée sans l’autorisation prévue en l’espèce par l’article 29.1 du traité de concession, elle peut entraîner la résiliation du contrat en cas de perte de confiance ; l’intégralité des parts a été cédée et la société en nom collectif à responsabilité illimitée a été remplacée par une SARL dont le capital social s’élève à 15 000 euros seulement ;
– la société n’a pas justifié du respect de ses obligations en matière d’assurance ;
– les éléments comptables qu’elle a produit sont incomplets et ne reflètent pas la réalité de la situation ce qui l’a mis dans l’impossibilité d’exercer son pouvoir de contrôle de l’exploitation ;
– en 2005, la société a modifié ses méthodes comptables, en violation du principe de permanence des méthodes comptables résultant de l’article L. 123-17 du code de commerce, ce qui a entraîné une diminution des provisions pour dragage et pour renouvellement et retardé de deux ans le dragage du port dont il a finalement supporté une partie du coût ; le périmètre des biens à renouveler a été réduit ;
– le tribunal a relevé à bon droit que le défaut d’entretien du port constituait un risque pour la sécurité des usagers ;
– l’état de vétusté de certains équipements était tel que l’expert a préconisé leur renouvellement et en a évalué le coût imputable à l’ancien concessionnaire au prorata de la durée effective de la concession ;
– le bénéfice de 198 000 euros réalisé en 2005 provient exclusivement des sommes affectées au fonds de renouvellement et de gros entretien et indispensables à la réalisation des travaux nécessaires ;
– la société lui a présenté des comptes déficitaires pour l’année 2005 alors que les comptes soumis à son assemblée générale et transmis aux services fiscaux faisaient apparaître un résultat positif ;
– elle n’a pas été en mesure de justifier de frais d’un montant total de 88 032 euros refacturés en 2005 par sa société mère ;
– le manque à gagner invoqué n’est pas indemnisable ainsi que l’a jugé le tribunal ; il se réfère sur ce point au troisième mémoire en défense qu’il a présenté en première instance ;
– les factures d’un montant total de 12 258 286 euros correspondant à des investissements non amortis sont sans lien avec les bilans comptables présentés par la société ; établies par une filiale de la société, elles ne justifient pas de la réalisation de travaux se rapportant au fonctionnement du port ;
– en application de l’article 55 du traité de concession, les provisions pour dépréciation doivent être déduites de l’indemnité de déchéance ;
– l’école de voile faisant partie de la concession, en application de l’article 1.4 du cahier des charges, le coût de son entretien est dû par la société ;
– contrairement à ce que soutient la société, les ouvrages n’étaient pas en bon état d’entretien à la fin de la concession ;
– sauf stipulations contraires, le solde du fonds de travaux est attribué au concédant à la fin de la concession ; les provisions prévues par l’article 44 du traité de concession constituent un fonds de travaux ; les provisions réglementées lui reviennent également en fin de concession ;
– les frais d’expertise doivent rester à la charge de la société ;
Vu le courrier du 16 janvier 2014 adressé aux parties en application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les informant de la période à laquelle il est envisagé d’appeler l’affaire à l’audience et précisant que l’instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article R. 613-1 et le dernier alinéa de l’article R. 613-2 du même code ;
Vu le mémoire, enregistré le 17 janvier 2014, présenté pour Me H…, par Me C… ; Me H…conclut aux mêmes fins que précédemment tout en ramenant à 20 316 562 euros le montant de l’indemnité demandée et en réévaluant à 10 000 euros la somme demandée au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle demande en outre à la cour de mettre les frais d’expertise à la charge du département ;
elle ajoute que :
– en lui faisant supporter le coût des travaux d’entretien évalués par l’expert tout en l’obligeant à restituer les provisions constituées, le tribunal lui a imposé de payer deux fois la même somme ; les provisions réglementées d’un montant de 345 818 euros mentionnées sur le titre exécutoire sont identiques aux amortissements qu’il a déduits de l’indemnité de résiliation en application de l’article 55 du traité de concession ;
– l’autorité délibérante a été informée de son absence de réponse à la demande d’explications du port datée du 14 novembre 2007 alors qu’elle avait répondu ce qui constitue une violation des droits de la défense et a porté atteinte au droit d’information des élus ; la décision de résiliation se trouve ainsi entachée d’irrégularité ;
– contrairement à ce qu’a jugé le tribunal la décision de résiliation n’est pas fondée, notamment, sur l’absence d’information sur la cession de parts sociales mais sur l’absence d’agrément préalable du concédant ; les stipulations contractuelles ne prévoyaient pas un tel agrément ; le port a été informé de la cession le 25 avril 2005 ; la jurisprudence ne sanctionne pas la cession de parts sociales par le concessionnaire par la résiliation pour faute mais par la résiliation pour motif d’intérêt général ; le département ne peut se prévaloir des stipulations du protocole d’accord du 15 février 2005 à l’égard duquel il a la qualité de tiers ;
– elle a satisfait à son obligation de communication des documents comptables et budgétaires et n’a pas induit le département en erreur sur ses résultats et sa situation financière ;
– les frais refacturés par la société mère sont justifiés et n’ont que ponctuellement augmenté en 2005 en raison d’une modification du mode de répartition des charges entre elles et de frais rendus nécessaires par l’adaptation de la gestion du port au changement de contrôle et de gérance ;
– contrairement à ce qu’a jugé le tribunal les provisions prévues par l’article 44 du traité de concession ne sont pas destinées au renouvellement des ouvrages du port mais à celui des outillages ; le jugement mentionne l’insuffisance des dotations aux amortissements alors que la décision de résiliation ne mentionne que l’insuffisance des dotations aux provisions ;
– l’insuffisance des provisions constatée par le département résulte de la surévaluation des travaux d’entretien nécessaires dans le cadre d’une étude réalisée par une société dont il est le principal donneur d’ordre ; les provisions constituées auraient permis de réaliser les travaux préconisés par l’expert ;
– le seul fait de ne pas doter les provisions au cours d’une année ou d’effectuer une reprise de provisions ne constitue pas un manquement à l’obligation contractuelle d’en constituer ; des provisions avaient été de nouveau constituées au titre de l’année 2007 lorsque la décision de résiliation a été prise ;
– le concédant, qui n’a pas à s’immiscer dans le mode de fonctionnement de la société, ne peut lui reprocher une modification dans la présentation des comptes annuels ou dans ses méthodes d’évaluation ;
– le port a été dragué en temps utile en 2007 ; l’apparition de nouveaux défauts d’entretien a été constatée après la résiliation du contrat ;
– l’article 6 du cahier des charges de la concession fait état de frais de construction évalués à 18 810 381,67 euros (110 108 000 francs) et le fait qu’un port a été construit ne peut être contesté ;
– en l’absence de faute, elle a droit à l’indemnisation de son manque à gagner, évalué à 8 563 000 euros ;
– le chiffrage des travaux à effectuer ne peut se fonder sur le rapport de l’expert lorsque ce dernier a été dans l’impossibilité de vérifier les données portées à sa connaissance ; réalisé cinq ans après la résiliation de la concession, il en a surévalué le coût ;
– à titre subsidiaire, la résiliation pour faute du contrat ne la prive pas d’une indemnité correspondant à la valeur non amortie des installations réalisées, laquelle s’établit à 11 835 877 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 26 février 2014, présenté pour le département du Calvados qui maintient ses conclusions en défense ;
il ajoute que :
– dans le cas de la résiliation, le sort des amortissements et des provisions n’est pas réglé par l’article 51 mais par l’article 55 du traité de concession ; le concédant en conserve le montant et peut mettre en outre à la charge du concessionnaire le coût de remise en état des ouvrages ; la société requérante n’a donc pas été condamnée à payer deux fois les mêmes sommes ;
– la société a été mise à même de présenter des observations le 7 novembre 2007 lors de l’audition de son gérant et en réponse au procès-verbal d’audition par un courrier reçu le 10 décembre 2007, postérieur au délai de quinze jours imparti ; de ce fait, la délibération du 21 décembre 2007 ne mentionne pas de manière erronée que cette proposition était demeurée sans réponse ; ce courrier n’ajoute rien aux déclarations faites par le gérant lors de son audition ;
– le rapport d’information a été communiqué aux conseillers généraux le 7 décembre 2007 avant sa réception ;
– l’information donnée sur la cession de parts ne vaut pas agrément ; l’article 29.1 du cahier des charges ne subordonne pas seulement la cession partielle ou totale de la concession à agrément mais également le changement de concessionnaire ;
– en application de l’article 44 du cahier des charges les provisions ont vocation à être vérifiées par l’autorité concédante ;
– l’état de mauvais entretien des installations a été constaté dès 2007 ;
– il appartient à la société requérante d’établir l’existence et le montant des investissements non amortis ; il a participé à la construction du port par l’octroi de subventions d’un montant total de 7,9 millions d’euros ;
– ayant effectué un calcul au prorata du temps écoulé, l’expert n’a pas mis à la charge de la société le coût d’entretien des ouvrages jusqu’à l’échéance normale de la concession ;
Vu l’ordonnance du 28 février 2014 fixant la clôture de l’instruction au 28 mars 2014 ;
Vu le mémoire, enregistré le 27 mars 2014 et non communiqué, présenté pour Me H… qui conclut aux mêmes fins que précédemment ;
elle ajoute que :
– le régime des provisions prévu par l’article 44 du cahier des charges s’applique que le contrat prenne fin à son terme ou par l’effet de sa résiliation ; la lecture de l’article 55 à laquelle se livre le département serait à l’origine d’un enrichissement sans cause du concédant ;
– la preuve du paiement des primes d’assurance jointe aux observations présentées le 5 décembre 2007 constituait un élément nouveau ; il appartenait au département de reporter la séance du conseil général afin de respecter les droits de la défense et d’assurer l’information des élus ;
– elle a tenu compte des critiques relatives à la tenue de sa comptabilité relative à l’année 2005 dès l’année suivante ;
– l’état de mauvais entretien du port retenu par le département est très exagéré ainsi que l’attestent, notamment, les délais dans lesquels des travaux ont été effectués après la résiliation du contrat ;
– l’évaluation du coût de construction du port tient compte des subventions dont elle a bénéficié ; l’actualisation des dépenses de construction engagées déduction faite de ces subventions conduit à un coût supérieur à celui dont la prise en compte est demandée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l’arrêté du président du conseil général du Calvados du 29 décembre 1989 portant concession à la société en nom collectif Sogéa Port Normand de la construction et de l’exploitation d’un port de plaisance à Dives-sur-Mer ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 7 octobre 2014 :
– le rapport de Mme Aubert, président-assesseur ;
– les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;
– les observations de Me C…pour MeH…, mandataire liquidateur de la société CEP-A Port Guillaume ;
– et les observations de Me F…pour le département du Calvados ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 octobre 2014, présentée pour le département du Calvados ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 octobre 2014, présentée pour MeH… ;
1. Considérant que par un arrêté du 29 décembre 1989 le président du conseil général du Calvados a concédé l’établissement et l’exploitation d’un port de plaisance à Dives-sur-Mer à la société en nom collectif (SNC) Sogea Port Normand, devenue en 2001 la SNC CEP-A Port Guillaume, pour une durée de quarante ans à compter du 1er janvier 1990 ; que, par un arrêté du 26 décembre 2007, il a prononcé la résiliation pour faute aux torts exclusifs du concessionnaire du contrat de concession à compter de sa notification puis a émis, le 20 décembre 2011, un titre exécutoire d’un montant de 1 858 819 euros correspondant au montant des provisions qu’il estimait que le département était en droit de conserver ; que la société CEP-A Port Guillaume relève régulièrement appel du jugement du 28 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Caen l’a condamnée à verser au département du Calvados la somme de 679 406,61 euros correspondant au solde du décompte de résiliation du contrat et a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation du titre exécutoire émis le 20 décembre 2011 ainsi qu’à la décharge de l’obligation de payer la somme de 1 858 819 euros mentionnée par ce titre exécutoire et par la lettre de rappel du 30 janvier 2012 ; que, par jugement du tribunal de commerce de Nice du 7 mars 2013, la société a été placée en liquidation judiciaire et la société civile professionnelle de mandataires judiciaires Pellier-Molla a été désignée liquidateur judiciaire de cette société, laquelle est désormais représentée devant la cour par ce liquidateur ; que, dans ces conditions, le mémoire en intervention volontaire présenté par Me H…le 1er juillet 2013 doit être regardé comme un nouveau mémoire ;
Sur le bien-fondé de la résiliation :
2. Considérant que la décision de résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs
du concessionnaire est fondée sur cinq motifs relatifs, en premier lieu, à la cession en 2005 de l’ensemble des parts sociales de la société en nom collectif CEP-A Port Guillaume sans l’agrément préalable du concédant prévu par l’article 29-1 du cahier des charges annexé à l’arrêté portant concession, suivie en juin 2005 de la transformation de cette société en société à responsabilité limitée, une telle transformation ayant pour conséquence de diminuer les garanties du concédant, en deuxième lieu, au non respect de l’obligation de transmission au concédant des comptes et des budgets de la concession prévue par l’article 43 de ce cahier, en troisième lieu, à l’absence de transmission d’un exemplaire complet du contrat d’assurance, requis par l’article 21 du même cahier et de production des quittances justifiant du paiement des primes d’assurance, en quatrième lieu, à la diminution au titre de l’exercice 2005 des provisions résultant d’un changement de méthode comptable non justifié et à l’insuffisance des provisions constituées au titre de cet exercice en méconnaissance des prescriptions de l’article 44 de ce cahier et, enfin, à la présentation au concédant, afin d’obtenir des augmentations de tarifs, de documents comptables relatifs à cet exercice faisant apparaître un résultat déficitaire, différents des documents comptables transmis à l’administration fiscale, lesquels faisaient état d’un résultat excédentaire et comprenant de façon injustifiée un doublement des frais facturés en 2005 au titre des » services groupes » par la société mère, ces frais représentant 12,3 % des produits alors qu’ils ne s’élevaient antérieurement, avant le changement de gérance qu’à 6,1% ; que, si cette décision mentionne dans les développements consacrés au troisième motif que l’état d’entretien du port est jugé insuffisant, elle ne contient aucun élément précis sur ce point ; que, dès lors, la société requérante soutient à juste titre que, contrairement à ce que le tribunal a jugé, le défaut d’entretien du port, lequel n’est au surplus pas établi, n’est pas au nombre des motifs qui ont justifié la résiliation du contrat ;
3. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à l’exception de l’absence de transmission d’un exemplaire complet du contrat d’assurance et de la justification du paiement des primes d’assurance, laquelle ressort suffisamment des pièces adressées par le concessionnaire au département, la réalité des faits sur lesquels la décision de résiliation du contrat de concession est fondée est établie ;
4. Considérant, d’une part, qu’aux termes du premier alinéa de l’article 29-1 du cahier des charges de la concession annexé à l’arrêté du 29 décembre 1989 du président du conseil général du Calvados : » Aucune cession partielle ou totale de la concession, aucun changement de concessionnaire ne peuvent avoir lieu, à peine de nullité, qu’en vertu d’une autorisation donnée par l’autorité concédante, le concessionnaire entendu. » ; que lorsque la société concessionnaire envisage au cours de l’exécution du contrat de céder la totalité de son capital à un tiers avec lequel elle n’a, directement ou indirectement, aucun lien capitalistique, cette cession, qui certes ne se traduit pas par elle-même par la cession à ce tiers du contrat de concession, doit être regardée comme ayant pour effet un changement de concessionnaire au sens et pour l’application de cet article lorsque le concédant justifie que les données relatives notamment à la capacité financière du candidat, laquelle est susceptible d’être appréciée en prenant en compte l’identité du détenteur de son capital, ont joué un rôle déterminant dans l’attribution de la concession ; qu’en vertu de cet article, le changement de l’identité du détenteur de la totalité du capital de cette société ne peut alors intervenir sans autorisation de l’autorité concédante ; que le concessionnaire, qui ne sollicite pas une telle autorisation de cession de la totalité de son capital à un tiers et procède à cette cession, commet une faute susceptible de revêtir un caractère d’une particulière gravité ; que la personne publique peut alors retenir ce grief pour prononcer, le cas échéant au vu également d’autres griefs, la résiliation de la concession aux torts du concessionnaire ;
5. Considérant que le capital de la SNC Sogea Port Normand était détenu en 1989, à hauteur de 999 parts, par la société Sogea Normandie, devenue en 1993 la société Sogea Nord-Ouest, et, pour une part, par la société financière de participations pour le bâtiment et les travaux publics (SOFIPA) ; que le 31 janvier 2000 ces sociétés ont cédé ces participations respectivement à la SA Compagnie d’exploitation des ports, filiale du groupe Véolia Environnement et à la SA EDRIF ; que ces deux sociétés ont cédé en mars 2005 les parts de la SNC Sogea Port Normand, devenue la SNC CEP-A Port Guillaume, respectivement à la société par actions simplifiée Compagnie européenne portuaire et d’aménagement (CEPA) et à M.B…, son gérant ; qu’il résulte de l’instruction que M.B…, qui était président directeur général de la SA Compagnie d’exploitation des ports avant qu’il ne quitte le groupe, a créé la société CEPA dont il détient les parts et est le gérant ; que la cession de ces parts est devenue effective le 15 avril 2005 ; que si le département du Calvados a été postérieurement informé, le 25 avril 2005 puis par une lettre de M. B…du 31 mai 2005, de cette cession, il est constant que celle-ci est intervenue sans autorisation, expresse ou implicite, de la personne publique concédante ; que le département a constamment soutenu sans être contredit sur ce point que la cession de la totalité des parts de la SNC CEP-A Port Guillaume, désormais détenue directement ou indirectement par une seule et même personne physique, avait eu pour effet de mettre la concession entre les mains d’une société n’ayant aucun lien de dépendance avec celle qu’il avait choisie et que l’une des conséquences majeures de cette cession des parts sans autorisation préalable était » une diminution des garanties » offertes, ainsi que l’a relevé la délibération du conseil général du 21 décembre 2007 autorisant le président de l’assemblée départementale à procéder à la déchéance du concessionnaire ; que le département doit ainsi être regardé comme justifiant que les données relatives à la capacité financière du candidat avaient pris en compte l’identité du détenteur de son capital et joué un rôle déterminant tant dans l’attribution de la concession que dans le maintien du concessionnaire après le changement intervenu en janvier 2000 ; que, sans qu’il y ait lieu de prendre en compte la transformation en juin 2005 en société à responsabilité limitée de la société en nom collectif CEP-A Port Guillaume, cette cession a eu pour effet un changement de concessionnaire au sens et pour l’application de l’article 29-1 du cahier des charges ; qu’ainsi en procédant à de telles cessions des parts sociales, qui ont entraîné le changement total des actionnaires sans aucun lien capitalistique avec leurs précédents détenteurs, sans avoir préalablement obtenu l’accord du département du Calvados, le concessionnaire a commis une faute qui, dans les circonstances de l’espèce, revêt un caractère d’une particulière gravité ; que le département pouvait prendre en compte ce grief alors même que la décision de résiliation n’est intervenue qu’en 2007 ;
6. Considérant, d’autre part, que la SNC CEP-A Port Guillaume a manqué à son obligation de loyauté à l’égard de son cocontractant en lui présentant des comptes relatifs à l’exercice 2005 faisant apparaître un résultat déficitaire alors que les comptes présentés par ailleurs à son propre conseil d’administration et à l’administration fiscale faisaient apparaître un résultat excédentaire, en ne justifiant pas de manière suffisante de l’augmentation au cours de cet exercice des frais refacturés par sa société mère, notamment de frais de déplacement et de réception qui se sont élevés à 42 000 euros, et en diminuant le montant des provisions constituées sans que la diminution alléguée tirée d’un changement de méthode comptable ne soit justifié ;
7. Considérant qu’il suit de là que les motifs retenus ci-dessus et invoqués par le département étaient de nature à justifier la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs du concessionnaire ;
8. Considérant que la circonstance que, dans le cadre de la procédure contradictoire ayant précédé cette décision, le département du Calvados aurait méconnu les droits de la défense et porté atteinte au droit d’information des membres de l’assemblée départementale en ne portant pas à leur connaissance un courrier de la société CEP-A Port Guillaume reçu le 10 décembre 2007 justifiant du paiement des primes d’assurance n’est pas utilement invoquée dès lors, et en tout état de cause, que la résiliation a été prononcée au vu d’un ensemble de motifs et qu’il ne résulte pas de l’instruction que le motif, non fondé ainsi qu’il est dit au point 3 du présent arrêt, tiré du non respect par le co