Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, la requête, enregistrée le 19 juillet 2013, présentée pour la société par actions simplifiée (SAS) Thermo Electron Holdings dont le siège social est 10 rue Duguay-Trouin à Saint-Herblain (44800) par Me Boutin, avocat ; la SAS Thermo Electron Holdings demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1008984 du 6 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant, d’une part, au rétablissement des déficits déclarés au titre des exercices clos en 2003, 2004, 2005 et 2006 et, d’autre part, à la décharge de la retenue à la source de 101 456 euros à laquelle elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2006 ainsi que des pénalités et intérêts de retard dont ce complément d’impôt a été assorti ;
2°) de lui accorder cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 7 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
– l’administration ne pouvait pas recourir à la notion d’abus de droit pour estimer qu’en réalité, le prêt avait été accordé directement par la société américaine Thermo Electron Corporation et faire application, par conséquent, de l’article 212 du code général des impôts ;
– l’administration ne justifie en effet ni du caractère fictif du prêt accordé par la société Thermo Finance Company Bv ni de l’existence d’une fraude à la loi ;
– l’article 212 du code général des impôts ne lui est pas opposable compte tenu de la clause de non discrimination contenue dans la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 ;
– la société américaine Thermo Electron Corporation est sa société mère au sens de l’article 145 du code général des impôts ;
– c’est à tort que la retenue à la source a été appliquée dès lors d’une part qu’elle n’a pas commis d’abus de droit et d’autre part que l’administration n’établit pas que les intérêts litigieux ont été appréhendés par la société Thermo Electron Corporation ;
– la documentation administrative 4 J-1213 indique en effet que dans cette situation, en cas d’exercice déficitaire, il ne peut pas y avoir de revenus distribués ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2013, présenté par le ministre délégué chargé du budget ; il conclut au rejet de la requête ;
il soutient que :
– le service était en droit d’estimer que le contrat de prêt conclu le 12 novembre 2003 avait pour objet de dissimuler la véritable identité du prêteur et ce montage avait pour objet d’éluder l’impôt ;
– la clause de non discrimination prévue à l’article 25 de la convention fiscale franco-américaine ne lui interdit pas d’appliquer l’article 212 du code général des impôts ;
– la société Thermo Electron Corporation n’étant pas une société soumise en France à l’impôt sur les sociétés au taux normal, elle n’est pas une société mère au sens de l’article 145 du code général des impôts ; c’est donc à bon droit qu’elle a limité la déduction des intérêts litigieux ;
– compte tenu des liens capitalistiques existant entre la société Thermo Electron Corporation, la SAS Thermo Electron Holdings et la société Thermo Finance Company Bv, l’inscription des intérêts à des comptes de frais à payer au nom de cette dernière suffit à considérer que la société Thermo Electron Corporation a eu la disposition de ces sommes ; c’est dès lors à bon droit que la retenue à la source a été appliquée ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 12 novembre 2013, présenté pour la SAS Thermo Electron Holdings ; elle conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 14 janvier 2014, présenté par le ministre délégué chargé du budget ; il persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 29 janvier 2014, présenté pour la SAS Thermo Electron Holdings ; elle conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 février 2014, présenté par le ministre délégué chargé du budget ; il persiste dans ses conclusions en faisant savoir que le dernier mémoire n’appelle pas d’observations particulières de sa part ;
Vu l’ordonnance en date du 1er avril 2015 fixant la clôture de l’instruction le 4 mai 2015 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Paris le 31 août 1994 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 juin 2015 :
– le rapport de M. Etienvre, premier conseiller,
– et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public ;
1. Considérant qu’à l’issue d’une vérification de comptabilité de la société par actions simplifiée (SAS) Thermo Electron Holdings, l’administration fiscale a estimé, d’une part, que la somme de 65 400 000 euros qui lui a été prêtée par la société de droit néerlandais Thermo Euroglass Bv, le 12 novembre 2003 pour acheter le groupe Jouan au prix de 110 900 000 euros en décembre 2003, devait être regardée comme ayant été en réalité prêtée par la société américaine Thermo Electron Corporation, unique associée de la SAS Thermo Electron Holdings, ce qui a justifié le recours à la procédure de l’abus de droit prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que l’administration fiscale a, en conséquence, limité la déduction des intérêts dus par la SAS Thermo Electron Holdings dans les conditions prévues à l’article 212 du code général des impôts ; que la réintégration de ces intérêts a conduit le service à réduire le montant des déficits déclarés au titre des exercices clos en 2003, 2004, 2005 et 2006 ; que l’administration fiscale a estimé, d’autre part, qu’en raison de l’inscription au crédit de comptes de frais à payer au nom de la société Thermo Finance Company Bv, à qui le prêt a été en dernier lieu transféré, des intérêts dus au titre de l’exercice 2006 ainsi que du produit de la capitalisation de ces intérêts, la société Thermo Electron Corporation devait être regardée comme ayant eu la disposition de ces revenus distribués au sens des dispositions du 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts ce qui a conduit le service à imposer la SAS Thermo Electron Holdings à la retenue à la source prévue à l’article 119 bis du même code ; que la SAS Thermo Electron Holdings, qui a été informée de ces rectifications par proposition du 17 décembre 2009, relève appel du jugement du 6 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant, d’une part, au rétablissement des déficits déclarés au titre des exercices clos en 2003, 2004, 2005 et 2006 et, d’autre part, à la décharge de la retenue à la source de 101 456 euros à laquelle elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2006 ainsi que des pénalités et intérêts de retard dont cette imposition a été assortie ;
Sur les conclusions tendant au rétablissement des déficits déclarés :
2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales : « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles (…) » ;
3. Considérant que la SAS Thermo Electron Holdings soutient que l’administration a écarté à tort le prêt qu’elle avait contracté avec la société Thermo Euroglass Bv en estimant que celui-ci avait pour objet de dissimuler l’identité du véritable prêteur, la société américaine Thermo Electron Corporation, dès lors, d’une part, que l’article 212 du code général des impôts ne peut lui être opposé compte tenu de la clause de non discrimination prévue à l’article 25 de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Paris le 31 août 1994 et que, d’autre part, la limitation de la déduction des intérêts prévue à cet article 212 ne lui est pas applicable dans la mesure où la société Thermo Electron Corporation est sa société mère au sens de l’article 145 du code général des impôts ;
4. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 212 du code général des impôts : « Les intérêts afférents aux sommes que les associés laissent ou mettent à la disposition de la société sont admis dans les charges déductibles dans les conditions prévues au 3° du 1 de l’article 39. Toutefois : 1° La déduction n’est admise, en ce qui concerne les associés ou actionnaires possédant, en droit ou en fait, la direction de l’entreprise ou détenant plus de 50 p. 100 des droits financiers ou des droits de vote attachés aux titres émis par la société, que dans la mesure où ces sommes n’excèdent pas, pour l’ensemble desdits associés ou actionnaires, une fois et demie le montant du capital social. Cette limite n’est pas applicable : (…) b. Aux intérêts afférents aux avances consenties par une société ou à une autre société lorsque la première possède, au regard de la seconde, la qualité de société mère au sens de l’article 145 (…) » ; qu’aux termes de l’article 25 de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique signée à Paris le 31 août 1994 : « (…) 3. a) A moins que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 9 (Entreprises associées), du paragraphe 6 de l’article 11 (Intérêts) ou du paragraphe 7 de l’article 12 (Redevances) ne soient applicables, les intérêts, redevances et autres dépenses payés par une entreprise d’un Etat contractant à un résident de l’autre Etat contractant sont déductibles, pour la détermination des bénéfices imposables de cette entreprise, dans les mêmes conditions que s’ils avaient été payés à un résident du premier Etat (…) b) Les dispositions de la présente Convention n’empêchent en rien l’application de l’article 212 du code général des impôts français tel qu’il peut être amendé sans que son principe général en soit modifié, ou d’autres dispositions analogues qui s’ajouteraient ou se substitueraient à celles de cet article (y compris des dispositions analogues à celles qui sont applicables aux Etats-Unis), si et dans la mesure où cette application est compatible avec les principes contenus dans le paragraphe 1 de l’article 9 (Entreprises associées). 4. Les entreprises d’un Etat contractant dont le capital est en totalité ou en partie, directement ou indirectement, détenu ou contrôlé par un ou plusieurs résidents de l’autre Etat contractant, ne sont soumises dans le premier Etat à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celles auxquelles sont ou pourront être assujetties les autres entreprises similaires du premier Etat (…) » ; qu’aux termes, enfin, du paragraphe 1 de l’article 9 de cette convention : « Lorsque a) une entreprise d’un État contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise de l’autre État contractant, ou que b) les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise d’un État contractant et d’une entreprise de l’autre État contractant, et que, dans l’un et l’autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisés par l’une des entreprises mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence. » ;
5. Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, la convention signée à Paris le 31 août 1994 contient en son article 25 une stipulation prévoyant que les stipulations de cette convention n’interdisent pas à la France d’appliquer l’article 212 du code général des impôts si et dans la mesure où cette application est compatible avec les principes contenus dans le paragraphe 1 de l’article 9 de la convention ; que tel est le cas en l’espèce dès lors que le principe énoncé au paragraphe 1 de l’article 9 de la convention, qui a pour objet d’autoriser l’Etat français à procéder à la réintégration de bénéfices lorsque des transactions ont été conclues entre entreprises associées à des conditions qui ne sont pas celles du marché, a un champ d’application différent ; que la SAS Thermo Electron Holdings n’est par suite pas fondée à soutenir que la limitation prévue à l’article 212 du code général des impôts ne lui est pas opposable en vertu de la clause de non discrimination prévue à l’article 25 de la convention fiscale franco-américaine ;
6. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : « 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu’il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal (…) » ;
7. Considérant que la société Thermo Electron Corporation, dont le siège social est aux Etats-Unis et qui n’établit ni même n’allègue avoir un établissement stable en France, n’est pas fondée soutenir qu’elle a la qualité de société mère au sens des dispositions de l’article 145 du code général des impôts ;
8. Considérant qu’il suit de ce qui précède que l’administration, à qui incombe la charge de la preuve, établit qu’en contractant le prêt avec la société de droit néerlandais Thermo Euroglass Bv et en dissimulant par suite l’identité du véritable prêteur, la SAS Thermo Electron Holdings n’a, en recherchant le bénéfice d’une application littérale des dispositions de l’article 212 du code général des impôts à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, été inspirée par aucun autre motif que celui d’atténuer les charges fiscales qu’elle aurait, si ce contrat de prêt n’avait pas été signé, normalement supportées eu égard à sa situation ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que l’administration fiscale n’était pas en droit d’écarter le contrat litigieux sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
Sur les conclusions tendant à la décharge de la retenue à la source :
En ce qui concerne la loi fiscale :
9. Considérant qu’aux termes du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : « Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé à l’article 187-1 lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (…) » ; qu’aux termes de l’article 109 de ce code : « 1. Sont considérés comme revenus distribués : (…) 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices (…) » ;
10. Considérant, en premier lieu, qu’il est constant que les intérêts dus au titre de l’exercice 2006, dans le cadre du prêt contracté le 12 novembre 2003, ainsi que le produit de leur capitalisation ont été portés, au cours de l’exercice clos en 2006, au crédit de deux comptes de frais à payer au nom de la société Thermo Finance Company Bv ; que, dans la mesure où la société Thermo Electron Corporation est l’associée unique tant de cette société que de la SAS Thermo Electron Holdings, la société Thermo Electron Corporation doit être regardée comme ayant participé de façon déterminante à cette décision et regardée comme ainsi appréhendé les intérêts litigieux ; que c’est dès lors à bon droit que l’administration fiscale a appliqué à ces sommes la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis du code général des impôts ;
11. Considérant, en second lieu, que la requérante n’est pas fondée, compte tenu de ce qui a été dit au point 8, à soutenir que, dès lors qu’elle n’a pas commis d’abus de droit en contractant avec la société Thermo Euroglass Bv le prêt signé le 12 novembre 2003, l’administration fiscale ne pouvait la soumettre à cette retenue à la source ;
En ce qui concerne l’interprétation de la loi fiscale :
12. Considérant que la SAS Thermo Electron Holdings n’est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 21 de la documentation administrative de base référencée 4 J-1213 du 1er novembre 1995 dès lors que celui-ci ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il a été fait application ;
13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SAS Thermo Electron Holdings n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la SAS Thermo Electron Holdings demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Thermo Electron Holdings est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Thermo Electron Holdings et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l’audience du 4 juin 2015, à laquelle siégeaient :
– M. Bataille, président de chambre,
– Mme Aubert, président-assesseur,
– M. Etienvre, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 juin 2015.
Le rapporteur,
F. ETIENVRELe président,
F. BATAILLE
Le greffier,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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N° 13NT02119