CAA de NANTES, 1ère chambre, 24/09/2020, 18NT03820, Inédit au recueil Lebon

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CAA de NANTES, 1ère chambre, 24/09/2020, 18NT03820, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Boussard Michel a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012.

II. L’EURL Boussard Michel a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015.

Par un jugement nos 1605431 – 1709086 du 6 juillet 2018, le tribunal administratif de Nantes a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la société a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2015 (article 1er), a mis à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2) et a rejeté le surplus de la demande (article 3).

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 octobre 2018, 22 mai 2019, 14 mai et 28 août 2020, le ministre de l’action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d’annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;

2°) de remettre à la charge de l’EURL Boussard Michel les rappels de taxe sur la valeur ajoutée d’un montant en droits et pénalités de 172 619 euros au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012 et de 163 846 euros au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015 ;

3°) d’ordonner la restitution de la somme de 1 500 euros versée à la société en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– l’application du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge prévu à l’article 268 du code général des impôts suppose que le bien vendu conserve la même qualification juridique entre l’achat et la revente ;

– la vente, après division parcellaire, d’un terrain à bâtir qui faisait initialement partie du terrain d’assiette d’un immeuble bâti ne peut, par conséquent, relever du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge prévu à l’article 268 de ce code.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 avril 2019, l’EURL Boussard Michel, représentée par Me A… et Me C…, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre de l’action et des comptes publics ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. B…,

– et les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Boussard Michel a acquis entre 2008 et 2010, en qualité de marchand de biens, trois ensembles immobiliers composés chacun d’une maison d’habitation et d’un terrain. Sur la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012, la société a ensuite vendu onze terrains à bâtir issus du démembrement de ces trois propriétés. Ces terrains à bâtir ont été revendus en incluant la taxe sur la valeur ajoutée calculée sur la marge, en application de l’article 268 du code général des impôts. De la même façon, sur la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015, la société a cédé, sous le régime de la taxation sur la marge, onze autres terrains issus du démembrement de six ensembles immobiliers composés chacun d’une maison et d’un terrain. A l’issue de deux vérifications de comptabilité qui ont porté sur la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012 et sur la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015, l’administration fiscale a notamment estimé que la vente de ces terrains ne pouvait pas relever de ce régime particulier de taxation sur la marge et aurait dû faire l’objet d’une taxation sur le prix total. Après mise en recouvrement des rappels découlant de ces contrôles et rejet de ses réclamations, la société a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge de ces rappels. Par un jugement du 6 juillet 2018, le tribunal a fait droit à sa demande. Le ministre de l’action et des comptes publics relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. Le I de l’article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable, issue de l’article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l’article 266 du même code, l’assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.

3. L’article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que :  » Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat « . L’article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l’article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que :  » S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir (…), si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre : / 1° D’une part, le prix exprimé et les charges qui s’y ajoutent ; / 2° D’autre part, selon le cas : / – soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du terrain(…); / – soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués. « .

4. Il résulte de ces dernières dispositions, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti.

5. En l’espèce, il résulte de l’instruction que les terrains à bâtir cédés par l’EURL Boussard Michel faisaient partie, au moment de leur acquisition, d’une seule et même unité foncière supportant une maison d’habitation. Ces terrains avaient donc, au moment de leur acquisition, la qualité d’immeuble bâti et non de terrains à bâtir. La circonstance que les actes de vente de plusieurs de ces terrains faisaient état d’une condition suspensive liée à la division de ces terrains est sans incidence sur la qualification de ces terrains, dès lors que ceux-ci n’ont pas été acquis séparément par la société. Les terrains cédés par l’EURL Boussard Michel n’ayant pas, au moment de leur acquisition, la qualité de terrain à bâtir mais celle de terrain bâti, la société ne pouvait se placer, pour vendre ces terrains, sous le régime de la taxation sur la marge prévu par l’article 268 du code général des impôts. Ainsi, c’est à tort que le tribunal s’est fondé sur ce motif pour décharger l’EURL Boussard Michel des impositions en litige.

6. Aucun autre moyen n’ayant été invoqué devant le tribunal administratif de Nantes par l’EURL Boussard Michel à l’appui de sa demande, dont la cour se trouverait saisie par l’effet dévolutif de l’appel, le ministre de l’action et des comptes publics est fondé à demander l’annulation des articles 1er et 2 du jugement attaqué.

Sur la demande du ministre de l’action et des comptes publics tendant à ce que soit ordonnée la restitution de la somme de 1 500 euros mise à la charge de l’Etat en première instance :

7. Il résulte des dispositions de l’article L. 11 du code de justice administrative que les décisions des juridictions administratives sont exécutoires. Lorsque le juge d’appel infirme une condamnation prononcée en première instance, sa décision, dont l’expédition notifiée aux parties est revêtue de la formule exécutoire prévue à l’article R. 751-1 du code de justice administrative, permet par elle-même d’obtenir, au besoin d’office, le remboursement de sommes déjà versées en vertu de cette condamnation. Ainsi, l’annulation du jugement attaqué implique nécessairement la restitution de la somme de 1 500 euros mise à la charge de l’Etat en première instance. Il n’y a donc pas lieu, dans ces conditions, de faire droit à la demande du ministre de l’action et des comptes publics tendant à ce que soit ordonnée la restitution de cette somme.

Sur les frais liés au litige :

8. L’Etat n’étant pas partie perdante, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par l’EURL Boussard Michel sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement nos 1605431 – 1709086 du tribunal administratif de Nantes du 6 juillet 2018 sont annulés.

Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée d’un montant, en droits et pénalités, de 172 619 euros au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012 et de 163 846 euros au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015 sont remis à la charge de l’EURL Boussard Michel.

Article 3 : Les conclusions d’appel de la EURL Boussard Michel tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’action et des comptes publics et à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Boussard Michel.

Délibéré après l’audience du 10 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

– M. Bataille, président de chambre,

– M. Geffray, président assesseur,

– M. B…, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 septembre 2020.

Le rapporteur,

H. B…Le président,

F. Bataille

La greffière,

E. Haubois

La République mande et ordonne au ministre des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

No 18NT038202


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