CAA de NANTES, 1ère Chambre , 17/12/2015, 14NT00415, Inédit au recueil Lebon

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CAA de NANTES, 1ère Chambre , 17/12/2015, 14NT00415, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif (SNC) La Ville au Ruisseau a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée, d’un montant de 186 684 euros, qu’elle a collectée au titre de la période du 1er octobre au 31 décembre 2008.

Par un jugement n° 1101075 du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 février 2014, 31 mars 2015 et 16 novembre 2015, la SNC La Ville au Ruisseau, représentée par Me A…, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 19 décembre 2013 ;

2°) de prononcer un non-lieu à statuer sur ses conclusions à fin de restitution à concurrence de la somme de 50 171 euros ;

3°) de prononcer la restitution des impositions restant en litige ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– l’administration a entendu prononcer un dégrèvement de la somme de 50 171 euros ;

– sa demande de remboursement d’un crédit de taxe, telle que présentée à l’administration, était recevable dès lors que la voie de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales lui était ouverte ;

– l’article 137 de la directive du 28 novembre 2006 imposait aux Etats membres d’accorder à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation des opérations de livraisons de biens immeubles non bâtis autres que des terrains à bâtir, tels que définis par le droit national ; or, d’une part, en vertu de l’article 257 du code général des impôts, doit être considéré comme présentant le caractère de terrain à bâtir tout terrain acquis en vue de la construction prochaine d’un immeuble, à l’exception des terrains acquis par des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles que ces personnes affectent à un usage d’habitation ; d’autre part, conformément à cette définition, les terrains nus cédés par la SNC n’étaient pas des terrains à bâtir ; par suite, en imposant de plein droit à la taxe sur la valeur ajoutée, sur le fondement du 6° de l’article 257 du code général des impôts, les opérations portant sur ces terrains, l’administration a méconnu l’article 137 de la directive ;

– les terrains dont il s’agit sont au nombre de ceux visés par la documentation de base 8 A-1131 n° 42, dans sa rédaction à jour au 15 novembre 2001 ; ces prévisions de la documentation de base ne sont cependant pas invoquées sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 août 2014, 20 mars 2015, 15 avril 2015, 27 mai 2015 et 24 novembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

– si un dégrèvement a été annoncé en cours d’instance, aucun n’a été prononcé ;

– la réclamation était irrecevable en tant qu’elle portait sur une somme supérieure à 50 171 euros ;

– les moyens soulevés par la requérante ne sont, en toute hypothèse, pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Jouno,

– et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public.

1. Considérant que la société en nom collectif (SNC) La Ville au Ruisseau a réalisé, en qualité de marchand de biens, des opérations de livraison de terrains non bâtis pour lesquelles elle a été soumise, au titre de la période d’octobre à décembre 2008, à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement du 6° de l’article 257 du code général des impôts ; que, par courrier du 22 décembre 2010, elle a demandé à l’administration de lui restituer une somme de 186 684 euros, correspondant à la taxe collectée à raison de ces opérations ; qu’après que cette demande eut été rejetée, elle a saisi du litige le tribunal administratif de Rennes, lequel, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande ;

Sur l’étendue du litige :

2. Considérant que, si un dégrèvement a été annoncé en cours d’instance, le ministre a expressément renoncé à le prononcer ; que, dès lors, il y a lieu de statuer sur l’ensemble des conclusions de la requête d’appel ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable :  » Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes (…) établis ou recouvrés par les agents de l’administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu’elles tendent à obtenir soit la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d’un droit résultant d’une disposition législative ou réglementaire. Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d’une imposition ou à l’exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure  » ; qu’aux termes du b) de l’article R. 196-1 du même livre :  » Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l’administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / (…) / b) Du versement de l’impôt contesté lorsque cet impôt n’a pas donné lieu à l’établissement d’un rôle ou à la notification d’un avis de mise en recouvrement (…)  » ; qu’un contribuable n’ayant pas acquitté de taxe sur la valeur ajoutée au titre d’une période déterminée n’est pas recevable à présenter, sur le fondement de ces dispositions, une réclamation tendant à la restitution de la taxe qu’il estime avoir versée à tort au titre de cette période ;

4. Considérant qu’aux termes du IV de l’article 271 du code général des impôts :  » La taxe déductible dont l’imputation n’a pu être opérée peut faire l’objet d’un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d’Etat.  » ; qu’aux termes de l’article 242-0 A de l’annexe II au même code :  » Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l’imputation n’a pu être opérée doit faire l’objet d’une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté au terme de chaque année civile.  » ; qu’aux termes de l’article 242-0 C de la même annexe, dans sa rédaction alors applicable :  » I. 1. Les demandes de remboursement doivent être déposées au cours du mois de janvier (…) / (…) / II.-Par dérogation aux dispositions du I, les assujettis soumis (…) au régime normal d’imposition peuvent demander un remboursement lorsque la déclaration mentionnée au 2 de l’article 287 du code général des impôts fait apparaître un crédit de taxe déductible. (…)  » ; que s’il résulte des dispositions précitées des articles 242-0 A et 242-0 C de l’annexe II au code général des impôts que si le redevable ne peut demander le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont il dispose que dans des délais déterminés, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce qu’il puisse ultérieurement, si ce crédit demeure, non seulement procéder à son imputation sur une taxe due, mais encore, le cas échéant, en demander le remboursement au cours du mois de janvier de l’année suivante ou au cours du mois suivant un trimestre civil où chacune des déclarations de ce trimestre fait apparaître un crédit de taxe déductible ;

5. Considérant que lorsqu’un contribuable constate, en raison d’une taxe qu’il estime avoir facturée à tort, une situation de crédit de taxe sur la valeur ajoutée, il lui appartient de reporter, sur les déclarations suivantes, l’excédent de crédit de taxe pour en permettre l’imputation ultérieure sur la taxe sur la valeur ajoutée à collecter, puis, le cas échéant, de formuler une demande de remboursement de l’excédent de taxe sur la valeur ajoutée déductible dans les conditions fixées par les articles 242-0 A et suivants de l’annexe II au code général des impôts ;

6. Considérant que la circonstance que la réclamation est fondée sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure ne permet pas au redevable, en l’absence de versement de taxe sur la valeur ajoutée, de présenter alternativement une réclamation sur le fondement de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales ; que la différence de traitement entre contribuables que la société requérante invoque ne constitue pas une rupture d’égalité devant l’impôt mais est justifiée par la différence de situation dans laquelle ils se trouvent placés, selon qu’ils sont en situation de crédit ou de débit de taxe sur la valeur ajoutée ;

7. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la SNC La Ville au Ruisseau a versé, au titre des mois d’octobre, novembre et décembre 2008, des droits de taxe sur la valeur ajoutée de 24 082 euros, 17 080 euros et 9 009 euros ; que, par une réclamation du 27 décembre 2010, elle a fait valoir qu’elle avait collecté à tort, au titre de ces mois, les sommes respectives de 146 216 euros, 16 207 euros et 24 261 euros et en a demandé la restitution ; que l’administration n’a admis la recevabilité de cette réclamation qu’à hauteur des droits effectivement versés au titre de chaque mois, à savoir la somme totale de 49 298 euros ;

8. Considérant qu’en raison du crédit de taxe sur la valeur ajoutée qu’elle estimait détenir au titre des mois d’octobre et décembre 2008, la SNC La Ville au Ruisseau devait, pour obtenir le remboursement de la taxe collectée au titre de ces mois, présenter une demande dans les formes prévues par les articles 242-0 A et suivants de l’annexe II au code général des impôts ; qu’à défaut d’avoir préalablement accompli cette formalité, ses conclusions de première instance étaient irrecevables, ainsi que l’ont retenu les premiers juges, en tant qu’elles excédaient la somme de 49 298 euros ; que, par suite, la SNC La Ville au Ruisseau n’est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d’irrégularité ;

Sur le bien-fondé des impositions :

9. Considérant, d’une part, qu’aux termes du 1 de l’article 2 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 :  » Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les opérations suivantes : / a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel (…)  » ; qu’aux termes de l’article 12 de cette directive :  » 1. Les Etats membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, (…) notamment une seule des opérations suivantes : (…) / b) la livraison d’un terrain à bâtir. (…) / 3. Aux fins du paragraphe 1 point b), sont considérés comme « terrains à bâtir » les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les Etats membres.  » ; qu’aux termes de l’article 135 de la même directive :  » 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : / (…) k) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b°(…)  » ; qu’aux termes de l’article 137 de la même directive :  » 1. Les Etats membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation des opérations suivantes : / (…) c) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b) (…)  » ;

10. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable :  » Sont (…) soumis[es] à la taxe sur la valeur ajoutée : / (…) 6° Sous réserve du 7° : / a) Les opérations qui portent sur des immeubles (…) et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l’impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux (…) / 7° Les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles. / (…) 1. Sont notamment visé[e]s : / a) Les ventes (…) de terrains à bâtir (…). / (…) Ces dispositions ne sont pas applicables aux terrains acquis par des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles que ces personnes affectent à un usage d’habitation.  » ; qu’aux termes de l’article 268 du même code :  » En ce qui concerne les opérations visées au 6° de l’article 257, la base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par la différence entre / : a. D’une part, le prix exprimé et les charges qui viennent s’y ajouter, ou la valeur vénale du bien si elle est supérieure au prix majoré des charges ; / b. D’autre part, selon le cas : / – soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du bien ; / – soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués. (…)  » ;

11. Considérant qu’il résulte des dispositions alors applicables de l’article 257 du code général des impôts que les opérations réalisées par un marchand de biens ne sont imposables sur le fondement des dispositions du 6° de cet article que pour autant qu’elles ne relèvent pas du 7° ; que les ventes de terrains à bâtir réalisées au profit de personnes physiques, qui sont placées hors du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée immobilière au titre du 7° de l’article 257 du code précité, peuvent être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge au titre du 6° du même article si le vendeur est un marchand de biens ;

12. Considérant que la SNC La Ville au Ruisseau soutient que, dès lors que les cessions qu’elle a réalisées portaient sur des terrains autres que des terrains à bâtir puisqu’elles portaient sur  » des terrains acquis par des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles que ces personnes affectent à un usage d’habitation « , ces opérations ne constituaient pas des livraisons de terrains à bâtir au sens des dispositions de l’article 12 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, lequel se borne à renvoyer sur ce point à la législation nationale ; que, dès lors, une option pour l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée devait selon elle être ouverte en application des dispositions de l’article 137 de la directive et qu’ayant été privée du droit d’option, elle est fondée à solliciter la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse ;

13. Considérant, toutefois, que les dispositions du 7° de l’article 257 du code général des impôts par lesquelles le législateur a décidé d’exclure du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée les acquisitions de terrains par des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles à usage d’habitation, pour les soumettre en contrepartie aux droits de mutation au taux du droit commun, n’ont eu ni pour objet ni pour effet de modifier la notion de terrain à bâtir définie par la législation française ; que, dans ces conditions, ces biens constituaient des terrains à bâtir au sens des dispositions de l’article 12 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 dont la livraison effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, par suite, le moyen tiré de l’incompatibilité des dispositions du 6° de l’article 257 du code général des impôts avec les dispositions de l’article 137 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 en cas de cessions par un marchand de biens de terrains à des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles d’habitation, doit être écarté ;

14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SNC La Ville au Ruisseau n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante, la somme que la SNC La Ville au Ruisseau demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SNC La Ville au Ruisseau est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société en nom collectif (SNC) La Ville au Ruisseau et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l’audience du 3 décembre 2015, à laquelle siégeaient :

– M. Bataille, président de chambre,

– Mme Aubert, président-assesseur,

– M. Jouno, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 décembre 2015.

Le rapporteur,

T. JounoLe président,

F. Bataille

Le greffier

E. Haubois

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 14NT00415


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