CAA de NANTES, 1ère chambre, 13/02/2020, 18NT00220, Inédit au recueil Lebon

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CAA de NANTES, 1ère chambre, 13/02/2020, 18NT00220, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D… ont demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires, en droits et pénalités, d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2009.

Par un jugement n° 1505084 du 1er décembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a déchargé M. et Mme D… des pénalités pour manquement délibéré (article 1er) et rejeté le surplus de leur demande (article 2).

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 janvier et 16 octobre 2018, les 17 et 31 janvier 2019 et le 1er janvier 2020, M. et Mme D…, représentés par Me C…, demandent à la cour dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d’annuler l’article 2 de ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires, en droits et intérêts de retard, d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 10 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

– aucune somme litigieuse n’a été mise à leur disposition par la société CENA ;

– la valorisation des titres de la société CEDE a été décidée par des investisseurs de la CENA autres que M. D… et deux autres associés fondateurs de la CEDE qui détenaient moins de 50 % du capital social de cette dernière société à la date du 31 décembre 2009 ; chacun des trois associés fondateurs de la société CEDE détenait un tiers du capital de cette société ;

– l’opération en capitaux propres d’apport de titres n’a nullement affecté le bénéfice fiscal de la société CENA ni affecté la variation de l’actif net fiscal ;

– les dispositions des 1° et 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts ne sont pas applicables dès lors que l’opération d’apport de titres de la société CEDE a été compensée par l’émission d’actions du capital de la société CENA à titre gratuit et nullement à titre onéreux ;

– ils ne se sont pas enrichis dès lors que la société CEDE a déposé son bilan et a été liquidée ;

– la valeur faciale n’a pas affecté leur patrimoine ;

– il s’agit en réalité d’une plus-value en report d’imposition en sens de l’article 150-0 B ter du code général des impôts ;

– les dispositions des articles 12 et 156 du code général des impôts ont été méconnues.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 mai 2018, 3 janvier et 20 décembre 2019, le ministre de l’action et des comptes publics conclut à un non-lieu partiel à statuer compte tenu d’un dégrèvement intervenu en cours d’instance et au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme D… ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. B…,

– les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public,

– et les observations de Me C…, représentant M. et Mme D….

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D… ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, en droits et pénalités, au titre de l’année 2009, à raison de l’avantage occulte qu’aurait procuré à M. D… la cession, le 30 décembre 2009, de 614 titres détenus par lui dans la société par actions simplifiée (SAS) Centre européen de domotique et d’énergie (CEDE) à la SAS Centre des énergies nouvelles appliquées (CENA), au prix unitaire de 7 200 euros, que l’administration a regardé comme excessif par rapport à une valeur vénale qu’elle a fixée à 4 108 euros. Par un jugement du 1er novembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a déchargé M. et Mme D… des pénalités pour manquement délibéré (article 1er) et rejeté le surplus de leur demande (article 2). M. et Mme D… relèvent appel de l’article 2 de ce jugement.

Sur l’étendue du litige :

2. Par décision du 10 avril 2018, postérieure à l’introduction de la requête, l’administration a prononcé le dégrèvement, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires auxquelles M. et Mme D… ont été assujettis au titre de l’année 2009 à concurrence d’un montant global de 65 559 euros au titre des prélèvements sociaux. Les conclusions de la requête de M. et Mme D… sont, dans cette mesure, sans objet. Il n’y a, par suite, pas lieu d’y statuer.

Sur le bien-fondé des impositions restant en litige :

3. M. D… a cédé à la SAS CENA 11 titres le 6 janvier 2009 et 614 titres le 30 décembre 2009 de la SAS CEDE au prix unitaire de 7 200 euros. La seconde cession a été effectuée dans le cadre d’un contrat d’apport en nature rémunéré par une augmentation du capital de la SAS CENA du 30 décembre 2009 pour un montant global de 4 420 800 euros. M. D… a exonéré la plus-value réalisée lors de l’apport des 614 titres en application de l’article 150-0 B du code général des impôts. L’administration a estimé que la SAS CENA a acquis des titres à un prix que les parties ont délibérément majoré sans que cet écart comporte une contrepartie ou un avantage à l’acquéreur. L’avantage octroyé a été requalifié par l’administration comme une libéralité représentant un avantage occulte pour M. D… qui est constitutif d’une distribution de revenus au sens des dispositions des 1° et 2° du 1 de l’article 109 et du c de l’article 111 du même code, cette distribution ayant été imposée dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sans avantage fiscal.

4. En vertu du 3 de l’article 158 du code général des impôts, sont notamment imposables à l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, les revenus considérés comme distribués en application des articles 109 et suivants du même code. Aux termes de l’article 111 du même code :  » Sont notamment considérés comme revenus distribués : (…) / c) Les rémunérations et avantages occultes (…) « . En cas d’acquisition par une société de titres à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l’objet de la transaction, ou, s’il s’agit d’une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l’avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution de revenus au sens des dispositions précitées du c) de l’article 111 du code général des impôts. La preuve d’une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l’administration lorsqu’est établie l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d’autre part, d’une intention, pour la société, d’octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession.

5. La valeur vénale d’actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L’évaluation des titres d’une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d’autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l’absence de telles transactions, elle peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives.

6. Pour déterminer la valeur vénale d’un titre de la SAS CEDE à la date du 30 décembre 2009, l’administration, qui ne pouvait prendre pour référence la précédente transaction du 6 janvier 2009 dès lors qu’elle ne portait que sur un très faible nombre de titres cédés, a abandonné une valeur mathématique, égale à 956,62 euros pour en retenir une autre à la suite d’un recours hiérarchique du 16 mai 2013. Pour obtenir cette nouvelle valeur, qui est égale à 4 108 euros, elle s’est fondée sur le bilan de l’exercice de 2009, qui a été rappelé dans celui de l’exercice de 2010, et a appliqué au chiffre d’affaires réalisé en 2009 un coefficient égal à 1,05. Or, il résulte de ce qui a été dit au point 5 du présent arrêt que l’évaluation d’un titre ne peut être que le résultat de la combinaison de plusieurs méthodes alternatives à la valeur mathématique comme la valeur de rendement, la valeur de productivité ou la marge d’autofinancement au titre des exercices précédents. La méthode d’évaluation du titre de la SAS CEDE retenue par l’administration et fondée sur une seule valeur mathématique n’était pas régulière dans la mesure où il convenait de déterminer la valeur vénale sur la base de la combinaison de plusieurs autres méthodes, en faisant la moyenne des résultats de celles-ci et en prenant en compte, le cas échéant, les distributions prévisionnelles. La méthode retenue par l’administration est incomplète et n’a pas permis d’établir un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale d’un titre cédé et d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date du 30 décembre 2009 où la cession litigieuse des titres est intervenue. Par suite, l’administration, en retenant le chiffre de 4 108 euros, a commis une erreur sur la détermination de la valeur vénale d’un titre de la SAS CEDE.

7. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de leur requête que M. et Mme D… sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par l’article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le surplus de leur demande. Il s’ensuit également qu’une somme de 1 500 euros doit être mise à la charge de l’Etat, partie perdante, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Il n’y a pas lieu à statuer à concurrence des montants, en droits et intérêts de retard, de 65 559 euros au titre des prélèvements sociaux auxquels M. et Mme D… ont été assujettis au titre de l’année 2009.

Article 2 : L’article 2 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er décembre 2017 est annulé.

Article 3 : Il est prononcé la décharge des cotisations supplémentaires, en droits et intérêts de retard, d’impôt sur le revenu auxquelles M. et Mme D… ont été assujettis au titre de l’année 2009 ainsi que, en droits et intérêts de retard, des prélèvements sociaux restant encore à leur charge après le prononcé à l’article 1er du non-lieu à statuer.

Article 4 : L’Etat versera à M. et Mme D… une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A… D… et au ministre de l’action et des comptes publics.

Délibéré après l’audience du 30 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

– M. B…, président,

– M. Brasnu, premier conseiller,

– Mme Malingue, premier conseiller.

Lu en audience publique le 13 février 2020.

Le président-rapporteur,

J.-E. B…

L’assesseur le plus ancien dans l’ordre du tableau

H. BrasnuLe greffier,

A. Rivoal

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 18NT00220


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