Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme F… ont demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2011.
Par un jugement n° 1602753 et 1602812 du 25 mai 2018, le tribunal administratif de Nantes a déchargé M. et Mme F… des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2011 (article 1er) et mis à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2).
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 août 2018, 10 avril 2019 et 6 février 2020, le ministre de l’action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de remettre à la charge de M. et Mme F… les cotisations supplémentaires ;
3°) de restituer à l’Etat la somme de 1 500 euros versée à M. et Mme F… au titre des frais liés au litige de première instance.
Il soutient que :
– ainsi que l’indiquait la proposition de rectification, le remboursement d’apport ne pouvait pas être exonéré d’imposition ; certes, l’apport de titres réalisé par un particulier à une société soumise à l’impôt sur les sociétés bénéficie automatiquement du régime prévu à l’article 150-0 B du code général des impôts ;
– le sursis d’imposition prévu par cet article diffère le fait générateur de la plus-value d’échange ou d’apport de titres jusqu’à la réalisation d’une opération ultérieure taxable ; l’opération ultérieure est constitutive, soit d’un fait générateur de plus-value (hypothèse que le tribunal a rejetée et que l’administration n’entend plus proposer à titre subsidiaire), soit elle entre dans le champ d’application des revenus distribués, ce que soutient l’administration ; ainsi, lorsque cette opération ultérieure entre dans le champ d’application des revenus distribués, elle est en principe taxable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sauf pour la partie correspondant au remboursement d’apport au sens des articles 112 et 120 du code général des impôts, en l’absence de bénéfices ou de réserves autres que la réserve légale ; il est logique de ne pas taxer les sommes attribuées à l’associé à titre de remboursement d’apport dès lors que l’associé, dans cette situation, ne fait que reprendre sa mise sans constater d’enrichissement ; à chaque part sociale détenue par l’associé correspond donc un montant d’apports remboursable en franchise d’impôt ; il n’en est pas de même lorsque les apports remboursés avaient été réalisés initialement dans le cadre d’un régime de sursis d’imposition puisqu’il s’agit, comme au cas particulier, pour l’associé d’un réel revenu et non d’un simple remboursement de sommes apportées ; il appréhende alors tout ou partie de la plus-value en sursis d’imposition ;
– cette analyse est conforme à la logique du sursis d’imposition selon laquelle l’opération d’échange de titres présente » un caractère intercalaire de sorte qu’elle n’est pas prise en compte pour l’établissement de l’impôt » ; cette opération intercalaire, sans existence fiscale et qui ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune déclaration, doit être neutre ; elle n’entraîne donc en elle-même aucune imposition, mais elle ne peut aboutir non plus à une exonération définitive ; en réalité, l’associé se trouve, après l’échange de titres, dans la même situation fiscale qu’avant l’opération : ses titres sont porteurs de la même plus-value latente qui sera effectivement taxée en cas de cession ou de rachat ; une solution inverse serait contraire au principe de neutralité fiscale attaché au régime du sursis d’imposition, puisque l’opération, considérée comme purement intercalaire, aurait alors pour effet de permettre à l’associé de percevoir en franchise d’impôt la plus-value placée initialement en sursis ;
– par conséquent, la réduction de capital par diminution de la valeur nominale des titres de la société civile financière Portzamparc doit s’analyser comme un désinvestissement au profit de ses actionnaires eu égard à la mise de fonds opérée par ces derniers au niveau de la société de bourse société anonyme Portzamparc, imposable dans la catégorie des revenus mobiliers en application du 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts, et ce dès lors qu’à l’issue de l’opération de réduction de capital, chaque associé conserve l’intégralité de ses parts ;
– par ailleurs, les fonds correspondants ont été mis à disposition des associés à titre de remboursement partiel d’apport, tout en maintenant le sursis d’imposition de la plus-value ;
– les sommes ainsi effectivement perçues constituent pour M. F…, un véritable enrichissement imposable à titre de revenus distribués puisqu’ils appréhendent une partie de la valeur prise par la société de bourse SA Portzamparc au moment de l’apport ;
– au-delà des sommes de 90 150 euros et de 2 202 euros, qui correspondent au coût de revient des titres de la société de bourse Portzamparc, les sommes mises à la disposition des contribuables doivent être regardées comme des revenus distribués.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2018, M. et Mme F…, représentés par Me A…, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. B…,
– les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public.
– et les observations de Me A…, représentant M. et Mme F….
Considérant ce qui suit :
1. La société civile financière Portzamparc, qui est soumise à l’impôt sur les sociétés, a été constituée le 20 mars 2008 entre M. D… F…, son épouse C… et leurs cinq enfants, avec un capital de départ de 9 003 348 euros. M. E… a apporté à la société civile mille actions en pleine propriété de la société anonyme (SA) » Portzamparc Société de Bourse « , apport évalué à 2 228 000 euros en contrepartie duquel il a reçu 2 228 000 parts de la société bénéficiaire de l’apport, d’une valeur nominale d’un euro. Il a également apporté 3 000 actions en usufruit contre 6 684 348 actions de la société anonyme. Son épouse a apporté 41 actions en pleine propriété de la société de bourse Portzamparc et reçu 91 348 parts de la société civile. Les plus-values réalisées à l’occasion de ces opérations ont été placées sous le régime du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du code général des impôts. Le 24 décembre 2011, l’assemblée générale mixte de la société civile financière Portzamparc a décidé de procéder à une réduction du capital social de cette société en ramenant ce dernier de 9 003 348 euros à 6 752 511 euros, par diminution de la valeur nominale de chaque part sociale d’un euro à 0,75 euro. A la suite de cette réduction, les sommes de 622 320 euros et 10 206 euros ont été respectivement inscrites au crédit du compte courant de M. F… et à celui de son épouse dans les écritures de la société civile financière Portzamparc. A l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration a regardé les deux sommes comme des revenus distribués au sens du 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts et a, en conséquence, assujetti M. et Mme F… à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l’année 2011. Le ministre de l’action et des comptes publics relève appel du jugement du 25 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a prononcé la décharge de ces cotisations supplémentaires (article 1er) et mis à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2).
2. Aux termes de l’article 109 du code général des impôts : » 1. Sont considérés comme revenus distribués : (…) 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices (…) « . Aux termes de l’article 112 du même code, dans sa rédaction applicable : » Ne sont pas considérés comme revenus distribués : 1° Les répartitions présentant pour les associés ou actionnaires le caractère de remboursements d’apports ou de primes d’émission. Toutefois, une répartition n’est réputée présenter ce caractère que si tous les bénéfices et les réserves autres que la réserve légale ont été auparavant répartis. Les dispositions prévues à la deuxième phrase ne s’appliquent pas lorsque la répartition est effectuée au titre du rachat par la société émettrice de ses propres titres (…) « .
3. En outre, aux termes de l’article 150-0 A du code général des impôts : » I.-1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l’intermédiaire d’une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l’article 118 et aux 6° et 7° de l’article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l’impôt sur le revenu (…) « . Aux termes de l’article 150-0 B du même code, dans sa rédaction applicable : » Les dispositions de l’article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l’année de l’échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d’une opération d’offre publique, de fusion, de scission, d’absorption d’un fonds commun de placement par une société d’investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (…) « .
4. En adoptant les dispositions précitées de l’article 150-0 B, le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d’entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l’octroi automatique d’un sursis d’imposition pour les plus-values résultant de certaines de ces opérations, notamment d’échanges de titres. Il a, pour ce faire, entendu assurer la neutralité au plan fiscal de ces opérations d’échanges de titres et, à cette fin, sauf lorsqu’il en a disposé autrement, regarder de telles opérations comme des opérations intercalaires. Il en résulte qu’eu égard à cet objectif et en l’absence de dispositions contraires, lorsque les titres d’une société sont apportés par un contribuable soumis à l’impôt sur le revenu qui reçoit, en échange, des titres de la société bénéficiaire de l’apport et bénéficie, s’agissant du gain le cas échéant réalisé à cette occasion, du régime du sursis automatique d’imposition prévu par l’article 150-0 B, les titres reçus en rémunération de l’apport doivent être réputés être entrés dans le patrimoine de l’apporteur aux conditions dans lesquelles y étaient entrés les titres dont il a fait apport.
5. Si la société bénéficiaire de l’apport procède à une réduction de son capital social, non motivée par des pertes, par réduction de la valeur nominale de ses titres, les sommes mises en conséquence à la disposition d’un associé qui a acquis ces titres en rémunération de l’apport de titres d’une autre société constituent des remboursements d’apports dans la limite des apports initialement consentis par cet associé à la société dont il a apporté les titres.
6. Les sommes de 622 320 euros et 10 206 euros respectivement inscrites au crédit du compte courant d’associé de M. F… et celui de son épouse dans les écritures de la société civile financière Portzamparc correspondaient exclusivement à la diminution de la valeur de la pleine propriété et de l’usufruit des parts de cette société appartenant aux contribuables. Il n’est pas contesté qu’elles sont supérieures au coût de revient des titres de la société de bourse Portzamparc apportés qui, d’une part, s’élevait à 90 150 euros, soit 59 850 euros pour les 1 000 titres en pleine propriété et à 30 300 euros pour les 3 000 titres en usufruit pour M. F… et, d’autre part, à 2 202 euros pour les 41 titres en pleine propriété pour Mme F…. Il en résulte qu’au-delà de ces montants de 90 150 euros et 2 202 euros, les sommes de 622 320 euros et 10 206 euros étaient imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en tant que revenus distribués au sens du 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts. Dès lors, le ministre de l’action et des comptes publics est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes s’est fondé, pour décharger M. et Mme F… des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l’année 2011, sur la circonstance que les sommes reçues par les consorts F… au titre du remboursement partiel de l’apport qu’ils avaient consenti à la société civile Financière Portzamparc ne pouvaient pas être considérées comme des revenus distribués.
7. Il appartient à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens invoqués par M. et Mme F… devant le tribunal administratif de Nantes.
8. En premier lieu, aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales : » Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité. « .
9. Il résulte de l’instruction que l’administration fiscale s’est bornée à considérer que les sommes figurant sur les comptes courants d’associé de M. et Mme F… à la suite de l’opération de réduction du capital social de la société civile financière Portzamparc du 24 décembre 2011 correspondaient à des revenus distribués et devaient être imposées conformément aux dispositions du 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts. Elle n’a ainsi procédé ni explicitement ni implicitement à aucune requalification des actes votés par l’assemblée des associés de la société. L’administration n’a ainsi pas entendu, même de manière implicite, écarter, comme ne lui étant pas opposables, des actes constitutifs d’un abus de droit, en raison du caractère fictif de tels actes ou en raison du fait que ces actes, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n’avaient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales. Par suite, l’administration n’avait pas à recourir à la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales.
10. En second lieu, si M. et Mme F… se prévalent, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des instructions référencées BOI-RPPM-RCM-10-20-30-10 du 12 septembre 2012 n° 150 et suivants et 190, BOI-RPPM-RCM-10-20-30-20 du 12 septembre 2012 n° 110 et BOI-RPPM-RCM-10-30-10-10 du 12 septembre 2012 n° 60, celles-ci ne donnent pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il est fait application par le présent arrêt.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’action et des comptes publics est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nantes, par l’article 1er du jugement attaqué, a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et, par voie de conséquence, de la contribution sur les hauts revenus auxquelles M. et Mme D… F… ont été assujettis au titre de l’année 2011 et la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de la même année et, par l’article 2 de ce jugement, a mis à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions en appel présentées par M. et Mme F… et relatives aux frais liés au litige.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 mai 2018 en ce qu’il concerne M. et Mme D… F… est annulé.
Article 2 : Sont remises à la charge de M. et Mme D… F… les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2011 à hauteur de 132 882 euros en droits, 13 289 euros en intérêts de retard et 13 289 euros en pénalités.
Article 3 : Est remise à la charge de M. et Mme D… F… la contribution sur les hauts revenus à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 2011 à hauteur de 5 943 euros en droits, 594 euros en intérêts de retard et 594 euros en pénalités.
Article 4 : Sont remises à la charge de M. et Mme D… F… les cotisations supplémentaires de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2011 à hauteur de 72 922 euros en droits et 7 292 euros en intérêts de retard.
Article 5 : Les conclusions de M. et Mme F… tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des comptes publics, à M. et Mme D… F… et à Me A….
Délibéré après l’audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Bataille, président,
M. B…, président assesseur,
M. Brasnu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 8 octobre 2020.
Le rapporteur,
J.-E. B…
Le président,
F. BatailleLa greffière,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
2
N° 18NT03282