Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
MeA…, en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation de la SARL Besac Café a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner la communauté d’agglomération du Grand Besançon (CAGB) à lui verser la somme de 1 628 840,40 euros en réparation du préjudice subi à la suite de la réalisation des travaux de construction d’une ligne de tramway.
Par un jugement n° 1501462 du 4 juillet 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 5 septembre 2016 et le 5 janvier 2018, MeA…, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL Besac Café, représenté par MeC…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 4 juillet 2016 ;
2°) de condamner la communauté d’agglomération du Grand Besançon à lui verser la somme de 273 109 euros au titre de l’année 2012, 421 740 euros au titre de l’année 2013, à défaut la somme de 310 2013 euros au titre de l’année 2013, la somme de 244 716,40 euros au titre de l’année 2014, à défaut la somme de 86 847 euros au titre de l’année 2014, la somme de 364 456 euros au titre de l’année 2015, à défaut la somme de 86 847 euros ainsi que la somme de 14 604 euros au titre des frais financiers, assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d’agglomération du Grand Besançon la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– le jugement est irrégulier dans la mesure où le dispositif ne mentionne que la requête de la SARL Besac Café qui n’a plus d’existence juridique ;
– le jugement est insuffisamment motivé et entaché d’une omission à statuer dès lors que le tribunal n’a pas visé le moyen tiré de ce que les conventions étaient constitutives d’un abus de position dominante et que la recherche d’un accord équilibré avait été méconnue ;
– la démarche transactionnelle est irrégulière en présence d’un contrat d’adhésion et en l’absence de toutes concessions réciproques et c’est à tort que le tribunal a estimé qu’elle avait agi en connaissance de cause alors que la collectivité est en position d’abus de dépendance économique et que le caractère équilibré des concessions réciproques a été méconnu ;
– sa demande est recevable s’agissant de la période de réalisation des travaux alors que le tribunal ne s’est pas interrogé sur l’existence d’un trouble s’agissant de l’exploitation de l’établissement ;
– les travaux relatifs à la période du 1er décembre 2013 au 4 février 2014 ne peuvent être considérés comme des sujétions normales ;
– sur la période 2014/2015 c’est à tort que les premiers juges ont estimé que l’implantation de la ligne de tramway n’a pas eu pour effet de rendre plus difficile l’accès à l’établissement et que la réduction de la terrasse ne saurait ouvrir droit à une quelconque indemnité alors que le jugement est entaché d’une omission à statuer ; la diminution de la surface est la conséquence directe du tracé du tramway ;
– la réalisation des travaux a eu un impact conséquent sur le chiffre d’affaires alors que l’accès à l’établissement a été empêché dès le 20 février 2012 et pendant toute la durée des travaux ;
– les modalités d’évaluation de son préjudice économique appliquées dans le cadre de la procédure d’indemnisation amiable ne permettent pas d’appréhender le véritable manque à gagner qu’elle a subi dans la mesure où une réfaction de 73 264 euros a été opérée sur le montant d’indemnisation demandé, que l’évolution positive de son chiffre d’affaires n’a pas été prise en compte et que des frais financiers ont été générés par cette situation ;
– la proximité de l’implantation de la ligne de tramway par rapport à la terrasse de son établissement est à l’origine de nuisances et d’une perte de superficie exploitable qui lui cause un préjudice anormal et spécial qui doit en conséquence être indemnisé.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 septembre 2017 et le 16 janvier 2018, la communauté d’agglomération du Grand Besançon, représentée par MeB…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SARL Besac Café au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la requête est tardive ;
– le jugement est régulier, le dispositif n’étant pas mal dirigé ;
– le jugement n’est pas entaché d’omission à statuer ou de défaut de motivation dans la mesure où il n’avait pas à répondre à tous les arguments et a répondu au moyen tiré de la nullité des conventions ;
– le tribunal a vérifié correctement la régularité de la démarche transactionnelle alors que les conventions d’indemnisations comportent des concessions réciproques, que le modus operandi permettait au réclamant de discuter des propositions d’indemnisation et que les conventions ont bien été signées en toute connaissance de cause ;
– les moyens tirés d’un abus de l’état de dépendance économique et d’une recherche d’une solution désavantageuse sont infondés ;
– les demandes indemnitaires fondées sur la période de réalisation des travaux sont irrecevables en application des conventions ;
– sur la période du 1er décembre 2013 au 4 février 2014, c’est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande indemnitaire eu égard à la nature des travaux alors que l’établissement est demeuré accessible ;
– s’agissant de la période 2014-2015, le tribunal n’avait pas à répondre à tous les arguments alors que la communauté d’agglomération n’est pas propriétaire du domaine public où sont installées les terrasses ;
– la société n’a présenté aucune demande pour la période précédant le 1er mars 2012 ;
– les demandes complémentaires ne sont pas justifiées ;
– les demandes additionnelles au titre des frais financiers ne pourront qu’être rejetées alors qu’ils ont déjà été pris en compte pour certains et ne sont pas justifiés pour le solde ;
– la société ne démontre pas le lien de causalité entre la présence de la ligne de tramway et la baisse de son activité alors qu’elle a pu réinstaller sa terrasse dans une configuration compatible avec le tracé ;
– le montant des préjudices allégués n’est pas justifié.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code civil ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Wallerich, président,
– les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
– et les observations de MeC…, représentant MeA…, et de MeB…, représentant la communauté d’agglomération du Grand Besançon.
1. Considérant que la SARL Besac Café exerce une activité de bar restaurant brasserie située 2 quai Vauban à Besançon ; qu’estimant avoir subi un préjudice commercial du fait des travaux de réalisation d’une ligne de tramway et de l’installation de cette ligne au droit de son établissement, elle a demandé au tribunal administratif de Besançon la condamnation de la communauté d’agglomération du Grand Besançon à lui verser la somme de 1 628 840,40 euros en réparation de ce préjudice ; que MeA…, mandataire liquidateur de la SARL Besac Café relève appel du jugement du 4 juillet 2016 par lequel le tribunal a rejeté cette demande ;
Sur la recevabilité de l’appel :
2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 811-2 du code de justice administrative : » Sauf dispositions contraires, le délai d’appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l’instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4 (…) » ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que MeA…, mandataire liquidateur de la SARL Besac Café a reçu notification du jugement attaqué le 5 juillet 2016 ; que sa requête a été enregistrée au greffe de la cour administrative d’appel le 5 septembre 2016, soit avant l’expiration du délai imparti par les dispositions précitées ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense par la communauté d’agglomération du Grand Besançon tirée de la tardiveté de l’appel doit être écartée ;
Sur la régularité du jugement :
4. Considérant qu’à l’appui de sa demande, la SARL Besac Café soutenait notamment que les transactions conclues avec la communauté d’agglomération du Grand Besançon étaient nulles en raison d’un abus de l’état de dépendance économique ; que le tribunal ne s’est pas prononcé sur ce moyen, qui n’était pas inopérant ; que, par suite, son jugement doit être annulé ;
5. Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SARL Besac Café devant le tribunal administratif de Besançon ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la communauté d’agglomération du Grand Besançon tirée de l’existence de transactions :
6. Considérant que, selon l’article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ; qu’en vertu de l’article 2052 du même code un tel contrat a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort ;
7. Considérant que, par une délibération du 30 juin 2010 le conseil communautaire du Grand Besançon a décidé du principe de réalisation d’un réseau de transport en commun en site propre dont le tracé traverse la ville de Besançon d’ouest en est et notamment son centre ville ; qu’afin d’accélérer le processus de versement des indemnités aux commerçants ayant subi une baisse de leur chiffre d’affaires consécutive aux travaux de réalisation du tramway, le conseil de communauté de la communauté d’agglomération du Grand Besançon, par une délibération du 31 mars 2011, prise en application de l’article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales, a donné délégation à son président pour fixer à l’amiable les indemnités dues aux commerçants concernés et pour signer les conventions portant transaction ; qu’il résulte de l’instruction qu’au titre de la période allant du 1er mars 2012 au 30 novembre 2013, la société requérante a signé neuf » conventions de transaction » avec la communauté d’agglomération ayant pour objet de » fixer le montant de l’indemnité versée par la communauté d’agglomération du Grand Besançon » à la SARL Besac Café » en compensation des préjudices liés directement aux travaux de réalisation de la 1ière ligne de tramway subis sur son activité » ; que l’article 4 de chacune de ces conventions précise : » la présente convention constitue une transaction au sens des articles 2044 et suivants du code civil, elle est revêtue, entre les parties, de l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Aussi le requérant s’engage à renoncer à tout recours tendant sur la période visée à obtenir une autre indemnisation des préjudices visés, à faire indemniser d’autres préjudices économiques imputés aux opérations de réalisation de la 1ère ligne de tramway (…) » ;
8. Considérant que ces neuf conventions ont été signées par le président de la communauté d’agglomération du Grand Besançon qui, ainsi qu’il a été dit, était dument autorisé pour ce faire ; qu’elles comportent des concessions réciproques dans la mesure où, dans le cadre d’une procédure de règlement amiable et rapide du litige, la communauté d’agglomération accepte d’allouer dans des délais brefs une indemnité en compensation du dommage de travaux publics subi par la société requérante, laquelle accepte de percevoir l’indemnité et de renoncer à tous recours au titre du même dommage ; que la société avait la liberté de ne pas s’engager dans la démarche transactionnelle ; que le règlement intérieur de la commission d’indemnisation amiable du tramway offrait la possibilité au commerçant de chiffrer son préjudice, de solliciter un réexamen de son dossier et son audition devant la commission en cas de désaccord sur le montant de la proposition qui lui était faite ; que la société avait également la possibilité, si elle s’y croyait fondée, de saisir directement le président de la communauté d’agglomération du Grand Besançon d’une demande indemnitaire ; qu’ainsi le mode opératoire proposé n’excluait nullement l’existence de concessions réciproques alors que la société avait toujours la faculté de renoncer à la démarche transactionnelle en cas de désaccord persistant ; que ni l’abus de l’état de dépendance économique ni la violence invoqués par la société requérante ne sont établis alors que les parties n’étaient pas liées par des relations commerciales, la communauté d’agglomération du Grand Besançon ne pouvant être regardée ni comme un client ni comme un fournisseur de la société requérante ; que si la société rencontrait des difficultés économiques à l’occasion des travaux en litige, le versement à un rythme régulier des indemnités transactionnelles avaient précisément pour objet de lui permettre de faire face aux problèmes de trésorerie ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que la communauté d’agglomération du Grand Besançon aurait recherché une solution désavantageuse au détriment du cocontractant dès lors que les demandeurs pouvaient faire valoir d’autres postes de préjudices que la seule perte de marge brute, que les demandes présentées par la société requérante ont été instruites par un expert-comptable et qu’elles ont été satisfaites à 85% en moyenne alors qu’une transaction ne doit pas constituer de la part de la collectivité publique une libéralité ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que ces conventions seraient entachées de nullité ne peut qu’être écarté ;
9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Me A…n’est pas recevable à demander la condamnation de la communauté d’agglomération du Grand Besançon à lui verser des indemnités complémentaires au titre de la période couverte par les conventions que la SARL Besac Café a ainsi souscrites au motif que l’indemnité qui lui a été allouée en application de ces conventions ne couvrirait pas l’intégralité de ses préjudices liés à la réalisation des travaux de construction de la 1ère ligne de tramway ;
Sur la période du 1er décembre 2013 au 4 février 2014 :
10. Considérant qu’il résulte de l’instruction que pour l’ensemble de la période concernée, les travaux réalisés au droit de l’établissement de la requérante ont consisté en une reprise du revêtement et en une pose de pavés ; que ces travaux se sont déroulés en deux phases, du 2 au 6 décembre 2013 puis du 28 janvier au 4 février 2014, soit neuf jours au total ; qu’au cours de cette période, y compris lors des deux phases de travaux, l’établissement de la société requérante est demeuré accessible par l’une des deux entrées dont il dispose malgré la présence des matériaux au droit de l’immeuble ; qu’il n’est pas établi, par les seuls documents photographiques produits sur cette période que le commerce n’aurait pas été visible ; que, dans ces conditions, eu égard en particulier à la durée relativement limitée de ces travaux, les nuisances liées au bruit et à la poussière qu’ils ont pu occasionner ne peuvent être regardées comme constituant une gêne ayant excédé les sujétions normales imposées aux riverains de la voie publique dans un but d’intérêt général et qu’ils sont tenus de supporter sans indemnité ; que, par suite, le requérant n’est pas fondé à demander la condamnation de la communauté d’agglomération du Grand Besançon à réparer le préjudice qu’il invoque au titre de la période dont s’agit ;
Sur les dommages permanents :
11. Considérant qu’au titre de la période postérieure à l’achèvement des travaux de construction de la 1ère ligne de tramway, Me A…soutient que la proximité de l’implantation de la ligne de tramway par rapport à l’établissement est à l’origine de nuisances, le nombre d’accès étant réduit de trois à deux ; qu’il ne résulte toutefois pas de l’instruction que l’implantation de la ligne tramway a eu pour effet de rendre plus difficile l’accès à l’établissement exploité par la société Besac Café qui ne justifie pas de la réduction du nombre d’entrées ni de ses motifs ;
12. Considérant que, Me A…fait valoir que l’implantation et le tracé des voies de la ligne de tramway a eu pour conséquence une diminution de la terrasse affectée à l’établissement ; que toutefois le bénéficiaire d’une autorisation temporaire d’occupation du domaine public doit supporter sans indemnité les dommages qui sont la conséquence de travaux entrepris dans l’intérêt du domaine public occupé et qui constituent une opération d’aménagement conforme à la destination de ce dernier ; que par ailleurs, la diminution de la superficie de la terrasse occupée par la requérante en vertu d’une autorisation d’occupation du domaine public délivrée par la commune de Besançon, par nature précaire et révocable, ne saurait ouvrir droit à une indemnité en dépit des conséquences qu’elle a pu avoir sur son activité ; que la société ne démontre pas que les nuisances générées par la ligne de tramway seraient plus importantes que celles engendrées par la circulation routière avant la réalisation des aménagements en litige ;
13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de MeA…, mandataire liquidateur de la SARL Besac Café tendant à la condamnation de la communauté d’agglomération du Grand Besançon à réparer ses préjudices doivent être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la communauté d’agglomération du Grand Besançon, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, verse à MeA…, mandataire liquidateur de la SARL Besac Café la somme qu’il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu en revanche de faire droit aux conclusions présentées par la communauté d’agglomération du Grand Besançon sur le fondement des mêmes dispositions et de mettre à la charge de MeA…, mandataire liquidateur de la SARL Besac Café, une somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 4 juillet 2016 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par MeA…, mandataire liquidateur de la SARL Besac Café devant le tribunal administratif de Besançon est rejetée.
Article 3 : MeA…, mandataire liquidateur de la SARL Besac Café versera à la communauté d’agglomération du Grand Besançon une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présenté par Me A…mandataire liquidateur de la SARL Besac Café est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à MeA…, mandataire liquidateur de la SARL Besac Café et à la communauté d’agglomération du Grand Besançon.
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N° 16NC02007