Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Interpoles a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, et des majorations correspondantes qui lui ont été assignées au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010.
Par un jugement n° 1304396 du 26 juillet 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé un non-lieu partiel à hauteur du dégrèvement accordé en cours d’instance, la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, et des majorations correspondantes, mises en recouvrement au titre des exercices clos en 2008 et 2010, à raison de la remise en cause de la déduction des produits nets des participations de la SARL Alternance, et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 septembre 2016, et un mémoire enregistrés le 22 mars 2017, la SA Interpoles, représentée par MeA…, demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1304396 du tribunal administratif de Strasbourg du 26 juillet 2016 en tant qu’il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes mises à sa charge au titre de l’exercice clos en 2010 ;
2°) de prononcer la décharge de cette cotisation supplémentaire ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– l’administration s’est fondée sur l’article L. 183 du code de commerce qui a été abrogé le 21 septembre 2000 ; la loi n’impose aucun droit préférentiel de souscription en cas d’augmentation de capital d’une société à responsabilité limitée (SARL) ; un tel droit peut être prévu par les statuts d’une telle société ; en l’occurrence, les statuts de la SARL Alternance ne prévoyaient pas un tel droit ;
– l’administration fait valoir à tort qu’en tant qu’actionnaire majoritaire de la SARL Alternance, elle aurait pu, afin d’éviter la dépréciation de ses parts, décider d’effectuer l’augmentation de capital avec versement d’une prime d’émission ; contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif, l’article 8 des statuts n’est pas applicable dans le cadre du présent litige ; l’administration, qui a méconnu la règle de non-immixtion dans la gestion des entreprises, ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un acte anormal de gestion ; l’administration invoque un motif nouveau, à savoir le fait qu’elle n’aurait pas agi dans son intérêt ; seule une substitution de base légale permet de le faire ;
– la référence à des méthodes autres que celle de l’actif net est inappropriée eu égard au fait que la SARL Alternance est une société de services de petite taille ; la combinaison des méthodes utilisées par l’administration pour évaluer le fonds de commerce de cette société aboutit à un résultat artificiel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2017, le ministre de l’économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé.
Vu
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de commerce ;
– la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Dhers,
– et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
1. Considérant que la société anonyme (SA) Interpoles exerce une activité de holding ; qu’elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité qui s’est déroulée en 2011, à la suite de laquelle l’administration a estimé qu’elle n’avait pas agi dans le cadre d’une gestion commerciale normale en renonçant, au cours de l’exercice clos le 30 juillet 2010, à souscrire à l’augmentation du capital social de la société à responsabilité limitée (SARL) Alternance qui était sa filiale ; que l’administration a également estimé que la SA Interpoles avait bénéficié à tort du régime dit » mère-fille » prévu par l’article 216 du code général des impôts au cours des exercices clos les 30 juillet des années 2008 et 2010 ; que les rappels ont été mis en recouvrement le 10 décembre 2010, après application de la procédure contradictoire ; qu’après avoir constaté un non-lieu à statuer partiel, le tribunal administratif de Strasbourg a, par un jugement du 26 juillet 2016, prononcé une décharge des rappels correspondant à la remise en cause du bénéfice du régime » mère-fille » et rejeté le surplus des conclusions de la SA Interpoles ; que la société requérante relève dans cette mesure régulièrement appel de ce jugement ;
Sur le bien-fondé des impositions contestées :
2. Considérant, d’une part, qu’en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l’entreprise, à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ; que s’il appartient à l’administration d’apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages consentis par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n’est pas en mesure de justifier qu’elle a bénéficié en retour de contreparties ; que, dans l’hypothèse où l’entreprise apporte une telle justification, il incombe ensuite à l’administration, si elle s’y croit fondée, d’apporter la preuve de ce que cette contrepartie est dépourvue d’intérêt pour l’entreprise ou que sa rémunération est excessive ;
3. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 58 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, relatif aux droits des associés des sociétés à responsabilité limitée, dans sa version applicable au présent litige : » Chaque associé a droit de participer aux décisions et dispose d’un nombre de voix égal à celui des parts sociales qu’il possède (…) Toute clause contraire aux dispositions des premier, deuxième et quatrième alinéas ci-dessus est réputée non écrite (…) » ; qu’aux termes de l’article 60 de cette loi : » Les associés ne peuvent, si ce n’est à l’unanimité, changer la nationalité de la société. Toutes autres modifications des statuts sont décidées par les associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales (…) » ;
4. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la SA Interpoles détenait 2 700 des 3 000 parts sociales de la SARL Alternance qui exploite une agence de travail temporaire ; que, le 15 juin 2010, la SARL Alternance a décidé d’augmenter son capital de 160 125 euros par création de 10 500 parts sociales d’une valeur nominale de 15,25 euros ; que l’intégralité de ces nouvelles parts a été acquise par la SA Consult TT, société de droit luxembourgeois, qui est ainsi devenue actionnaire à hauteur de 77,78 % de cette société ; que la SARL Alternance a décidé le 31 juillet 2010 de procéder à une distribution de 210 000 euros, dont 108 213 euros au titre de son bénéfice de l’exercice 2009, ce qui a permis à la SA Consult TT de percevoir des dividendes de 163 338 euros ;
5. Considérant que l’administration soutient que la SA Interpoles a effectué un acte anormal de gestion en s’abstenant de souscrire à l’augmentation du capital de la SARL Alternance, cette renonciation s’étant effectuée dans des conditions qui ont déprécié la valeur de ses parts au profit de celles du nouveau souscripteur ; que pour établir l’existence d’un tel acte, le service a, tout d’abord, calculé la valeur patrimoniale de la SARL Alternance à partir des méthodes préconisées dans son guide de l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés ; que cette valeur patrimoniale a été estimée à 867 229 euros en additionnant la valeur comptable de cette société au 31 décembre 2009, arrêtée à 607 229 euros, à celle de son fonds de commerce, qui a été valorisé à 260 000 euros par prise en compte de la moyenne des chiffres d’affaires et des résultats des exercices clos les 31 décembre des années 2007 à 2009 et de sa survaleur ; que le capital social de la SARL Alternance étant alors composé de 3 000 parts, cette méthode a conduit à fixer la valeur patrimoniale de chacune de ces parts à 289 euros par arrondi ; que l’administration a aussi évalué la valeur de productivité de chaque part sociale de la SARL Alternance à 498 euros par arrondi, essentiellement à partir des taux de rendement des emprunts de l’Etat déflatés et d’une prime de risque ; que l’administration a calculé la valeur vénale de chaque part sociale en additionnant la valeur de productivité, qui permet de dégager la valeur d’une entreprise en capitalisant le résultat net que son activité produit, soit 498 euros, au triple de la valeur patrimoniale, soit 867 euros, et en divisant le résultat par 4, aboutissant au résultat de 341,25 euros ; que, compte tenu de ce résultat, la SARL Alternance a été évaluée à 1 023 610 euros, dont 858 809 euros au titre des 2 517 parts alors détenues par la SA Interpoles ; que l’administration a déduit de cette somme de 858 809 euros un montant de 190 846 euros, correspondant à la valeur des parts détenues par la SA Interpoles après augmentation du capital, et un montant de 38 384 euros, correspondant à la différence de valeur nominale de ces parts, aboutissant ainsi à un écart de 629 579 euros ; que la société requérante se borne à soutenir que la référence à des méthodes autres que celle de l’actif net serait inappropriée, eu égard au fait que la SARL Alternance est une société de services de petite taille, et que la combinaison des méthodes utilisées par l’administration pour évaluer le fonds de commerce de cette société aboutit à un résultat artificiel ; que, par ailleurs, l’augmentation du capital de la SARL Alternance n’a été assortie d’aucune prime d’émission, alors que la SA Interpoles avait le pouvoir de le faire en vertu des dispositions précitée de l’article 60 de la loi du 24 juillet 1966 ; que, par suite, l’administration établit l’existence d’une perte de 629 579 euros ;
6. Considérant que si la société requérante soutient qu’une société peut légitimement procéder à une distribution de bénéfices après une augmentation de capital afin d’attirer des investisseurs ayant une surface financière plus solide que celle des associés en place, il n’est pas établi que la situation financière de la SA Interpoles en 2010 justifiait que la SARL Alternance changeât d’actionnaire majoritaire ; que, dans ces conditions, l’administration, qui, contrairement à ce que soutient la société requérante, n’a invoqué aucun motif ou fondement légal nouveaux, établit que la société requérante, en consentant à un tiers un avantage estimé à 629 579 euros, a effectué un acte anormal de gestion, alors même qu’elle ne disposait statutairement d’aucun droit préférentiel de souscription ;
7. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SA Interpoles n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande de décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes dues au titre de l’exercice clos en 2010 ;
Sur les conclusions présentées par la SA Interpoles au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : » Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SA Interpoles est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Interpoles et au ministre de l’action et des comptes publics.
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N° 16NC02062